Le théâtre villageois en Flandre. Deel 2
(1881)–Edmond Vander Straeten– Auteursrechtvrij
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II.
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Français de fraîche date pour les Hollandais parlant le néerlandais, s'unirent pour contrecarrer en tout le premier roi des Pays-Bas. Guillaume, de son côté, commit beaucoup de fautes et d'imprudences, qui furent dépeintes, par les cléricaux et les libéraux à courte vue de l'époque, à la multitude nouvellement convertie, comme à travers un verre grossissant. On oublia que Guillaume avait fondé trois universités éminentes, qu'il avait réformé l'enseignement moyen, amélioré et multiplié par centaines les écoles primaires. Comme aujourd'hui, on s'écria que c'étaient des écoles gueuses, sans Dieu. La réinstallation officielle et le raffermissement efficace de la langue maternelle en nos contrées flamandes, placèrent les habitants de celles-ci dans les conditions normales de leur développement individuel, et la réunion à leurs frères de race, les mit en relation directe avec la source de leur civilisation. Toutefois, le clergé flamand était encore si puissant, qu'il fit pétitionner à tour de bras (expression du temps), ses brebis flamandes contre leur langue natale réhabilitée. Des malheurs de diverses natures pesèrent sur les Flandres. Sous cette influence, qui dura environ deux cent cinquante ans, le peuple n'était point en état de renaître subitement, comme le phénix de ses cendres. L'éducation catholique et l'abâtardissement français l'avaient si bien aveuglé, qu'il en vint à prendre les ténèbres pour la lumière, la diminution de l'ascendant clérical pour un attentat à la liberté, et sa propre langue pour une | |
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langue étrangère. 1830 éclata, avant que le jour se fit. Et quelles furent les conséquences de la Révolution pour nos contrées flamandes? Dans plusieurs communes, les locaux des écoles gueuses furent pillées par les paysans fanatisés, et le matériel perfectionné fut réduit à néant. Des écoles libres, avec Dieu, où l'enseignement était misérable, les supplantèrent, et il nous fallut attendre jusqu'en 1842, pour voir réinstaller, par l'État, l'enseignement primaire, moyennant l'asservissement complet de l'école et des instituteurs au clergé catholique. On peut dire que l'enseignement primaire, en Flandre, de 1830 à 1842, n'existait quasi plus, tant étaient mauvaises et restreintes les institutions libres qui avaient remplacé les honnêtes écoles hollandaises, bien entendu lorsque l'école officielle avait été remplacée par une autre, car, en diverses localités, rien ne vint s'y substituer. L'enseignement moyen subit, à peu près, le même sort, et fut réglé seulement par la loi, en 1850. Entretemps, le clergé et les religieux des deux sexes s'étaient emparés des générations naissantes de la bourgeoisie, au moyen de leurs innombrables institutions nouvelles. Des trois universités de l'État, on n'en conserva que deux, et les locaux de l'université antérieure furent cédés aux évêques, pour y fonder, sur leur inspection exclusive, une université catholique. En même temps, les libéraux érigèrent, à Bruxelles, une université libre. La francisation régna partout. On ravalait en tout le | |
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néerlandais, comme entaché de tendances protestantes et orangistes. On le bannit, comme langue officielle, de toutes les branches de la législature et de l'administration: le pays flamand, soumis à des employés ignorants ou méprisant la langue de la population; le Flamand, accusé et jugé au tribunal en français; les affaires d'Etat générales auprès du gouvernement (administration centrale), de même que les conseils provinciaux, et, dans toutes les grandes villes, les intérêts locaux exclusivement traités et débattus en français; la langue néerlandaise négligée dans l'enseignement, exclue des examens, déclarée inutile par les lois, n'importe pour quelle fonction.... Quoi d'étonnant qu'une nouvelle période de décadence et de dépérissement surgit, avec 1830, pour les contrées flamandes. En treize ans, de 1816 à 1829, la population de la Flandre Orientale augmenta de dix-neuf p. %, et celle de la Flandre Occidentale de seize p. %. En trente-sept ans, c'est-à-dire de 1829 à 1866, les mêmes deux provinces s'accrurent simplement de neuf et de six p. %. Envisagée au point de vue flamand, la séparation de 1830 fut une calamité. Au point de vue général, elle fut tout aussi regrettable. La Révolution de 1830, dit M. De Laveleye, fut une grande erreur, de même que la séparation de l'Irlande et de l'Angleterre. L'érection du royaume des Pays-Bas, réalisant le but poursuivi autrefois par les ducs de Bourgogne, fut la meilleure oeuvre du Congrès de Vienne. Les provinces du nord, de sang germanique, formaient | |
