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Livre huitième.
- Ainsi, c'est une affaire conveuue, nous faisons proposer un échange de prisonniers! Mais comme ce misérable que nous tenons a plus d'importance, aux yeux des Hollandais, que Robert ne peut en avoir en apparence aux nôtres, car je donnerais cent van Buren pour un coeur comme celui de Robert, nous demandons cinquante volontaires belges contre notre prise.
- Cet homme est ton prisonnier, Adalbert; a toi le soin de mener à fin cette proposition, lui dit Frédéric. Je n'ai point de secrets pour vous, mes amis, mais ce que m'a dit Maria depuis hier, la sollicitude de cette Italienne qui
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l'accompagne, la baronne de Rostang qui se trouve mêlée à ce drame, tout me dit que nous approchons d'une crise dont le dénouement doit nous révéler de grandes choses. La présence de Robert me paraît indispensable..... à moins cependant..... que..... ces papievs.....
- Sans doute! reprit Gonrad, je le crois aussi; mais la baronne.....
- La baronne sera ici dans deux heures; les portes de la ville s'ouvrent à neuf, interrompit Adalbert, et nul doute, comme il ne fait pas jour chez elle avant dix, nul doute qu'elle nous gratifie de sa visite avant midi.
- Allons, Messieurs, vous êtes peu galans pour cette pauvre femme! Frédéric est plus généreux que vous... Je crois pouvoir garantir sa présence plus tôt..... Mais voyez donc... qui nous arrivé à l'instant?
Les trois amis s'approchèrent aussitôt de la fenètre.
- C'est Baptiste, s'écria Adalbert! nos prévisions sont en défaut..... Mais nous n'avons pas encore vu ces dames!
Au mêrae instant le cocher fut introduit, et remit à Frédéric une lettre, que celui-ci, qui n'avait plus rien de caché, lut aussitôt à haute voix, après toutefois avoir dit au messager: Vous connaissez le chemin de l'office, on vous
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sera prévenir quand il en sera temps, allez..... El il commenga sa lecture:
‘Mon cher Monsieur Frédéric.....
- De mieux en mieux! interrompit Adalbert, on te dorine du cher Monsieur!!!
- Tais-toi donc, maudit bavard, et écoute!
‘Mon cher Monsieur Frédéric, les nouvelle se succèdent avec une telle rapidité, qu'il faudrait un courrier d'heure en heure pour correspondre, et Dieu sait ce que l'on va penser; moi, la baronne de Rostang, écrire au chef d'une bande d'insurgés.....
- Merci, belle dame!
- Tu es incorrigible!
- Comme ta baronne! Continue!
‘Il faut cependant me résigner; je crois même que cette fois j'éprouve moins de répugnance qu'hier. Oh! c'est que je crois avoir fait une bonne action, dont vous et vos amis, sans même en excepter l'Italienne, me saurez gré. Le malheureux Robert a été mis au secret, et nul moyen n'a réussi pour arriver jusqu'à lui; mais j'ai vu ce matin le général... Vous savez que j'ai pu le compter au rang de mes admirateurs.....
- Coquette, va!
- Oh! cette fois tu te trompes, car je suis sur ce chapitre le champion de la baronne!
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- Je crois bien! Elle n'a jamais aimé qu'elle!
- Je poursuis: ‘La conversation est tombée naturellement sur la révolution, et de la nous sommes arrivés al'espion belge. J'ai défendu la cause du pauvre Robert, et je crois, avec quelque succès. Aucune preuve, aucun indice ne l'accuse, il est donc victime de quelqu'affreux complot. Je commence à partager les douies de ma chère Maria sur l'innocence de M. van Buren; ce jeune homme a disparu depuis hier soir,le général en est fort inquiet, car j'ai su que c'était par lui que lous les à propos de la ville étaient reporiés a l'état-major. Cette disparition se ralinche-t-elle a à l'arrestaiion de Bobert? Je me perds en conjectures; mais à midi j'aurai des renseigne mens plus positifs, et peut-être verrai-je Robert, que j'ai désigné comme un ancien serviteur de votre chère tante. Peut-être alors ie iral-je vous voir aujourd'hui; dans ce cas je vous ménage une surprise, ainsi qu'à ma bonne et chère Maria; que j'embrasse de tout mon cceur; quant à vous, je vous serre la main gauche, en priant le ciel de rendre votre droite plus raisonnable.
Isabelle.’
- Signé de son petit nom, s'écria Adalbert! décidément, nous ferons quelque chose de cette
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dame; et puisqu'elle s'intéresse à Robert, je commence à revenir, un peu, mais bien peu, sur son compte.
Après cette lecture, les jeunes gens passèrent dans la cbambre des dames, qui avaient fait prévenir qu'elles pouvaient recevoir, et la lettre de la baronne leur fut communiquée.
- Je suis sûre, dit Maria, que cette surprise sera une lettre de ma bienfaitrice.
- Et moi je crois mieux encore, reprit Adalbert! mais comme je veux aussi me donnerde l'importance, je me tais.
- Et tu fais bien, lui répondit Frédéric! car depuis ce matin tu ne débites que des sornettes.
- Merci, baron de ta baronne! tu vas voir que si j'en dis, je n'en fais pas. Et il quitla la petite société, laissant Frédéric et Maria causer de la bonne Mme van Lonnaert, et peut-être encore d'autre chose, et Gonrad discuter avec Margueritta, quiprenait plaisir à écouter ce jeune homme, plus froid et plus posé que ses deux compagnons.
