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Chapitre II.
- Étiez-vous hier au concert, Monsieur le baron?
- Non Madame, je n'ai pu avoir ce plaisir! J'avais promis à plusieurs dames de leur servir de cavalier pour les accompagner au théâtre mécanique, et vous le savez, je suis esclave d'un sexe timide et sans défense!
- Véritable troubadour du moyen âge, répliqua une dame ou une demoiselle, car son âge nous dit qu'elle peut être l'une ou l'autre, Monsieur le baron de Crousthof a planté sa bannière dans la grande rue, et il n'en sort plus!
- Vraiment! dit la première dame, que nous
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appellerons Mme la présidente, quoique son mari ait été forcé de résigner ses fonctions depuis longtemps, Monsieur serait-il enfin..... amoureux?
- C'est un mot de reproche, Madame, et si j'etais avantageux.....
- Eh bien! que feriez-vous?
- Mais!..... enfin..... voilà un mot! c'est un compliment que j'aurais voulu vous tourner en..... forme de galanterie..... mais..... vous me poussez..... dans mes derniers retranchements!
- Avec cela que la place n'est guère forte, dit en riant la demoiselle, car c'en était une malgré ses trente années de jeunesse!
- Près de vous, Mademoiselle, reprit le baron qui cherchait à prendre sa revanche, quelle place pourrait résister à l'incendie qu'allument vos beaux yeux..... Ah! en voilà un joli, j'espère! Qu'en dites-vous, Madame la présidente?
- Je dis que vous n'êtes point heureux aujourd'hui! Comment? vons avea envie de me faire un compliment; vous le commencez à mon intenlion, et il se finit... sur Mademoiselle Betty!.....
- Ah! mais... c'est que... mais... il est aussi pour vous, cela fera deux incendies, il y a quatre-z-yeux!
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Et tout le monde de se mordre les lèvres, à l'exception du pauvre baron qui, en regardant son interlocutrice pour recevoir la récompense de son amabilité, se rappela et put se convaincre qu'il manquait un oeil incendiaire..... donc soft image était fausse..... trois yeux à deux... comment sortir de là? Mais notre baron n'était pas homme à s'effrayer de si peu; il venait de comprendre sa gaucherie, aussi voulant la réparer, il reprit aussitôt:
- Vous affectez de fermer les yeux; mais, coinme Argus, vous en avez toujours un qui dort l'autre qui veille..... de sorte que, la surprise..... et puis..... les charmes que..... La promenade est favorisée par le temps! enfin vous comprenez?
- Oui, oui, oui! Monsieur le baron, ne vous mettez pas en peine, nous ne comprenons que trop bien! et la rusée camariste de sainte Catherine riait de plus belle.
Mais la présidente a été blessée au vif; elle n'a qu'on oeil, elle le sait parfaitement, c'est de l'histoire ancienne et très ancienne! mais se permettre de lui rappeler qu'elle ne peut lancer qu'une oeillade à la fois, c'est ce qu'une femme..... ne peut jamais pardonner; aussi, au détour d'une allée, tournant brusquement les talons en entraînant Mlle Betty:
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- Pardon, Monsieur, mais j'aperçois ma belle-soeur, il faut que je lui parle. Et elle laissa notre baron droit comme un piquet devant un Magnolia qui reçut le salut régence destiné à la vieille demoiselle et à la femme cyclope.
Il était dit que le pauvre baron était dans un de ces jours qu'on appellerait en France jour de guignon! A peine s'était-il aperçu qu'il avait en pure perte dérangé l'économie de sa cravate pour saluer les deux fugitives, qu'il est accosté par trois jeunes personnes qui se sont arrogé la prérogative de se livrer seules, sans mentor, ou masculin ou féminin, aux charmes enivrants de la promenade champêtre au bord de l'eau.
- Ah! voilà M. de Crousthof, dit Mlle Fanny. C'est une bonne fortune, Mesdemoiselles, il va nous dire pourquoi on n'a pas vu hier les dames Barbezieux au concert!
- Mais, répondit la seconde, Mlle Anna, elles étaient sans doute indisposées, fatiguées!
- Allons donc, dit la troisième, je parie qu'il y a eu une scène entre la mère et la fillé, elles se disputent toujours les amoureux!
