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Livre sixième.
Depuis longtemps déjà le soleil était levé; Frédéric était suv pied et avait présidé au cantonnement de la petite colonne qui venaitd'arrivér. Après s'être assuré que tout le monde est présent à l'appel, et que les logemens et les Yivres ont été distribués, notre jeune homme, à qui son courage et son mérite avaient fait conférer le grade de capitaine, revint à l'auberge où ses deux compagnons sont encore endormis. Sa contenance ést triste, l'inquiétude se peint sur tous ses traits; il n'apoint vu Robert et personne ne peut lui en donner des nou- | |
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velles. Rentrant dans la chambre ou se tiennent Adalbert et Conrad:
- Eh bien! paresseux, s'écrie-t-il, n'entendez-vous pas la trompette qui sonne?
- Les Hollandais, fit Adalbert en s'éveillant en sursaut! A moi ma bonne dague de Tolède! et dans son trouble il saisit le flambeau qui se trouvait près de lui.
- Patience, mon brave, ce sontles amis!
- Ah, j'aime mieux cela pour le moment! L'ennemi serait peu courtois de nous surprendre ainsi à jeûn. Au surplus, rien ne m'étonne de leur part!
- C'est juste! dit Conrad en s'habillant à la hâte; mais ils doivent attendre peut-être notre première visite!
- Allons, allons, Messieurs, pas de plaisanteries; nous devons l'exemple de la vigilance!
- Oui certes, et Adalbert ne recule jamais! mais il me semble que nous devons aussi déjeuner!
- Monsieur le grand-sénéchal est alors en défaut, car je crois que rien n'a été ordonné à ce sujet; hâtez-vous, je descends réparer sa faute!
En disant ces derniers mots, Frédéric descendit au salon où il trouva Robert qui entraitpar une autre porte.
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- Enfin te voilà, raon brave! Quoi de nouveau là bas? etil montrait Maestricht.
- Ah, beaucoup de choses!
- Grand Dieu! serait-il arrivé quelque malheur!
- Non, Monsieur Frédéric, non; cependant... cependant Mlle Maria n'est plus en ville...
- Eh bien, parle donc! qu'y a-t-il?
- Je vous dis que la demoiselle a quitté Maestricht!
- Et où est-elle, mon Dieu!!!
- Ici, à Smeermaas, dans la maison que vous savez..... enfin n'importe.....
- Ah! courons.....
- Halte là, capitaine! la maison du vieux Robert est pour vous une forteresse où vous ne pouvez encore pénétrer.
- Et pourquoi, Robert?
- parce que..... parce que..... je n'enlève pas les jeunes filles pour le compte des capitaines de l'armée beige, et que.....
- Mais, mon bon Robert, c'est une cruauté qui..... Quoi, si pres d'elle..... et je ne pourrai la voir..... Maria.....
- La consigne ne tardera pas à être levée, capitaine; mais quant à présent vous devez la respecter! d'ailleurs la demoiselle n'est pas seule, et.....
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- Et..... serait-ce possible! ma tante.....
- Oh! Mme la présidente ne savait rien!
- Qui donc alors? la baronne?.....
- Ah celle là, je crois, commencerait pent-être à le vouloir... mais elle est cependant restée.
- Parle donc, bourreau!
- La folle de Saint-Pierre.
- Ah ça, Bobert, ou tu t'amuses de mon impatience ou tu as perdu la tête!.
- Oh que nenni, capitaine, je réponds à vos questions, je crois, comme vous les faites!
- Mais je te demande qui accompagne Maria?
- La folle de Saint-Pierre!
- Eh bien! qu'est-oe que c'est que la folle de Saint-Pierre?
- Oh! c'est toute une histoire, que je vous conterai plus tard!
- Tu marcheras donc toujours de mystères en mystères!
- Non, car je niarche maintenant de reconnaissances en reconnaissances.....
- Tu connais donc cette femme?
- Est-ce que sans cela je lui aurais confié Mlle Maria!
- Confier Maria à une folle!!!
- Ah! folle... c'est selon les circonstances!...
- Je t'y premis encore!
- Non, je dis ce qui est.
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- Eh bien, ce qui est me paraît incompréhensible!
- Enfin n'importe... Ce qu'ily a de certain, c'est que la demoiselle est en lieu de sûreté, chez moi, en bonne compagnie, et que voilà une lettre qu'elle m'a chargé de vous remettre.
