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Chapitre I.
Et boum, et boum, et boum boum boum, et zing, et zing, et zing zing zing, et boum et zing et boum boum boum.....
- Entrez, messieurs et mesdames, venez voir ce spectacle étonnant, surprenant et amusant, pour votre argent! Vous verrez ici dedans, le fruit illégitime du commerce incestueux d'une carpe et d'un lapin! Le grand pelican blanc, arrivant tout récemment du Levant, ouvrant son flanc, pour nourrir ses enfants! Le grand ours des mers glaciales qui dort pendant six mois de l'année, et se nourrit, pendant neuf
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mois, des glaces qui fondent aux rayons du soleillevant! Voici l'instant de son réveil, n'ayez pas peur, mères sensibles, l'animal a déjeûné..... l'année dernière! Vous assisterez à son premier repas: un boeuf, trois moutons, six poulets et douze souris..... Entrez, entrez, on ne paie qu'en sortant!
- Anneaux de mariage, chaînes de sûreté!....
- Voulez-vous savoir votre destinée, le sort qui vous attend un jour..... Attendez!.... Le voici!!!
- Tra, tra, tra, tra, tra tra tra tra tra tra, mesurez vos forces, essayez-vous! La force du poignet, des poumons, des jambes, des bras, de l'estomac et autres forces naturelles!.....
- En arrière, enfants, laissez approcher le monde payant! Je viens offrir aux amateurs de cette ville un spectacle unique dans son genre, un spectacle qui a fait les délices des têtes couronnées, des princes, des seigneurs de tout rang, de toute espèce, depuis le général jusqu'à l'apprenti-caporal; un spectacle qui fera frémir le coupable et bondir l'innocent, un spectacle en plein vent, et qui cependant mériterait les honneurs d'un gaz..... de tous les gaz, et que nous mettons à la portée de toutes les bourses, dans l'intérêt de l'humanité plus ou moins souffrante! Payez, et vous verrez!!!
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Bon!.... à défaut de pluie d'or, on n'en veut plus, une pluie de cuivre! Un célèbre praticien d'avant le déluge a dit: les petits ruisseaux font les grandes rivières! c'est pourquoi vous pouvez devenir tous grands et puissants!.... Il manque encore deux pièces d'argent, et puis vous verrez..... ce que vous allez voir!!!
- Pommade sans pareille à l'usage des têtes chauves, pour les coiffures les plus rebelles! Vous mettez un gant, crainte d'accident, vous vous frottez le cuir chevelu avec ladite pommade, vous attendez..... plus ou moins longtemps..... et le tour est joué!!!
- La complainte du Juif errant en trentetrois couplets! Ne pas confondre mon Juif errant avec celui d'un monsieur qui sue, un autre farceur que je ne veux pas nommer par son nom de baptême, il n'est pas possible qu'un chrétien de cette nature ait été baptisé! Mon homme est le vrai, le véritable Juif errant, tandis que l'autre n'est qu'un débauché que l'on ferait bien de brûler sur la place de Grève, en ayant soin de conserver les cendres dans un coffret de fer à trente-six serrures, pour servir de leçon à ceux qui voudraient l'imiter!
- Boum, boum, boum! c'est maître Jack, le singe du pôle glacial, monté sur l'âne savant. L'académie a refusé de les admettre dans son
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sein parce que, l'un donne des coups de pied, et l'autre fait des grimaces! Mais leur mérite n'en est pas moins incontesté et incontestable! Ils sont d'autant plus spirituels qu'ils sont bêtes!!!
Et boum, et boum, et zing, et zing, c'est à étourdir tout honnête homme qui n'aura pas du coton dans les oreilles!
Et boum, et brit, et bimm!
- Bon Dieu où sommes-nous donc?
- Vous voulez le savoir! Mais n'entendezvous pas? c'est une foire, une kermesse, une assemblée!
- Mais on parle français?
- Eh bien! qu'est-ce que cela prouve! où ne parle-t-on pas français?
- Mais ce sont des saltimbanques?
- Raison de plus! La langue française n'estelle pas la langue de la diplomatie?
- Ah! c'est différent! J'oubliais que vos saltimbanques.....