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un obstacle à la conquête de la part de la France; celle du Midi, de langue latine, s'opposaient à la conquête par l'Allemagne. La Belgique apportait à la communauté, son agriculture, son industrie, ses fers et ses charbons; la Hollande apportait ses colonies, ses vaisseaux, son commerce. Un État, ayant 9 à 10 millions d'habitants et un budget de 400 millions de francs, était aussi fort que la Prusse en 1815, et se trouvait en état de se défendre lui-même. Actuellement, la Hollande regarde avec inquiétude du côté de l'Est, et la Belgique du côté du Sud, et il n'y a de sécurité complète pour aucun des deux. Les amis de la liberté en Belgique, s'ils avaient pu avoir l'appui des protestants de Hollande, auraient résisté victorieusement à l'ultramontanisme. Isolés comme ils le sont, on peut craindre qu'ils ne finissent par succomber Le clergé belge, en fomentant la révolution de 1830, a commis un crime contre la sécurité de l'EuropeGa naar voetnoot(1). Ce jugement sévère, mais mérité, sera, à notre avis, sanctionné par le tribunal de l'histoire...... Nous, Flamands, que célébrerons-nous, pendant les fêtes nationales de 1880? Applaudirons-nous à une révolution dont les conséquences pèsent encore sur notre peuple? Aucun homme raisonnable ne saurait nous demander celaGa naar voetnoot(2).’ Il y avait, chez nous, avant 1830, comme barrières: 1o la langue, contre la France; 2o le temple | |
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protestant, contre Rome; 3o dix-huit forteresses, contre l'envahissement de l'étranger, de nos voisins du midi surtout. Qu'en reste-t-il aujourd'hui? L'invasion cléricale et française s'est insinuée, par degrés imperceptibles, dans la moëlle de la nation. Elle l'absorbe, la soumine, l'étiole et la ronge. Armée d'une sage précaution, parée d'allures séduisantes, elle va à son but, avec sûreté et inflexibilité. La consommation complète de son oeuvre permettra de juger du mal accompli, des ruines accumulées, ruines morales surtout. Grâce à la mer, grâce à une langue dissemblable, Londres n'a aucune influence directe sur nous. D'autres barrières puissantes, dont la distance n'est pas la moindre, nous séparent complètement de Berlin et de Vienne. L'action de Paris est immédiate. Quelques heures suffisent pour nous amener des flots de journaux, de livres, de pièces de théâtre, que l'on dévore avec avidité, grâce à la promiscuité des langues et aux scandales qu'ils contiennent d'ordinaire. Le Belle Hélène, Nana, le Figaro en forment la trinité actuelle la plus écoeurante. ‘Paris, cerveau du monde,’ dit Victor Hugo. ‘Paris, cerveau du demi-monde,’ ajouteronsnous, avec plus de raison et de vérité, au sujet de productions immorales au premier chef, et dont Jules Janin, prenant l'effet pour la cause, nous disait appelés fatalement à vivre désormais. Belle pâture pour nos populations, titrées injurieusement d'‘oies belges’, et proclamées, à diverses reprises, de ‘mûres pour l'annexion!’ | |
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L'influence de l'hydre romaine, malgré un éloignement apparent, est plus immédiate encore. Active, insinuante, elle pénètre partout: dans votre demeure, dans votre famille, dans ce que vous avez de plus précieux et de plus cher. Etouffant les plus généreux sentiments, elle immole tout à sa cupidité et à son ambition. Émanée de la fraude et de la corruption, c'est par la fraude et la corruption qu'elle existe. Son repaire est ténébreux et profond, parce que la lumière du soleil la blesse et la tue.... Après des luttes séculaires et des revers marquants, elle n'a rien perdu aujourd'hui de sa puissance ni de son prestige, poursuivant son oeuvre destructive per fas et nefas, s'établissant là où on ne s'aviserait point d'aller la chercher; faisant plier tout à ses exigences, prenant mille formes: doucereux avec les forts, insolent avec les faibles, se redressant subitement, quand vous la croyez abattue, se targuant d'un patriotisme hypocrite, réclamant la liberté, quand la liberté ne seconde point son insatiable soif de domination; n'ayant qu'une devise, qu'une patrie, qu'une famille: Rome. Nous luttons, il est vrai; mais le combat est inégal. Aux cléricaux, des privilèges iniques; aux Français du dehors et aux Fransquillons du dedans des avantages criants. Le moyen de n'être point enserré dans les mailles inextricables du fanatisme, et de ne point devenir le tributaire intellectuel d'un peuple léger et charlatanesque? Nos qualités, nombreuses et réelles, nous servent ici bien mal. Le Flamand notamment est né avec | |