- Que ne la dpnnais-tu plutôt! C'èst par là que tu aurais dû commencer.
- Si j'ai comméncé par la fin, je finis par le commencement..... enfin n'importe.....
Mais Frédéric n'entendit pas ces dernières paroles, il lisait avidement les lignes suivantes:
‘Gher Frédéric,
‘J'ai quitté Maestricht, ma bonne mère et cette maison qui me rappelait tant de souvenirs heureux! c'est assez vous dire que les circonstances étaient impérieuses. Gròces au bon Robert, je suis installée à Smeermaas, dans une jolie petite maisonnette, où il ne me manque que la présence de votre bonne tante, et encore celle d'un autre que je n'ai pas besoin de vous nommer. Mais je suis bien; triste, mon ami; avoir ainsi quitté ma bienfaitrice, que dira-t-elle! Heureusement Mme la baronne de Rostang, qui connaît notre secret, a bien voulu se charger du soin de lui porter chaque jour les consolations qui vont lui devenir si nécessaires, et de lui faire comprendre
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la nécessité de ma fuite. Oh! il fallait que cette nécessiré fut bien grande pour me déterminer! Enfin, je suis partie! Dieu me jugera et m'absoudra, Frédéric, ainsi que vous, je l'espère, car j'ai plus que jamais besoin de l'affection de tous mes amis. J'ai trouvé chez Robert une malheureuse femme encore un peu souffrante d'une maladie au cerveau. Oh! si vous saviez, mon ami, tout ce que cette pauvre femme a souffert ce que je connais de ses malheurs me fait envisager ma fuite sous des couleurs moins regrettables; je me sens déjà portée à l'aimer! Elle est si bonne, si douce! ce doit être quelque grande dame étrangère que les révolutions ont ruinée; mais elle dit que depuis qu'elle m'a vue elle est plus calme! Robert le dit aussi, il faut bien que celasoit! Tant mieux, ami, si la présence de votre Maria, encore bien triste et bien accablée des malheurs qui l'entourent, peut opérer ce prodige! Que sera-ce donc quand le misérable aura cessé de me persécuter! Le bon Robert vous donnera d'autres détails. Adieu, ami! pensez à votre Maria, comme elle pense à vous.
Maria.’
- Dans mes bras, Robert! s'écria Frédéric après avoir terminé la lecture de sa lettre. Et
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ces deux hommes se tinrent étroilement embrassés.
- Merci, mon capitaine, c'est payer au centuple le peu de bien que j'ai fait.....
- Payer, mon ami! oh non, jamais assez! Mais tu vas me donner ces détails dont parle Maria, n'est-ce pas?
- Ah! avec plaisir! et le vieux soldat raconta aà Frédéric tout ce que nous avons vu dans le livre précédent, mais en glissant légerement toutefois sur tout ce qui pouvait avoir rapport à la maternité de la baronne et de Margueritta.
- C'est étrange! fit Frédéric à plusieurs reprises. Oh! je voudrais connaître cette femme, la folle dé Saint-Pierre, comme tu l'appelles!
Il redoublait de questions, lorsqu'ils furent interrompus par l'arrivée de Conrad et d'Adalbert.
- Ah, s'écria ce dernier, voilà notre pour-voyeur de nouvelles! Je né m'étonne plus si notre ami nous a permis de nbus habillér tranquillement. Bonjour, mon vieux! et il tendit la main à Robert.
- Pret à vous servir, mon lieutenant!
- Encore et toujours, n'est-ce pas! Tenez, Conrad, je vous donne Robert comme le diplomate le plus rusé de l'ex-royaume des Pays-Bas.
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- Je le savais, dit celui-ci, et s'il ne refuse pas mon amitié, elle lui est acquise de grand coeur!
- Ah! mes officiers!..... enfin n'importe.....
Un bruit confus interrompit la conversation qui était devenue générale.
- Qu'est-ce cela? fit Frédéric.
Une ordonnance en tra en ce moment et remit un papier au jeune capitaine.
- Vous permettez, Messieurs... Et il s'éloigna dans l'embrâsure de la fenêtre pour prendre connaissance de la missive.
Pendant ce temps, les jeunes gens s'étaient groupés autour de l'ordonnance et l'accablaient de questions.
- Partiè remise mes amis! Une dépêche du général-en-chef m'enjoint de rester ici en observation avec nos hommes jusqu'à nouvel ordre. Défense de rien tenter contre Maestricht, mais invitation de resserrer le blocus autant que nos forces le permettront sans compromettre Ia sûreté de riotre petite troup.