Adalbert monta vers la chambre qui servait de prison a Léon. Après s'être fait ouvrir et avoir congédié pour un moment le factionnaire de service, se trouvant seul avec lui:
- Il va te paraître, sans doute, peu généreux de ma part, lui dit-il, moi qui ai contré toi une
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vengeance particuliere à exercer, de venir moimême.....t'annoncer qu'il faul..... te préparen.... à mourir.....
- Dis-tu vrai, Adalbert?
- C'est la décision du conseil!
- Ainsi on refuae mes offres?
- On n'y croit pas!
- Et vous, y croyez-vous?
- Pas plus que les autres!
- Cependant, en présence de la mort, à cette heure suprême, prêt à paraître devant le créateur.....
- Oh! ne parle pas ainsi, ou je penserai que tu médites encore quelque nouvelle perfidie!
- Eh bien donc! mon intérêt n'est-il pas assez grand dans oette circonstance pour que je mérite quelque croyance. Je vous ai dit que la remise de cinquante prisonniers n'arrêterait pas le général pour me rendrela liberté!
- Si je pouvais te croire! Mais bast! c'est pour retarder ton exécution, tu as si peur de mourir! et cependant pour le bien que tu as fait ici bas, tu ne partiras jamais assez tôt!
- C'est être bien cruel, Adalbert! Si tu essayais cependant..... Songe quelserait ton regret quand..... tout sera fini..... Adalbert! je t'en conjure, au nom..... tiens de ce Robert luimàme à qui tu t'intéresses si vivement!
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- Oh, c'est que c'est une autre conscience que la tienne, celle-laà!
- Eh bien, sa liberté dépend de toi, Adalbert!
- Eh bien! que proposes-tu.... Voyons..... mais sois bref.
- Je vais écrire au général, et tu verras sa véponse.
- Allons! je me compromets peut-être en t'écoutant; mais enfin..... n'importe c'est pour Robert.....Ecris donc.....
Et s'étant fait apporter ce qui était nécessaire, il attendit quelques minutes au bout desquelles Léon lui remit une lettre, mais aussitôt que notre jeune homme en eût vu les premiers mots, il la déchira en mille pièces en s'écriant:
- Je l'avais bien dit, qu'on ne pouvait compter sur un misérable de ton espèce..... Ah! tu es tombé dans un piége..... et bien, morbleu! tu y resteras, et il fit mine de vouloir sortir.
- Adalbert, prends pitié! Que veux-tu que j'écrive? Jesuis à ta discrétion, tu le sais, eh bien! dicte toi-même.....
- Non, c'est inutile.....
- Adalbert!!! et il le regardait les larmes aux yeux.
- Allons! j'ai pilié de toi! Ecris, mais sois expéditif! car tu me dégoûtes.
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Léon s'empressa d'obéir. Adalbert lui dicta les lignes suivantes:
‘Mon chei’ général,
‘Les chances de la guerre m'ont fait tomber dans les mains d'une patrouille de partisans belges; on m'accuse d'avoir voulu vous servir d'espion, et à ce titre, ils'agit de me faire fusiller dans les vingt-quatre heures. Cinquante prisonniers rendus par vous à votre choix peuvent me servir de rançon; j'ai comptó sur votre amabilité pour me rendre ce petit service. (Tu vois que je te ménage, en dissimulant ta frayeur..... continue.....) Mais avant de me donner la liberté, le commandant exige que vous lui rendiez un certain Robert arrêté hier comme espion..... et vous savez, entre nous soit dit, que cet homme n'est pas coupable du crime dont on l'accuse.....
- Mais.....
- Ecris, te dis-je! Quand on n'a pas le courage de ses actes,l'obéissance passive, est ce qui sied le mieux!
- J'obéis!
‘Veuillez donc le remettre en liberté. J'ai cc connu autrefois, avantson crime, lecommandant qui me retient prisonnier,on peut compter sur sa parole. D'ailleurs la liberté de ce ‘Robert intéresse au plus haut point l'honneur
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du nom hollandais, etun secret que vous connaîtrez à cette occasion, vous apprendra que certaine personne a qui vous serriez la main tous les jours, était plutôt digne des galères que de votre amitié. Tout à vous, en attendant l'heure de ma délivrance.’
- Je ne signerai jamais cette lettre! s'écria Léon.
- Comme tu voudras! et la lui prenant des mains, il feigriit de vouloir lui faire suhir le sort de la première.
- Arrêlez, Adalbert!.. Qu'il en soit ainsi que vous l'avez dit: oh! la vie..... la vie..... quel sacrifice!
- Signe et mets l'adresse..... et quand cela fut fait:
- Maintenant je te dönne ma parole, ari nom de Frédéric de Castaens, que si Robert nous est rendu, ta liberté suivra; mais rien de plus, rien de moins, et tu sais sil'onpeut compter sur nous.
- A la grâce de Dieu! fit Léon, anéanti de voir qu'Adalbert em portait sérieusement cette lettre qui allail produire un si terrible effet sur sou avenir, mais il avait peur de mourir, et si son vainqueuf eût alors connu les secrets de Robert, certes il eût eu beau jeu avecce misérable; mais il était écrit au livre des destins que
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l'heure des restitutions ne devait pas encore sonner, et notre hardi patriote exigea de lui ce qui lui tenait le plus au coeur: la liberté de Robert!
- A cheval, ton courrier, Frédéric! dit-il en descendant, voici le passeport de Robert; et il leur raconta son stratagême; tu vois que jesais agir au besoin, mauvais plaisant. Allons, à cheval, Baptiste! voici pour le général, rien que cela! te voilà transformé en courrier de cabinet.
- Et voici pour ta maîtresse! lui dit à son tour Frédéric.
