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[Deel 2]
Livre cinquième.
- Jecrois que nous voici enfin arrivés! et, ma foi, je n'en suis pas fàché, car je commence à sentir, mon cher, que nous n'avons rien pris depuis Tongres.
- Eh bien, tu n'en souperas que mieux! Notre ami Conrad est comme toi, Adalbert; si nous n'étions pas au terme de notre voyage, je crois qu'il pourrait bien se faire ramasser avec les traînards.
- Vous en parlez tout a votre aise, mon cher Frédéric! Mais il y a bientôt six heures que nous marohons, et à peu près à travers champs; quand on n'est pas bien rompu à ce
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métier là, il esl certes permis de désirer quelque repos!
- Vous n'y êtes pas, très cher! Frédéric est tant soit peu égoïste; il se repait d'une nourriture spirituelle, qu'il n'a seulement pas la générosité de nous offrir! On dit souvent, qui dort dîne, mais je pense qu'il serail mieux de dire, qui aime dine.
- Et de là tu conclus, Adalbert, que je puis me passer de ce que tu envies tant en ce moment? Eh bien, tu es dans Terreur! Nous voici à Lanaeken, et tu verras que je saurai vous tenir tête.
- Ah, voilà! Tu veux partager avec nous cette fois! Egoïste, va! Mais je te pardonne en faveur de la circonstance.
- Merci, mon ami, de ta générosité; mais tu oublies sans doute que vous m'avez tous deux confié le soin de la bourse commune; par conséquent je dispose des moyens.
- Tu disposes..... tu disposes..... c'est fort bien, mais je crois que sans l'ami Conrad et moi, qui avons soin de temps en temps de te ramener dans les régions de la vie positive, de cette vie animale que tu dédaignes, les fonctions seraient une sinécure, dont nous aurions trop à nous plaindre.
- Trève, Messieurs, dit Conrad! J'apen8çois
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le clocher du village, et comme notre cocarde va nous faire recevoir en amis, nous n'aurons que l'embarras du choix.
- Sans doute, dit Frédéric! et malgré les suppositions d'Adalbert, je n'ai pas oublié que nous devons aussi assurer le logement de notre petite colonne, qui ne peut manquer d'arriver celte nuit, ou au moins demain de grand matin; tu vois, mon cher, que je suis dans le positif.
- Je te conseille de t'en vanter! tes yeux, ton coeur et ta pensée sont tournes vers Maestricht, et tu songes à notre colonne parce que nous avons laissé avec elle notre maréchal des logis, quartier-maître, confident, tout ce que tu voudras enfin!
- Certés, Messieurs, ce Robert est vfaiment un bien digne serviteur, et le zèle qu'il a déployé pour vous servir, me le fait chaque jour apprécier davantage; mais vous finirez au moins par me dire les raisons qui ont pu guider cet homme extraordinaire, et lui faire compromettre, à toute minute, sa sûreté personnelle pour vous être agréable. Car, entre nous soit dit, la politique n'y est pour rien, je crois!
- D'abord le souper, s'eoria Adalbert, pas d'histoire avant.....
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- Ce sera donc pendant....
- Non, après..... pour le dessert! car voyez-vous, ventre affamé n'a pas d'oreilles; en ce moment nous ne devons avoir qu'un seul et unique but, et il se mit à frédonner:
Qu'on est heureux de trouver en voyage,
Un bon souper, et surtout un bon lit!
- Ne commence pas par la fin, dit Frédéric, tu ne sais si nous trouverons ce que tu désires.
- Bast! à la guerre comme à la guerre, reprit Conrad!!!
- Non pas, non pas; ne donnons lien au hasard! Tenez, Monsieur l'artilleur, continua Adalbert, pointez cette maison là, au coin de la place, avec cette enseigne qui se balance mollement dans les airs; qu'en pensez-vous, si nous y tombions comme une bombe?
- Ce sera le moyen de ne rien avoir de convenable.
- Vous vous trompez, reprit Frédéric, car, voyez, la bombe était attendue! on vierit au devant de nous avec les honneurs militaires! Adalbert, nous te faisons grand sénéchal!
- Accepté!
- Et nos trois amis furent bientôt introduits dans la plus belle salie de la maison, que l'on
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avait décorée du tiom d'hôtel, mais qui pouvait passer pour une bonne auberge de village.
Comme l'avait prévu Conrad, la vue de la cocarde belge avait prnduit son effet accoutumé; en quelque minutes, la maison et les alentours étaient encombrés de curieux, le bourgmestre lui-même avait quitté sa grange, pour venir savoir des nouvelles; mais ce n'était pasle compte d'Adalbert, qui,voyant cet essaim de visiteurs prêts à le harceler de questions pour fuir ensuite peut-être au moment de l'action, se presenta hardiment au milieu des groupes:
- Tous les hommes qui ne sont pas nécessaires aux travaux des champs doivent s'enrôler parmi nous, s'écra-t-il! un détachement arrivé cette nuit, et demain, à la pointe du jour, nous faisons une levée en masse de tous les braves du canton.
Un vivat général suivit ces paroles, mais en un instant la place et la maison furent désertes.
Conrad, qui avait suivi le mouvement d'Adalbert, lui demanda en riant, ce qu'étaient devenus ses braves.
- Ils sont allés faire leurs adieux! Allons souper! et il s'élança dans la cuisine en chantant:
Puisqu'en ces lieux c'est à moi d'ordonner,
J'ordonne donc qu'on serve le.....souper!