- Ainsi, fit Adalbert, le général a dit..... au repos..... C'est joli..... mais àa ne me va pas; moi qui comptais, demain, avec l'aide des pièces de notre ami Conrad et un soulèvement général, assister à la parade sur le Vrythof!
- Eh bien, lieutenant! j'irai pour vous, car moi aussi, j'ai donné un rendez-vous!
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- Un rendez-vous, toi, Robert! et à qui?
- A M. Léon van Buren, le Maestrichtois hollandais!
- Est-ce que tu voudrais couper Ia langue à ce misérable?
- Mieux que cela! mais c'est mon secret!
- C'est jus te, s'écrièrent à la fois les trois jeunes gens! Respect au secret de maître Robert. Il est dans son droit.
- Une motion, fit Adalbert! Si nous allions déjeuner!
- Notre grand-sénéchal rentre dans l'exercice de ses fonctions, dit Conrad en souriant. Adopté à l'unanimité!
- Tu seras des nôtres, Robert! lui dirent à la fois les trois amis.
- Ah, Messieurs, impossible! la dignité de l'épaulette ne permet pas.....
- Allons donc! tu n'es point enrôlé; donc tu es bourgeois, donc les bourgeois peuvent frayer avec les officiers! lui observa Frédéric.
- Témoin les bourgeois de Maestricht, reprit Adalbert! ceux là.....
- Oh, ceux là... ceux là... enfinn'importe...
On remonta dans la chambre où le déjeuner avait été préparé; tin couvert fut mis pour le vieux soldat, et la gaîté la plus franche présida à ce re Pas, animé parl'appétit, l'espérance d'un
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succès prochain et les bonnes nouvelles qu'avait apportées Robert.
Pendant que nos quatre convives vidaient joyeusement les flacons d'un bon vin de France en buvant à la réussite de leurs projets, Maria se promenait avec Margueritta dans le jardinet de la maisonnette de Smeermaas. Accoutumée aux soins que réclamait journellement l'état de Mme van Lonnaert, qui, sans être positivement malade, était toujours un peu souffrante, la jeune orpheline se retrouvait dans- sa sphère pres de la pauvre Margueritta; l'air noble et bon tout à la fois de l'étrangère avait produit une heureuse impression sur ce coeur aimant, et c'était avec une véritable jöie qu'elle avait offert son bras à cette femme, qu'elle connaissait seulement depuis deux jours, mais vers qui des sentimens affectueux l'attiraient sans cesse. Certes, Maria chérissait la baronne de Rostang, mais ce qu'elle éprouvait pour Margueritta était d'une tout autre nature. C'était un penchant entraànant, irrésistible, qui lui faisait épier avec bonheur les moindres gestes, les moindres regards dë cette pauvre exilée qui avait tant souffert et semblait encore en proie à une agitation fébrile, qui se calmait parfois au contact des donces étreintes de l'orpheline. Lorsque l'enfant, qui voyait lestraits de te beau
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visage s'assombrir brusquement à une pensée funeste traversant ses esprits, cherchait par une douce caresse, un baiser bien tendre, à ramener le calme dans ce coeur attristé, oh! toujours elle réussissait, et c'était pour elle une bienheureuse tâche! Certes, alors, si Mme van Lonnaert eût vu ces deux femmes, l'une jeune et belle, parce de toutes les graces d'une éducation brillante, l'autre vieillie par les chagrins, quoiqu'encore dans la force de l'âge, elle n'eût pp,int été jalouse, car de loin vous eussiez dit deux soeurs dont la plus jeune assure les pas chancelans de son aînée.
Le saule-pleureur ombrageait un banc de gazon construit parlesmains du vieux Robert; toutes deux vinrent s'y asseoir, et après un silence de quelques minutes, Margueritta fut la première à reprendre la parole:
- Ainsi, ma chère enfant, vous n'avez point de mère?
- Oh! pardon, Madame, ma bonne mère est restée à Maestricht; et c'est la seule chose, peut-être, qui manque à mon bonheur depuis que je vous connais.
- Mais vous m'aviez dit..... que vous étiez orpheline!
- Orpheline..... hélas, oui! car la bonne Mme van Lonnaert n'est que ma mère adoptive!
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mais je l'aime, voyez-vous, comme j'aurais aimé ma véritable mère!
- Je respire..... fit tout bas Margueritta, ah, si c'était elle!!!.....
