Le théâtre villageois en Flandre. Deel 1
(1881)–Edmond Vander Straeten– Auteursrechtvrij
[pagina 1]
| |
A Monsieur | |
[pagina 5]
| |
Le theatre villageois en FlandreI
| |
[pagina 6]
| |
données sur un théâtre régulièrement constitué, fonctionnant avec un choix d'acteurs rétribués, de costumes éblouissants, de décors somptueux, satisfaisant aux conditions rigoureuses de l'art, on pourrait hardiment se prononcer pour la négative et faire bon marché d'un genre d'amusement obtenu par des moyens parfois mesquins, toujours insuffisants, au point de vue de l'art. Mais si, au lieu de chercher dans les représentations dramatiques villageoises des ressources qu'elles ne peuvent fournir, des conditions auxquelles elles ne peuvent satisfaire, on voulait n'y voir qu'un mode d'expression plus ou moins régulier, plus ou moins exact de la situation religieuse et politique du pays, il y aurait là matière à juger favorablement un théâtre pareil, à en faire une étude spéciale, à y intéresser tous ceux qui aiment leur patrie et qui désirent approfondir le goût national. Le goût tient au caractère et le caractère tient à tout. Cette liaison nécessaire prête de l'importance aux choses même de pur agrément. Démêler le principe qui nous détermine dans le choix de nos amusements, quelle source d'observations fécondes, d'inductions utiles, de réflexions instructives! Certaines productions dramatiques villageoises ont, jusqu'à un certain point, une analogie frappante avec les chansons populaires, qui, dans toutes les contrées, ont pris naissance en dehors de toute influence de l'art, et dont le peuple a été lui-même le poëte et le musicien: proles sine matre creata, pourrait-on dire, fruits de l'instinct de tous, manifestations pures et vraies des joies du peuple, de ses douleurs, de ses craintes, de ses désirs, de tout ce qui constitue enfin l'existence intime d'une nation. Évidemment, on ne s'est jamais avisé, croyons-nous, d'assimiler ces naïves mélodies aux romances de nos jours | |
[pagina 7]
| |
qui n'en sont qu'un développement artistique et un perfectionnement. Et pourtant, leur valeur est incontestable, sous le rapport de la nationalité, comme l'attestent les intéressantes chansons publiées par Willems, Hoffmann von Fallersleben et de Coussemaker. Il y a là toute une série d'études de moeurs, que nul autre monument, soit cartulaires, soit médailles, soit inscriptions funéraires, ne saurait donner. Croirait-on qu'au siècle dernier on ne comptait pas un village en Flandre qui n'eût sa scène dramatique à lui - bonne ou médiocre, il n'importe - où le dimanche après vêpres, retentissaient des accents plus ou moins pathétiques, plus ou moins comiques, de gambades plus ou moins divertissantes, plus ou moins chorégraphiques, le tout en présence d'une foule énorme, en tête de laquelle figuraient les autorités civiles et ecclésiastiques. Ces scènes sui generis se comptaient par milliers, on peut le dire, et s'il fallait mesurer le talent dramatique d'un peuple au nombre de ses sociétés, littéraires et théâtrales, l'Italie elle-même, malgré la multitude de ses corporations académiques, pourrait à peine rivaliser avec la Belgique flamingante. Pas de costumes brillants, on le devine; pas de mise en scène soignée, cela va de soi; pas de local convenable: où l'eût-on rencontré? Il suffisait d'un simple tréteau, paré de bannières rutilantes, placé dans une grange, sous une tente improvisée, parfois même en plein air, en rase campagne, comme dans les plaids anciens, pour constituer une scène dramatique attrayante, et d'où une certaine animation n'était pas exclue. La multitude, grossie par les affluents des villages circonvoisins, se pâmait d'aise devant les gestes grossiers, devant le débit lourd et emphatique, devant les allées et | |
[pagina 8]
| |
venues irrégulières des acteurs, et, parfois, elle restait là confondue d'admiration, jusqu'à une heure bien avancée de la nuit. En 1853, nous rencontrâmes, chez le fils d'un vieux maître d'école, une collection volumineuse de documents pour l'histoire du théâtre villageois en Flandre au xviiie siècle. Nous en fîmes le dépouillement avec soin. Dix ans plus tard, nous fûmes chargé aux Archives du royaume à Bruxelles, de longues recherches officielles qui nous mirent sur la trace de nombreux renseignements concernant nos gildes littéraires et dramatiques des xve, xvie et xviie siècles. Nous ne manquâmes point d'en faire abondamment notre profit. Le riche dépôt d'archives communales d'Ypres nous fut également d'un grand secours. Grâce à l'obligeance de M. Diegerick, les précieux registres d'Alpha en Oméga purent être utilisés par nous soigneusement. Ces trois sources d'informations, lentement élaborées et jointes aux indications que l'on trouve, rari nantes, dans les livres, forment la base du présent travail. Nous le divisons en deux parties distinctes. Après les généralités indispensables qui forment ce chapitre, nous traiterons d'abord de l'origine et du développement du mouvement théâtral dans les campagnes de Flandre, et nous retracerons la physionomie des premières associations. Puis, abordant de plein front la scène villageoise flamande du xviiie siècle, qui a laissé le plus de traces de son existence, nous esquisserons successivement les acteurs, les auteurs et les pièces; nous étudierons les moeurs et les coutumes des sociétés, et, après avoir décrit leurs solennités, nous déterminerons les causes qui ont amené la décadence des scènes rurales; ce sera l'objet de la première partie. | |