- Allons! ne voyez pas une critique dans une réponse fort innocente! Les saltimbanques parlent français, parce que c'est la langue à peu près universelle; et comme ils sont de race nomade, ils ont trouvé plus commode de choisir la langue qui prête le plus à.....
- Encore!
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- Non! non! Voulez-vous qu'ils soient français! J'y consens! Il ya, comme dit le Normand, de braves gens partout!
- Mais enfin! où nous conduisez-vous?
- Faites attention que je ne vous conduis pas! Vous y êtes de prime abord!
- Où?
- Où vous voudrez!
- Ce n'est point une réponse!
- Ah! vous êtes trop exigent! Voulez-vous être en France, en Allemagne, en Belgique, en Hollande ou en Russie? Cela m'est indifférent, il y a des travers... partout!
- Je désire au moins savoir dans quelle contrée nous sommes en lisant votre livre?
- Eh bien! voyons! Il me faut une ville, et une ville de garnison! Il me faut une rivière, de jolies femmes, quelques histoires scandaleuses, un peu de venin, de la malignité, et avec tout cela des héros vertueux, s'il est possible, et des amoureux... même sans amoureuse... on en trouve!
- Mais, monsieur l'auteur, vous avez cependant eu en vue quelque coin de terre?
- Oui et non! Je parle en général! Je raconte!
- Où se passé l'action!
- Eh bien! En..... Allemagne! Sur..... le Rhin..... sur la Meuse à.....
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- A.....
- A..... Nommez-moi une ville?
- Est-ce Coblentz, Aix-la-Chapelle, Maestricht, Cologne.....
- Va pour Cologne! La patrie de Jean-Marie Farina! Vous serez à la source pour apprécier la distillation.....
- De votre venin?
- Non! je n'en ai point au coeur! Les événements parlent suffisamment! Mais je vous prie en grâce, ne m'interrompez plus! Si je commets quelques anachronismes, rappelez-vous que ce n'est pas moi qui ai choisi... Cologne! Narrateur impartial, je vous fais donc assister à un festival! y en a-t-il eu à Cologne? je n'en sais rien! Placez la scène, dans votre imagination, où se reporteront vos souvenirs, et..... laissez-moi..... narrer!
Or donc, nous sommes sur la place de l'hotôl-de-ville..... j'allais dire de Maestricht.... il y a des hôtels-de-ville partout! La foule se presse autour des malheureux qui, à défaut d'autre spectacle, nous mettent à même d'admirer la force de leurs poumons; depuis deux jours, de quart-d'heure en quart-d'heure, ils ont déployé des élans de poitrine admirables, pour débiter leurs magnifiques annonces, appropriées aux promesses qu'ils font à ce bon peuple
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des campagnes accouru au chef-lieu de canton pour jouir d'un festival annoncé dans tous les journaux depuis quatre mois au moins! Le programme des fêtes a été pompeusement affiché dans tous les environs, afin, de satisfaire à toutes les exigences, à tous les besoins de l'âme et du corps. Fêtes profanes, fêtes religieuses, tours d'adresses, distributions, musique ambulante, locale, étrangère, sacrée et profane, feux d'artifice au physique ou au figuré, illuminations en perspective, faute de mieux, rien n'a été oublié, et pour ce qui manquera, l'intention milite en faveur, des Amphytrions, car, disons-le avec franchise, ils ont fait des efforts surnaturels, couronnés d'un plein succès, pour donner à la petite ville cet aspect inaccoutumé, cet aspect de fête, qui sied si bien dans tous les pays, et que les habitants voient de temps à autre avec plaisir, ne serait-ce que pour couper la monotonie des 365 jours de l'année....... et puis, parce que, cette fête promet d'arrondir pour tel ou tel une petite bourse, ouverte depuis longtemps et destinée à l'acquisition de quelques briques superposées symétriquement, avec ouvertures menagées plus ou moins adroitement, dont l'amassur rue s'appelle propriété, et dont, par conséquent, le possesseur s'appellera monsieur le propriétaire. Ces braves et
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estimables propriétaires tant passés que future ont donc accueilli avec complaisance un projet qui doit leur rapporter quelques avantages, et chacun d'eux s'est prêté de son mieux à un festival auquel ont été conviées la Belgique, la Hollande et l'Allemagne!