- C'est une imprudence! dit Conrad.
- Soyez tranquilles, mes amis! des complimens d'amitié, l'expression des sentimens d'une jeune fille, cela ne peut compromettre personne.
Mais Baptiste regardait toujours les mains de ces distributeurs de lettres.
- Ensuite, celte pièce d'or! pour faciliter ta prompte admission près du général; mais tu auras soin de dire, que c'est de la part de Monsieur Léon van Buren..... la lettre bien entendu..... Cette au tre pièce pour toi, pars, etau galop! Van Buren, notre prisonnier, t'en promet le doublé si tu réussis, et moi je le cautionne.
Il n'en fallait pas tant pour stimuler le zèle de cet homme, qui était déjà bien loin lorsque les jeunes gens remontèrènt chez les dames.
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- Cet Adalbert a vraiment une imagination bien féconde.
- Oui, dit Conrad, et je crois que s'il fût venu quelques mille ans plus tôt, la guerre de Troie n'aurait pas duré dix ans.
- Il a touché juste avec ce Léon.
- Tu me l'as abandonné, Frédéric, et pour plaire à ces dames j'ai fait de mon mieux; je compte beaucoup sur la réussite.
La conversation continua pendant quelques minutes, après quoi, chacun s'éloigna pour? vaquer aux affaires du service mililaire.
Baptiste était déjà entré en ville. Arrivé chez sa maîtresse, qui ayait ordonné qu'on vînt la prévenir dès qu'il paraîtrait, il s'empressa de lui faire connaître son retour. Le général était justement en visite chez la baronne et ne résistait que faiblement aux sollicitalions de cette dernière lui demandant la permission d'entretenir Robert.
Après s'être fait rendre par le cocher un compte exact de tout ce qui se passait à Lanaeken, elle rentra dans son boudoir la lettre de Léon à la main:
- Votre correspondance, général, arrivé jusque chez moi.
- Comment, belle dame, mais c'est de l'inquisition et je vous prie en grâce d'excuser.....
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- Rien rien.. dans les circonstances où nous nous trouvons..... lisez.....
- Permettez-moi de me retirer.....
- Cette lettre est peut-être sans importance, je vous permets d'en prendre connaissance; et comme elle insistait, le général, curieux de son côté de savoir ce qu'on pouvait lui mander de si pressé, s'empressa de romprele cachet et lut la dictée d'Adalbert.
- Tenez, belle dame! c'est un de nos amis que nous ne pouvons laisser dans la peine!
- Vraiment..... le coeur vous vient donc enfin!
- Vous êtes cruelle!
- Non, je suis vraie!... Mais voyons, puisque vous m'y autorisez, la lettre de cet ami!
A son tour elle prit l'éerit que lui présentait le général.
Après quelques minutes de silence:
- Eh bien! que ferez-vous? continua-t-elle.
- Ce que vous me conseillerez!
- Ainsi vous me donnez voix délibérative au conseil!
- C'est votre droit!
- Et j'en use pour vous dire que ce pauvre M. van Buren ne peut resler plus longtemps entre les mains des insurgés; la Hollande perdrait en lui un deses plus actifs partisans!
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- Sans doute..... Mais on me dicte des conditions!
- Que vous accepterez!
- Mais un espion! quoi qu'en disè van Buren!
- Que voulez-vous, général! chances de guerre, espion pour espion! quoique, voyezvous, je ne les croie pas plus coupables l'un que l'autre.
- Mais me mettre en relation ouverte avec un chef de révoltés, je ne le puis!
- Et qui vous y force?
- Cette proposition..... il fa ut y répondre!
- Général, les femmes peuvent être utiles à la guerre, comme dans un boudoir.
- Oh, leur mérite est partout incontestable!
- Trève de complimens, et écoutez-moi. Faites donner l'ordre de mettre Robert en liberté si dans une heure je ne vous ai rien fait dire; je me charge de la négociation, votre nömne sera pas pronóncé, et je vous garantis, moi, le succes et le retour de notre ami.
- Je vous cède! aussi bien, c'est un moyen de me débarrasser de bouches inutiles..... et sile blocus se resserrait davantage.....
- Ainsi, j'ai votre parole!
- Comme j'ai reçu la vôtre, belle dame! mais vous ne craignez pas pour vous-même!....
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- Allons donc! une femme.....
- Oh, c'est jaste..... Recevez mes tres humbles salutations et mes voeux pour la réussite. Van Buren me parle d'un secret, et cela ne peut jamais nuire d'être au courant.....
- C'est peut-être ce qui doublera mes forces d'action; les femmes sont curieuses, fit-elle en souriant au général..... à cesoir.....
Le général était parti, la baronne fit prévenir Mme van Lonnaert, les chevaux furent attelés, et en moins d'un quart-d'heure, elles étaient sur la route de Smeermaas.
Le trajet ne fut pas long; l'impatience dévorait ces deux femmes, et Baptiste n'était pas fâché de prouver par son zèle qu'il était digne de la confiance des jeunes officiers qui avaient mis son intelligence à l'épreuve; chaque pièce de monnaie qu'il pensait sentir tomber dans sa main était le signal d'un vigoureux coup de fouet appliqué à ses chevaux.
La voiture arriva bientôt à l'auberge où étaient déjà réunis une partie de nos personnages; à la vue des dames qui en descendirent l'hôtelier ne put réprimer un mouvement de satisfaction.
- Décidément, se dit il, ma maison va devenir le rendez-vous du beau monde! ma fortune est faite, Ma foi, vivela guerre!