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Le souper, en effet, fut bientôt servi; mais comme Adalbert y avait veillé, et que nos jeunes gens se présentaient en amis, l'höte avait épuisé toutes ses ressources culinaires, pour se rendre digne des trois voyageurs. L'appétit, dit-on, est le meilleur cuisinier du monde; aussi tout fut trouvé exquis, excellent, et le chef regut la promesse d'être cité dans les annales gastronomiques de Bruxelles et de Paris; et déjà ce brave homilie voyait sa fortun e assurée, parce qu: Adalbert lui avait demandé s'il lui conviendrait d'être recommandé aux autorités belges pour la bonté de ses ragoûts et l'aménité de son visage. Mais une seule chose l'embarrassait, c'est que, trés sérieusement, Adalbert lui fit défense a l'avenir de servir des Hollandais a quelque titre que ce soit, et le pauvre hôtelier avait juré à Adalbert de se faire plutôt é charpev que de manquer à son serment; mais il se proposait tacitement de faire la même promesse aux possesseurs actuels de Maestricht, si le vent leur était favorable. L'appétit apaisé, Conrad, qui n'avait point ou blié la promesse que lui avait faite Frédéric, la remit immédiatement sur le tapis, et ce dernier n'ajant plus d'excuse, se vit forcé de commencer en ces termes, après toutefois avoir eu soin de faire apporter des cigarres:
- Vous connaissez, mon cher Conrad, la
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manière dont nous avons pu échapper à la trahison d'un des nôtres. Sauvés miraculeusement des griffes de Messieurs les Hollandais, nous arrivâmes dans le milieu de la nuit à Smeermaas, petit hameau situé à quelques minutes de ce village. Grande était notre inquiétude, car à pareille heure, alors que des courriers se croisaient à chaque instant sur les routes, escortes par la maréchaussee, il était dangereux pour nouS d'être reconnus. A qui nous confier! comprenez notre embarras! et cependant il était important que nous pussions gagner Tongres a travers la campagne, et'sans guide, nous courionsrisque de tomber entreles mains des Hollandais! Dieu sait alors ce qui nous attendait! Le hasard, ou plutôt la main du Tout-Puissant, nous conduisit vers une maisonnette isolée, assez proprette à l'extérieur, entourée d'un petit jardinet clos par une liaie vive oii les fleurs les plus ordinaires, coquettement et symétriquement disposées, annonçaient les soins journaliers d'une main laborieuse. Un saule pleureur, le seul grand arbre de cette miniature, laissait retomber ses branches à l'extrémité et ombrageait une façon de buvette aussi exigue que toutes les proportions du pare qui se déroulait devant nous. La netteté et la propreté de cet Eden limbourgeois annonçaient un proprié- | |
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tairë sinon aisé, du moins au-dessus du besoin.
Nous avions déjà fait deux fois le tour de cette habitation solitaire, désirant et n'osant réveiller ceux qu'elle abritait si généreusement, tandis que noua campions à la belle étoile; lorsque derrière le saule pleureur, contre la haie qui entourait le jardinet, à la faveur de la lune qui donna quelques éclaircies, nous aperçûmes une petite slatue en plâtre de l'empereur Napoléon, comme les Italië ris en colportent si souvent dans ces contrées.
- Oui, dit Gonrad, une main dans le gilet, l'autre tenant la lorgnette de rigueur, au clair de la lune.....
- Enfin, dit Frédéric, l'exilé de Ste-Hélène, ou plutôt sa statue, nous a sauvés!
- Sic transit gloria mundi! fit Adalbert en regardant une bouffée de fumée qu'il renvoyait vers la fenêtre entr' ouverte.
- Bien, reprit Frédéric, te voila comme notre révérend doyen de Saint-Servais!
- Oui, mais avec cette différénce que les partis se heurtent et se déchirent, sans apporler auçun changement à sa béalitude monacale, tandis que nous, aujpurd'hui bien, demain mal, nous vivons au jour le jour, et pas bien sûrs de vivre encore; enfin c'est égal, continue, car l'heure s'avancë!
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- Je serai bref! Je disais donc que nous dumes notre salut à cette image populaire, dont la gloire, quoi qu'en dise Adalbert, à survécu et survivra à tous les âges! et voici comment:
La vue de cette stalue, l'espèce de respect dont elle était entourée, et qui se révélait par les fleurs les plus précieuses de la collection ramassées autour d'elle, cette vue me fit faire une réflexion que je communiquai à ce maître fou, et qu'il approuva. Le propriétaire de cette maison est aisé, c'est ce que prouvent la coquetterie et la simplicité de son habitation. Le culte ostensible qu'il rend à la mémoire de l'empereur Napoléon ne se retrouve que chez les anciens serviteurs de l'Empire, donc, c'est un vieux de la vieille, comme s'écria Adalbert! Si c'est un ancien soldat, il a dû connaître au moins le nom de mon père! Je suis un enfant de la garde impériale, risquons le réveil! Si nous nous sommes trompés, il nous sera toujours facile de le contraindre au silence.
