Bossuet en Hollande
(1949)–J.A.G. Tans– Auteursrecht onbekend
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Aan mijn moeder en mijn vrouw, wier opofferingen mijn studie mogelijk gemaakt hebben. | |
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Introduction.Un auteur hollandais invitait il y a quelque temps ses lecteurs à avouer que le nom éloquent de l'évêque de Meaux provoque en eux une attitude déférente et respectueuse, sans qu'ils aient jamais lu pour autant le moindre de ses ouvragesGa naar voetnoot1). Il nous semble en effet incontestable qu'en Hollande Bossuet appartient à ces hommes célèbres dont F. Brunetière a dit qu'ils sont ‘ensevelis dans le linceul de leur propre gloire’Ga naar voetnoot2). La tradition, à qui souvent suffit la gloire, et non point ce qui la provoqua, a consacré son nom, mais en le privant de son rayonnement. Qui dit actuellement ‘Bossuet’, dit ‘éloquence’, ‘oraisons funèbres’; on admire l'évêque majestueux et le célèbre orateur; quelques-uns connaissent sa philosophie de l'histoire; d'autres, rattachant son nom au gallicanisme, se croient forcés de parler de lui avec une certaine réserve. Très peu le connaissent vraiment et savent quelles richesses profondes se trouvent amassées dans son oeuvre, quel travailleur inlassable se récèle derrière la pompe épiscopale dont Rigaud l'a pour toujours revêtu. Presque personne ne se doute plus de la lutte gigantesque et douloureuse qu'il a soutenue contre l'esprit de libertinage qui gagnait chaque jour du terrain. Bossuet aurait été le dernier à s'étonner ou à se plaindre de l'oubli dans lequel ses oeuvres sont tombées. Orchestrant brillamment les paroles de l'Ecclésiaste sur la vanité de toutes les choses humaines, il a comparé luimême les hommes à des flots qui, après avoir fait un peu plus de bruit et traversé un peu plus de pays les uns que les autres, vont tous se confondre dans un abîme où l'on ne reconnaît plus aucune des qualités superbes qui distinguent les hommesGa naar voetnoot3). Il faut vraiment que l'éclipse de sa renommée ait été complète pour qu'on omette son nom dans un ‘résumé des recherches sur les rapports littéraires entre la France et la Hollande’, publié il y a quelque vingt ans, et où l'auteur passait en revue les études qui ont été déjà faites, et indiquait plusieurs sujets qu'on pourrait encore étudier ou mettre au pointGa naar voetnoot4). Quoi | |
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d'étonnant dès lors qu'un bossuétiste français, parlant de l'effet que produisit l'Exposition de la foi catholique parmi les protestants dans les pays de l'Europe occidentale, ne souffle mot de la HollandeGa naar voetnoot5). Pourtant ce livre a été traduit par Pierre Codde, sur l'invitation du vicaire apostolique de la Mission hollandaise, Jean de Néercassel, correspondant de Bossuet. Si l'on considère le tour qu'avait pris la controverse avec les protestants à la fin du dix-septième siècle, et la place importante que l'Exposition y occupait, ce seul fait suffirait à justifier l'hypothèse selon laquelle l'évêque de Meaux doit avoir exercé une influence sur notre pays dans le domaine de la pensée religieuse. D'autres indices viennent confirmer cette supposition, et prouvent que nos ancêtres se sont mis plus assidûment à l'école du grand orateur que leurs descendants du vingtième siècle. En dressant un relevé des livres français qui figurent sur cent catalogues de vente de bibliothèques privées de la première moitié du dix-huitième siècle, on nous a fait voir que dans vingt-trois de ces collections il y avait des ouvrages de Bossuet, dont surtout le Discours sur l'Histoire UniverselleGa naar voetnoot6). Telles sont les considérations qui nous ont poussé à entreprendre le présent travail. Elles nous en ont en même temps suggéré les contours. Il n'entrait pas dans notre intention de relater une fois de plus les discussions violentes que Bossuet a eues avec Basnage, Bayle et Jurieu, les protagonistes protestants qui avaient trouvé un refuge hospitalier aux Pays-Bas. Non pas qu'à notre avis le sujet ait été tellement épuisé qu'il soit impossible d'y découvrir quelques aspects nouveaux. Mais pour ces