- Compliments à Monsieur le baron de Crousthof!
- Salut aux nymphes du fleuve qui arrose ces bienheureux bords!
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- Monsieur de Crousthof est monté sur un pied olympien! répondit Mlle Fanny, la forte tête du trio.
- Près des trois Grâces, charmantes Nayades on ne peut rêver qu'immortalité!
- Si vous vouliez cependant, baron, vous rappeler que vous êtes avec le commun des mortels, Mlle Bonbec et moi, nous ne pourrions qu'y gagner!
- Sans doute, Monsieur le baron, continua Mlle Bonbec, car Anna et moi nous avons besoin de quelques éclaircissements au sujet d'une gageure que nous venons de faire avec Mlle Fanny?
- De quoi s'agit-il, mes petits anges?
- Ces demoiselles prétendent que vous avez passé hier la soiree chez Mme Barbezieux!
- Ces demoiselles pourraient ne pas avoir tort!
- Là, je le disais bien! s'écria Mlle Bonbec! N'est-il pas vrai qu'Alice a eu une violente discussion avec sa mère au sujet d'un jeune officier..... vous savez? et que la scène a pris un tel caractère, que vous auriez été forcé de vous placer entre la mère et la fille pour empêcher qu'elles ne se portassent à des extrêmités, dont chaque jour, disent les servantes, elles donnent le scandale dans leur maison! Je le sais..... c'est vrai..... je le tiens de la meilleure amie d'Alice!
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- Mon Dieu, Mademoiselle Bonbec, vous êtes dans l'erreur; car nous avons passé une partie de la soirée au spectacle mécanique, et je puis vous garantir que la plus parfaite intelligence n'a cessé de régrier entres ces dames!
- Bast! vous craignez! de vous compromettre..... et au même instant Octave s'approcha du groupe, et saluant les trois demoiselles il vint se poster devant le baron en lui demandant des nouvelles de ses protégées!
Les jeunes filles s'éloignèrent; mais nous les suivrons dans leur promenade, en attendant les résultats de la démarche du jeune lieutenant, qui avait recherché le baron parce qu'avec le baron il savait qu'il entendrait parler des dames Barbezieux.
- Avez-vous vu le prétendu d'Alice, comme il nous a saluées froidement, dit Anna à ses compagnes.
- Je sais pourquoi? reprit aussi tôt Mlle Bonbec; il m'en veut à la mort, parce que j'ai fait comprendre à ma mère qu'il n'était pas convenable qu'elle prêtât sa maison à des rendezvous illicites!
- Tiens! reprit Betty, ils ont voulu faire le même manége chea ma tante, mais pour eux, maintenant, la porte est close.
- C'est comme chez nous; dit Anna! M. Oc- | |
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tave eût bien voulu nous tendre un piége! Il a affecté de faire l'empressé près de moi; mais, accepter le rôle de complaisante; quelle horreur!!!
- Ah! voilà Mlle Quintrand avec sa respectable mère! Voyez donc comme elles sont habillées? Ne dirait-on pas que ce sont des duchesses, s'écria Anna!
- Que voulez-vous? dit Mlle Bonbec en regardant sa modeste toilette; si on voulait suivre le système de ces dames, la soie et le velours ne manqueraient pas! mais fi! il n'y a pas dans tout ce qu'elles portent un seul chiffon de payé.
- C'est donc cela, que ce matin le cordonnier a remporté la chaussure tourterelle que la mère et la fille avaient commandée!
- Et comme elles se pavanent avec leur crédit indéfini!
- A propos! savez-vous la nouvelle, reprit Mlle Bonbec, le mariage de Mlle Brockstonn est rompu, cassé, dans l'eau! Aussi, voyez-vous comme elle est triste là bas près du bassin!
- Et pourquoi? demandèrent ses deux compagnes.
- Ah mon Dieu! je l'avais toujours dit, on voulait tromper ce pauvre jeune homme, la Brockstonn n'a rien à donner à sa fille!
- Comment? on les disait si riches!
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- De l'embarras, rien que de l'embarras! Leur servante a dit à la nôtre que c'était chez eux tous les jours vendredi, parce que Mademoiselle a été élevée au couvent; il faut jeûner trois fois par semaine et ne jamais prendre de café, le docteur l'a défendu! Croyez-vous cela?