Ce projet fut aussitôt cxécuté que conçu; nos cris produisirent l'effet attendu, et avec un juron assez énergique, qui nous confirma dans notre opinion à son égard, un homme mit le nez à la fenêtre, et nous fit la demande obligée: Qui va la? Le colloque ne pouvait être long; deux voyageurs égarés, demandaient à être
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remis sur leur route. La confiance, ou plutöt, comme il nous l'a dit depuis, le besoin d'obliger peut-être des ennemis de la Hollande, un jour de révolution, tout lui fit mie loi de ne pas nous refuser, et en quelques minutes, il fut devailt nous, et nous introduisit dans son petit temple. Généralement la confiance amène la confiance; nous ne lui cachâmes pas les motifs qui nous jetaient si brusquenaent chez lui à pareille heure, et j'eus a peine prononcé le nom de mon père, que cet homilie, ou plutôt Robert, car c'était lui, tomba à genoux en s'écriant: Merci, mon Dieu, tu n'as pas permis qu'il déshonorât le nom d'un brave en servant ses persécuteurs! Et de ce moment, vous le dirai-je, j'éprouvai, je sentis pour cet hoinnie un attachement extraordinaire; je ne pus à la vérité lui arracher aucune parole qui me donnât une explication bien précise de son invocation, mais ses manières avec moi, ses soins, ses sacrifices, tout me dit que cet homme possède un secret qui me regarde, et si je n'étais le fils du général de Castaens, je ne rougirais pas, mes amis, d'être le fils de mon vieux Robert. Son attachement ne s'est jamais démenti; vous connaissez, Conrad, toutesses peines et ses fatigues pour me procurer quelques consolations; ce qu'il fait maintenant, il le fit dès le premier
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jour: Jeunes geus, nous dit-il, vous ne pouvez rester ici, le grand jour vous compromettrait; et aussitôt montant au premier’ étage pour annoncer son départ à une bonne vieille qui habitait avec lui, et aussi pour prendre des vêtemens convenables à la circonstance: Je serai votre guide. Après nous avoir fait prendre quelques gouttes de liqueur pour chrasser les vapeurs de la nuit, il nous conduisit par des chemins détournés jusques à Tongres, et ne consentit à nous quitter que pour porter une lettre à ma tante; Dieu sait les périls qu'il a affrontés! maia rien n'a pu l'arrêter. Il me serait impossible de vous donner d'autres détails sur ce généreux ami, car, quelles que soient mes prières, rien n'a pu le décider à parler, parce que, prétend-il, il n'a rien à dire, et cependant diverses circonstances m'ont prouvé qu'il me cachait un secret.
- Ma foi! dit Conrad, ce que vous m'avez appris de votre naissance, mon cher Frédéric, me fait penser comme vous, que ce digne homme est plus instruit qu'il ne veut en convenir mais sa conduite si noble, si désintéressée doit, selon moi, faire respecter son secret.
- Bién, fit Adalbert! respect au courage malheureux, allons nous coucher!
- De grand coeur! Messieurs, le sénéchal à
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dit: allons nous coucher! obéissons en attendant les événemens!
- Sois plu's franc, Frédéric, et dis en attendant Robert!
- Eh bien! pourquoi le cacherai-je? oui, je l'attends; depuis trois jours qu'il est parti pour Maestricht, je suis impatient de le revoir!
- Tu sais bien, Frédéric, qu'il ignore notre départ; il est donc à présumer que ce retard provient de l'obligation où il se sera trouvé de revenir au camp, et ensuite d'accompagner la colonne qui doit le ramener vers nous, et dont la destination était un mystère pour tout le monde. Ainsi, point d'inquiétude, et bonsoir messires!
La conversation était épuisée, les cigarres consumés, la faligue se fit sentir à nos trois jeunes gens; ils allèrent donc chercher dans un sommeil réparateur les nouvelles forces dont les événemens du lendemain devaient leur faire sentir le besoin, mais seulement après avoir eu la précaution de faire prévenir le bourgmestre de l'arrivée de la colonne.
Nous les laisserons donc un moment plongés dans les douceurs du repos, pour revenir à Maestricht, où la pauvre Maria, exposée aux assiduités de Léon, attendait avec anxiété le retour de Robert. Mais déjà son plan était conçu
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et arrêté: fuir était sa seule ressource, et elle y était décidée, plutôt que de consentir à une union qui lui faisait horreur.
Les visites de la baronne avaient été renouvelées, sans qu'elle eût pu trouvér l'occasion de lui parler seule, et cependant son coeur avait besoin de s'épancher; les pressentimens qui assiégeaient son âme, lui disaient assez que sa résistance aux sollicitations de sa bienfaitrice, trouverait un appui chez cette femme, qui, comme elle, avait été malheureuse, et que le remords paraissait briser à tout instant, sous les apparences d'une frivolité qu'elle n'avait peut-être point au coeur.
Enfin Dieu sembla lui venir en aide, et la voiture de la baronne s'arrêtait devant la porte de la présidente lorsque Maria se présenta à Mme de Rostang.
- Ma mère repose, Madame, lui dit-elle, et malgré le plaisir qu'elle aurait a vous recevoir, je serai forcée de la priver de ce bonheur; sans être positivement malade, elle n'est pas bien, et si vous voulez accepter ma triste compagnie, je ferai de raon mieux pour vous faire prendre le change.
- A merveille, petite, aussi bien nous avons à causer, et peubêtre sérieusement..... cela vous étonnëra sans doute de ma part, n'est-ce pas?
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- Oh non, Madame! surtout depuis.....
- Bien, bien, et elles entrèrent toutes deux au salon, mais non sans que Maria eût eu le lemps de prévenir un domestique qu'elle ne voulait pas être dérangée.