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le génie des arts. Ce génie est alimenté par une sensibilité vive et profonde, qui le porte à rechercher avec empressement tout ce qui le touche et le fascine. L'appareil religieux, avec ses exhibitions théâtrales, son or, son encens, ses chants, son mysticisme, l'attirent irrésistiblement. Le moyen de faire dévier cette attraction et de l'enchaîner ailleurs, en donnant surtout à la raison plus d'empire et plus d'autorité? Nous portons hélas! la robe de Nessus. Nous sommes livrés trop sérieusement, comme trop sérieusement aussi nous cédons à un amour immodéré de l'étranger, de la France surtout qui nous a causé des maux incalculables. Au lieu de tolérer simplement le clergé romain, au nom du droit commun, nous le caressons, nous le cultivons. Au lieu d'accorder aux Français une hospitalité commandée par les lois les plus élémentaires de la civilisation, nous leur vouons une sympathie qui tient la démence. Voilà pourquoi la superstition et le fransquillonisme ont tant d'empire ici. Sujétion, à la théocratie ultramontaine par aveuglement; asservissement à la France intellectuelle par complaisance et par entraînement, tel est notre sort actuel Les leçons de l'histoire ne nous ont donc rien appris? Sous la domination bourguignonne, comme aujourd'hui, il y avait une prospérité commerciale et industrielle, étayée d'une forte organisation civile et militaire. L'engouement pour un gouvernement étranger, qui choyait si puissamment notre fibre | |
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artistique, qui imprimait une si vive impulsion à l'épanouissement de notre génie multiple, nous précipita dans toutes sortes de malheurs, dont l'abâtardissement de notre langue et de notre caractère si fier et si enthousiaste fut le plus grand et le plus affligeant. L'esprit national, plein de bon sens et d'amour de la liberté, avait, au XIVe siècle, ses racines dans l'instruction du peuple, et le développement intellectuel, politique et moral, qui, à la même époque, puisait sa force dans cette admirable littérature didactique dont Jacques Van Maerlant fut le père, dégénéra, au siècle suivant, sous l'action délétère des ducs de BourgogneGa naar voetnoot(1). De par le clergé, qui était tout-puissant, il ne nous était plus permis de penser philosophiquement; delà, ces fades productions scéniques et autres, dont nous fûmes inondés. De par l'autorité civile, toute dissertation politique, sincère et libre, était rigoureusement interdite; delà, cette transformation de la corporation militaire en société d'amusement. Tandis que les écrivains français les plus médiocres étaient comblés de faveurs et de distinctions, les publicistes flamands se voyaient condamnés à une sorte d'ostracisme systématique. La noblesse, entraînée dans ce fol engoûment, envisageait le français comme la langue par excellence, et n'osait s'exprimer en flamand, de peur de passer pour une barbare. Séparée ainsi du peuple qui, seul, resta | |
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attaché à sa langue maternelle, elle placa une digue puissante entre elle et lui, et le flamand abandonné, discrédité, conspué, n'enfanta plus d'oeuvres virilesGa naar voetnoot(1). Une pourtant, sur laquelle l'attention du lecteur a été provoquée spécialement: la stigmatisation, sous une triple forme, des moeurs du clergé et de ses trafics superstitieuxGa naar voetnoot(2); manifestation de hardiesse et de bon sens, qui puisa sa force principale dans les écrits d'Érasme, où notamment on peut lire ceci: ‘Ces grands donneurs de bénédictions prétendent, par leur ignorance, par leur grossièreté, par leur effronterie, nous représenter les Apôtres... Il en est, parmi ces révérends, qui montrent l'habit de pénitence et de mortification, mais qui se gardent bien de laisser voir leur chemise fine; d'autres, au contraire, portent la chemise sur l'habit et la laine dessous. Les plus réjouissants, à mon avis, sont ceux qui, à la vue des espèces monnayées, reculent comme devant une herbe vénéneuse: “Otez, ôtez! s'écrient-ils, nous ne touchons point l'argent” Oh! les cafards! ils n'épargnent pas leurs cinq sous pour les femmes et le vin. Vous ne sauriez croire combien ils s'étudient à se distinguer en tout les uns des autres. Imiter Jésus-Christ? C'est de quoi ils se soucient le moins... Au terrible jour du Jugement, ils présenteront leurs ventres engraissés...’ | |
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C'est presque littéralement l'âcre motto de Leffinghe, au landjuweel gantois de 1539Ga naar voetnoot(1). On y voit poindre l'insurrection de nos riches provinces, insurrection fomentée d'abord contre les pratiques absurdes et contre les désordres scandaleux des soi-disants ‘mandataires du Christ,’ et élevée ensuite aux proportions immenses d'une révolution politique et sociale. On allait par des voies détournées, mais sûres, que Luther traçait, et qui eussent inévitablement délivré notre pays de la honteuse tutelle d'un clergé cynique, si les Espagnols, soutenus par l'or du Nouveau Monde et par la connivence des Wallons, n'eussent enrayé impitoyablement ce sublime élan d'affranchissement humanitaire. Après trois siècles de tyrannie, où en sommesnous? L'hydre cléricale, bien que moins ostensible, reste dans la plénitude de sa puissance. Plus que jamais nous sommes inféodés à la France, au point de renier quasi notre langue et d'élever celle de nos voisins absorbants au niveau d'une langue nationale. Lois, modes, monuments, institutions, tout, sans compter nos théâtres et nos romans, est français ou francisé. Nous respirons, à pleins poumons, une atmosphère franco-cléricale, avec Paris et Rome pour capitales. Ayant de quoi nous suffire en tout, avec nos belles villes, nos belles campagnes, nos beaux fleuves, nos beaux ports, notre belle industrie, notre bel art, il nous faut les pro- | |
