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Livre quatrième
Nous avons laissé nos deux jeunes gens au camp des Belges, devant Liége, après la bataille de Rocour; nous avons laissé la triste Maria dévorant le manuscrit de la baronne, et cherchant avidement quel pouvait être cet enfant, né en Espagne et enlevé sitôt à sa malheureuse mère, tandis que la pauvre présidente pleurait sur le sort de son Frédéric, et que Léon cherchait à décider une union qui semblait devenir pour lui une nécessité absolue; mais des événemens d'une tout autre nature venaient encore compliquer la position de nos personnages, et l'apparition d'une femme à quil'en- | |
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trée de la ville était obstinément refusée, vint changer la face des choses et ajouter aux vicissitudes qui semblaient s'appesantir sur tous nos héros.
Quelle était cette femme? d'où venait-elle? et quel était le but de son voyage? Mille données différentes circulaient à ce sujet! Mais on pouvait douter que sa présence aux environs de Maestricht se rattachât à l'amour de nos deux orphelins, car jusqu'alors, rien dans ses aveux, dans ses explications n'eût pu décéler un secret qui semblait fortement lui peser et auquel peut-être elle devait la persécution dont paraissaient vouloir l'entourer les autorités locales.
Depuis quelques jours une femme jeune encore, accusant au plus trente-deux à trente-quatre ans, se présentait à la porte d'Allemagne, demandant à entrer en ville. La fatigue, les privations avaient hâlé son beau visage empreint de cette sévérité italienne tempérée par les étincelles brillantes de deux yeux noirs qui semblaient tour à tour commander et implorer l'assistance; ses vêtemens étaient ceux de la classe moyenne des peuples du Midi, mais à certaines parties de ces vêtemens, à un port surtout révélant la fière et sensible italienne, il eût été facile pour l'homme du monde, accoutumé aux différentes nuances des castes, de de- | |
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viner sous ces accoutremens, assez grossiers pour n'inspirer que l'indifférence, mais pas assez pour chasser toute curiosité instinctive, il eût été facile de juger à première vue que cette femme n'était pas dans sa sphère, et qu'un mystère devait l'environner. La langue française lui paraissait totalement étrangère, ou du moins elle voulait lelaisser croire; elle demanda en assez mauvais allemand la permission de pénétrer en ville. La sévérité des ordonnances interdisait l'entrée à tout étranger, sans distinction de sexe, qui n'était point muni d'une carte de passe signée du général en chef. La porte lui fut donc refusée sans autre explication, car ces messieurs alors, étaient peu scrupuleux sur la forme de leurs refus, et le mot consigne tenait lieu de politesse.
Enfin uil jour, cette femme, vêtue de la même manière, se présentait à la porte de Saint-Pierre. Même refus lui fut fait. C'était justice au point de vue général! mais cette fois, était-ce curiosité pure, était-ce par ordre supérieur, un officier sortit endehors des portes pour l'interroger. C'était un jeune homme aux formes polies et avenantes, qui, voyant que l'étrangère ne comprenait ni le hollandais ui le français, lui adressa la parole en italien.
- Vous ne pouvez, Madame, entrer en ville
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sans une autorisation spéciale; mais si vous voulez me remettre vos papiers, je pourrais vous la faire obtenir.
- Mes papiers...... Mais ils ont dû être remis au gouverneur, je ne les ai plus!
- Comment! au gouverneur! à quelle époque?
- Il y a peut-être un mois! j'étais alors en France, le consul de raon pays s'est chargé de ce soin.
- Il faut, Madame, qu'ils ne soient point parvenus, car un ordre, qui vous concerne personnellement, d'après vos réclamations continuelles, nous défend de vous livrer passage. Vous devez savoir que la ville est en état de siége, et sans papiers bien en ràgle vous ne pouvez y pénétrer.
- Ainsi j'aurai fait plus de six cents lieux, exposée à toutes les humilialions qui accompagnent d'ordinaire une femme qui seule entreprend un voyage de cette nature; j'aurai bravé toutes les horreurs cle la faim et de la misère, pour me rapprocher de cette ville, le but comme le terme de toutes mes espérances, et il ne me sera pas permis de metlre le pied dans Maestricht..... la terre promise ma vie..... mon espoir..... Oh non! c'est impossible..... J'entrerai, vous dis-je!