- Encore un soupir..... des regrets..... vous m'aviez cependant promis d'être plus raisonnable.
- Et je tiendrai parolé, enfant, tant que vous resterez prés de moi! Tenez, embrassez-moi! Oh! cela me fait tant de bien!
- Et à moi donc! Il me semble que j'embrasse ma mère. Oh Dieu! que n'est-elle la! elle, ma bonne mère, pour.....
- Ah, donnez-moi ce nom! il sera si doux à entendre pour la pauvre étrangère! Je vous en conjure, enfant! dites, clites-inoi que je suis votre mère! et ses baisers redoublaient.....
- Qu'est-ce cela? dit une voix bien connue. Encore des pleurs! et aussitôt une main écartant les branches du saule-pleureur fit Voir a ces deux femmes le bon Robert qui avait quitté ses jeunes amis pour veiller aux deux prisonnières.
- Oh! celles là ne sont pas dangereuses, lui dit Margueritta en lui tendant la main; ce sont des larmes de bonheur!
- De joie ou de douleur, Mesdames.....enfin n'importe..... on ne pleure pas chez moi..... c'est la consigne, et, comme disait l'ancien que
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voilà, et il montra la statue en faisant le salut militaire, respect à la consigne, c'est le devoir du brave!
- Mon bon Robert, lui dit Maria, vous ne pouvez nous en vouloir; nous suivons vos instructions! Aimez-vous, nous avez-vous répété - en partant, vous êtes dignes l'une de l'autre..... et nous nous aimons déjà, voyezvous..... moi du moins.....
- Silence, Mesdames..... on vient de ce cöté! et a peine ces trois têtes s'étaient tournees vers la maisonnette, qu'une femme, que Robert et Maria reconnurent bientôt pour la baronne de Rostang, s'élança vers le bosquet, et se jetant dans les bras de Maria:,
- Petite, petite, oh! quel bonheur de vous presser ainsi!
- Et ma bonne mèrej Madame?.....
- Elle est bien! bien mieux peut-êtrè que nous ne devions l'espérer après le coup affreux qui l'a frappée! Et vous..... vous..... mon enfant..... Mais embrassez-mpi donc..... Comme vous voilà accoutrée..... mais je vous ai apporté des vêtemens plus convenables, plus dignes de vous..... les haillons des filles du peuple! ah, fi... Raasurez-vous... vous êtes toujours jolie... Mais vous serez mieux encore..... Puis apercevant Margueritta, à qui les caresses prodiguées
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par la baronne à Maria inspiraient im sentiment de jalousie qu'elle ne pouvait maîtriser:
- Quelle est cette femme?
- Cette femme! dit Robert avec un mouvement de dépit aussitôt réprimé..... Madame est la veuve du général Parroni, ancien commandant dans le Limbourg..... du temps de l'autre, bien entendu!
- Pardon, Madame! fit aussitôt la baronne en femme quisait vivre; jene m'attendais pas...
- Ah oui! dit Robert, voulant faire sentir à cette femme hautaine l'inconvenance de sa première demande; ces vêtemens..... n'est-ce pas..... ça..... c'est du peuple..... où diable y dénicher la veuve d'un général..... C'est cependant comme ça..... enfin n'importe......
Margueritta ne répondait pas, un nuage avait obscurci sa vue, un sentiment involontaire l'éloignait de la baronne, et pourquoi? L'amitié qu'elle affectait pour Maria lui déplaisait; les baisers qu'elle avait si tendrement donnés à la jeune fille lui pesaient au coeur!
- Pardon, ehcore une fois, Madame, reprit Mme de Rostang, qui voulait à tout prix rentrer dans les bonnes grâces de Robert; mais la joie... le bonheur... de revoir cette enfant... et puis... la vue fatiguée..... par l'ardeur du soleil..... les chagrins peut-être bien aussi, tout cela peut et
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doit servir d'excuse à une impolitesse que je me reprocherai toujours, et que je yous prie instamment de vouloir bien me pardonner.
- Oh, ma bonne amie n'a pas de rancune! dit Maria en prenant la main de Margueritta sur laquelle elle posa ses lèvres avec amour; elle m'aime trop pour cela.....