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C'est ainsi que le mal de l'un a de tout temps produit le bien deson voisin. Mais noussommes quelque peu égoïstes en ce bas monde, et si nous devions énumérer les maux que ce terrible défaut assume sur notre pauvre espèce humaine, il faudrait succomber à la tâche et abandonner l'histoire de nos héros. La curiosité abienson charme, et nous lui devons aussi des sacrifices qui sont d'autant plus pressans qu'ils entraînent moins de vicissitudes.
La conversation était tellement animée au salon, que personne n'entendit la voiture etque l'entrée de la baronne fut comme un coup de théêtre.
- Je n'avais promis qu'une surprise, dit-elle, mais je m'aperçois qu'il y en a deux! et aussitôt elle présenta Mme van Lonnaert, qui, tombant dans les bras de ses deux enfans, dut être portée sur un canapé, tantl'émotion qu'elle éprouvait avait épuisé ses faibles forces; mais comme cette émotion n'était produite que par des sentimens de plaisir et de joie, elle revint bientôt à elle pour partager l'ivresse qu'éprouvait tout le monde ense voyant ainsi réuni. Une seule personne manquait à cette petite fêle de familie, Robert, et la sensible Maria en fit aussitôt la remarque.
- Eh bien, petite, dit la baronne! le ciel a
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exaucé vos voeux, car dans moins de deux heures il sera ici, et pour preuve, c'est que nous l'attendons.
- Juste ciel, ce bon Robert! le cri fut général. La baronne raconta alors le succes de sa démarche, et aussitôt Adalbert s'avançant vers elle:
- Madame, veuillez me pardonner, et me croire à l'avenir un de vos plus dévoués défenseurs.
- Pardonner..... moi..... quoi donc, Monsieur? Défenseur.....je ne sache pas en avoir besoin, cependant j'accepte pour la rareté du fait.....
- Eh, ma bonne amie, lui dit Mme van Lonnaert, Monsieur Adalbert a peut-être conservéquelque rancune..... la politique fait tant de mal.....
- Ma chère tante, interrompit Frédéric, je vous en conjure, pour l'amour de moi, de votre Maria, que vouspouvez embrasser aujourd'hui tout a votre aise, ne parlons pas politique, une discussion de celte nature est un brouille-ménage.
- Oh! je lui porte un défi, s'ecria Maria énse jetant dans les bras de sa bienfaitrice, et comme pour se faire pardonner cette préférence, elle revint à Margueritta, qu'élle embrassa à plu- | |
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sieurs reprises, et prenant les mains de la baronne elle les couvrit de baisers.
- Petite hypocrite, dit la baronne, c'est ainsi que vous dissimulez vos préférences!
Que de choses furent dites, que d'embrassemens furent prodigués pendant cette entrevue; Adalbert et Conrad le comprirent, aussi s'empressèrent-ils de prendre congé, alléguant les besoins du service. Frédéric put fester, ses amis allaient veiller, et il pouvait compter sur leur diligence pour faire oublier son absence.
- Cependant Adalbert, après avoir fait une tournée assez longue pour visiter tous les points dont ils avaient la surveillance, se rendit à la prison de Léon, non que le désir de lui annoncer une bonne nouvelle fût pour quelque chose dans cette démarche, mais ce qu'il avait pu comprendre des demi-mots échappés à Margueritta, lui faisait en trevoir que l'existence de cet homme se trouvait liée aux infortunes de cette pauvre femme, et il voulait tenter de sonder, dans l'intérêt de ses amis, les replis de laconscience de ce misérable.
- Le général a consenti, lui dit Adalbert en en trant!
- Ainsi, je suis libre!
- Ah, pas encore! niaisil a envoyé quelqu'un pour traiter de ta liberté.
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- Mais n'avait-il pas été convenu qu'en échange de Robert.....
- Oui, j'ai dit que c'était un commencement, mais que cela ne suffisait pas.
- Que veux-tu de plus?
- Tu connais la veuve du général Parroni?
- Non!
- Tu la connais, te dis-je!
- Je ne l'ai jamais vue, tu peux me croire!
- Tu ne la connais pas moins!
- Soit! puisque tu le veux.... Quel rapport avec cette femme?....
- Tu vas le savoir! Mais au même instant on vint prévenir Adalbert qu'il était mandé dans le salon sans perdre une minute.
- C'est notre homrne! se dit-il intérieurement, et il quitta brusquement le prisonnier. En deux ou trois bonds il fut au bas des escaliers, et bientôt dans les bras de Robert, qui, déjà au milieu des dames, était accablé des questionsles plus opposées etne savait comment répondre à ce déluge d'interrogations.
- Procédons par ordre, si vous voulez le permettre, Mesdames, s'écria Frédéric! autrement nous ne nous entendrons pas! Laissez-moi devenir le seul interrogateur de notre brave ami.
- C'est juste, répéta tout le monde.
- Oh! dit Robert, mon histoire sera bientôt
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faite. On est venu ce matin me demander si j'avais quelques observations à faire consigner; n'élant pas coupable, je n'avais rien à dire! J'attendais avec résignation le moment qui allait me rapprocher de mon colonel... enfin n'importe..... lorsque les portes de ma prison furent ouvertes, et que l'on m'annoriça que j'étais libre, sur la parole que van Buren serait rendu à Maestricht avant la nuit! Le vieux Robert contre un misérable de cette espèce, c'est peu flatteur! Je ne voulais pas accepter, mais je n'avais pas de nouvelles, j'ai pensé qu'ici vous aviez encore besoin de moi, et je suis parti, vraiment presqu'àregret. Echangécontre le van Buren, quelle bonte!.... enfin n'importe.....