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- Pardon, Madame, mais la rigueur de mes devoirs ne me permet pas.....
- Eh! qui vous demande quelque chose, Monsieur! le ciel et l'eiifer sont d'accord pour me repousser..... Car ces papiers..... oui ces papiers, ils sont parvenus à leur adresse..... et c'est là le motif du refus que j'éprouve.
- Enfin, Madame.....
- Ah, mon nom vous a fait trembler! n'estce pas..... vous avez craint la pauvre femme qui vient vous redemander..... Oui, un prêtre... et pourquoi..... cet argent..... c'est à elle..... Mais je la verrai..... entendez-vous..... je vous..... dis que je la verrai..... vous ne savez donc pas tout ce qu'il peut y avoir d'énergie dans le coeur d'une.....Adieu, beau ministre des iniquités de satan..... nous nous reverrons; piais dites leur bien que l'Italienne a sa vengeance pour punir le vol et l'assassinat..... Ah! ils me refusent..... Eh bien!..... à l'oeuvre.....
Et sans attendre une réponse, elle prit sa course d'un pas léger vers la montagne, laissan t son interrogateur dans la slupéfaction.
- Cette femme est folle! s'écria-t-il en rentrant en ville, et cet incident fut bientot oublié.
Cependant la pauvre femme courait toujours! La rivière d'un côté, les maisons de l'autre, rien ne détournait sa course, et elle eut longtemps
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encore suivi la route qui s'offrait devant elle, si les forces ne lui eussent manqué. Epuisée enfin par la fatigue et le besoin, et peut-être aussi par ce paroxisme de fureur qui s'était emparé d'elle, après avoir franchi le village de Saint-Pierre, elle s'arrêta au pied de la montagne et se prit à pleurer. Pleurer, oh! c'était pour la malheureuse un véritable bonheur. Des lavmes coulèrent en abondance, et leur douce effusion ramena peu à peu le calme dans cette tête agitée, dans cette âme brisée par toutes les souffrances; elle pleura longtemps, et puisa de nouvelles forces dans cet exces de douteur. Mais de pénibles réflexions vinrent de nouveau s'emparer de ce cerveau malade, non par la folle comine l'avait exclamé l'officier hollandais, mais par les chagrins qui semblaient avoir présidé à la plus grande partie de l'existence de cette malheureuse créature. Elle se recueillit profondément, et elle pleura encore, car tout, pour elle désormais, aboutissait à des pleurs. Il serait impossible de décrire ce qui se passa alors dans cette imagination bouleversée; mais, se relevant tout à coup et agitant vivement la tête comme pour en chasser des idees importunes:
- Oui, oui..... c'est cela, s'écria-t-elle! arrière toute autre idee..... oui je la verrai, ... malgré eux.....
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Mais aussitôt une voix lui réponilit en italien:
- Bien, bien, Senora! vous la verrez, et malgré eux.
- Margueritta n'est plus la Senora!..... fit celle-ci en se retournant vers l'homme qui lui avait adresséla parole. Qui peut vous intéresser à une pauvre infortunée?.....
- Dieu d'abord, Senora! qui n'abandonne jamais ses enfans; ensuite ce coeur qui bat sous les liabits du paysan comme sous l'uniforme brillant du général!
- Ah, le général! oui...... le paysan..... et le prêtre.....
- Allons, allons! Ce n'est ici ni le temps ni le lieu de nous expliquer, reprit l'inconnu, qui ne cessait de regarder allentivement cette malheureuse comme pour rappeler des souvenirs. Vous ne me connaissez pas moi.... Mais peut-être..... enfin n'importe..... Le temps presse, où puis-je vous revoir? Il faut que j'entre eri ville, ét il y à encore loin d'ici à Smeermaas......
- Smeermaas, dit aussitôt l'Italienne! vous connaissez Smeermaas..... et..... le prêtre.....
- Oui, oui, et encore bien autre chose peut-être. Allons, Dieu est toujours bon, puisqu'il m'a envoyé de ce côté! où pourrai-je vous revoir dans quelques heures?