Cette fois, ce fut au tour de la baronne de se sentir blessée au coeur. Elle fit quelques pas en arrière, et Robert, contemplant ces deux femmes prêtes à se disputer l'amour de l'orpheline, jouissait intérieurement des combats secrets qui luttaient dans les âmes de ces deux mores, et qu'un mot pouvait réveler au dehors. Mais le temps n'était pas encore venu de déchirer le voile qui couvrait la naissanca de Maria. Il y avait un crime à punir, chacun le savait; il y avait des droits à faire reslituer à l'un des orphelins de la présidente, et ce devoir devait être accompli avant toutes choses. Le vieux soldat se haâta donc d'interrompre une scène qui menaçait d'éclater, désagréablement peut-être pour celle vers qui penchait son coeur, et le commencement de ce récit nous a prouvé que ce n'était point pour Mrae de Rostang.
- Allons; Madame la baronne, vous avez fait une imprudence en venant ici; il ne faut pas la prolonger plus longtemps!
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- Cependant; Robert, moi aussi j'avais a vous parler, et vous me chassez!
- Oui et non..... enfin n'importe..... vous me comprenez..... la sûreté de Mademoiselle en dépend!
- Oh! partez, partez vite, Madame, s'il en est ainsi! s'écria Margueritta qui ouvrait la bouche pour la première fois.
- Certes, Madame; dit la baronne un peu piquée, le hasard a voulu que vos paroles, quoique bien rares, ou peut-être parce qn'elles sont rares, fussent d'accord avec mes sentimens. Je m'empresse de m'exécuter; recevez mes salutations empressées! Vous ne vénez pas me reconduire, petite!.....
- Non, Madame, impossible, interrompit Robert! Mademoiselle ne doit point être vue de vos gens, et malgré notre désir de ne pas être impolis, vous devez partir seule!
- Vous ne venez done plus à Maeitricht, mon bon Robert?
- Demain, Madame, vous m'y verrez!
Il n'y avait pas moyen de résister à la volonté du vieux serviteur, en ce moment le maitre de tant de destinées; la baronne dut céder, et après avoir vivement enlacé Maria, qui l'embrassait et pour elle et encore plus póur sa bienfaitrice à qui elle devait reporter ses
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baisers, élle partit en faisant à l'étrangère une froide révérence et un signe d'intelligence a Robert.
- A demain, mon ami, lui dit-elle!
- A demain, Madame la Baronne! fit le vieux soldat.
Elle jeta un dernier regard sur Maria, et disparut bientôt.
- Cette femme, dit Margueritta a la jeune fille, je ne l'aime pas!
- Oh! vous avez tort, ma bonne amie! Elle aussi a été bien malheureuse, et c'est peut être la cause de ce.....
- Non, reprit Robert, cette femme à toujours été et sera toujours trop fiere pour s'attirer les sentimens d'affection que ses malheurs pourraient inspirer..... Enfin..... n'importe..... mon..... colonel..... a pardonné.....
- Encore vos énigmes, mon bon Robert!
- Patience, patience, le temps approche où tout s'éclaircira..... Puisse..... là haut..... celui..... qui..... enfin n'importe..... la volonté du ciel... Et il ren tra dans la maison tandis que les deux femmes continuaient à s'entretenir.
Comme l'avait dit Robert, le temps n'était pas éloigné où tout allait se découvrir; il monta dans sa chambre, passa une partie da l'aprèsdinée à ranger des papiers et à écrire. A la
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demande que lui fit Maria sur ce qui avait pu l'occuper si longtemps et les priver de sa compagnie pendant tant d'heures:
- J'ai écrit mes mémoires, Mademoiselle, et s'il m'arrivait quelque chose avant que ma tâche ait été entièrement accomplie, là, sous le chambranle de la cheminée, vous trouverez des papiers qui intéressent bien du monde. Je vous autorise à vous en emparer, mais il faut pour cela que vous ayez été dix jours sans entendre parler de moi. Dix jours, entendezvous, ni plus, ni moins!
- Ah! le ciel est trop juste pour ne pas vous seconder de tout son pouyoir! Il ne permettra pas.....
- Le ciel..... le ciel..... enfin n'importe..... Il est temps d'aller prendre du repos. Je pars demain à la pointe du jour; je verrai M. van Buren et..... qui sait.....
- Van Buren! s'écria Margueritta en portant
la main à la poitrine..... ce nom.....
- Bast, Senora! ne vous exaltez pas ainsi, il y a tant de noms qui se ressemblent.
- En effet..... mais c'est cependant extraordinaire..... le prêtre.....
- Eh bien, nous verrons..... Bonsoir, Mesdames!