- Eh mais! c'est pourtant vrai, dit Anna! Ce pauvre amoureux, comme c'est heureux qu'il ait été prévenu! Qui donc a été assez charitable?
- Oh! j'ai eu som de le dire à Mlle Charny sous le sceau du secret, elle l'a répété à Mlle Cor mon qui l'a redit à l'avocat Bernok, un grand ami du soupirant, et alors..... vous devinez!
- Ainsi, c'est une chose décidée, plus de mariage!
- Plus de voyage de noces! elle qui parlait d'aller à Londres!
- Rien que cela! quel ridicule! quand on n'a pas le nécessaire!..... Mais..... voilà M. et Mme Kyroff avec leur chien, Mademoiselle garde la maison!
- Que voulez-vous qu'elle garde, il n'y a rien; mais comme elles n'ont qu'une mantille à deux, quand l'une sort l'autre a la migraine!
- Ah! s'écria Mlle Bonbec, je viens d'apercevoir Alice avec sa mère! Je les déteste, ces deux femmes! la mère est une vieille coquette
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et sa fille une sainte n'y touche, à la vertu de qui je crois fort peu!..... Ces dames s'approchent..... eh! mon Dieu..... mais elles viennent à nous!..... Bonjour ma bonne Madame Barbezieux, chère Alice, que je suis contente de vous voir! On nous disait que vous étiez indisposée, je me proposais d'envoyer savoir de vos nouvelles!
- Grâces à Dien, il n'en est rien, Mesdemoiselles, reprit Mme Barbezieux, je suis charmée de vous rencontrer à la promenade; la musique du nouveau régiment est-elle bonne, mademoiselle Anna?
- Je l'ignore, Madame, nous n'avons point été de ce côté! tant de musique commence à me fatiguer; depuis quatre jours on n'en sort pas!
- Voulez-vous me permettre, ma mère, de faire un tour avec ces demoiselles, voilà la présidente avec Betty, vous aurez une compagnie.
- Vous resterez à mon bras; Alice! Dans cette foule, il n'est point convenable qu'une jeune personne quitte l'aile maternelle!
- Ne va-t-on pas lui enlever son Hélène à Mme Putiphar, dit tous bas à ses compagnes, Mlle Bonbec qui voulait, en passant, donner une preuve de son érudition.
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Au même instant d'autres dames arrivèrent; on se salua, on s'embrassa, on se déchira et on se sépara, mais en se faisant de nouvelles protestations d'amitié, et en s'envoyant au..... vous savez!
Le concert en plein vent, avec accompagnement de thé, de café et autres liquides blancs ou rouges, était dans toute sa force. On se rabattit de ce côté; Mme Barbenieux, sa fille, et M. de Crousthof, qui les avait rejointes, parvinrent à trouver une place sous les tilleuls, et tous trois s'assirent pour humer l'infusion chinoise. Mais à peine ces dames élaient assises, que Mme Barbezieux s'aperçut qu'Alice, placée à sa droite, se trouvait positivement a côté d'Octave qui occupait la table contiguë à la leur. Son premier mouvement fut de prendre la place d'Alice, mais l'espace lui manquait pour opérer, sans danger pour sa toilette, cette conversion hostile aux deux amants; elle trouva donc plus rationnel de prier M. de Crousthof, qui était en face d'elle, de permuter avec Alice, ce que le sigisbée s'empressa d'exécuter, non sans rencontrer quelque difficulté chez la jeune fille; mais enfin le mouvement était accompli, l'on se mettait à l'aise de part et d'autre, les robes prenaient le pli qu'une main complaisante leur imprimait, lorsque tout à coup
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Octave se levant avec cet air calme et impassible de l'indifférence, s'approcha de Mme Barbezieux, et après avoir fait assez haut les compliments de banalité que réclament les exigences du monde, il reprit sur un ton plus bas pour n'être pas entendu des personnes qui occupaient les tables voisines:
- Vous venez de me faire, une insulte grave, Madame Barbezieux! vous êtes femme, je ne repondrai pas par l'insulte à votre coupable conduite. Mais Monsieur de Crousthof a été l'instrument dont vous vous êtes servie pour m'atteindre, Monsieur de Crousthof sera l'instrument dont je me servirai pour venger mon honneur! Et en prononçant ces derniers mots, il appuya fortement la main sur l'épaule du pauvre baron..... Vous avez compris, Monsieur de Crousthof, c'est une injure sanglante que vous m'avez faite, le sang peut seul l'effacer! Je vous attends demain matin! Et aussitôt saluant les dames avec la plus parfaite courtoisie, il sortit de l'enceinte et disparut.