- Oh oui, mon bon Robert, vous nous êtes rendu, c'est le mieux!
- Mais, dit celui-ci, vous avez encore notre hoinme, n'est-ce pas?
- Et sous bonne garde, je t'assure!
- Eh bien! la parole n'est engagée que pour ce soir; nous avons encore du temps devant nous.
- Oui, mais nous avons aussi tant de choses à apprendre! s'écria Margueritta.
- Eh mais, quand vous avez appris mon arrestation, n'aviez-vous pas mes lettres pour vous instruire?
- La baroune nous manquait!
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- Ah! s'écria cette dernière, j'étais nécessaire! Eh bien maintenant, que nous manquet-il?
- Rien que lesilence, reprit Marguerilta.
La plus parfaite immobilité succéda à ce verbiage décousu, qui ne pouvait inspirer grand intérêt, car chacun se sentait le besoin de connaître enfin ce secret de Robert, qui allait apporter peut-être tant de changemens dans les existences présentes.
Or donc..... commença enfin Robert, je filais sur la route de Madrid avec l'enfant de mon colonel que j'avais em porté pendant la maladie de sa femme..... enfin n'importe..... Oh, je vousassure, un joli enfant, et qui a tenu plus tard, ce qu'il promettait..... un petit garçon, si vif, si éveillé.....
- C'était un garçon! interrompit la baronne en poussant un profond soupir, et elle regarda Maria, comme pour lui dire: j'aurais préféré que ce fut une fille.....
- Madame la baronne, si vous m'interrompez encore, nous en avons jusqu'à ce soir..... Eh bien oui, c'était un garçon et un beau encore! Arrivés a Madrid, mon colonel s'assura une nourrice, et je dus avec cette femme, suivre le corps d'armée qui se dirigeait sur la Pologne pour entrer en Russie; le colonel commandait
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un régiment, et nous faisions partie du bagage de ce régiment. Je ne vous raconterai pas tout ce que je dus souffrir, pendant ce long voyage avec la pauvre nourrice qni regretlait sans cesse sa patrie, et ne cessait de pleurér..... et mon marmot qui ne s?en faisait pas faute! Oh! c'était une belle besogne pour un ancien dragon de l'Impéraitice..... enfin n'importe..... Arrivés prés de Smolensk.....
- Smolensk..... c'est la que j'ai perdu mon père! exclama Frédéric.
- Silence, jeune homme, lui dit d'un ton grave et solennel le vieux Robert, qui reprit aussitot: Arrivés à Smolensk, oh! je ne l'oublierai jamais, le 15 août 1812 jour à jamais funeste, le régiment de mon colonel avait fait des prodiges de valeur... et je vous prie de croire que son chef lui en avait donné l'exemple.....car c'élait un brave lui..... enfin n'importe..... il est là haut!.... etil essuya ses yeux humides. L'Empereur en personne vint le visiter sur son lit de douleur! une balie, que Dieu confonde! l'avait atleint en pleine poitrine! Mon colonel ne sourcillait point..... Général comte Ulric baron de Castaens, lui dit Napoléon, vous avez bien mérité de la patrie, embrassons-nous..... car il s'y connaissait lui..... l'ancien..... enfin n'importe..... Tout le monde pleurait, la blessure
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était mortelle..... Ah! pardonnez-moi, cur je pleure encore..... et cependant il y a bien longtemps..... Des sanglots inondèrent sa voix; la baronne ne pouvait retenir des pleurs qui inondaient son visage.....
- Pour l'amour de Dieu! continue, Robert, lui dit-elle en lui prenant les mains.....
- Ah! c'est que..... voyez-vous..... Enfin..... mon colonel sentant sa fin approcher..... me fit appeler pour embrasser son fils..... Ses paroles..... oh! elles sont gravées là..... dans mon coeur..... Robert..... je vais mourir..... Pauvre enfant, dit-il, en couvrant de son visage déjà livide les riantes couleurs de ce pauvre petit être..... bientôt tu n'auras plus de père..... plus de père..... et tu n'as pas de mère.....
- Grâce! grâce! Robert, s'écria la baronne!
Mais celui-ci, tout entier à ses tristes souvenirs, ne l'écoutait plus.
- Robert..... mon ami..... continua-t-il en faisant un effort surhumain..... mon fils..... mon enfant..... n'a plus d'autre appui sur la terre étrangère que ton amitié..... oh! jure-moi..... jure-moi sur ce coeur qui va cesser de battre, que tu ne l'abandonneras pas..... J'ai une soeur, Robert..... tu lui conduiras mon fils..... que sa mère..... le croie mort..... il ne doit jamais la connaître..... tu me le promets, n'est-ce pas,
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mon ami..... Prends ce portefeuille..... tu y trouveras des lettres de ma soeur..... une petite somme..... toute ma fortune hélas..... pour entreprendre ce long voyage..... Mon fils..... mon fils..... encore une fois, Robert..... mon fils..... ma soeur..... Plus dé colonel comte Ulric..... je lui pardonne..... je meurs...... général..... baron de Castaens.....
- Mon père..... fit Frédéric, ah! Robert je ne me trompais pas..... tu as reçu le dernier soupir du brave..... Dans mes bras, Robert, dans mes bras..... et ils se tinrent longtemps embrassés.....
Tous les auditeurs étaient émus aux larmes; mais bientôt le jeune homme avec un pénible soupir:
- Et ma pauvre mère, Robert.....
- Merci, mon fils, oh! merci, merci, Frédéric! lui cria la baronne en se jetant à ses pieds.