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- Ici, à cette place, c'est le palais de votre Senora, puisqu'ils m'ont tout pris!
- Quoi! pas de ressources!
- Non rien, rien..... oh! mais si..... la vengeance!!!
- Eh bien, le paysan aidera la...... la pauvre femme, et il lui mit dans la main quelques pièces d'argent que celle-ci voulut d'abord refuser avec un mouvement de fierté réprimé aussitôt.
- C'est juste, dit-elle, je suis mendiante.....
- Non, Senora, c'est peut-être la restitution qui commence! Dieu veut sans doute se servir de ma main pour hâter votre vengeance. Entrez dans cette maison qui est derrière nous, prenez un peu de repos dont vous avez tant besoin, et dans quelques heures, je reviendrai vers vous. Ayez confiance en moi, Senora, et..... rappelez-vous..... la maisonnette de Smeermaas!.....
- Smeermaas..... Smeermaas...... mais qui donc êtes-vous?.....
- Un ami!...... L'heure se passe, adieu, Senora, à bientôt! Et cet homme que la Providence sans doute venait d'envoyer sur la route de la pauvre étrangère, cet homme lui fit un salut que commandaient peu ses vêtemens grossiers, mais qui allait plutät à l'adresse de la grande dame. Il s'éloigna rapidement, la
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laissant à son étonnement, où quelques lueurs d'espérance commençaient à briller.
Nos lecteurs ont sans doute déjà reconnu dans ce bienfaiteur improvisé de la pauvre inconnue, le vieux Robert, le messager de Frédéric, qui se rendait chez Mme van Lonnaert; nous ne le suivrons pas dans les immenses détours qu'il fut obligé de faire pour regagner la route de Smeermaas, prendre sa brouette et les marchandises à l'aide desquelles il s'introduisait dans les murs de Maestricht; nous le retrouverons à la porte de la présidente. A peine fut-il entré que Maria se précipita vers lui:
- Frédéric!
- Mon lieutenant..... sain et sauf, Mademoiselle!
- Merci, mon Dieu! et elle prit vivement une lettre que lui présentait Robert.
- Mme van Lonnaert est au salon, lui dit-elle; allez, mon bon Robert, lui porter ces heureuses nouvelles, et elle monta chez elle s'enfermer dans son boudoir pour lire la lettre de Frédéric:
‘Chère Maria,
‘Plus heureuse que moi, cette lettre va vers vous, lorsque le devoir me relient; je lui confie tous les voeux d'un ami. Grâce à mon brave Robert, qui, lui aussi, va vous voir,
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vous parler, je puis au moins vous faire connaçtre mes plus secrètes pensées! Vous dire qu'elles sont toutes pour vous, c'est vous répéter ce que votre coeur vous redit chaque jour! Du courage, mon amie! Le ciel a pris en pitié notre sainte affection, puisqu'il a permis que je sortisse victorieux des épreuves auxquelles le sort m'a soumis. Du courage! et surtout ayez foi en moi, et ne cédez pas aux vaines sollicitations de ma tante. Elle nous aime tous deux, et le jour n'est peut-être pas éloigné où elle pourra s'applaudir de votre résistance. C'est cette foi, cette espérance que j'ai en vous qui me soutient dans les agitations de la vie que j'ai embrassée! Puissiez vous résister assez longtemps pour me permettre d'aller vous porter secours. Si cependant les circonstances devenaient plus menaàantes, n'oubliez pas, je vous en conjure, que Frédéric ne peut et ne veut vivre que pour vous, et fiez-vous aux conseils de Robert. Adieu, amie, adieu! permettez-moi de vous envoyer les baisers d'un frère.
Frédéric.’
Elle lut et relut ces quelques lignes avec avidité.
