Le théâtre villageois en Flandre. Deel 2
(1881)–Edmond Vander Straeten– Auteursrechtvrij
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Le théatre villageois en Flandre
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toire monumentale, unique peut-être dans le monde, eût pu être édifiée sur des bases complètes. Ce qui a survécu au désastre, suffit toutefois à retracer, avec précision, l'immense mouvement littéraire dont nous nous occupons, et même il a fallu, dans l'amas volumineux des documents conservés, faire un choix et établir un triage, au risque de répéter inutilement des choses vingt fois enregistrées. Nos regrets portent principalement sur la perte des productions scéniques des XVe et XVIe siècles, que le fanatisme, plus barbare encore que le militarisme, s'est chargé de détruire impitoyablement. Les monographies embrassent un espace d'environ quatre siècles et demi. Elles s'échelonnent de manière à offrir des faits et des dates caractéristiques pour chaque période active. Celui qui aime les minces détails, groupés, moins en vue de former des notices dont la prétention serait d'être complètes, que dans l'idée de faire jaillir de leur ensemble des horizons historiques lumineux et saisissants, s'applaudira vivement des avantages nombreux qu'offre ce mode d'exposition analytique. Prenons un exemple au hasard. Les sociétés de tir, aux XVe et XVIe siècles, s'adjoignaient généralement des comédiens, pour égayer leurs exercices pittoresques, mais monotones. Il a fallu noter avec soin toutes celles dont il est fait mention incidemment dans les registres communaux: indications indirectes, si l'on veut, mais indications précieuses à recueillir, pour | |
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démontrer l'existence de confréries d'agrément ayant un double objectif, à des époques relativement lointaines. Vous voyez d'ici cet ‘évêque des archers’ et ‘ses compagnons,’ jouant, à diverses reprises, en 1461, ‘plusieurs manières d'ébattementsGa naar voetnoot(1),’ et ce ‘prêtre, facteur des confrères de la gilde des arbalétriers de Saint-Sébastien, composant, en 1536, une moralité d'occasion,’ pour un grand concours de tir à BrugesGa naar voetnoot(2). C'était la période de fraternisation. Quelques années plus tard, les chambres de rhétorique deviennent militantes et disparaissent dans le gouffre de l'Inquisition. Elles reparaissent, au XVIIe siècle, pour se fusionner avec les sodalités pieuses. Enfin, au XVIIIe siècle, elles offrent un mélange bizarre de croyances naïves, de politique adulatrice, d'humanitarisme paisible et de levain révolutionnaire. Ces phases si diverses reluisent dans les titres des pièces interprétées; elles apparaissent dans les dénominations des sociétés, mobiles au possible, celles-ci, selon les caprices, les aspirations, les conditions morales ou matérielles des membres; elles s'épanouissent dans les devises et les | |
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sentences adoptées, qui toutes expliquent, d'ordinaire, les circonstances qui ont amené l'érection ou précipité la décadence des associations. Les membres fondateurs ne peuvent être omis, s'il y a lieu, de même que les premiers dignitaires élus. Les octrois, quand ils présenteront un intérêt particulier, seront reproduits in-extenso. On renseignera, autant que possible aussi, les autorisations d'existence légale accordées par les gildes-mères, lesquelles, on l'a vu, s'arrogeaient une suprématie dictatoriale ayant infiniment de ressemblance avec l'autocratie que le régime féodal conserva longtemps en administration et en politique. Les dédicaces des travaux accomplis ont été soigneusement relevées, celles, bien entendu, qui se faisaient aux seigneurs des localités. Elles nous initient aux influences qui pesaient sur les gildes théâtrales, et nous fournissent d'utiles renseignements pour les familles aristocratiques de la Flandre. Le nombre des monographies, ainsi ordonnées, s'élève à près de cinq cents. On a pu regretter, avant notre courageuse initiative, que personne n'eût étudié, ni même a perçu cet énorme mouvement littéraire et dramatique des campagnes flamandes. Le travail fait et publié sommairement, on est sans excuse, et M. Henri Havard, qui a limité ses observations et ses descriptions aux villes exclusivement, a laissé, dans sa Terre des Gueux, un vide regrettable, quant aux villages, de façon à enlever à ceux-ci, | |
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par exemple, le bénéfice de cet admirable élan d'émancipation politique et religieuse qui partit du fond des communes rurales flamandes, lors du fameux landjuweel gantois de 1539, où les reliques, la confession auriculaire, les pèlerinages, les abus et les scandales des prêtres furent stigmatimés d'une façon si rude et si sensée.
M. Havard a lu notre premier volume, cela est visible. Mais, il n'a point tenu compte des enseignements philosophiques qui en découlent à chaque page.