- Vous connaissez maintenant tous mes malheurs, ma chère enfant, et les suites d'un funeste amour!
- Ah! Madame, je vous aimais déjà, mais votre confiance vous a acquis de nouveaux droits à l'affection de la pauvre Maria!
- Et je partage bien vivement cette affection, mon enfant! vous le dirai-je! Ce malheureux fruit d'une union coupahle, ah! j'y pense souvent, malgré les apparences de légèreté qui me condamnent à vos yeux! Cet enfant qui m'a été enlevé! Oh, ma fortune ne suffirait pas pour payer ses douces caresses! Mais rien, rien..... le ciel n'a pas voulu me donner cette joie!
- Mais,Madame, n'avez vous jamais entendu parler du colonel et.....
- Helas! une fois seulement, l'avant-veille de mou mariage avec le baron de Roslang. Une lettre m'apprit que le colonel parvenu au grade de général dans cette désastreuse campagne de Russie avait succombé des suites d'une blessure, que mon enfant n'avait pas tardé à le suivre au
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tombeau, et que désormais j'étais entièrement libre,
- Et qui vous remit cette lettre?
- Un homme, un soldat, qui se déroba aussitôt à toutes les questions que je voulus lui adresser.
- C'est étrange!!!
- Oh oui, petite, bien etrange! Et cet homme - qui vous apporta des nouvelles de ce mauvais sujet de Frédéric.....
- Ah, Madame!
- Cet homme m'a rappelé confusément les traits de ce soldat.....
- Mais, Madame, mon étonnement redouble à chaque mot..... Cet homme... attendez donc... il doit vous connaïtre..... Cet homme, qui paraît s'être pris si soudainement d'une si vive amitié pour Frédéric et pour moi..... cet homme..... pardonnez, Madame..... mais..... il ne..... vous aime point lui!
- Comment, que dites-vous?
- Il a balbutié quelques mots qui se rattachent à la malheureuse histoire que vous m'avez confiée..... oh! s'il savait.....
Mais oui..... oh, mon Dieu!..... je me rappelle main tenant son impertinente réponse lorsqu'il se présenta pour la première fois devant nous..... Oh mon Dieu, mon DieUjine faudra-t-il
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rougir devant cet homme!..... et sa péflexion lorsque je montais en voiture! il m'a jeté à la figure..... des souvenirs de Sarragosse..... Maria, Maria, cet homme a mon secret! Dieu juste! avoir à courber le front devant de pareilles créatures!
- Ah Madame! Robert n'est point un homme ordinaire, sa.....
- Robert..... Robert..... mais c'était le nom du domestique du comte... Robert... un dragon de l'Impératrice..... Petite, je suis perdue..... et elle tomba affaissée plutôt par la honte que par la douleur.
- Ah Madame, calmez votre frayéur..... Robert est un digne et honnête homme, et je puis vous jurer qu'il sait garder un secret! car à moi, à moi, qu'il paraàt tant aimer, je puis vous assurer qu'il n'a rien dit qui pût me faire soupçonner.....
- Et que m'importe après tout! interrompit la baronne, se relevant tout-à-coup, le visage illuminé d'une ardeur nouvelle; que m'importent les soupçons..... Ah! j'ai trop longtemps renfermé dans mon coeur une douleur qui peut enfin se montrer à découvert devant vous..... Ne suis-je pas indépendante..... J'éfais mère..... le ciel vëut peut-êtreme punir de l'avoir oublié pendant si longtemps..... J'étais mère..... et je
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tremblerais devant celui qui peut me donner des nouvelles de mon enfant..... Arrière, trop coupable faiblesse..... Vienne cet homme, Maria, et dussé-je m'exposer à son mépris, à ses justes reproches..... je le prierai tant, je m'humilierai tant qu'il faudra bien qu'il me parle de mon enfant..... Et elle retomba sur le sopha; un torrent de larmes s'échappa de ses yeux, triste soulagement à une suffocafion qui la brisait!
Au même instant un domestique vint prévenir Maria que..... l'homme de la campagne faisait demander si elle n'avait rien à lui dire.
- C'est lui, s'écria l'orpheline, faites entrer! et elle regarda la baronne qui, elle aussi, avait compris; et l'oeil hagard, la respiration haletante s'avançait vers la porte.
A peine Robert fut-il enlré, que Mme de Rostang lui saisissant le bras avec fureur:
- Confident du comte Ulric! qu'as-tu fait de mon enfant? Iui dit-elle avec force.....
- Connais pas, répondit celui-ci en regardant Maria.
- Robert, mon ami, ayez pitié d'elle et de moi, je vous en conjure!
- Ah, tu ne connais pas, misérable! Je te connais cependant, moi, la fière beauté de Sarragosse autrefois, aujourd'hui l'hümble mère
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qui l'implore à genoux, et elle serrait les jambes du vieux soldat en sanglotant.
- Ah ça, mais..... je n'en sortira donc pas! s'écria ce dernier; est-ce que je suis le père nourricier de toutes les femmes qui ont perdu leurs enfants! Tenez, Mademoiselle Maria, dégagez-moi, vous savez que j'ai besoin de vous parler!
- Robert, au nom du ciel, vois mes larmes, vois mes supplications! Suis-je assez abaissée dis-moi que veux-tu de plus! mais parle, parle.....
- Je parlerai tant que vous voudrez, mais ce sera pour ne rien dire. Conuais pas, vous dis-je! J'ai juré à mon colonel..... enfin n'importe.....