Dépeindre les différentes couleurs qui, pendant ce court monologue, ornèrent tour à tour le visage de M. de Crousthof, serait au-dessus de nos forces! Toutes les nuances de l'arc-enciel, la palette du barbouilleur le plus subtil, ne pourraient nous offrir cette teinte jaunâtre
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et livide avec un large reflet de nuance purpurine qui vint faire acte de propriété sur le long visage du malheureux baron. Oh! qu'il maudissait alors sa réputation de protecteur né d'un sexe faiblb et sans défense, comme il aimait à le répéter! Déjà la cinquantaine avait passé sur sa tête; il avait déjà assisté à des révolutions sanguinaires; il avait vu la chute des empires, le renversement des autels et la marche triomphante du géant des batailles, mais c'était la prémière fois qu'il entendait vibrer à ses oreilles, pour son compte personnel, une provocation sanglante. Différent en cela du héros de Cervantes, de ce brave chevalier de la Manche, sa protection accordée à la faiblesse féminine, ne s'était traduite jusqu'alors que par l'offre de son bras ou de son parapluie, pour soutenir des pas mal asaurés, ou préserver un chapeau, une mantille des attaques d'un déluge partiel! Mais un duel à mort! c'était tine monstruosité à laquelle il ne pouvait pas plus croire... qu'à la république!
Dix minutés s'écoulèrent à peu près dans le plus morne silence, Mme Barbezieux était elle-même effrayée des suites de celle scène scandaleuse, mais son effroi n'avait pas la même cause. M. de Crousthof craignait positivement pour sa longue personne, et Mme Barbezieux craignait
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la malignité. Que craignait la jeune Alice? Rien! peut-être même est-elle au fond satisfaite d'une circonstance qui va décider une question depuis trop longtemps en litige! Mais elle sait dissimuler! que ne sait-on pas à dixhuit ans, surtout quand le coeur a parlé!
- Eh bien, Madame, dit enfin le patient, votre malencontreuse susceptibilité a fait une belle chose! Joli festival que vous m'avez préparé!
- Mais, monsieur le baron, c'est impossible! vous n'accepterez pas, ce serait nous perdre de réputation! que dirait -on dans la ville?
- Oh! quand je serai mort pour vous, alors.....
- Mais cela ne sera pas! Si l'on voyait..... le général..... le colonel.....
- C'est cela, pour leur dire que j'ai peur! Non, Madame, vous l'aurez voulu..... le sexe à qui j'ai voué ma malheureuse vie, ce sexe dont j'ai été le soutien fidéle, appréciera ce que je fais pour lui! Le sort en est jeté! Il faut..... partir!.... Et il se leva effectivement; les deux dames l'imitèrent et tous trois furent bientôt hors de l'enceinte:
- Prenons le long de la rivière pour sortir du jardin, dit aussitôt Alice, on ne verra pas le trouble de Monsieur le baron.
- Je suis troublé, jeune fille, dit d'un ton
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solennel, le duelliste malgré lui, je suis troublé, parce que je songe que si le sort m'est contraire dans la lutte terrible que je vais avoir à soutenir, la société va perdre un de ses plus fervents défenseurs, et vous-même un protecteur pour l'avenir, ma chère enfant! et en terminant, il la regardait presque tendrement. Puis, comme si cet effort surhumain eut épuisé toutes ses facultés, il prit le bras de Mme Barbezieux, qui elle-même s'empara de sa fille, et suivant l'avis émis par Alice, ils furent bien tôt hors du jardin, malgré les rencontres, dont on trouva moyen de se débarrasser en prétendant une indisposition subite de Mme Barbezieux. Arrivé à la porte de la maison, le baron prit gravement congé.
- Je vais mettre ordre à mes affaires de ce monde, soupira-t-il, et dans quelques heures, je reviens dans les bras de l'amitié épancher mes dernières joies sur cette terre.