[pagina 9]
| |
La deuxième comprendra la monographie des associations, avec l'analyse des règlements qui les ont régies, la nomenclature des ouvrages qu'elles ont joués et la description des emblèmes et des devises dont elles ont fait usage. Sous la rubrique Annexes, nous grouperons, à la fin de chaque volume, les documents d'une certaine étendue qui n'ont pu trouver place dans le texte. Les arguments ou programmes qui se distribuaient séance tenante, ou la veille de la représentation, aux personnes notables favorisées d'une invitation spéciale, nous ont fourni de nombreux renseignements. Ils forment une source d'informations des plus précieuses, et nous indemnisent largement de la perte des registres spéciaux, détruits par les révolutions ou dispersés par l'incurie. Mais, ils n'offrent de l'intérêt qu'à la condition d'y rattacher certaines particularités caractéristiques puisées aux traditions orales et recueillies sur les lieux mêmes. C'est ce que nous avons jugé opportun de faire, avant de les coordonner définitivement et de les relier aux documents fournis par les archives. Il ne sera pas inutile de signaler, en même temps, les obstacles par lesquels la routine et d'absurdes préjugés, répandus autrefois dans les campagnes, ont entravé la marche d'une civilisation sous quelques rapports inférieurs à celle d'autres pays, mais appelée peut-être à les surpasser un jour. Écrire l'histoire complète des gildes dramatiques rurales de la Flandre serait une entreprise qui exigerait des dimensions trop étendues et le secours de documents qu'il nous serait difficile, sinon impossible, de retrouver encore. Il est donc nécessaire de choisir et d'élaguer; il faut se borner à ce qui est vraiment intéressant, vraiment his- | |
[pagina 10]
| |
torique, pour épargner au lecteur la fatigue et l'ennui. Nous nous renfermons exclusivement dans la portion territoriale qui forme la Flandre actuelleGa naar voetnoot(1). Audenarde, Courtrai et Ypres seront, pour le xviiie siècle, les points centraux autour desquels graviteront nos recherches. C'est le coeur même de la Flandre, c'est là que l'activité industrielle s'est déployée avec le plus d'intensité et de continuité. Bruges et ses environs fourniront surtout les matériaux relatifs aux xve et xvie siècles. Limité dans ce cadre, nous, ne dépenserons pas en réflexions oiseuses, en conjectures gratuites, un espace à peine suffisant pour contenir les principaux faits. Il est bien entendu que les bourgs assimilés aux villes, et les villes déchues au rang de villages, n'auront exceptionnellement accès dans notre plan que comme moyens d'induction et à défaut d'autres informations. Il y aura toujours, dans ces localités, l'un ou l'autre savant qui se chargera d'écrire la monographie des sociétés théâtrales qui s'y établirent aux siècles écoulés, comme le cas s'est présenté déjà. Puis, les communes rurales ont une physionomie particulière, qu'il est bon de leur conserver, au milieu des tendances centralisatrices de notre siècle. Il ne s'agira donc principalement, dans ce travail, que des représentations scéniques purement villageoises, plattelandsche Rhetorica, de la Flandre. L'à-propos de notre trouvaille est remarquable. Partout | |
[pagina 11]
| |
on exhume, dans un but qu'on ne saurait trop louer, les fastes militaires et politiques de notre pays, et, chose étonnante, l'époque que nous traversons a mainte analogie avec celle où surgirent ces milliers de sociétés théâtrales, véhicules puissants, qui revêtirent, dans les fortes crises, un caractère franchement patriotique, et devinrent un foyer de propagande active contre les empiétements de l'étranger. Évidemment, les annales belges n'offrent rien qui soit plus digne de fixer l'attention de la génération présente et d'exciter l'admiration des races futures. Des communications anticipées, faites à plusieurs écrivains qui s'occupent de l'histoire locale de la Flandre, nous obligent à hâter l'impression de ce travail. Tant de personnes qui s'intéressent à ce genre de souvenirs, ont partagé nos recherches, que, par la suite des temps, on pourrait bien nous taxer de plagiaire. Or, n'hésitons pas à le dire: tout est neuf et de première main dans les pages qui vont suivre, et sans les trois grandes sources d'information auxquelles nous avons eu le bonheur de puiser, la réalisation de notre projet devenait absolument impossible. A ceux qui nous reprocheraient de n'avoir point publié notre travail en flamand, nous dirons: ‘Trouvez-nous un éditeur dans cette langue et nous recommençons le livre.’ Il n'est jamais trop tard pour s'amender. |
|