Nous sommes au troisième jour de la fête, les divertissements se succèdent avec rapidité. C'est sur la place de l'hôtel-de-ville que se sont donné rendez-vous les saltimbanques de toutes les nations de l'Europe, c'est sur la place de l'hôtel-de-ville que nous nous trouvons en ouvrant ce livre, et que nous errons de barraque en barraque cherchant un aliment à notre curiosité. La foule est littéralement compacte. Il est huit heures du soir, un spectacle mécanique promet monts et merveilles. Qui pourrait résister à la tentation? Qui! Ceux-là seulement n'ayant pas en poche la modeste rétribution à verser dans le bonnet du Paillasse de la troupe qui a préparé les esprits à se délecter à la vue d'automates mécaniques sans pareils! La parade est terminée, Paillasse a reçu le soufflet obligé, il a pleuré, il a ri, il a voulu mettre dedans ses auditeurs, et il a réussi, car son théâtre est au grand complet.
Sur les banquettes de devant, pompeusement décorées du nom de premières loges, est assise
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l'élite de la société, le grand monde, comme on est convenu de l'appeler. C'est une espèce de rendez-vous donné au dernier concert, rendezvous fort innocent..... peut-être..... car nous apercevons une jeune personne placée près de sa mère au milieu de quelques intimes. Son regard est occupé ailleurs qu'au spectacle qui se déroule aux yeux de la foule; les hauts faits de l'armée française sous les remparts de la ville éternelle paraissent peu la toucher, et cependant, elle est bonne catholique. La jeune république française combattant contre une autre jeune république pour rétablir l'absolutisme devrait sourire à son jeune coeur encore tout ému des infortunes du successeur de saint Pierre. Eh bien, non! Les vengeurs de l'autel et du trône papal, les ex-sujets d'un roi qui se disait roi très-chrétien et qui ne se croyait pas damné parcequ'il tenait tête au souverain spirituel, les balles bénies des tirailleurs français, tout cela la trouve impassible! Elle ne voit pas devant elle; mais l'oeil vigilant de sa mère ne lui permet pas non plus de regarder derrière, et puis, elle n'y songe pas! C'est sur la même banquette, un peu à droite..... quatre personnes seulement la séparent de... lui!
En même temps que la familie Barbezieux, nous avons vu entrer un jeune officier de la
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garnison, qui est venu se placer sur le banc d'honneur, et qui, comrne Mlle Alice Barbezieux, s'ocoupe peu de la théorie mise en pratique que lui enseignent les officiers de l'armée papale française; il se dit qu'il y a temps pour tout, et que le spectacle, généralement reconnu pour une école de moeurs, ne peul être pour lui transformé en école de peloton. D'ailleurs il est amoureux, il rencontre des obstacles! en faut-il davantage pour tourner une tête de vingt-cinq ans! C'est donc lui qui a captivé toute l'altention de Mlle Alice; mais il est aussi le point des observations de Mme Barbezieux, qui voudrait bien jouir pleinement des bombes lancées sur les remparts de la ville sainte, mais qui en est détournée à tout instant par le service pénible qu'elle s'est imposé.
Laissons un moment ce manége, qui ne manque pas d'un certain piquant pour l'oeil de l'observateur désintéressé; et voyons un peu quels sont ces jeunes gens contrariés dans leurs affections par une mère impitoyable au point de vue des amours. Quittons la scène et les illusions de la mécanique qui nous montrent la chûte de la république romaine, pour entrer dans la réalité de la vie de petite ville.
Mme Barbezieux est une dame veuve, jeune encore, ou du moins s'efforçant de paraître
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telle, malgré une quarantaine d'hivers qui chez elle ont succédé à quarante printemps assez heureusement employés. Son mari, ancien officier de l'armée des Indes, est mort depuis tantôt dix ans, et la veuve', inconsolable dans le principe, a tellement effrayé les consolateurs sérieux, qu'elle, a dû continuer à se faire une vertu de ce qui d'abord n'était peut-être qu'une parade comme on en voit tant aux époques de kermesses. Enfin quel que soit le motif qui ait éloigné les maris, toujours est-il que Mme Barbezieux, au jour où nous prenons cette histoire, est veuve et bien veuve. Une fille unique et environ dix mille livres de rentes sont les seuls souvenirs qui lui restent d'un époux si tendrement regretté! Mais, Mlle Alice est jolie, elle a une belle dot, en perspective, en faut-il davantage pour attirer les adorateurs, assez faciles à se laisser entraîner par, l'attrait d'une jolie femme et des écus qui l'embellissent encore.