- Je vous attends pour souper, M. le baron, la porte sera défendue pour tout autre, ne manquez pas de venir, ou vous me verriez tenter quelque démarche qui pourrait vous déplaire!
- Gardez-vous en bien, femme imprudente dans vos amitiés comme dans vos baines! il y a assez de mal saus l'aggraver encore! et il quitta ses protégées. Alice prit à peine le temps d'ac- | |
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compagner sa mère qui vraiment commençait à concevoir de sérieuses inquiétudes; elle monta rapidement à sa chambre qui donnait sur des jardins. Les croisées étaient restées ouvertes, peut-être avec intention, car aussitôt un pigeon vint se poser sur son épaule et deux secondes après, elle lisait la lettre suivante:
‘Mademoiselle,
‘Il faut absolument que je vous parle demain sans témoins, ne serait-ce que pour un moment! Mon tuteur est arrive ce matin de la capitale, il m'apporle des nouvelles douloureuses et que je n'ose confier au papier. Notre sort est à la merci de l'intrigue la plus affreuse! Un nouveau désastre m'enlève les seules ressources qui me restassent de mon héritage de famille, et ne me permet plus de tenter en mon nom de lever les obstacles que me suscite votre mère; et cependant, Alice, vous le savez, je vous aime! je vous aime de toules les forces de mon âme! l'idée de vous perdre, de vous voir passer dans les bras d'un autre..... oh! jamais! je le tuerais, voyez-vous, je vous tuerais vous-même! vous n'y consentirez jamais, n'est-ce pas, amie, ce coeur qui bat en moi, ce coeur qui rève les plus riantes images quand l'espérance fait une réalité de ses illusions, ce coeur aura cessé de vivre quand mon Alice
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aura manqué à la foi jurée..... et cependant..... des craiotes amères, de noirs presstiments m'assiégent depuis quelques jours!..... Je me trouve seul, isolé..... au milieu de ces fêtes brillantes, dont ma fiancée serait le plus bel ornement, sans les chagrins que lui causent les injustes préventions de sa mère! Je déteste cette femme, Alice, j'ai tort, je le sais, c'est elle qui vous a donné le jour!..... Mais que vous payez clier la douceur de pouvoir dire: ma mère! Quant à moi, pauvre orphelin, mon épée, voilà désormais ma familie..... Tâchez, Alice, de vous dérober une heure dans la matinée..... Je serai chez le capitaine, sa femme vous aime, vous apprendrez ma douleur et vous comprendrez ma tristesse au milieu des joies de tout ce qui m'entoure. Plaignez-moi, je vous verrai aujourd'hui au jardin anglais, et je ne pourrai vous parler!..... Puissé-je ne pas me porter à quel qu'extrémité! Priez, enfant, priez pour le pauvre orphelin, si vous tenez à lui conserver votre amour.
‘octave.’
Cette lettre, les circonstances qu'elle semblait prédire, et qui s'étaient en partie réalisées, le nouveau malheur dont elle était menacée, tout, devait accabler la pauvre enfant, qui ne se sentit pas la force de résister aux coups re- | |
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doublés dont cette lettre lui annonçait le chec elle se prit à pleurer; mais le bruit d'une porte qui s'ouvre, lui fit relever la tête; par un mouvement machinal, elle s'empressa de cacher dans son sein la cause de ses chagrins cuisants... mais déjà sa mère était au milieu de la chambre, et devenait témoin des larmes qu'elle avait versées et des efforts qu'elle faisait pour dévorer sa douleur!
Froide et cruelle au point de vue romantique de la position, hypocrite à son point de vue réel, Mme Barbezieux s'approcha d'Alice, en feignant d'attribuer son chagrin à la scène dont elle était l'héroïne:
- Vous pleurez, ma fille, vous pleurez sur les malheurs que votre fol amour a assumés sur nos têtes! Votre père, qui vous voit du haut des cieux, pourra-t-il jamais pardonner à sa fille le sang que sa désobéissance va faire couler! Car il ne faut pas ici dénaturer les faits, Mademoiselle! Encouragé par votre résistance à mes ordres, enhardi par l'extravagance de votre conduite, poussé par le besoin de faire de vous la fable de la ville, ce petit Octave n'a provoqué le digne baron de Crousthof que parce qu'il se savait soutenu par l'élasticité de vos moeurs!