- Allons, mon bon Robert, Maria aussi vous en conjure, c'est une bonne action à joindre à toutes celles que vous avez déjà sur la conscience, et le bon Dieu vous bénira.
- Mais Mademoiselle..... mais Madame..... Diable..... diable..... me voilà pris.....
La baronne voyant son indécision, redoublait de caresses; elle embrassait les mains de cet bomme, à qui un quart d'heure ayant, elle eût refusé de parler, dans la crainte de comprometre sa dignité.
- Robert, Robert, c'est la Toix d'une mère
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en délire..... vous..... raon bon ange..... mon consolateur...... ah parlez.....
- Si Robert nous refuse, dit Maria, je croirai qu'il ne m'aime plus, et que l'amie de Frédéric, de Frédéric qu'il aime tant, lui est devenue indifférente.
- Ah ça, finirez-vous? croyez-vous que je sois de marbre..... quand je vous dis que je ne sais rien..... puisque j'ai juré..... enfin n'importe.....
Un mot seulement, Robert, lui dit Maria. L'enfant que le dragon a enlevé, vit-il toujours?
- Ah! le dragon..... c'est différent..... enfin n'importe.....
- Et l'enfant?.....
- L'enfant! Mais mon colonel qui la haut me regarde.....
- Ton colonel, Robert, songe que devant Dieu, il était mon époux! C'est lui, c'est sa voix, qui t'ordonne de rendre la paix à une malheureuse mère, privée de son enfant par un crime..... Où est-il, Robert! Qu'est devenu cet enfant? Et la voix de la baronne avait pris cette fois un ton solennel qui fit presque trembler le vieux guerrier, déjà si troublé par les larmes de ces deux femmes.
- Pardon, mon colonel, dit Robert enlevant les yeux au ciel, si je manque au serment que
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je vous ai fait, mais Robert n'a pas tin coeur de roc, voyez vous..... Eh bien donc.....
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Au même instant un domestique entra, et prévint Maria, que la présidente était au jardin avec M. van Buren.
- Diable fit Robert, sauve qui peut!!! Et se retournant vers la baronne: Consolez-vous..... lenfant vit..... vous le verrez..... et il jeta une lettre sur le canapé en se sauvant avec précipitalion.
Ceseul mot: il vit..... avait anéanti les forces de la pauvre baronne; un grand malheur et une grande joie produisent les mêmes effets, quoiqu'amenés par des causes bien opposées. La malheureuse femme était restée clouée à cette même jilace où elle avait reçu les derniers mots de Robert. Pendant ce temps, Maria lisait la lettre qui venait de lui être remise; cette lettre écrite par le vieux soldat, en contenait une autre de Frédéric. Elle fut bienlöt lue et relue avec avidité. C'était la répétition de toutes les autres, mais pour une âme aimante, les lignes tracées par un objet chéri sont toujours reçues avec transport. Cette première effusion un peu apaisée, Maria se retourna vers la baronne absorbée par les sentimens intérieurs qui combattaient en elle.
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- Mon Dieu, mon Dieu! que se passe-t-il donc en moi, s'écria cette malhëttreuse mère; oh! cet homme, cet homme il connaît mon enfant et il n'a pas eu le courage de le faire connaître à sa mère! Maria, ma petite, tout ceci cache un mystère qui ne nous est peut-être pas étranger. Car enfin cet homme, qüi m'a révélé l'existence de mon enfant, il vons a montré un intérêt bien extraordinaire, n'est-ce pas?.....
- Oh, oui, à moi ét à Frédéric!
- Frédéric! Maria! Oh, ma tête, ma pauvre tête se perd..... Mais si Dieu l'avait permis..... non, c'est impossible..... ici sous més yeux..... depuis si longtemps..... l'oeil d'une mère..... qui viendra donc m'éclairer!.....
- Mais cette lettre! dit vivement Maria en ouvrant l'enveloppe laisséé par Robert; et elle lut à haute voix les lignes suivantes:
‘Mademoiselle,
‘Dans la crainte de nö pouvoir causèr avec vous comme je le désirerais dans l'intérêt de nos petites aifaires, je prerids la liberlé de vous écrire. Un grand danger yous menace, l'air que vous respirez dans les murs de Maestricht est mortel pour vous; je cohnais le secret de votré naissance, mais ce secret a été découvert par l'infâme qüi sollicite votre main, et c'est la cause dë son insistancé. Pour
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lui, pour ses propree intéréts, il convient que vous soyez rayée du catalogue des vivans, ou qu'un mariage vous mette dans l'impossibilité de lui nuire. Votre ami, mon capitaine, ne sait rien encore, car je le connais, il serail venu lui-même au péril de sa vie vous arracher aux mains de ce misérable. Il faut fuir, Mademoiselle, pour la sûreté de celui que vous aimez, comme pour la vôtre. Demain à midi, trouvez-vous rue de Bois-le-Duc, dans la maison qui fait face à l'église Saint-Mathieu, petite porte verte à bouton cuivré; vous y êtes attendue, et là tous les moyens vous seront fournis pour sortir de la ville et vous réfugier en lieu sûr. Ne craignez rien, l'ancien veille sur vous, comme il n'a cessé de le faire depuis longtemps.
Votre vieil ami.’
- Grand Dieu, fit-elle en terminant! et ma bonne mère..... oh non! jamais..... ce serait la tuer!