Sept ans se sont passés, depuis l'apparition de ce premier volume. Ce long intervalle, amené par des causes qu'il serait fastidieux d'expliquer au lecteur, nous a permis de recueillir un nouveau contingent d'informations dont le présent tome profitera largement.
Ainsi, pour les environs de Termonde, il est acquis maintenant à l'histoire que les populations étaient particulièrement friandes de spectacles à trucs, à danses et à musique, tant vocale qu'instrumentale. Ce qu'ailleurs en Flandre, on ne pratiquait qu'incidemment, surtout avant la fin du XVIIIe siècle, s'accentue ici, à une époque bien antérieure, d'une façon spéciale et très-suivie.
On a dès lors, comme dans les centres urbains, pour l'origine de l'opéra, la tragédie ornée de ballets patomimiques, de chants et de musique instrumentale; et, pour le commencement de l'opéracomique, la comédie ou la farce à couplets, à intermèdes musicaux et à danses. Ces renseignements, | |
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joints à ceux qui concernent les ménestrelsGa naar voetnoot(1), ces vrais préparateurs de l'orchestre moderne, élargissent considérablement l'horizon de l'intéressante histoire du drame lyrique. Quelques auteurs nouveaux ont surgi. On les a mentionnés à la suite du titre de leur ouvrage, autant pour les soustraire à un oubli immérité, que pour compléter ainsi les données de première main qu'offre la liste du volume précédent. Quant aux pièces, il nous en est parvenu une notamment qui concerne l'origine miraculeuse de l'église de Lebbeke, et qui constitue, avec les légendes scéniques de Ghistelles, de Dadizeele, etc., ce que le répertoire dramatique campagnard possède de plus primesautier, de plus local, de plus autochtone. Nous ne résistons point à l'envie d'en donner une substantielle analyse. Des propriétaires de Lebbeke remercient Dieu, pour les riches moissons dont il les gratifie. Ils déplorent, en même temps, l'état désastreux des chemins qui conduisent à la collégiale de Termonde. Après avoir invoqué l'Être Suprême, il se résolvent à bâtir, à leurs frais, une église en leur village. Quatre d'entr'eux vont, à cet effet, consulter l'évêque de Cambrai. Cette visite met les divinités infernales en courroux. Pluton dépêche Radamand, | |
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l'un de ses suppôts, pour empêcher la construction projetée. Il le comble de promesses, et l'honore d'un ballet démoniaque. L'évêque Odoard acquiesce à la demande des solliciteurs, et leur octroie l'autorisation d'édifier un temple. Bientôt, les matériaux se préparent et le terrain se rencontre. C'est celui d'une veuve, qui, après avoir entendu les propositions d'achat, hésite, puis, éclairée par les lumières d'en haut, consent, à la condition d'attendre la récolte du lin fraîchement semé. Les divinités infernales tentent d'annihiler cette résolution. Pendant le sommeil de la veuve, la Vierge lui apparaît, et lui annonce que le temps de la récolte du lin est venu. La veuve se lève, court voir sa terre, et la trouve propre à être débarrassée de ses produits. Les voisins arrivent en foule, aident à arracher le lin, et l'emportent tout préparé par le sérançoir. Il faut des pierres pour l'édifice. En dépit des embûches de l'Enfer, une carrière est cédée gratuitement par un généreux propriétaire. Les ouvriers se mettent à la besogne. Pendant que la terre est remuée en tous sens, un groupe d'anges apparaît, muni d'un fil de soie rouge, qui démarque l'emplacement et dessine la forme de l'église. Nouvelle conspiration de Pluton, rendue toujours vaine. Un instant, toutefois, le suppôt Radamand fait révoquer la parole donnée par le généreux propriétaire de la carrière. Le repentir suit de | |
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près cet acte de faiblesse, et l'Echo envoie des paroles de consolation au propriétaire désabusé. Les ouvriers, à leur tour, sont circonvenus, mais inutilement. Radamand décu partout, reçoit de Pluton un sévère châtiment. Le temple s'achève sans obstacle. L'évêque le consacre solennellement. Les fermiers remercient Dieu et la Vierge. Ballet. N'y a-t-il point là un cachet de naïveté charmante et de savoureuse rusticité? La scène se passe, dit la chronique, en 1106. L'action - Écho classique à part - nous reporte bien à cet âge. En tout cas, nous voici loin des pièces à trahisons, à combats, à meurtres et à pillages, dont est saturé le répertoire jésuitique des deux derniers siècles, répertoire si servilement imité, hélas! dans nos campagnes flamandes. Quelques unes de ces légendes originales valent tout le bagage boursoufflé des tragédies prétendûment grecques et romaines. Nous n'exagérons pas. |
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