Fière de la beauté de sa fille, des florins dont elle a la libre disposition, Mme Barbezieux a monté sa maison sur un pied convenable; elle reçoit la société choisie de son endroit et est admise dans les cercles les plus aristocratiques de la province. Les jeunes gens surtout sont sûrs d'être bien accueillis dans la maison de la
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veuve, aussi n'y font-ils pas défaut! Malheureusement cette jeunesse ne se révèle à peu près que sous l'épaulette, les citadins des petites villes préférant pour l'ordinaire le séjour de la brasserie au coquet boudoir de rios belles du jour. Qui devons-nous accuser de cette monstruosité? Attaquerons-nous les jeunes gens? Accuserons-nous les femmes dont la conversation offre souvent si peu d'attraits? Accuserons-nous l'ennui qui préside à certaines réunions, l'air guindé et glacial de ces douairières se rengorgeant dans leur dignité séculaire, ou la prude monotonie de ces jeunes héritières qui, à défaut d'amabilité, affectent un dédain complet pour tout ce qui sent la légèreté de la conversation des salons, dont elles ne pourraient suivre le cours sans être exposées à dire vingt balourdises à la minute. Nous n'accuserons personne! Mais nous gémirons sur cette triste séparation qui détruit souvent tous les charmes de l'existence! Et quand le hasard nous fait rencontrer quelques exceptions, nous en bénissons le ciel! Comme on l'a dit longtemps avant nous, c'est le contact des femmes qui forme la jeunesse, c'est par les femmes qu'on se fait homme, et tel héros des temps modernes doit l'éclat dont il a couvert son nom à la société de ces femmes que l'on se plait tant
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à dénigrer, parce qu'on ne les connaît pas et qu'une éducation vicieuse a altéré ce qu'il y a de beau et d'entraînant dans leurs défauts mêmes. Enfin comme il y a partout des exceptions, nous dirons que Mme Barbezieux est une de ces exceptions, et qu'elle a élevé sa fille à la française, ou plutôt pour être juste et impartial, qu'elle lui a donné une éducation de capitale. La maison de ces dames est donc vivement recherchée, et les officiers de la garnison ne se font pas faute de briguer une admission dans un salon où l'aspirant repoussé par la fille a encore la chance de se rejeter, en désespoir de cause, sur les quarantehivers de la tendre mère.
C'est ce qu'avait compris le lieutenant Octave Blackbird, jeune officier de la garnison. Il ne manquait pas d'un cetiain mérite, et il avait surtout apprécié la position des dames Barbezieux; son admission dans la mais on n'avait donc souffert aucune difficulté. Il avait pu présenter ses hommages à la jeune fille et faire entrevoir à la mère la possibilité d'une rupture de veuvage; mais pour faire marcher de front deux intrigues de cette nature, il faut être plus consommé dans l'art du chevalier de Faublas, et notre jeune liomme était amoureux, c'est au moins dire maladroit, n'en déplaise à tous les amoureux passés, présents et futurs! Il ne sut
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pas cacher les sentiments sérieux qu'il éprouvait pour Alice et ceux qu'il ne faisait que jouer près de la veuve. De là, boudorie chez la vieille! la vieille..... que les contemporaines de Mme Barbezieux me pardonnent ce mot, il est relatif! De là, difficultés, plaintes d'un manque d'égards, que sais-je? Une femme qui veut se brouiller a tant de ressources! Toujours est-il que notre épaulotte fut forcée de renoneer à ses visites régulières et intimes, et què bientôt, sous de frivoles prétextes, la porte lui fut fermée. Il y eut nécessité pour nos amants de recourir à l'imprudente amitié de quelques âmes charitables, pour faire marcher une correspondance amoureuse, et pour obtenir quelques minutes d'entrevue dans des maisons tierces, où l'on se rendait en visite, mais avec la certitude de s'y rencontrer! Les amis prêtaient-ils la main à ce manége, au moins dangereux, c'est ce que nous ne voulons pas assurer pour ne point nous faire de nouveaux ennemis! Enfin, on en était sur ce pied de mystérieux rendez-vous, dans la soirée que nous décrivons en ce moment, et c'est à l'aide de la correspondance secrète, qu'Octave avait su les projets de Mme Barbezieux et de sa société pour aller visitor le spectacle mécanique. Le rendez-vous le trouva exact, il se rendit à la barraque, mais
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isolément, dans la désinvolture d'un flaneur tout étonné de se trouver on pareil lieu et d'y rencontrer des dames qu'il se contenta de saluer courtoisement, mais de manière cependant à faire comprendre ce: Je veux être seul au milieu de vous tous! Espèce de position anormale que l'amour seul permet de soutenir, malgré le bruit de la: musique et les coquettes séductions des habituées d'une salle de spectacle.