- Vous ma mère..... vous, Madame..... relevez-vous, de grâce, votre fils.....
- Mais je n'étais pas coupablé, Frédéric!
- Pas un mot de plus, ma mère! vous m'aiderez à connaître mon père, nous le pleurerons ensemble, et toi aussi, mon vieux Robert! Puis se tournant vers la présidente que cette scène rendait muette, et vous aussi ma bonne tante, vous, ma seconde mère..... je suis heureux..... puisque ma véritable mère à pu se faire aimer
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de vous, c'est qu'elle en était digne! et il embrassa tendrement ces deux femmes.
Mais la personne peut-être qui éprouva la plus douce joie intérieure à ce tableau touchant ce fut la pauvre Margueritta; elle aussi embrassa la baronne, et de grand coeur, car Maria lui restait; elle n'avait plus à redouter l'amour de cette femme qui avait retrouvé son enfant, et nepouvait plus lui disputer l'amour de la jeune fille.
Il restait cependant de grands secrets à entendre; Robert n'avait rien dit sur ce qui concernait l'Italienne; aussi, lorsque ce premier moment d'attendrissement fut un peu apaisé, Adalbert le premier rompit le silence:
- Je suis désolé de t'exposer à de nouvelles émotions, mon bon Robert, mais tu ne voudras pas nous laisser plus longtemps dans l'altente!
- Ce n'est pas mon intention, Messieurs! je finirai comme j'ai commencé; mais il me manque ici une personne intéressée à ce qui va suivre.
- Et qui donc encore, mon Dieu! s'écrièrent à la fois tous les assistans.
- Le van Buren, répondit Robert!
- Léon! s'écria Frédéric! qu'allons-nous donc apprendre?
Mais déjà Adalbert, avaitpris sa course; et il ventra au bout de quelques minutes tenant Léon
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par le bras, et hors d'état de tenter aucune évasion; on le fit asseoir dans un coin du salon, chacun s'éloigna de lui, la présence de cet homme faisait horreur.
- Continue, Robert, dit Adalbert! nous sommes maintenant au grand complet!
- Je l'espère,fitce brave homme! et il reprit sa narration.
- Mon colonel... ou plutôt legénéral, enfin n'importe..... il était mort..... Les derniers soins donnés à ce brave que toute l'armée regretta, je devais songer à son enfant. Muni de la petite fortune que m'avait confiée le colonel, suivi de la nourrice qui ne cessait de se lamenter, je pensai sérieusement à regagner Maestricht, où demeurait la soeur de mon colonel..... du général..... enfin n'importe..... Une modeste voiture, attelée des deux chevaux de bataille du..... vous savez..... nous servit à faire la route à travers la Pologne et une partie de l'Allemagne à pelites journées pour ne pas fatiguer l'enfant. Arrivés à Mayence, de nouvelles douleurs m'attendaient; nos pauvres chevaux, harassés de fatigue, étaient incapables d'aller plus loin; je dus m'en défaire. Fort à propos dans une modeste auberge où j'étais descendu, je rencontrai une jeune dame italienne qui rejoignait son mari, employé à l'armée de la Meuse, en co
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moment dans le Limbourg. Une grossesse assez avancée ne lui permettait pas de voyager trèsvivement, aussi faisait-elle la route avec une femme de chambre dans sa propre voiture.
Cette dame est devant vous, vous devez l'aimer, Monsieur Frédéric, car pendant tout le voyage, qu'elle nous força de continuer avec elle, elle vous a tenu lieu de mère.
Frédéric était incapable de proférer une parole; mais un regard jeté sur Margueritta en dit plus à cette pauvre femme que tous les remercîmens qu'il aurait pu lui adresser.....
J'avais été forcé de laisser la nourrice à Mayence; les fatigues du voyage et la douleur qu'elle n'avait cessé de témoigner avaient tofalement tari son lait, et elle voulut absolument rentrer en France pour regagner son pays. Cette dame, que je sus depuis être la femme du général Parroni, se chargea de vous jusqu'a Maestricht, où les douleurs qu'elle éprouvait ]a forcèrent à s'arrêter également pendant deux jours. Les instructions de mon colonel étaient précises; je devais remettre l'enfant à sa tante, là finissait mon rôle. C'était le fils du général baron de Castaens, mon colonel n'avait rien dit de plus..... c'était sa volonté qu'on l'appelât ainsi..... Ma tâche était accomplie vis-à-vis de l'enfant..... et vis-à-vis de lui, mon..... enfin
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n'importe..... Je n'osai faire plus, sur tout lorsque je m'aperçus que les mains auxquelles j'avais remis mon petit Ulric, que l'on a débaptisté depuis pour l'appeler Frédéric, avaient reçu ce précieux dépôt, avec bonheur sans doute, mais suivaient une ligne opposée à mes convictions et à celles de mon..... colonel. Je ne pouvais cependant me décider à abandonner tout à fait cet enfant que j'avais vu naître et à qui j'avais tenu lieu de père pendant si longtemps.
- Bon Robert! interrompit Frédéric en lui serrant la main.
- C'est alors que j'achetai la petite maisonnette de Smeermaas, mais vous le dirai-je, je ne pus me décider à remettre les pieds dans la ville, mon petit Ulric était élevé à maudire le noDi qui avait contribué à la gloire de son père!
II y avait à peine trois moisque j'étais installé dans cetle maison, que vous connaissez tous, et je dis tous, à dessein, Monsieur van Buren, car vous y étiez venu avant votre arrestation, lors- qu'un soir une voiture richement attelée s'arrête à ma porte. Un monsieur, et une dame que je reconnus bientôt pour la dame de Mayence, en descendent, sui vis d'une vieille domestique.....