- Bonsoir, Robert! Bonsoir, notre ange gar- | |
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dien! lui crièrent à la fois ces deux pauvrea femmes.
Tout rentra dans le silence. La nuit nuit tranquille et paisible, en apparence du moins; cependant le sommeil ne ferma pas également toutes les paupières, et à travers les jalousies qui gardaient les fenêtres de Maria, il eût été facilé de voir que la jeune fille veillait et écrivait une lettre interrompue à chaque ligne par des larmes abondantes qui s'échappaient de ses yeux. Dans le jardin apparurent deux ombres qui en firent plusieurs fois le tour; l'une d'elles, prenant une forme humaine et s'exhaussant sur la haie, plongea dans la chambre d'ou partait la lumière; on entendit ces seuls mots: C'est elle!..... et tout redevint morne et silencieux comme la nuit.
Ainsi que l'avait annoncé Robert, dès l'aurore il se préparait a partir; mais il avait trouvé sur la table un papier plié portant cette suscription: Pour Madame van Lonnaert! Pauvra enfant, fit-il, elle ne l'oublie pas, elle! Faisons notre devoir. Et après s'être assuré que tout était tranquille dans la maison, il sorlit a pas de loup dans la crainte d'éveiller ses prison- nières, comme ‘il avait coutumé d'appeler les deux femmes que son toit abrilait.
Arrivé à Maestricht, son premier soin fut de
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s'acquitter de la commission de Maria; mais pour se soustraire aux mille questions que la présidente ne manquerait pas de lui faire, il remitla lettre à un domestique dont il connaissait l'attachement à ses maîtres, en lui jetant ces seules paroles: La demoisèlle ya bien, vous la reverrez bientôt!
Chez la baronne,, où il devait également se rendre, sa tache fut plus difficile; il fallut entendre les questions de cette femme,impérieuse jadis, et mainlenant si spumise, et y répondre selon le plan que s'était tracé nptre homme. Prières, menaces, supplications, tout fut inutile; il ne sortit pas de son rôle! Maria h'était plus là pour lui faire oublier son serment!
Et puis..... l'intérêt de ses héros..... Il ne voulait rien donner au hasard, et une inconséquence de cette femme si légere pouvait tout compromettre! La suite ne prouvera que trop qu'il ne s'était pas trompé.
Dégagé de toutes les entraves qui l'avaient empêché de se livrer à la démarche importante qu'il devait tenter, et qui était le seul but réel de son voyage, il se présenta enfin chez M. van Buren.
Léon l'attendait cette fois. Il fut introduit en secret dans le cabinet particulier du fils de raiicien banquier; et là, s'engagea entre ces
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deux hommes, dont l'un allait remplir les fonctions d'accusateur et l'autre accepter le rôle d'accusé, la conversation suivante, qui devait plus tard activer la conclusion de notre histoire:
- Eh bien, Monsieur le mystérieux personnage, nous sommes seuls, aujourd'hui! Personne ne peut nous entendre! Que voulez-vous de moi? Où voulez-vous en venir?
- Permettez..... permettez..... Monsieur le neveu de votre oncle, je ne vous ai pas donne le droit de m'interroger. Les rôles ne peuvent être changés a ce point..... enfin n'importe.....
- Il importe beaucoup, et ce langage énigmatique commence à me fatiguer!
- Ma foi, tant pis pour vous!
- Je devrais punir cette insolence! mais comme je suis le plus fort, je veux être le plus généreux..... Voyons.... au fait!.....
- Faut-il vous parler net?
- Il me semble que c'est pour cela que j'ai consent! à vous recevoir!
- Et c'est aussi pour cela que j'ai consenti à entrer dans votre laboratoire d'infamies!
- Insolent!
- Tout beau, mon maître! Vous ignorez la distance qui existe en tre le crime et l'innocence, entre le vol et la probité, entre l'accusé et son accusateur!
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- Vains mots que tout cela! Que veux-tu de moi? Quel prix mets-tu à ton silence? car pour me débarrasser de tes sermons, qui me fatiguent, sans m'effrayer, entends-tu bien! sans m'effrayer, je ponrvais me dé cider à faire un sacrifice d'argent! Ton prix?.....
- Oh! presque rien..... la restitution.....
- De quoi?
- Du million que vous avez volé à la fille du général Parroni, Monsieur le neveu de votre oncle!.....
Un mouvement presqu'imperceptible rida le front de l'audacieux Léon, mais il se remit aussitôt.