- Petite, dit la baronne en lui prenant la main; mais un pressentiment me dit que moi aussi, je connais déjà mon enfant.... Embrassezo moi, je n'ose encore me livrer a une espérance secrète qui m'attire vers vous, mais il faut écouter cet homme, qui exerce une,si terrible iq- fluence sur nos destinées.....
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- Mais..... ma mère..... jamais..... jamais..... oh! quelle ingratitude..... Quoi! je pourrais..... jamais vous dis-je..... jamais!.....
- Puisse le ciel inspirer à mon enfant, dont je n'ai point reçu les douces caresses, puisse le ciel lui donner ces tendres sentimens pour moi!... Mais, rassurez-vous, cher ange, Mme van Lonnaert à confiance en moi, et c'est mor, aujourd'hui, moi toujours pour tous, excepté pour vous Maria, la fiere baronne de Rostang, c'est moi qui vous prie, qui vous engage à faire tout ce que vous commande cet homme!
- Et quand je ne serai plus dans cette maison, mon Dieu! qui donc sera là pour soigner: ma bienfaitrice, elle qui à élevé mes jeunes années, qui m'a faite enfin ce que je suis! car c'est plus qu'une mère, celle la, Madame, elle ne m'eut pas abandonnée elle!!!
- Gruelle enfant, me parler ainsi..... quand peut-être.....
- Oh pardon, Madame! la douleur m'égare; mais voyez-vous, je l'aime tant, elle..... toujours si bonne..... si.....
- Je me charge de tout! et qui plus est, c'est moi, aujourd'hui, qui protégerai votre fuite. Mais songez donc, pauvre enfant, comme le dit Robert, qu'il y va pour vous de la vie! Ah! en ces malheurèux temps de trouble, un crime
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est si promptement commis, est si facilement porté sur le compte de cette infernale polilique que je déteste maintenant! Oh! parlez, partez, petile! Mme van Lonnaert me bénira de vous avoir sauvée!
Mais Maria résistait toujours. Elle ne pouvait se faire à l'idée d'une séparation; la lettre de Frédéric lui revint à la pensée; ses conseils, ses inquiétudes vinrent traverser ses esprits déjà si agités; oh! alors, alors seulement, elle céda la pauvre enfant, mais non sans combattre, et elle quitta la baronne en lui promettant de la revoir le lendemain avant son départ; et afin de détourner les soupçons, il fut convenu que la jeune fille prétexterait une visite dumatin chez Mme de Ros tang, et que ce serait de cette maison qu'elle partirait pour se rendre au lieu indiqué dans la lettre.
Ces deux malheureuses femmes, bourrelées par des sentimens si différens, mais qu'un malheur commun réunissait en ce moment, se quittèrent enfin, tourmentées l'une et l'aulre de ces vagues pressentimens que rien peut-être ne semblait justifier, mais que tout concourait à alimenter.
La baronne ambitionnait ce doux nom de mère, qui lui avait été refusé, et elle voyait dans les deux orphelins de Mme van Lonnaert
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un titre que l'un ou J'autre devait a coup sur lui assurer. Elle était partie sans voir la présidente, le besoin d'être seule se faisait sentirj elle voulait se recueillir, et la vue de cette bonne amie et de Léon l'eut enlevée malgré elle à ces rêvevies qu'elle nourrissait avec amour. Ah! c'est qu'il y a dans le cceur d'une femme, même parvenue à cet age ou les illusions ont toutes disparu une à une, il y a encore, il y a toujours ce sentiment si vif de l'amour maternel qui domine et survit a tous les autres. Endormi pendant de longues années dans les fausses joies de la coquetterie et de la fortune, ce sentiment s'était subitement réveille en elle, et la solitude était devenue une nécessité, pour mettre un peu d'ordre dans ces idéés qui luttaient si bruyamment dans sa pauvre tête. Elle sortit donc après avoir vivement embrassé Maria, qui de son côté remonta dans son appartement, malgré les instances de la présidente qui l'avait fait prier à plusieurs reprises de venir la joindre au jardin. Elle prétexta une violente migraine, et Léon, après avoir inutilement attendu, fut contrahit lui-même de saluer Mme van Lonnaert et de se retirer en dévorant le dépit que lui causait le refus obstiné de Maria.
Cet homme aussi était fortement impres- | |
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sionné, mais c'était la rage de se voir dédaigné; et la crainte, que lui inspiraient les demi-révélations de Robert en diverses circonstances, donnait à son regard cet aspect de cupidité sanguinaire, qui n'eût échappé à personne autre que cette bonne présidente, qui voyait toujours en lui le seul être au monde capable de sauver et de protéger sa fille adoptive.
La vengeance, d'accord avec les soins de sa propre sûreté, lui fit mömentanément abandonner cette maison ou il voulait régner en maitre et où sa présence était abborrée de l'objet de sa convoitise.