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duits des bords du Tibre fangeux et de la Seine engloutissante. Quelle aberration! Où sont les voix courageuses et libres pour flétrir un pareil état de choses? Nos journalistes, nos critiques d'art et de littérature les plus éminents appartiennent, pour la plupart, de coeur ou de commande, au parisianisme. A leur tour, ils distillent quotidiennement, à pleines doses, les idées les plus erronnées sur des questions qui réclament le ferme secours d'une intelligence dévouée à notre sainte cause nationale. C'est à peine si un antidote énergique, administré par quelques esprits d'élite, trop rares hélas! parvient aux masses ainsi gangrénées. Que dire aussi de la lâche connivence de ceux qui reprouvent pourtant, au fond de l'âme, le mal commis chaque jour! Ils sont coupables, autant que les auteurs eux-mêmes, de ces ravages désastreux. Époque bizarre et insondable! Les questions les plus aisées, les plus claires en apparence, semblent se dérober fatalement à toutes les recherches. Agités par de mesquins intérêts de parti, de profession, de fortune, nous traversons une crise pénible, décourageante, dont l'issue, quoique vague, nous paraît certaine, du moins. Nos destinées appartiennent, nous le croyons, à la cause du progrès sensément entendu, à la raison, à la civilisation obtenue par les saines notions de la morale et du devoir, et par les efforts de l'industrie amenant, le gouvernement aidant, l'aisance générale. Adoucir le sort de ses compatriotes, quelle sublime mission! Trop de calamités imméritées ont fondu sur notre vaillant pays, pour que tout | |
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citoyen de coeur et d'esprit ne s'élève aux hautes conceptions de cette mission humanitaire. Au milieu de la concentration absorbante et débilitante de la capitale, quelle destinée est réservée au campagnard intelligent, amoureux du beau et du bien, doué de facultés littéraires à l'égal de ses ancêtres? Quelle voie a-t-il à suivre, pour rouvrir sa scène dramatique abandonnée, oubliée, vilipendiée? Ballotté entre le catholicisme qui n'ose plus s'affirmer scéniquement par l'Écriture ni par la légende, et entre le libéralisme impuissant ou rebelle à imposer ses idées modernes aux villageois, comment fera-t-il revivre son théâtre, et lui donnera-t-il sa vraie destination de moraliser et d'instruire? Où trouvera-t-il les éléments nécessaires pour réunir, comme autrefois, trois sociétés distinctes donnant chacune une représentation, dans un seul village, le dimanche et les jours de fête? Une seule association jouait parfois, à deux reprises par jour, le matin et l'après-midi. Cela avait lieu notamment aux grandes foires, qui attiraient un grand concours de monde, divisé en lointains et en voisins, les premiers fréquentant la séance matinale pour pouvoir encore regagner leur demeure la nuit même; les autres présents à la séance vespérale, n'ayant qu'une distance faible à franchir pour rentrer chez eux. Les cours d'auberges où se déroulait le drame, d'ordinaire relatif à un fait local, regorgeaient de monde. Panem et circenses! C'était le banquet de leur vie. Ils pavaient y garder leur place, en prêtant, | |
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la semaine, leurs bras au travail, et, le dimanche, leurs idées à la scène. Aujourd'hui, le dorpspel, c'est la boule, les quilles, le bouchon, le fusil-Flobert, le jeu de hasard, les concours des pigeons, l'arbalète. Plus une ombre de ces temps prospères. Passe encore pour les fanfares, les harmonies et les choeurs, ces précieux éléments préparateurs d'une nouvelle scène lyrico-dramatique. En somme, un état de neutralisation, d'engourdissement, d'effacement, plus funeste qu'une situation crétinisante, amenée par les rigueurs de la censure, et provoquée par les abrutissements du fanatisme. Celle-ci, du moins, nous a donné une série d'oeuvres reflétant un état de choses exact, dénotant une circulation d'idées, un épanouissement d'esprit fort rétrograde, il est vrai, mais qui imprimait aux facultés innées du Flamand pour le théâtre, une vive expansion, d'où pouvait jaillir, par une forte secousse réactionnaire, une restauration moderne, salutaire et bienfaisante. Au lieu que ce vague tâtonnement, cette méfiance de soi, cette incertitude et ce marasme constituent le vrai néant. Les martyrs indigènes de l'Église avaient leur physionomie. Notre pseudo-libéralisme, injecté de gallomanie, est l'antipode de toute vraie individualité. Le clergé, outre cela, se fatigue des vieilles idoles, qui, d'ailleurs, ne lui rapportent plus de bénéfices bien considérables. Les pèlerinages, consacrés par le temps, et qui se relient si intimement à nos moeurs, à notre sol, à notre histoire, dépérissent misérablement, par l'engouement inspiré à | |