luttes la Hollande n'a été qu'une scène accidentelle de combat. Elle a offert asile à l'une des parties, et elle a mis à la disposition de tous son marché aux livres. La lutte elle-même, bien que d'un intérêt général par son sujet, reste au fond une affaire purement française. Ce que nous avons voulu observer, c'est la confrontation de notre peuple lui-même avec les idées de Bossuet, l'entrée de ses oeuvres dans le champ de la pensée hollandaise, et leur assimilation ou leur rejet par les Hollandais. Il ne sera donc question de l'activité des réfugiés qu'en tant qu'elle sera indispensable pour bien comprendre la réaction de leurs hôtes devant les ouvrages de Bossuet: il va sans dire en effet que ces disputes ont contribué à rehausser la renommée du grand controversiste catholique, et que souvent même elles l'ont introduit auprès du public hollandais. Ce choix que nous nous sommes imposé a entraîné de lui-même une autre restriction. Il était bien tentant, surtout dans une période où le patriotisme est si vivant, de déterminer le rôle que la Hollande a joué dans l'oeuvre d'un des représentants les plus illustres de la nation fran- | |
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çaise: nous avons dû pourtant y renoncer, préférant conserver à notre travail son unité et sa logique. Avouons que nous ne l'avons fait qu'après beaucoup d'hésitations, si passionnantes sont les nombreuses questions qui ont assailli notre esprit. Quelle place la Hollande occupe-t-elle dans l'oeuvre de Bossuet, notamment dans ses ouvrages d'histoire, et quelles sont les sources où il a puisé?Ga naar voetnoot7). Quelle a été la part exacte qu'ont eue dans l'élaboration de sa méthode de controverse les frères Walenburg, dont sa bibliothèque contenait les Tractatus generales de controversus fidei, parus un an avant son Exposition?Ga naar voetnoot8). Vossius, qui a eu un si grand succès en France comme théoricien de l'artGa naar voetnoot9), n'a-t-il pas exercé une influence assez profonde sur les idées pédagogiques et didactiques du précepteur du Dauphin, qui possédait un nombre considérable de livres de ce savant hollandais? Comment l'évêque de Meaux, qui a si bien sondé les véritables sentiments d'ErasmeGa naar voetnoot10), a-t-il pu se tromper si lourdement dans son jugement sur Ruysbroeck et sur Grotius? Cette dernière question surtout est importante: elle en soulève d'ailleurs à elle seule bien d'autres. Nous consignerons ici même quelques observations, dont le lecteur voudra bien pardonner et la rapidité, si l'on songe à l'importance du sujet, et la longueur, si l'on considère la place où nous le traitons. On s'accorde généralement à penser que Bossuet, en reprochant à Ruysbroeck d'avoir versé dans le panthéisme, et en répugnant à donner aux expressions ‘exagérées et extraordinaires’ du mystique flamand un sens orthodoxe par ‘de bénignes interprétations’Ga naar voetnoot11), a repris simplement à son compte les attaques du chancelier Gerson, sans avoir lu attentivement les textes discriminésGa naar voetnoot12). Le dernier historien des rapports entre Ruysbroeck et Gerson s'est montré un peu plus indulgent pour Bossuet, en attribuant les erreurs manifestes de l'évêque au fait qu'il aurait composé de mémoire. Mais ce savant croit également que l'auteur de l'Instruction sur les Etats d'Oraison n'est pas au courant des textes mystiques médiévaux, et que pour Ruysbroeck il s'est borné à relever les quelques phrases sur lesquelles Gerson avait concentré sa critique virulenteGa naar voetnoot13). | |
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Il est, certes, hors de doute que Bossuet a marché sur les traces de Gerson. Mais il sera malaisé de persuader à ceux qui connaissent bien la méthode de travail de M. de Meaux que le problème soit aussi facile à résoudre, d'autant moins que dans l'Inventaire des biens de Bossuet on trouve Rusbrochii Opera, Thomas a Jesu (en 2 vol.)Ga naar voetnoot14). Cela ne tendrait-il pas à prouver que Bossuet s'est occupé de Ruysbroeck plus qu'on ne le croit en général? Et son aversion pour ce mystique, ne l'aurait-il pas héritée surtout de l'école bérullienne, qui, tout en ayant subi