Nous ne pouvons entrer en ville ce soir, mon brave, me dit le général Parroni, car c'était lui, veux-tu nous abriter; tu vois l'état et la fai- | |
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blesse de ma femme, elle était capable d'accoucher en chemin, mais sois tranquille, nous saurons t'indemniser de ton dérangemont. C'était un officier français qui parlait de m'indemniser, alors que sa femme m'avait ai généreusement prêté aon appui pour mon petit Ulric! Non, mon général, lui dis-je, je ne reçois paa, mais je donne en échange; et à peine, étaient-ils installéa dans la chambre que voua avez occupée, que j'eus tout au plus le temps d'aller chercher le docteur de Lanaeken et le vénérable abbé Apostolo van Buren, entendezvous, Monsieur le neveude votre oncle! Au bont de quelques heurea l'étrangère mit au monde une fille, et c'était vous, Mademoiselle Maria!
- Oh! je l'avais deviné, s'écriala jeune fille, ma mère!....
- Et moi j'en étaia sûre, dit Margueritta, l'instinct d'une mère ne trompe jamais..... Elles s'embrassèrent à plusieurs reprises, et toutes deuxsans mot dire vinrent se mettre auxpieds de la bonne présidente, que toutes cea émotions brisaient, Maria pour lui demander sa bénédiction, et Margueritta pour la remercier des généreux soins que sa fille avait trouvés chez elle.
- Je l'aimerais moins, Madame, lui dit-elle, si je n'avais su apprécier toute la tendresse et la vénération qu'elle a pour vous!
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- Allez, allez mes en fans, reprit Mme van Lonnaert, ah! je suis trop payée..... mais je vous en conjure! ménagez-moi,vous me ferez mourir!
- Vous allez bientôt entrer en scène maintenant, Monsieur van Buren du diable! reprit Robert. Les couches de votre mère avaient été assez heureuses, Mademoiselle Maria, mais les suites amenèrent des symptômes effrayans qui la conduisirent aux portes du tombeau, etp endant près d'un mois, il fut impossible de la déranger, sans s'exposer à la voir passer en chemin, La nature cependant reprit le dessus, mais sa santé était toujours chancelante, et une sorte d'hallucination dangereuse fit longtemps encore, à ce qu'il parait, craindre poursa raison. On avait été forcé de la séparer de son enfant; le général venait à de bien raresinterval les visiter ma pauvre malade. Un soir enfin, il arriva le coeur contristé: les. nouvelles sont bien mauvaises, mon pauvre Robert, me dit-il, l'armée française, abîmée par une coalition européenne, est refoulée de tous cotäs; nous sommes contraints à évacuer Maestricht. Que faire, mon Dieu! avecune femme en délire, et un faible enfant qui ne tient a la vie que par tin léger soufflé. Je dois être à la tête de ma division, l'honneur m'appelle, et l'amour me retient! Que faire, mon Dieu! que faire! Emm- | |
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ner cette enfant, c'est compromettre son existence! et d'un autre côté la fille d'un général français au milieu de nos ennemis acharnés!!!.... Je lui racontai alors, ce que j'avais fait pour vous, Monsieur Frédéric, et lui proposai de confier son enfant a la loyauté de vótre esti- niable tante. Cette proposition fut
acceptée et mise à exécution le soir même par votre malheureux père, dont vous reçutes alors le dernier embrassement, car il succomba vaillamment sous les murs de Paris, en cherchant à combattre la trahison qui livrait la capitale à l'ennemi. Vous savez tout le reste relalivement à Mademoiselle Maria, mais ce que vous ignorez tous, à l'exception de ce traître, c'est que le soir même de votre admission dans la maison de Madame van Lonnaert, votre père, Mademoiselle, fit appeler le vénérable prêtre Apostolo van Buren. Oh! celui la avait assumé sur lui seul toutes les vertus de cette exécrable familie! Le général lui remit un écrit pareil à celui que l'infâme Léon a volé à Monsieur Frédéric. Puis, lui présentant une petite cassette: Voilà, Monsieur, la dot de ma fille! elle contient près d'un million, le prix de la réalisation de mes biens en Italië; vous ne la restituerez qu'à la personne qui vous présentera le récépissé que vous allez me donner. Si dans trente ans, cette somme ne
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vous est pas réclamée, vous pourrez en dispenser en faveur des églises et des pauvres du canton de Maestricht; mais d'ici la, c'est mi depôt sacré que je confie à votre probité bien connue. Si ma race est éteinte, quelques prières pour ceux que j'ai tant aimés suffiront dans votre coeur! A peine avait-il terminé ces mots, qu'il fit monter sa femme dans une voiture de voyage, et depuis.... il est au ciel.....
- Mais tout cela n'a aucun rapport avec les infâmes traitemens exercés sur ma personne! s'écria Léon avec fureur.
- Patience, mon maître! vous êtes bien pressé d'être confondu, nous y arrivons!
- Ce sera difficile!
- Enfin n'importe..... vous allez voir, Monsieur le neveu..... Donc, que prés de dix années se passèrent sans que nous ayons entendu parler ni du général, ni de sa femme. J'avais seulement appris par de vagues renseignemens qu'il avait été tué sous les murs de Paris et que sa femme encore malade avait été emmenée dans sa patrie. Le digne prêtre, en qui le général avait placé toute sa confiance, fut obligé de partir pour une mission lointaine qui lui avait été ordonnée par notre Saint-Père le Pape.