Alice et Octave étaient donc en présence! Les oeillades adroitement ménagées arrivaient à leur adresse en dépit des efforts de Mme Barbezieux, et le siége de Rome eut au moins cela de profitable dans la chrétienté, que deux amants pendant près d'une heure, à l'aide des bombes, de l'incendie et autres ingrédiens anti-républicains, purent se parler des yeux, et c'est un langage qui en vaut bien un autre si nous voulons consulter nos souvenirs de jeunesse. Enfin, comme toute chose en ce bas monde, le spectacle ne pouvait durer toujours: la ville éternelle rentra sous la domination papale, et Mlle Alice regagna la demeure maternelle, flanquée de Mme sa mère et de deux aimables voisines, avec qui nous allons faire connaissance en laissant pour un moment notre jeune lieutenant suivre de loin le groupe féminin qui entraînait ses amours.
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Mme Ronken, amie intime de la familie Barbezieux, femme déjà plus que sur le retour, et veuve aussi, nous sommes décidément pour les veuves, est une dame d'un embonpoint assez tranché; malgré ses treize lustres bien comptés, elle rêve encore un mari, et dans chaque moustache qu'elle aperçoit, elle croit avoir deviné un épouseur. - C'est la femme des déceptions, et la malheureuse ne pense pas que la plus grande de toutes les déceptions serait celle de se charger, devant la loi, de traîner sa lourde masse, et de subir sa coquetterie surannée! Assez bonne femme du reste, sauf quelques démangeaisons de langue, accompagnement obligé de la vie provinciale, elle est assez courue en ville parce qu'elle possède un revenu convenable et que sa familie jouit d'une réputation méritée.
Vient ensuite Mme Karnief. Ah! cette fois, c'est une femme encore sous la domination conjugale. Envie-t-elle le sort de ses voisines? Elle a un chaperon, et un chaperon même assez farouche, ce qui ne l'empêche pas, quand Monsieur est dans son cabinet au milieu de ses méditations, ce qui ne l'empêche pas de se livrer à une certaine gaîté d'autant plus extravagante qu'elle a été plus retenue devant son seigneur et maitre. Le festival a trouvé
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M. Karnief rétif à toutes les séductions; il eut bien voulu s'enfermer avec Madame, pour se dérober aux exigences de cette fête qui va peut-être absorber le fruit de six mois de pensées philosophiques; mais il a été retenu par le mot sacramentel: Que dira-t-on dans la ville? Et transigeant avec sa conscience, il a permis à sa moitié de se livrer, mais avec réserve, aux attraits du programme, à la condition cependant qu'elle ne se laiseera pas entraîner à de trop grandes dépenses. Mme Karnief a promis, sauf à ne pas tenir ou à s'accrocher à quelques amies curieuses comme elle, mais moins dures à délier les cordons de la bourse! Et pourtant, son mari est aisé, il marche de pair avec les premiers de la ville! Pauvre petite femme! Triste victime de la parcimonie conjugale! Une main généreuse t'offrira son appui pour te mettre au courant de tout ce qui ne peut et ne veut se laisser admirer que moyennant rétribution!