- Oh! oui, s'écria-t-elle, j'ai foi et confiance en toi, noble et généreux ami! Mais un homme
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s'est élevé entre nous deux, et cet homme je le déteste, je dois le fuir! Oui, certes, les conseils de la baronne, les malheurs de sa position pourraient avoir de l'influence sur un amour tout autre que le mien; mais l'amour de Frédéric, l'amour de morr frère, oh! celui-là je puis y avoir foi! et malgré les terreurs dont on cherche à entourer mes esprits, à toi, Frédéric, l'amour de l'orpheline! Vers toi, oui vers toi seul, les voeux de la pauvre Maria! Tu seras son sauveur! Oui, tu l'as dit, je consulterai Robert, je lui ferai connaître mes intentions et il me guidera!.....
Enhardie par cet appel muet à la protection de son frère d'adoption, Maria descendit rapidement pour se rendre au salon; mais au moment où elle allait en ouvrir la porte, Robert l'arrêta et lui glissa ces mots:
- Le van Buren est là, je ne veux pas être vu de lui; il trame quelque méchanceté, soyez sans crainte, je saurai la détourner. Je pars.....
- Quoi, sans ma réponse?
- Je dirai tout ce que vous auriez pu ëcrire, Mademoiselle Maria.
- Mais j'ai absolûment à vous parler!
- Dans deux jours je reviens! Tenez-vous prête à tout événement; je pars, mais je veille sur vous deux. Et il sortit précipitamment par
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la petile porte du rempart, tandis que Maria, encore tremblante des paroles de Robert, ouvrait len tement la porte du salon, où elle trouva en effet sa bienfaitrice et Léon.
- Nous nous occupions de Mademoiselle Maria, et sa présence en ce moment arrivé à merveille, dit ce dernier en s'inclinant profondément.
- Ma présence, Monsieur, et une froide révérence accompagna ce mot, ma présence n'a rien à ajouler ou à retrancher, à ce que ma bonne mère pourrait dire de sa fille; et pour voits, Monsieur, les complimens que vous vous plaisiez sans doute à faire sur ma triste personne, ne peuvent changer mes dispositions.
- Mademoiselle..... c'est reconnaître par trop d'aigreur des sentimens qui ne sont plus un mystère pour personne.
- Allons, ma fille, dit Mme van Lonnaert, Monsieur van Buren me presse de combler ses voeux les plus chers, j'ai donné ma parole, et pour toi et pour moi.
- Mais, ma mère.....
- J'ai donné ma parole, nous n'avons plus qu'à fixer le jour, et ce doit être dans le plus bref délai, car je sens ma santé s'affaiblir de jour en jour... Je ne voudrais pas partir sans avoir assuré ton bonheur!
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- Mademoiselle Maria ne peut douter de mon empressement à sacrifier tous les instans de ma vie, pour lui faire goûter ce bonheur qui, je l'espère, ne la fuira pas toujours.
- Mêler des projets de bonheur à venir à la crainte d'une séparation éternelle, c'est, ma mère, bien mal juger le coeur de votre Maria.
- Non, ma fille, non! Monsieur van Buren s'est toujours conduit en galant homme et sa protection puissante continuera l'oeuvre de ta vieille mère.
- Chassons, Mesdames, ces tristes idéés. Je participerai avec vous, longtemps encore, je l'espère, à embellir l'existence de Mademoiselle, mais ce sera sous l'égide de sa mère.
- Dieu le veuille, mais à sa sainte volonté! Seulement mon départ me tourmente moins, depuis que je sais que je vais te remettre, Maria, entre les mains d'un honnête homme.
- Monsieur Léon, dit Maria avec feu, vous voulez ma main?
- C'est mon voeu le plus cher, Mademoiselle!
- Bien que ma main!
- Cette question, Mademoiselle..... en présence de ce que vous me forcez à appeler mon désintéressement.....
- Cette question, Monsieur, convient à la position que vous vous êtes faite prés de moi!
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- J'avoue que j'ai peine a comprendre.....
- Vous ne me laissez pas achever!
- Mais, Maria, que veut dire lout ceci? Tu veux donc encore augmenler mes chagrins!
- Dieu m'est témoin, ma mère, que je voudrais au péril de ma vie vous épargner la plus légere peine; mais vous êtes aveuglée, trompee.....
- Mademoiselle!!! fit Léon avec fureur.
- Aveuglée, trompàe par votre amonr pour moi, et vos craintes sur mon avenir..... Vous voyez, Monsieur, que vous interrompez toujours mal à propos!