- Oh! madame!.....
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- Oui, oui! l'élasticité de vos moeurs, Mademoiselle; et je ne crains pas de le dire, votre conduite est indigne d'une honnête fille..... votre réputation perdue à jamais.....
- Mais, ma mère!
- Osez-vous encore donner ce nom à celle que vous déshonorez! Ah! que le révérend vicaire avait bien raison! qu'il comprenait les malheurs que vous nous préparez, lorsqu'il vous engageait à vous jeter dans les bras de Dieu! La religion, Mademoiselle, la religion, c'est désormais votre unique refuge!!!
- Quel crime ai-je donc commis? Et par un instinct de nature, la pauvre enfant porta la main sur sa poitrine.
- Votre crime!.... Vous me demandez quel est votre crime!... En voici la preuve, s'écria Mme Barbezieux, à qui la colère enleva les quelques charmes que l'âge avait respectés.... Voilà les principes que je vous ai donnés, n'est ce pas Mademoiselle? Est-ce ainsi que j'avais rêvé la compagne de mes vieux jours.... Alice.... Alice.... un couvent.... un voile noir.... c'est le seul abri qui puisse vous cacher à la honte que vous avez imprimée à notre nom!
Et Mme Barbezieux qui, au mouvement de sa fille, avait deviné un secret, Mme Barbezieux, professeur émérite en ce genre de dissimula- | |
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tion, s'était jetée sur Alice, et déjà elle tenait en mains la fatale lettre, que la timide enfant cherchait encore à défendre l'objet mysterieux qui avait allumé le courroux de sa mère!
Le billet rapidement parcouru, la veuve, surexcitée par les sentiments peu affectueux que renfermait la missive du lieutenant, se crut obligée de prendre une pose solennelle:
- Un misérable, dit-elle, a faussé les principes et les vertus de Mlle Alize de Barbezieux, ce misérable a prêché à l'enfant égarée le meurtre et la vengeance; que le sang qu'il veut verser retombe sur lui seul, oh! mon Dieu! Et vous, Alice de Barbezieux, je vais faire prévenir votre confesseur et jusqu'à nouvel ordre, vous resterez enfermée dans votre chambre.
Croyant donner plus de poids à ces paroles, extraordinaires dans la bouche d'une coquette, pour qui le nom de confesseur est resté à l'état problématique, elle jeta sur la victime un regard courroucé, où la jalousie se peignait peut-être un peu, et sortit aussitôt. Alice entendit fermer sa porte à double tour; alors seulement elle reprit un peu d'énergie; puis arrêtant vers cette porte un oeil hagard:
- Va forger mes fers, femme cruelle! jouis de ton triomphe, s'écria-t-elle! mais ce coeur que tu m'envies aura horreur de ta barbarie!....
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Mais bientôt ses yeux, reprenant la sérénité accoutumée de son âme candide, s'arrêtèrent sur une image du Christ, humblement accrochée au chevet de son lit! Le souvenir du Sauveur, la vue de ses souffrances endurées pour effacer nos crimes, cette noble et belle figure semblant au milieu des tortures dire à tout l'univers: Pardonnez comme j'ai pardonné!... Tout lui rappela la scène qui venait de se passer, et l'espèce d'imprécation dont elle avait été suivie!
- Pardonnez, mon Dieu, dit-elle en s'agenouillant, pardonnez à l'égarement de ce coeur froissé, des pensées que je désavoue devant votre sainte image. Ma mère! oubliez ma faute! et vous, Seigneur, jetez un regard de miséricorde sur une pauvre enfant qui vous implore, et pour elle.... et pour.... lui! car il vous aime aussi, mon Dieu! Je l'ai vu si souvent dans votre saint temple mêler ses prières aux miennes! Pardon et protection pour deux infortunés qui n'ont plus de foi et d'espérance, qu'en votre providence divine!
De bonnes et douces prières, dans son livre d'heures, suivirent cette invocation; et sans doute le Seigneur entendit la voix de l'innocence, car le calme rentra dans l'âme de l'enfant qui avait prié! Plus tranquille elle se livra,
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sans honte et sans regrets, aux travaux de jeune fille qu'elle avait entrepris, pour orner une image de la Vierge de sa paroisse.