Nous voyous aussi M. le baron de Crousthof, grand monsieur sec, aux lèvres pincées, à l'oeil cave, et qui malgré un abus exagéré de la pommade sans pareille contre la calvitie est assuré à tout jamais contre les infortunes d'Absalon; c'est le sigisbée obligé de toutes les veuves et le suppléant de tous les maris! Disons
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aussi de suite qu'il est incapable, et bien incapable d'abuser de la confiance qu'on lui témoigne. Il eut, bien voulu, dans sa jeunesse, confier sa liberté à une aimable fugitive, mais les révolution ont emporté et ses espérances, et celles de bien d'autres, M. de Crousthof est resté garçon pour la plus grande satisfaction des veuves et des maris paresseux ou....
Voilà donc cinq personnages cheminant lentement vers la demeure de Mme Barbezieux. Une invitation à souper a dû être la conséquence d'une société intime pendant une heure; on s'est trouvé ensemble au feu, on va se retrouver à table! Que deviendra notre amoureux? On approche de la maison prête à se refermer sur toutes ses joies, sur toutes ses illusions, et il n'a pas encore trouvé le moyen de remettre à sa bien-aimée le billet qu'il a préparé pour lui dire ce que disent tous les amants d'abord, et ensuite la conjurer de lui faire savoir, si le lendemain elle se rendra à la promenade sur les bords du fleuve, promenade qui fait, partie du programme.
Tout à coup, un bruit épouvantable se fait entendre; vingt enragés tapent à coups redoublés sur l'instrument maudit de tous les tourlourous! c'est la retraite, c'est le signal du départ, pour les officiers de guérite et pour les
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bonnes d'enfants! mais ainsi va le monde! ce qui fait le désespoir de l'un contribue à la félicité des antipodes. Saisie par ce vacarme qui la surprend au détour de la rue qu'habite Mme Barbezieux, la société se sépare devant un triple rang de tambours guidés par l'énorme canne d'un grand Monsieur qui se balance nonchalamment en donnant à son long corps la cadence obligée du ra et du fla! c'est le tambour-major. Véritable type! sa canne éloigne les chiens et les enfants, son oeil appelle l'attention des marchandes étalagistes sur ses jambes en fuseaux, et la désinvolture de tous ses membres semble dire: Fermez les yeux, coeurs sensibles, ou vous êtes perdus! Eh bien! ce grand Monsieur avec sa suite, a opéré la diversion tant désirée par Octave; Mme Barbezieux s'est jetée sur la droite avec Mme Karnief et Mme Ronken; en vain elle a voulu entraîner Alice qu'elle tenait par la main, la terrible canne a coupé le noeud qui n'était pas du tout gordien, et Alice s'est trouvée sur la gauche avec le baron de Crousthof qui, tout occupé du trio qu'il a abandonné sur le trottoir opposé, ne voit pas le mouvement d'Octave; ce dernier, habite à saisir l'occasion qu'il avait prévue dès l'abord, glissait rapidement un billet dans la main de la timide jeune fille, billet reçu et sans doute at- | |
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tendu! Tout cela avait été fait en quelques secondes; les tapageurs soldés continuaient leur tintamare quotidien, la foule se reformait derrière eux, et Mme Barbezieux reprenait la main de sa fille en regardant devant et derrière.
- J'étais là, madame, dit le baron à la mère, pour la tranquilliser!
Il était là! oui! Mais un au tre y était aussi!
Le billet avait pris une place secrète et inaccessible, et M. le sigisbée des veuves et des femmes mariées jettait inutilement son regard cauteleux sur la tendre colombe, il n'était plus dans son rôle, la rose meurt à l'ombre de l'arbre centenaire!
Enfin tout est rentré dans le silence, parce que chacun a régagné son domicile. Octave, après la remise du bille t, s'est rendu à la grande société, espèce de casino, de cercle, le nom n'y fait rien; mais il n'est que neuf heures, et décemment un officier peut-il se coucher à neuf heures! Fut-il amoureux des onze mille..... beautés de Cologne, car cette fois je tombe juste, c'est bien à Cologne que..... chut..... pas de scandale..... Il y en a partout..... plus ou moins!!!!!
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