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nos populations rurales pour les saints nouveaux, créés à l'étranger. En certains villages, il ne reste plus que des lambeaux des patrons tutélaires. C'est à peine si, obéissant à une coutume immémoriale et invétérée, on ose les exhiber encore à la procession de la Fête-Dieu, ou à l'ommegang local. Enlevés d'abord des niches qu'ils occupaient aux lieux marqués par des prodiges feints ou réels, près des arbres, près des collines, des vallons, des sources, etc., pour concentrer leur exploitation à l'église même, ces saints, qui ont eu leur heure de vogue et de rapport, ont été jetés pêle-mêle dans des coins obscurs de l'église, où ils dorment presqu'inconnus de la génération actuelle, tandis que les fétiches d'invention récente reluisent d'or, de pierreries, de dentelles et de peintures précieuses, sur des autels pompeusement dressés en leur honneur. Plus de bannières pittoresques, plus de légendes savamment présentées aux naïfs pèlerinards. Tout pour la poupée exotique, sortie d'une grotte, d'un bois ou d'un puits quelconque. Triste! Si les anciens saints sont écartés, le théâtre ne saurait plus traduire les épisodes de leur existence surnaturelle. Mais, nous venons de voir, d'autre part, que l'activité dramatique de jadis est impossible aujourd'hui, à cause de deux éléments dissemblables qui se combattent: la naïveté biblique ou légendaire, et la raison moderne. En y ajoutant l'asservissement artistique et littéraire à la France, le problème d'une scène nationale rurale ne ressemble-t-il point réellement à une utopie? | |
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Epoque de transition, nous dira-t-on? Oui, transition qui dure un demi-siècle. Qui nous rendra ce mouvement réformiste rayonnant, ces admirables écoles laïques totalement affranchies, cette remarquable activité littéraire, servie par une langue mélodieuse universellement parlée, de 1816 à 1830? Donner sans cesse, et ne rien recevoir en échange, la belle gageure! Prétend-on, par hasard, qu'une petite nation comme la nôtre, ne saurait entièrement se soustraire aux deux influences délétères qui pèsent sur elle, et qu'il en faut bravement prendre son parti? En ce cas, ne parlons plus d'indépendance et de liberté. Ces deux mots ronflants sont une ironie: ils malsonnent, ils mentent. Entrons résolûment, il en est temps, dans la voie de la régénération. Après le venin, l'antidote. Le meilleur, le plus efficace, le plus radical, de l'aveu de tous, c'est l'instruction par l'école et par le théâtre. L'école doit nous appartenir entièrement et à tous les degrés. Il y a plus. Elle doit devenir obligatoire, grâce à un acte d'énergie, suivant logiquement celui qui vient d'être posé, et qui en constituera le colloraire naturel. Le plus grand esprit de notre pays, et peut-être de notre époque, Laurent, a bien fait de préconiser hautement ce devoir essentiel, impérieux, d'où tout notre avenir dépend. Et non seulement, il l'a préconisé, mais fait entrer dans la voie active et féconde de la pratique. Son oeuvre, ingénieuse, généreuse, forte, provoque l'admiration de l'Europe entière, et convie d'illus- | |
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tres hommes d'État à venir y chercher le modèle de leurs établissements similaires. A l'encontre de beaucoup d'esprits arriérés, les Gantois de toutes les classes estiment qu'il n'est point de hase plus solide, pour la prospérité matérielle, que l'instruction répandue à pleine mains. ‘Peu de villes, dit M. Havard, ont fait, dans ces derniers temps, d'aussi grands sacrifices pour généraliser l'instruction populaire (que la ville de Gand). Autour de ces excellentes institutions communales, viennent se grouper une foule d'institutions particulières, parallèles, connexes, qui les complètent et dont elles tirent une partie de leurs forces....Ga naar voetnoot(1). Elles mettent, à la portée de l'enfant, des distractions honnêtes, instructives, qui l'éloignent du cabaret. Non seulement, les sociétés musicales lui offrent le moyen de satisfaire ses goûts dominants (tous les Flamands sont naturellement chanteurs), mais il apprend à réciter des vers, à jouer la comédie, et voit ainsi restituées, à son profit, les chambres de rhétorique si chères à ses ancêtresGa naar voetnoot(2).’ Pour imiter ces précieux exemples, à la campagne, il nous faut remonter un fort courant, soulever de grandes masses, briser de puissantes barrières, Difficultés immenses, mais non impossibilités. Laissons le clergé crier à l'Antechrist, à l'écroulement du monde, à propos des récentes lois sur l'enseignement primaire. Il tonnera bien davantage, quand ces lois étendront leurs limites logiques et indispensables. | |