Déjà depuis deux heures, elle travaillait sans relâche, formant des projets pour un avenir qui se déroulait à ses yeux sous les couleurs les plus riantes; lorsque la clé, tournant rapident dans la serrure, fil un bruit qui la ramena au positif de la situation, c'est à dire, aux inquiétudes de la journée du lendemain, tant sur les suites du duel, que sur le sort de son rendez-vous, auquel sa mère, preventie par la lettre, ne manquerait pas de mettre obstacle! Résignée, car elle avait prié avec ferveur! et la prière solitaire, la prière, qui ne cherche pas, qui n'attend pas les témoins appelés à, asseoir une réputation de piété n'existant souvent qu'à l'extérieur, la prière devant le Christ de sa chambrette avait été sincère. Résignée donc, elle attendit un nouvel orage; c'était Mme Barbezieux qui entrait; mais cette fois, la mère avait dépouillé ses manières acerbes!
- Eh bien, Alice! dit-elle à sa fille, voulez-vous descendre souper?
- Comme vous voudrez, ma mère!
- M. de Crousthof est au salon et il désire vous voir! L'épée de Damoclès suspendue sur sa tête, peut d'un mot de vous, rentrer dans le
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fourreau, ou consommer le meurtre dont vous serez la cause! Ne ferez-vous rien pour un ancien ami de votre père..... pour celui, à qui la sollicitude de votre mère voulait confier le soin de votre inexpériènce!
- Un seul mot suffisait, ma mère! M. de Crousthof, dites-vous, a été l'ami de mon père! Si je puis lui épargner quelques chagrins, vous savez que je n'hésiterai point! Mais... ne m'embrasserez-vous pas avant de descendre?
- Pourquoi donc, mademoiselle?
- Parce que..... parce que..... ma mère! votre fille..... vous aime, autrement que vous ne l'aimez, et elle ne peut vous savoir irritée contre elle.
- Enfantillage! descendez! ce sera le plus sûr moyen de m'être agréable! - et sans comprendre tout ce qu'il y avait de sentiment exquis dans cette simple demande de sa fille, Mme Barbezieux l'entraîna hors de la chambre, et la conduisit au salon où, malgré une température assez convenable, M. de Crousthof grelottait littéralement de tous ses membres.
Dès qu'il aperçut Alice, il alla lui prendre la main en poussant un de ces soupirs qui décèlent une étude particulière dans cet art d'appeler l'intérêt, et dénotent une assez heureuse organisation de poumons.
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- Vous venez assister aux derniers moments d'un protecteur qui va sans doute vous quitter pour toujours..... C'est bien, mon enfant, fasse le ciel que votre sort n'en souffre point!
- Mais, Monsieur de Crousthof, je puis empêcher ce duel!
- Et comment? s'écrièrent à la fois et la mère et le baron?
- Je pourrais..... parler à..... M. Octave!.....
- Jamais, mademoiselle!
- Parfait, s'écria le baron!..... car chacun avait son point de vue; Alice, rétablissait ainsi son rendez-vous; la mère, entrevoyait un consentement dont les suites donneraient à sa fille gain de cause sur ses charmes; et le baron..... oh! le baron entrevoyait le ciel, le dix-huitième ciel, et dans sa sainte ferveur, mêlant le sacré au profane:
- Sainte Vierge, continua-t-il, que Mahomet te soit en aide! perle de son paradis!.....
- Ah! puisque Maman s'y oppose, répliqua la malicieuse enfant. Une jeune fille doit obéissance à ses parents!
- Mais y pensez-vous, Madame Barbezieux? C'est mon arrêt de mort que dicte votre refus!
- Eh bien! voyons, que proposez-vous, Alice?
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- Une chose fort simple: domain matin, par exemple, je puis voir M. Octave!
- Demain! interrompit le baron. Pourquoi pas ce soir?
- Y pensez-vous donc? Il est neuf heures, et à cette heure, ma fille, avec un militaire, fi, quelle horreur!!!
- Ma foi! Madame Barbezieux! vous n'avez pas toujours dit quelle horreur! et je n'ai pas craint de me sacrifier..... à une certaine époque..... pour..... vous aider..... à.....