Avant son départ, chez moi, dans cette maison, où vous avez été arrêté, il manda son
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frère le banquier van Buren, de Maestricht, et son jeunefils, appelé un jour à lui succéder; et là, il leur remit la cassette qui deyait revenir à Mademoiselle Maria, en leur faisant jurer sur l'Evangile et le Christ que cette cassette n'était qu'un depôt sacré entre leurs mains, et que sur son reçu, dontil remit une copie dans le coffre, le dépôt devail être restitué. Le banquier fit le serment qu'exigea le saint homme, son fils le répéta, son fils, celui que vous voyez ici! Mais le dirai-je! j'étais dans un cabinet d'uoù je pouvais tout voir et tout entendre, car déjà le regard fauve de ce jeune homme ne m'inspirait pas de confiance! Vous voyez, Monsieur van Buiren, que notre connaissance date de loin.....
Je vis à l'oeil de convoitise que le père et le fils attachaient sur cette cassette, que le dépôt aurait bientôt changé de destination!.....
- Mensonges que tout cela, s'écria le prisonnier, infâmie pourme perdre!.... des preuves..... des preuves.....
- Oh! elles ne nóus manquent pas... attendez..... Par une de ces précautions, que le ciel nous envoie dans sa justice éternelle, le vénérable Apostolo avait laissé en mes mains, le doublé de l'écrit remis par le général concernant la naissance de son enfant. Il partit avec confiance, et depuis lors..... Dieu l'a rappelé à
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lui..... Cespreuves, les voilà... Ouvrez, Mademoiselle, et vous trouverez l'écrit de votre père. Frédéric aida la jeune fille, que son trouble rendait tóute tremblante, et lut à haute voix ce précieux document signé cette fois: un officier supérieur de l'armée française, Genéral Parroni, avec le cachet aux armes de la familie.
- Eh bien, maître fripon! ces preuves sontelles claires et précises?
- Non!
- Ah non! que vous faut-il de plus?
- Que m'importe que Mademoiselle Maria soit ou non la fille du général qui l'a reconnue dans cet écrit. Dans tout cela je ue vois qu'une accusation portée par un seul homme, vendu pour me perdre!
- Ah, tu n'en a pas encore assez! à vous, Madame, dit Robert en regardant la veuve.
- Oh! pour moi, reprit Margueritta, c'est une preuve parlante, voici le reçu du prêtre et signé de sa main..... Elle le donna à sa fille qui le fit passer de main en main.
- Eh bien!
- Eh bien! fit Léon avec le plus grandsangfroid.
- Ce reçu!
- Ce reçu est de mon oncle, je veux bien le
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croire; mais qu'a-t-il fait de ce dépôt, je l'ignore, et ne suis point responsable.....
Tous les yeux se fixèrent alors sur Robert avec la plus grande anxiété. Fallait-il échouer si prés du succes! Léon disait-il vrai! Pouvait-on lui prouver le contraire! Tel était le sentiment qui animait tout le monde.
- Est-il donc entêté ce gaillard là, s'écria Robert! quoi, tu n'avoueras pas!....
- Une fourberie!
- Allons, reprit le vieux soldat, je vois qu'il faut nous résigner... à frapper les grands coups... à vous, Mademoiselle Maria, la pièce no 3, là dans ma lettre..... c'est cela! etil la prit des mains de la jeune fille et lut d'un ton solennel:
‘Nous soussignés, Ignace van Buren banquier à Maestricht, et Léon van Buren fils, reconnaissons avoir reçu de notre frère et oncle Apostolo van Buren une cassette contenant huit cent mille francs, en bons au cc porteur, sur les banques d'Angleterre et de France, que nous jurons sur les Saints Evangiles et l'image du Christ de restituer intacts à la personne qui nous rapportera l'original du reçu de notre frère et oncle dont la copie est enfermée dans cette cassette.
(Signé) Ignace van Buren,
Léon van Buren.’
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- Cette fois, je crois!
- Cette fois, cette fois! dit Léon en faisant un effort subit qui brisa ses liens. Mais il n'avait pas fait altention à l'oeil vigilant d'Adalbert qui le surveillait, et au moment ou il allait s'emparer du reçu passé de mains en mains et parvenu a Conrad, notre jeune homme se jeta sur lui et le terrassa une seconde fois.
- Fais emmener ce misérable, dit Frédéric, sa présence fait horreur!
- Et ma liberté! la parole des Belges est-elle donc si tôt.....
- N'achève pas, ou je t'assomme sur la place..... Nous avons donné notre parole, et tu seras libre! en attendant, sors,... Et après l'avoir plusfortementgarrotté avec de nouveauxliens, Adalbert le reconduisit comme il l'avait amené.
Margueritta raconta alors les persécutions qu'elle avait endurées en Italië, où elle fut enfermée dans une maison de fous à la demande et aux frais d'un homme qui se disait membre de la familie Parroni.
- Laissons toutes ces infâmies! s'écria la baronne. Nous avons retrouvé nos enfans, et la main généreuse qui les a secourus et élevés leur est encore ouverte. Uiie nouvelle ère se présente pour nous, Madame, et elle ten dit la ‘main à Margueritta; remercions ensemble la
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bonné et tendre amie à qui nous devons tant de bonheur!
Et loutes deux, suivies de Maria et de Frédéric, entourèrent la bonne présidente, qui, au milieu d'un torrent de larmes, laissa échapper ces seuls mots:
- Robert, à vous ma reconnaissance éternelle..... Frédéric, mon neveu..... mon fils..... et toi..... Maria..... tous..... dans mes bras..... Je suis toujours..... la mère..... de l'orpheline de Maestricht.
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