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Pendant que, honteux de s'afficher au théâtre avec des légendes démodées, pendant que son action, de ce côté, reste nulle - et qui n'avance point, en matière d'art, rétrograde nécessairement, - donnons à nos populations rurales une vigoureuse et salutaire impulsion. Faisons les participer, aussi bien que les villes, aux bienfaits de la civilisation moderne et de notre génie particulier. Combinons, en un mot, l'action moralisatrice de l'école et du théâtre. L'école, épurée, nationalisée dans toutes ses branches, c'est l'épanouissement de l'idée, c'est la manifestation complète et éclatante des forces vives de la patrie. C'est un cordon sanitaire tendu autour de notre chère jeunesse, flétrie bien souvent avant l'âge de la raison, par les souillures des prêtres et les éclaboussures des livres immondes. Au théâtre, tout est quasi à faire. D'après un relevé officiel, il n'y avait, en 1864, que cinquantesept associations littéraires et dramatiques, dans les villes et les villages des deux Flandres: vingtsept pour la Flandre-Orientale, et trente pour la Flandre-Occidentale. Quelle décadence depuis un siècle! A Bruxelles, des centaines de mille francs pour la scène étrangère, et quelques milliers de francs seulement pour la scène indigène! L'injustice est flagrante. En province, peu ou rien. Si le théâtre ne s'affirme hautement dans le sens patriotique, s'il ne combine son action avec l'école nationale, il ira fatalement à l'encontre de celle-ci et en neutralisera les effets. | |
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Le campagnard se voit enfermé dans une sorte de cage de fer, aux abords de la quelle le prêtre, faisant le guet sans relâche, semble narguer celui qui voudrait délivrer le prisonnier ainsi rendu inaccessible: ‘Ceci est mon bien; n'y touchez pas!’ Avec l'action fusionnée de l'école et du théâtre, quelle barrière désormais plus infranchissable! Et la libération accomplie, qui ou quoi pourrait empêcher le plus humble manant de participer aux bienfaits de l'extension du droit de vote, et, partant, aux prérogatives de la vie politique? Les charrues croyant en Dieu, rendues à la raison, à l'exercice de leurs devoirs sociaux, voilà le triomphe de la politique progressive et l'anéantissement radical de l'influence du clergé. Imbibé de la lumière moderne, le campagnard comprendra les principes sacrés de l'égalité sociale et se fera une vraie existence de citoyen libre. Initié aux notions de l'amour de la patrie, des lois, du vrai et du beau, du bien et de l'honnête, il participera à toutes ces conquêtes précieuses, lesquelles doivent devenir des instruments de pacification d'ordre et de progrès. Délivré des superstitions catholiques, son esprit observateur, son sentiment de la nature et de l'art nous donnera certainement des manifestations artistiques originales et hardies, empreintes du caractère inhérent à la race flamande. Certes, ce théâtre rustique sera toujours bien élémentaire, mais, nous ne verrons plus sur ses programmes les tristes élucubrations théologico- | |
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burlesques du dix-huitième siècle, ni les prétendues traductions des tragédies de Voltaire. Les anciens n'envisageaient-ils pas les représentations scéniques comme le plus puissant auxiliaire du patriotisme et de la civilisation? Affirmons nos sains principes, au théâtre villageois, par la voie ingénieuse des allégories, des symboles, comme le Flamand les aime tant. La transition sera ménagée ainsi presqu'imperceptiblement. Le souvenir des vieilles légendes est encore très-vif en Flandre. Là où il y avait un pèlerinage, un drame légendaire, substituons-y une idée moderne, remplaçons l'idole payenne christianisée par une fiction morale empruntée aux ressources variées de l'histoire ou de la philosophie. Que le Spel der Passie devienne, par exemple, le Triomphe du dévouement à la Patrie, et que Cobonus en Peccavia soit remplacé par notre Uylenspiegel modernisé. Les prêtres donnent l'exemple, en rafraîchissant leurs sanctuaires. L'Église, après s'être élevée sur les ruines du paganisme, ne pourra repousser comme exécrable le droit qu'elle a constitué elle-même et sur lequel elle repose. Que disons-nous? ‘Elle a, comme on l'a fort bien démontré, donné la méthode la plus absolue, la plus radicale pour réduire à néant une religion ancienne.’ Au fait, l'Église se détruira bien elle-même, pour peu qu'elle continue à prostituer le culte qu'elle appelle ‘saint et divin.’ Seulement, plantons la patrie partout où, sous prétexte de sagas, de légendes, de traditions ayant le merveilleux pour | |