- Ah! vous m'évitez, Mademoiselle Maria! se disait-il en arpentant à grands pas le chemin qui devait le ramener chez lui, vous me méprisez, n'est-ce pas? Mais vous ne savez donc pas que votre sort et celui de toute votre familie est en mes mains! Quoi! depuis dix ans j'aurai travaillé sourdement et consolidé l'oeuvre de mon père, pour m'assurer la paisible possession dé ce trésor que mon oncle nous a légué! J'aurai fait tous les sacrifices d'amour-propre, de réputation et d'ambition pour me voir enlever cette fortune, sans laquelle je retombe dans la lie du peuple, malgré les services de mes ancêtres! Et tout oela inutilement, parce qu'il plaira à uné petite sotte, à une idiote
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jeune fille de refuser l'offre de ma main et de raon coeur..... Oh non! mille fois non! Le ciel estpour moi, puisqu'il a permis que ces papiers; qui seuls pouvaient constater la naissance de Maria, retombassent en mes mains..... Ah, Monsieur Frédéric, vous vous mêlez de conspirer dans l'ombre, et vous abandonnez vos armes, à votre rival..... Ces jxapiers..... une fois en mon pouvoir, Maria redevient une misérable enfant trouvée..... Et vous refuseriez mon alliance, Mademoiselle, moi..... millionnaire..... Vous céderez, pauvre sotte, car j!ai besoin de votre main pour m'assurer à tout jamais... ce dépôt.... Votre coeur!... mais que m'importe ce coeur... n'ai-je pas assez d'or pour payer des beautés, qui lui sont mille fois préférables! mais je dois, je veux avoir cette main pour me garantir contre les chances du hasard! Un autre que moi possède le secret de ma fortune! Eh bien! cet autre..... périra..... J'achèlérai son silence avec de l'or... Mais... la tombe... oh! la tombe seule..... c'est le dépositaire le plus sûr..... Il y descendra, et d'au tres encore, si cela est nécessaire... Quoi... m'arrêter en chemin... réculer... Non jamais..... dût-elle périr..... Oh! encore un crime... pourquoi non... si ce crime'est utile... Cette femme..... cette étrangère..... que véut-elle aussi, elle!..... Mais grâce à mes soins, elle
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ne peut entrer en ville! et d'ailleurs, cette femme..... elle est folle..... oui..... et pourtant sa présence me gêne..... et mon nom! comment le connait-elle?..... Eh bien!..... il faut qu'elle s'éloigne, ou.....
Et ce monologue entrecoupé cle gestes parfois trop expressifs, le conduisit à sa porte.
Robert, de son côté, avait mis le temps à profit, et sortant de la ville du côté de Saint-Pierre, il était allé retrouver Margueritta, qui, déjà acclimatée chez ses hôtes, avait trouvé auprès d'eux les soins que semblait réclamer son état sanilaire. La folle de Saint-Pierre, comme on l'appelait alors, était devenue le sujet de toutes les conversations, et les curieux ne manquaient point. Plusieurs officiers de la garnison avaient même tenté de s'approclier d'elle plus que les convenances ne le permettaient; mais ces grossiers vêtemens cachaient un coeur fier et hautain, malgré les malheurs qui l'avaient brisé; certains, payèrent peut-être bien cher une curiosité dont les suites fâcheuses furent mises sur le compte de la guerre civile qui déchirait ce malheureux pays. Les paysans respectaient et vénéraient leur folle, et malheur à qui eût osé porter la main sur elle! La justice du peuple est prompte et sans appel!
Robert n'avait pas eu de peine à s'emparer
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de l'esprit de cette femme encore trop faible pour pouvoir résister à une volonté qui ne se révélait que par dés bienfaits envers elle; elle suivit son guide à travers la campagne, et en quelques heures, Margueritta, la folle de Saint-Pierre, était établie dans la petite maisonnette de Smeermaas, où cjeux mois plus tôt, Frédéric et Adalbert avaient trouvé aide et protection. C'était de cette obscure habitation que devait partir la lumière qui allait bientôt rendre la vie plus douce à tant de personnes, et rétablir des droits disputés avec acharnement.
Le vieux soldat passa la nuit chez lui; Margueritta y était installée comme dame et maàtresse; la plus belle chambre de la maison lui avait été donnée, mais le propriétaire en disposa une autre pour recevoir encore, disait-il, une nouvelle visite; et le lendemain ma tin il partit pour Maestricht, ou il avait donné rendezvous à Maria.
Après avoir mis en oeuvre son manége ordinaire, il pénétra dans la ville, mais par surcroît de précaution, il avait eu soin de se faire accompagner d'une jeune fille. Débarrassé de ses marchandises, il se rendit immédiatement dans la maison qu'il avait désignée à l'orpheline, et monta dans une petite chambre ou toutsemblait préparé pour la toilette d'une femme. Mais
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cette fois, ce n'était pas la robe de cérémonie qui devait succéder au déshabillé du matin; c'étaient au contraire les habits de ville qui devaient faire place à la robe de bure, à la cornette de percale blanche recouverte du fichu à carreaux, comme en portent les femmes de la campagne. Après s'être assuré que tout était en ordre, il sortit et se rendit chez Léon, qui, à point nommé, ne se trouvait pas chez lui; il y laissa ces quelques mots:
‘L'homme a tenu sa parole, il ne peut attendre, mais dans trois jours il sera de retour; les conditions restent toujours les mêmes.’
Satisfait d'avoir rempli cette première tâche pour entretenir les espérances de l'ennemi commun, il rentra dans la rue de Bois-le-Duc pour attendre Maria, chez qui il n'avait pas osé se présenter dans la crainte d'être suivi par des émissaires de Léon qui rôdaient toujours autour de la maison de la présidente.
La pauvre Maria avait passé une bien triste nuit; l'idée d'une séparation, peut-être éternelle, dans l'état où se trouvait sa bienfaitrice, lui revenait sans cesse à la pensee. Le reproche d'ingratitude lui allait droit au cceur, et ce reproche était pour elle devenu si poignant, que le délire menaçait à tout instant de s'emparer de sa pauvré tête.