- Taisez-vous, Monsieur de Crousthof! je vous en conjure!..... on pourrait croire!..... une jeune fille doit-elle entendre de pareilles choses! continuez, Alice.
- Demain, donc.....
- Ce soir, ce soir!.....
- Non! demain, Monsieur le Baron, et je vous réponds de tout. Fiez-vous à moi; une Agnès peut quelquefois concevoir d'heureuses, idées, et les miennes vous sauveront!.....
- Merci, mon ange, merci! Puis se ravisant: ce n'est pas que j'aie peur au moins! Mais.....
- Mais.... enfin! dit Mme Barbezieux, que nous sachions si les moyens que vous allez employer sont de nature à ne pas nous compromettre!
- Eh! que voulez-vous donc compromettre,
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Madame? reprit le baron au paroxisme de la fureur! La vertu de Mademoiselle Alice est proverbiale, et l'acte de dévouement qu'elle va tenter.... à mon insu, car je ne veux en rien connaître... savez-vous bien?
- Et moi, je ne veux rien dire, répondit Alice, de sorte que nous marcherons parfaitement d'accord.... Monsieur de Crousthof va seulement écrire à son farouche agresseur que, se trouvant l'offensé, il aura l'avantage d'attendre demain à midi... avec ses pistoles.... à l'entrée du petit bois qui longe la rivière.... M. le lieutenant Octave Blackbird.
- Mais.... pourquoi faire.... puisque.... vous vous chargez....
- Ecrivez, Monsieur, écrivez! vous ne connaissez pas mes projets!... Votre honneur offensé, veut une réparation éclatante, que vous comptiez exercer.... Si.... une circonstance.... indépendante.... de votre volonté.... ne venait vous.... vous comprenez à présent?
- Eh bien! moi aussi, je comprends, dit la mère! mais nous allons jouer un rôle qui ne convient guère à des femmes!
- J'ai été gravement insulté, Madame Barbezieux, dit alors M. de Crousthof, en prenant une attitude belliqueuse! Je dois donc répondre à une provocation, par le choix de l'heure,
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des annes et du terrain. Veuillez me permettre d'écrire quelques lignes, et, je vous en prie, qu'il ne soit plus maintenant question de cette malheureuse affaire, que mon honneur est trop intéressé à punir?
Et en disant ces paroles, il fixait attentivement Alice, son ange gardien, son ange tutélaire, en ce moment; l'assentiment tacite de la jeune fille l'enhardissait au point qu'il finit peut-être par se donner le cltange à lui-même..... un instant, il se crut brave..... Que l'on dise ensuite, que les femmes ne sont pas, la règle, le thermomètre de notre fragile existence!!!
Mme Barbezieux était battue; elle connaissait le faible du baron, il tenait fortement à la vie, et était capable de tout pour combattre des scrupules? Si le courage enfante des héros, la peur enfante des traîtres, et cette dernière espèce était à craindre pour elle, si elle irritait le baron dans l'exécution d'un projet qu'elle avait deviné aussi bien que lui, mais qu'il semblait ne vouloir point avouer. Pour ne pas se faire uit ennemi de son Sigisbée, elle le laissa écrire quelques lignes, qu'il ne voulut confier à personne, se chargeant de les faire remettre, lui présent. On avait pris quelques tasses de thé; M. de Crousthof s'apprêtait à partir; une satisfaction intérieure avait remplacé la terreur qui troublait
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toutes ses pensées, et après maintes salutations, prenant la main d'Alice sur la quelle il imprima un baiser chevaleresque:
- Oh! les femmes, les femmes, s'écria-t-il, elles donneraient du courage à..... un lièvre.
- Gardez ce courage pour le chasseur, Monsieur de Crousthof, lui dit l'enfant en l'accompagnant jusques à la porte; mais comme la chasse est prohibée en ce moment, poursuivants et poursuivis peuvent dormir tranquilles, comme, je vais le faire, en vous souhaitant le même bonheur.
- Songe ou réalité, je m'abandonne à vous, Alice..... et la porte se referma..... Comme le commun de mortels, bipèdes ou quadrupèdes, chacun alla se coucher rêvant à un lendemain plus ou moinp couleur de roses.
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