fortement l'influence de l'auteur flamand, a toujours gardé quelque méfiance pour sa terminologie mystique?Ga naar voetnoot15). Cette hypothèse nous séduit d'autant plus qu'à notre avis Bossuet suivait également de Bérulle dans sa prédilection pour l'Imitation. Il possédait deux exemplaires de ce livre d'ascèseGa naar voetnoot16), et, contrairement à l'opinion généraleGa naar voetnoot17), nous ne croyons pas invraisemblable qu'il l'ait pratiqué. Le célèbre passage, par exemple, du Sermon sur la Loi de Dieu, où Bossuet exprime son mépris pour la ‘pauvre philosophie’, en mettant un homme ignorant au milieu d'une assemblée de philosophes incapables de lui apprendre ce qu'il a à faire en ce mondeGa naar voetnoot18), nous semble un développement magnifique de la comparaison que fait l'exorde de l'Imitation entre le ‘philosophe superbe’ et ‘l'agriculteur’. Il nous a coûté de nous plier aux exigences de la logique interne de notre sujet, et d'exclure toutes ces questions de notre étude. Nous avons dû cependant faire une exception pour le jugement sévère de Bossuet sur Grotius, auquel nous avons consacré le premier chapitre du présent ouvrage: c'est qu'au dix-neuvième siècle le jurisconsulte de Delft a trouvé en Hollande un avocat éloquent qui a interjeté appel contre l'arrêt de mort prononcé par Bossuet, déclenchant ainsi une longue polémique, à peine apaisée en ce moment-ci. Et - oserons-nous l'avouer - c'est aussi parce qu'à travers Grotius M. de Meaux avait atteint l'esprit de ce que nous appelons fièrement notre siècle d'or. Personne n'ignore qu'on a rangé souvent Néercassel parmi les jansénistes, et qu'avec son successeur, Pierre Codde, nous nous trouvons au début du schisme d'Utrecht. Or puisque le mot de jansénisme a été prononcé | |
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plus d'une fois à propos de Bossuet, puisqu'en tout cas, dans la lutte contre le protestantisme, l'évêque de Meaux a été l'allié des controversistes de Port-Royal, nous avons analysé la prédilection qu'on a eue pour lui et pour son oeuvre dans l'Eglise schismatique d'Utrecht. Les conclusions de cette recherche nous ont amené à nous poser le problème, toujours en suspens, du jansénisme de l'évêque de Meaux. Il était naturel de consacrer un chapitre au retentissement qu'ont eu ici ses oeuvres de controverse contre les protestants; nous avons également essayé d'établir à quel point la vague appréciation littéraire des temps modernes pour Bossuet résulte d'une estime plus concrète au passé. Comme enfin c'est au dix-neuvième siècle que son influence sur la Hollande a changé de caractère, cette époque a été traitée à part, bien que parfois il fût inévitable d'y anticiper. Finissons par l'aveu que même dans ce domaine limité les perspectives se sont montrées si vastes qu'après ce travail il restera sans le moindre doute beaucoup d'épis à glaner.
Au terme de cette étude ce nous est un plaisir d'exprimer notre profonde reconnaissance à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à lui donner naissance et forme. Nous devons faire une mention spéciale pour M. Jean Dagens, qui nous a indiqué le sujet du présent ouvrage, et qui nous a aidé à triompher des premiers obstacles, dont on sait bien qu'ils sont souvent les plus difficiles à franchir. Comment ne pas aussi remercier M. Gerard Brom, professeur à l'Université catholique de Nimègue, qui nous a fait profiter largement de son érudition: sans lui bien des perspectives de notre exposé n'auraient pu être dégagées. Nous devons aussi un témoignage particulier de gratitude au bibliothécaire des jésuites à Maastricht, M.A. de Wilt, ainsi qu'au président du séminaire des vieux-catholiques à Amersfoort, M.P.J. Jans: la matière même de notre ouvrage et sa documentation seraient sans eux bien incomplètes. C'est encore avec une grande joie que nous remercions le ‘Thymgenootschap’ de son appui matériel, qui a facilité de beaucoup la publication de notre livre. Que tous ceux enfin qui ont eu quelque part dans ce travail - en particulier M.M. Bernard Fortin et Jo Hollanders - trouvent ici l'expression de notre vive reconnaissance. |
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