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base, elle exploite la crédulité publique dans un but de lucre ou de domination. Notre patrie avant Rome, source de scandales séculaires et de maux inénarrables. Que sur toute celle littérature chambrière ou factorienne, si anodine et si surannée, aussi bien que sur celle d'Outre-Quiévrain, qui vit presqu exclusivement de scandale, un delendum ineffaçable soit mis. ‘L'extrême diffusion de la civilisation, lisionsnous récemment dans un journal fort répandu, la création des théâtres dans toutes nos villes, ont aussi rendu presque sans objet, du moins sous leur ancienne forme, nos sociétés de rhétorique; mais il dépend d'elles de se transformer pour vivre, se multiplier, et faire pénétrer l'art dramatique nouveau jusque dans les campagnes. Cette transformation d'ailleurs s'opère insensiblement et recevra, du génie d'association qui nous est propre, un retour d'impulsion.’ L'art théâtral n'est-il pas le noble délassement des esprits de toutes les conditions et de tous les âges? ‘Le théâtre existe, selon M. Auger, non pas seulement parce qu'il existe, comme on peut le dire de tant de choses enfantées par le caprice et le hasard, mais parce qu'il doit exister.’ A la bonne heure! Il ne convient point que l'auteur dramatique s'abaisse jusqu'au public; il faut qu'il l'élève jusqu'à lui. Ceci pour la tragédie autant que pour la comédie. Comme le théâtre, bien mené, est un puissant moyen de direction du peuple, une salu- | |
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taire école de morale, arrière les scènes à poison, à échafauds, à suicides, à assassinats, à malédictions, en dépit des épisodes agréables qui s'y rencontrent. Laissons aux Français leur scène de la Porte Saint-Martin, avec ses exagérations, ses impossibilités et ses immoralités! Laissons-leur l'Assommoir, dont un habile arrangement a été approprié à la scène avec une traduction flamande. Il nous faut la lettre et l'esprit d'un drame. L'esprit de l'Assommoir peut-il être jamais celui de nos populations rurales? Souhaitons la bienvenue aux représentations honnêtes, qui élèvent le coeur, l'attendrissent et le charment. Les pièces de Rosseels, par exemple, celles de Vande Sande, Destanberg, Delcroix, Van Goethem, Van Peene, Van Geert, Geiregat, Sleeckx, Ducaju, Hiel, Dodd, De Geest, Ondereet, Willems, Stroobant, etc., provoquent en nous d'autres émotions que celles qui résultent de coups de poignards et de pistolets, d'exhibitions de guillotines et de cadavresGa naar voetnoot(1). Et tenons compte d'un utile projet que suggère M. Popeliers, pour les villes, et que naturellement les campagnes pourraient s'assimiler utilement: ‘L'union de la lyre, de la voix, de la déclama- | |
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tion, serait en quelque sorte l'exhumation de la concorde qui régnait jadis entre les Chambres et les Serments. Chacune d'elles pourrait rester société à part, mais elles formeraient une alliance fraternelle. Au moyen de ces trois éléments de la scène, il ne s'agit pas de demander ce que feraient ces associations trifides, mais bien ce qu'elles ne feraient pas. Bons orchestres, excellents chanteurs, comédiens de talent, il y a plus qu'il n'en faut pour faire de grandes et belles choses. Et puis, les membres non-exécutants des sociétés d'harmonie et de choeurs, trouveraient un divertissement de plus dans leurs propres théâtres. L'exécution de ce projet permettrait d'ouvrir des concours dramatiques, dont jamais, en aucun pays, on n'a eu d'exemple. Pour rendre ces luttes vraiment nationales, il faudrait n'y admettre aucun emprunt, ni aucun des flonflons des petits théâtres de Paris, pour lesquels nos dramatiques se sont épris de belle passion. Tout devrait être de production indigène. Comme nos compositeurs ne feront pas défaut, nos poètes ne se laisseront pas non plus chercher, et l'on pourra aborder le grand-opéra, l'opéra-comique, le drame, la comédie, le vaudeville, etc. Les membres des trifides formeront aussi bien le public, dans leurs locaux, qu'ils feront partie du public à nos grands théâtres; un succès mérité là, vaudra sans doute un triomphe obtenu ailleurs, car le spectateur est juge partout et ses arrêts frappent ou élèvent n'importe où il se trouve... Si mon projet me semblait inexécutable, et qu'il | |
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ne pût pas faire fleurir les lettres, je me garderais bien de le soumettre à mes compatriotes. Mais qu'ils l'examinent; il y a une gloire du pays à faire revivre, à mettre en honneur, des réputations à maintenir, des talents à faire éclore, des noms belges à ajouter à tant d'autres noms belges, tout un avenir d'artiste enfin.’ De nouveaux jours sont possibles; ils semblent même luire dans le lointain. L'adversité, si long-temps déchaînée sur nos provinces, doit avoir retrempé les caractères. ‘Le souffle de la tempête, en passant sur la forêt, détache les branches mortes et les feuilles jaunies. Au souffle de la défaite, les partis politiques, eux aussi, s'épurent. Les hommes faibles et les égoïstes pensées ne résistent pas à certaines épreuves.... Désormais, il faut renoncer aux tergiversations comme aux compromis, aux hésitations inexpliquées comme aux mesquines considérations personnelles. A ce prix, mais à ce prix seulement, la victoire sera définitive, et on pourra, dans l'avenir, éviter de funestes retours, qui retarderaient l'heure décisive de l'émancipation générale. Car la lutte qui se poursuit, en ce moment, n'est pas de celles dont on voit la fin en un jour. Les batailles de ce genre usent plusieurs générations d'hommesGa naar voetnoot(1).’ Rappelons-nous ce que nous avons été, et voyons ce que nous pouvons devenir. L'appel à la fraternisation se trouve consigné, | |