- Ah, ah! fit-il en s'efforçant de sourire, rien que cela!
- Rien que cela!
- C'est en effet peu de chose!
- C'est ce que je me suis dit en entrant ici, continua Robert en imitant le ton goguenard de son interlocuteur.
- Et moi je me suis dit, et je me dis encore que tu es un maître sot de te vendre..... pour si peu.....
- Vraiment!
- Positivement!
- Ainsi vous acceptez!.....
- Non, je refuse! cen'est pas assez!.....
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- Ah bast! mais voyez donc, c'est étonnant, moi qui croyais..... enfin n'importe.....
- Et cette fille du général Parroni, dont tu te fais le défenseur officieux, où est-elle?
- On vous le dira!
- Oui, une misérable femme que tu auras été déterrer dans quelque mauvaise maison pour la transformer en riche héritière..... à d'autres..... Pauvre imbécile..... je te croyais plus adroit! n'as-tu que cela à me dire?
- Oh! peut-être!..... vous voulez jouer serré avec moi, eh bien! voici mon enjeu. Vous allez immédiatement reconnaître Maria.....
- Maria, ma fiancée!.....
- Oui! mais non pas encore votre femme, s'il plait à Dieu!
- C'est ce que nous verrons, mais continue!
- Vous allez immédiatement reconnaître la fille adoptive de Mme van Lonnaert, Mademoiselle Maria..... enfin n'importe..... pour l'héritière seule et légitime du général! Vous allez lui restituer le million que votre oncle, le vénérable Joseph Aposlolo van Buren, a remis en dépôt à votre père, pour le rendre a l'orpheline, si elle se présentait un jour, ou le distribuer aux églises de Maestricht dans le cas où trente années se passeraient sans nou- | |
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velles de la familie Parroni! Suis-je bièn instruit, hein!!!
- Oui etnon! voici mon enjeu à raon tour: Mlle Maria n'est point la fille de ce général dont tu parles; le million, si million il y a, provient des libéralités de ma familie, et je le mets au jeu si tu peux me prouver que je ne suis pas dans le vrai.
- Face à face, mon maître, on peut tout se dire! Vous avez volé le million; on vous le prouvera et vous rendrez gorge!
- Quels sont les titres de ton héroïne?
- Oh! n'est pas sisot, qui se livre a vous, en apparence piéds et poings liés!
- Ces papiers, te dis-je, de Mlle Maria cette fille du général......
- Ils sont là!..... Et Robert lui montra un secrétaire dans le coin du cabinet.
- Comment! chez moi!
- Oui, par un vol!
- Je suis donc, selon toi, un bien adroit voleur!
- Non, pas adroit, mais infâme!
- Tais-toi, misérable! tu oublies que tu es en mon pouvoir.
- Allons dónc, j'aime mieux cela! Soyez vous même un moment, c'est plus naturel! Vous avez trouvé ces papiers chez vous! Le
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fils du général de Castaens les a laissé tomber, le premier jour de la révolution belge, vous savez.... quand votre trahison a été découverte par..... enfin n'importe.....
- As tu donc bientôt terminé! Tu manques de preuves, et tu viens ici, pour me soutirer quelqu'argent, accuser une familie entière et dix ans de probité, Dieu merci, bien établie dans la ville.
- Et moi, je vous dis, et je prouverai, que cespapiers, qui atlestent les droits de Mlle Maria, sont entre vos mains, et n'y sont arrivés que par un crime!
- Eh! te dis-je, tu n'as pas de preuves, et on ne peut te croire sur de vagues accusations..... Tiens..... va-t-en..... tu me fais pitié!
- Ah! vous croyez m'avoir vaincu! Eh bien oui, soit..... de ce côté. Je n'ai pas de preuves; oui, vous êtes un digne et honnête homme, mais jusque là seulement.....
- Que veux-tu dire?
- La veuve du'général.....
- Elle est morte et depuis longtemps!
- Non pas, non pas..... la folle de Saint-Pierre..... cette malheureuse victime, depuis plus de quiuze ans, de la cupidité de votre familie!..... cette pauvre femme, que vous avez sn pendant si longtemps tenir enfermée..... elle est arrivée
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pour tous confondre..... avec le reçu et les lettres de votre oncle Apostolo, ce vénérable.....
