Verzameld werk. Deel 7

Miguel Zamacoïs Le chien de rue

Où va-t-il, le chien de rue,
Trottant d'un trot cadancé,
Nez au vent, mine bourrue,
Comme un monsieur très pressé?

Où va-t-il?... De son allure
Où n'est pour rien le hasard,
On est forcé de conclure
Qu'il doit aller quelque part.

Il y va d'un train rapide,
C'est un projet médité,
Il y va tout droit, sans guide,
Le derrière de coté.

[p. 725]

 

Pour éviter la cohue,

 

Il choisit sans s'émouvoir

 

Ou le milieu de la rue,

 

Ou bien le bord du trottoir.

 

 

 

Il franchit place ou ruelle,

 

Il traverse tout Paris,

 

Répondant à qui l'appelle

 

Par un regard de mépris.

 

 

 

Il va le poil en broussaille,

 

L' air crapule un tantinet,

 

Avec le marcher canaille

 

D'un cabot qui la connaît.

 

 

 

Sa parure n'est pas celle

 

D'un aristo de toutou.

 

Il n'a qu'un bout de ficelle

 

Qui fait le tour de son cou.

 

 

 

On n'est pas un chien de grue,

 

Trembloteur à paletot!

 

On est un vieux chien de rue,

 

Couché tard et levé tôt.

 

 

 

L' épouvante bouleverse

 

Les petits chiens sans cerveaux,

 

Mais lui froidement traverse

 

Entre les pieds des chevaux.

 

 

 

Il laisse sur le refuge

 

Les ‘Fifines’, les ‘Totos’,

 

Et file dans le grabuge

 

Des fiacres et des autos.

 

 

 

Il connaît bien la Fourrière,

 

Et son nez intelligent

 

De loin en loin lui fait faire

 

Un détour à chaque agent.

[p. 726]

 

Le seul plaisir qu'il se donne

 

C'est, laissant dire les sots,

 

Lorsque la saison est bonne

 

De marcher dans les ruisseaux.

 

 

 

Il dédaigne les avances

 

Du cabot boulevardier,

 

Et n'a pas de connaissances

 

En dehors de son quartier.

 

 

 

Pour ne pas avoir d'histoires

 

Fuit les provocations,

 

Et va serrant les mâchoires

 

De peur des tentations...

 

 

 

Vers les quartiers excentriques

 

Il court d'un trot allongé;

 

Il reconnaît ses fabriques,

 

Ses taudis... Rien n'a bougé.

 

 

 

Il longe les palissades,

 

Plus de sergots, de portiers;

 

Dit bonjour aux camarades

 

A la porte des chantiers;

 

 

 

Puis il tourne à gauche, à droite,

 

Comme hier fait aujourd' hui,

 

Et dans une porte étroite

 

Il s'engouffre... Il est chez lui.