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comme dicton moral, à chaque page de ce livre. Que de dénominations aussi dans ce sens! Tenonsnous aux devises seulement; elles suffisent à notre thèse: Aerseele. - ‘Concorde et Progrès.’ Anseghem. - ‘Là où fleurit l'Amour, la langue de Momus est garrottée.’ Appels. - ‘Puissent la Concorde, la Paix et l'Amour fleurir en Néerlande.’ Audegem. - ‘La Concorde est la force: les Arts en découlent.’ Berlaere. - ‘L'Amour croît là où fleurit la Concorde.’ Buggenhout. - ‘La Rhétorique prospère, en compagnie de l'Amour et de la Concorde.’ Calcken. - ‘La Concorde, unie à l'Amour, ferme la bouche à Momus.’ Deerlyk. - ‘L'Amour nous assemble. Arrière Momus!’ Elst. - ‘Le goût de l'instruction écarte la Haine, l'Envie et la Fausseté.’ Etichove. - ‘La Rhétorique fleurit, là où l'Amour et la Concorde germent.’ Hundelgem. - La Rhétorique naît de l'Amour et de la Concorde’ Lebbeke. - ‘La Rhétorique fleurit par la seule Concorde.’ Leupeghem. - ‘Abdiquez toute Haine, toute Envie et toute Discorde: l'Amour vous tend les bras.’ Maercke-Kerkhem. - ‘L'Amour et la Concorde enchaînent Momus.’ | |
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Melsen. - ‘Notre Fleur des Prairies, si odoriférante, est en pleine éclosion d'Amour.’ Nederbrakel - ‘Où l'Amour fleurit, germe l'Amitié.’ Nukerke. - ‘Par l'Amour et par la Paix, toute Discorde est évincée.’ Oostwinkel. - ‘L'Amour engendre l'étude.’ Saint-Gilles-lez-Termonde. - ‘Quand la Concorde fleurit, l'Art brille.’ Sulsique. - ‘A l'ombre de notre Houx bourgeonnant, nous travaillons loin de toute querelle.’ Sweveghem. - ‘L'Amour vainc tout’ Vracene. - ‘Rien de plus cruel, que l'art cultivé en pleine Envie.’ Warneton. - ‘La Victoire naît de la Concorde.’ Wetteren - ‘Le triomphe de l'Amour est l'écrasement de la Haine et de l'Envie.’ Wichelen. - ‘A force d'Amour, nous triomphons de tout.’ Wonterghem. - ‘L'Amour règnant, point de lauriers pour l'Envie.’ Zele. - ‘L'Amour, c'est Dieu.’ Répondons enfin à ces sublimes devises, par celle de Salluste qui les résume toutes: Concordiâ res parvae crescunt, discordiâ maximae dilabuntur. Les prêtres fomentent la guerre civile pour un dogme. Élevons un édifice d'amour sur une idée humanitaire. Celui qui trace ces lignes, a vu bien des ruines amoncelées, à la suite de discussions regrettables qu'un peu de réflexion et de raison eussent écartées. Notre avenir est à ce prix. Un mot encore. | |
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A toutes les fêtes littéraires villageoises de la Flandre, point de mixture de races. Tandis que les arbalètes se confondaient, aux solennités du tir - pourquoi y aurait-il eu des arbalètes wallonnes et flamandes? - la langue maternelle résonnait comme une douce mélodie, partout où son intervention était réclamée, soit pour les exercices du drame, soit pour les séances de chant. Un abîme séparait naturellement les idiômes wallon et flamand. Ces délimitations ne sauraient être exclues de l'histoire, et la vérité prime ici tous les compromis sympathiques qui se font aujourd'hui au nom de l'unité nationale. Il s'agit, en définitive, de marquer nettement, rigoureusement, la part de chaque race, dans l'épanouissement favorable ou défavorable de la littérature campagnarde. Ce n'est point là un acte d'hostilité, comme on a tenté vainement de le faire accroire. Constater, et, au besoin, revendiquer ce qui est, où gît le mal? En blâmant une séparation si juste, si nécessaire, on ne comprend point le mouvement flamand ou bien on le profane. Si les campagnes wallonnes ont eu jadis une activité littéraire considérable, étonnant le monde comme celles des campagnes flamandes, pourquoi ne la produit-on point au grand jour? Nous en pèserons la valeur exacte et la portée réelle; bien mieux, nous lui vouerons, sans marchander, nos sympathiques éloges. Jusque-là, les merveilleux résultats, obtenus par nos vaillants ancêtres, ont droit au respect sympathique de tous, et les mots ronflants de ‘brouil- | |
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lons,’ de ‘scissionnaires,’ de ‘mutins,’ qu'on nous lance effrontément, à propos de nos justes revendications, ne nous feront point dévier d'un comma de notre mission de loyauté et d'impartialité. Comment! Parce que deux contrées entièrement dissemblables ont été géographiquement et politiquement unies, nous nous verrions obligés de comprendre dans l'histoire du grand mouvement littéraire rustique de la Flandre, du XIVe au XVIIIe siècle, un peuple qui n'y a apporté, du moins par ce que nous en savons jusqu'ici, aucun contingent appréciable ou digne d'être signalé! A chacun son rôle, à chacun sa responsabilité.
fin du deuxième et dernier volume. |
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