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Et cependant, il fallait fuir, la nécessité se faisait sentir chaque jour davanlage; il fallait fuir, car le moment où elle devait céder n'était plus éloigné. Fuir..... pauvre enfant..... Cette maison!..... c'était tout son univers... la bonne Mme van Lonnaert était toute sa familie; fuir.....
Mais toute blessure, comme toute douleur morale, a son baume consolateur! La pensée de Frédéric rasséréna un peu cette imagination brûlante, et l'avenir; pour un moment, s'ouvrit à ses yeux sous des couleurs moins sombres, Joie et tristesse, élans de bonheur, larmes amères, tout se succédait en elle avec la rapidité de l'éclair! Et le temps se passait, le jour allait paraître, le jour qui devait éclairer la dernière matinee qu'elle devait passer sous ce toit témoin de ses jeunes années.
- Oh! du moins, s'éoria-t-elle, laissons à ma bienfaitrice un souvenir de sa pauvre Maria! Elle traça à la hâte les lignes suivantes:
‘Je pars, bonne mère; je vous quitte..... la nécessité m'en fait une loi..... Oh! vous, toujours si bonne, si aimante pour la malheureuse orpheline... ne la condamnez pas! n'accusez pas son coeur!..... Il battra jusqu'au dernier moment pour celle à qui elle doit plus que la vie! Je pars! votre tranquillité, votre sûreté, je ne dirai pas votre bonheur, en est-il pour
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ma seconde mère loin de sa fille chérie, tout ce qui vous intéresse enfin, m'ordonne de fuir pour échapper aux persécutions d'un infâme! Ma présence en ces lieux vous expoait, exposait Frédéric, votre neveu; car lui aussi, vous l'aimez et vous le pleurez, n'est-ce pas! Je dois à vous-même, à lui, que je ne sépare pas dans mon coeur de votre douce image, je me dois à moi-même de déjouer les projets d'un misérable! Ma présence alimentait ses persécutions, mon absence va le forcer à se taire. Les affreuses manoeuvres de cet homme amoncelaient sur votre tête les dangers les plus grands, parce qu'il croyait par ses horribles menaces me tenir toujours en sa puissance. Dans quelques heures je serailibre, son pouvoir sur moi aura cessé et votre sécurité renaîtra. Je sais, hélas! que rien ne vous rendra les touchantes caresses de votre enfant chérie..... oh non! si cela devait être, j'en serais jalouse... jalouse... oh ma mère! jalouse de ce qui pourrait vous rendre si heureuse!... mais je vous aime tant moi... et vous quitter... Oh! le ciel prendra en pitié la pauvre orpheline..... Mère, mère, pardonnez-moi..... Non... pas adieu..... au revoir..... à bientot!.....’
Elle ne put continuer, le papier était inondé de ses larmes! La tête appuyée dans ses deux
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mains, elle regarda ainsi, l'oeil morne et silencieux, d'abord l'aube du jour, bientôt l'aurore, puis enfin le soleil! et sa position n'avait pas changé! Cependant la matinàe s'avançait. Neuf heures venaient de sonner a Saint-Servais, la présidente n'élait pas encore levée; Maria, pauvre enfant, elle n'osa pas aller lui donner le baiser d'adieu. Oh non! certes, elle ne fut point partie si elle avait vu les larmes de sa bienfaitrice. Elle quitta brusquement sa chartibre de jeune fille, témoin muet de ses joies enfantines, et plus tard de ses larmes juvéniles; mais en passant devant la porte de Mme van Lonnaert, un tremblement convulsif s'empara de tous ses membres! Elle s'agenouilla et pria! Mère, s'écria-t-elle, votre bénédiction!!!.................. et elle se releva plus tranquille; la prière avait calmé la force de la douleur! car elle avait foi en Dieu, et la foi, c'est l'espérance, c'est presque le bonheur. Elle annonça aux domestiques qu'elle se rendait chez la baronne, et qu'ils eussent à en prévenir la présidente à son réveil; et sans oser regarder derrière elle, elle sortit précipitamment, et courut plutôt qu'elle ne marcha vers la rue des Petits-Fossés.
La baronne l'attendait. Elle aussi avait ses joies et ses douleurs. Mais il fallait avant tout
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assurer la fuite do Maria et consoler Mme van Lonnaert; c'était déjà une assez vive distraction pour cette femme, arrivée seulement depuis vingt-quatre heures à un état de sensibilité qui avait sommeillé en elle depuis si longtemps! Elles pleurèrent ensemble, Maria promit de donner des nouvelles avant peu, et quitta bientôt la baronne pour se rendre dans la maison qui lui avait été indiquée.
Tout avait été prévu; la jeune et jolie orpheline se dépouilla de ses habits de fète, prit les vêtemens de paysanne qui avaient été apprêtés, eut soin de se couvrir la tête avec un fichu de couleur, et suivit Robert, à la place de la jeune fille qu'il avait amenée.
Nous les laisser ons prendre la route de Smeermaas; Maria, qui dévorait ses larmes chaque fois que sa vue se reportait sur Maestricht, le silence de Robert, qui savait respecter la douleur de la pauvre enfant, rien, certes, n'était fait pour égayer ce petit voyage; chacun le savait et se taisait. Nous les quitterons un moment pour revenir à nos héros.
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