- Ecoute, pauvre niais,nous sommes seuls. et je puis te parler à coeur ouvert; car je nierai toujours devant témoins des paroles imprudentes qui sont cépendant nécessaires pour te confondre et te faire connaître toute la sottise de la fausse démarche dans laquelle tu t'es embarqué si maladroitement. Crois-tu donc, si toutes tes suppositions étaient vraies, et je veuxbien les admettre nn moment, quelqu'offensantes qu'elles soient pour ma réputation, crois-tu donc que le neveu de mon oncle soit assez sot pour laisser échapper, à la seule crainte d'une apparition subite, une fortune de cetteimportance, dont la perte me précipiterait au milieu de tes pareils? crois-tu donc que tes accusations dénuées de pièces a l'appui puissent perdre un homme tel que moi, entouré de la considération générale, et accusé par un intrigant de bas étage? crois-tu enfin, maladroit avocat, que si j'avais réellement ce trésor que tu convoites, les intelligences que j'eusse entretenues autour de ceux qui voudraient ou pourraient me l'arracher, ne m'eussent pas mis dans les mains les moyens nécessaires pour m'en débarrasser?
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- Oui, mais le vieux Robert était là..... il veillait lui!
- Pas assez encore!... Tiens.... regarde.... il est maintenant deux heures. Eh bien! à cette heure ta veuve, ou plutôt celle que tu veux faire passer pour telle, avec ses faux papiers, est sur la route de Rotterdam, ou un baâtiment est pret a la recevoir pour la conduire..... aux grandes Indes
- C'est impossible..... vous n'avez pas fait cela! s'écria Robert, anéanti par cette subite déclaration.
- Je l'ai fait parce qu'il fallait me débarrasserdesimportunités depareillesgens... tu te tais maintenant, tu as accepté un jeu serré..... eh bien, as-tu perdu la partie?
- Non pas, vous avez la première manche, à moi la seconde et la belle! Et sans attendre une réponse, Robert franchit la distance qui le séparait de Léon, et en un instant il fut dans la rue.
- Va, va, toi qui voulus te mesurer avec moi, tu n'étais pas de force; ayantpeu j'aurai aussi justice de tes accusations ridicules. Fortune, tu m'as souri! Le vaisseau qui doit enlever la veuve, portera aussi son complice, et.....
unefois enpleine mer..... la maladie........ un accident........ que sais-je........ le hasard est sigrand!
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Elil disait vrai, à sou point de vue, le misérable; car Robert, à qui la fureur avait rendu les forcès de sa jeunesse, Robert se présentait a la porte de Bois-le-Duc pour gagner la campagne, lorsqu'il fut arrêté par les soldats de service a la garde de la porte, sur les indications d'un homme, qu'il n'avait pas d'abord apergu, mais qu'il reconnut bientôt pour l'émissaire que Léon, quelques jours avant, avait lancé contre lui sur la place d'Armes.
Oh ne passé pas! lui crièrent les factionnaires, eu barrant le passage avec leurs fusils; et aussitôt il fut enlomé et jelé violemment dans le corps de garde.
- C'est un espion beige! répéta à plusieurs reprises cet homilie qui l'avait suivi, et ne le quillail plus; et alors les soldats se ruèrent sur lui, et sans l'intervention des chefs, à qui il faut rendre cette justice, il eût été infailliblement assassiné par ces forcenés.
Le commandant du poste, satisfait d'une arrestation qui faisait honneur à la vigilance de ses subordonnés, et allait peut-êtré un peu faire diversion aus propos qui commemçaient à courir en ville sur son compte, en raison du cumul de ses fonctions de jour et de nuit, le commandant fit conduire le prisonnier. à la grand'garde sous bonne escorte pour le prései- | |
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ver des insultes d'une multitude oisive, qui dans ces temps aflreux de révolution prend tour à tour parti, pour ou contre, selon les impressions..... de la journée. Il avait été longuement fouillé, raais rien n'avait été trouvé sur lui, et personne ne put lui arracher mie parole. Heureux, mille fois heureux! se disait-il en lui-même, personne nesera compromis.... pas de lettre.... Rien n'est perdu'.
En traversant la place du Marché il rencontra la baronne; cette dernière ne put réprimer un mouvement d'effroi en l'apercevant au milieu des soldata; mais lui, conservant son impassibilité, au milieu des tortures qui devaient agiter son coeur, parut ne pas la reconnaiître. Portant vivement le doigt à la bouche en regardant le ciel, il continua sa route, poursuivi par les cris et les huées de toute une populace qui ne cessait de vociférer autour de lui: Mort à l'espion beige! mort au traître!
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