- Pardon, Mademoiselle.
- S'il vous était démontré, ma mère, que cet avenir que vous rêvez si brillant et si heureux avec Monsieur van Buren, dût être pour moi toute une existence de peines et de regrets, s'il vous était démontré que cet avenir ne peut, ne doitpoint être à Monsieur..... et qu'un autre...............
- Nous y voilà! interrompit Léon en souriant méchamment.
- Oui, Monsieur, nous y voila! Mais là du moins je trouve la protection que ma mère recherche pour sa fille, et peut-être encore un désintéressement plus grand que celui dont vous faisiez parade il y a quelques minutes!
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- Toujours sévère pour moi, Mademoiselle Maria, il me sera donc impossible de trouver grâce prés de vous!
- Ce n'est point à moi, Monsieur, que voys devez adresser cette demande. Soyez vol re propre juge! Mais vous avez éloigné la question, et cette longue conversation doit fatiguer ma mère; je vous ai demandé si vöus vous contentiez de ma main?
- Et moi, Mademoiselle, j'ai eu l'avantage de vous répondre que j'y attachais déjà un assez grand prix pour pouvoir espérer qu'il ferait excuser mon insistance.
- Eh bien, Monsieur van Buren, et vous ma bonne mère, retenez bien mes paroles! Le don de mamain me semblait ne devoir jamais suivre que les dispositions de mon coeur. Vous voulez, Monsieur, qu'il en soit an trement. Je souscrirai aux désirs de ma mère; mais songez bien que vous l'aurez voulu, et ne me parlez jamais d'un désintéressement auquel je ne crois pas, moi, Maria, l'orpheline sans nom et sans fortune, élevée par les soins et la charité de Madame la présidente van Lonnaert, moi, la soeur d'adoption de Frédéric de Castaens! de Frédéric de Castaens, entendez-vous bien, Monsieur van Buren!!!
- Ah! Mademoiselle, vous êtes sans pitié, et c'est me faire injure.....
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- Nous sommes ici pour nous dire franchement les vérités les plus dures. Je vous ai dit que je ne croyais pas à votre désintéressement, et je le répète! Si dans huit jours je ne vous ai pas convaincu de la vérité de ce que j'avance aujourd'hui, cette main, mais vous l'entendez, rien que cette main, vous appartient!
- Ainsi, dans huit jours vous consentez à recevoir mon nom?
- Peut-être! Il y a une condition, et j'abandonne aux replis de votre conscience le soin de me donner gain de cause! En disant ces dernières paroles, elle embrassa la présidente et, saluant modestement Léon, elle sortit du salon.
- C'est si jeune, fit la présidente en regardant ce dernier.
- Mes soins et mon affection, reprit celui-ci, auront bientôt triomphé de ses scrupules enfantins.
- Bien que ma pauvre Maria soit sans fortune, Monsieur van Buren, plusieurs partis convenables se sont cependant présentés. En acceptant le soin de son bonheur, vous nous prouverez, j'espère, que je ne me suis point abusée! Vous la rendrez heureuse, n'est-ce pas? Oh! dites-le moi, diles-le moi encore?
- Madame, mon attachement sans bornes à Mademoiselle votre fille ne peut que vous ré- | |
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péter que mon devoir sera toujours d'accord avec les sentimens de mon coeur.
- Oh, merci, merci! car j'ai tant souffert, voyez-vous?
- Je sais, Madame, que ces deux enfans que vous a légués le passé sont pour vous la seule espérance de vos vieux jours; si la conduite du jeune de Castaens,.... Mais pardon, Madame, vous avez reçu des nouvelles de ce jeune homme, et malgré sa faute.....
- Non..... non, Monsieur..... vous êtes dans l'erreur, balbulia la présidente.
- Pardon, je croyais qu'aujourd'hui même... On m'avait dit..... enfin on se sera trompé..... J'en suis désolé pour vous, Madame, car l'inquiétude..... les hasards de la guerre, l'exaltation de votre neveu..... J'espérais que vous auriez appris aujourd'hui.....
- Rien, Monsieur! La rumeur publique m'a seulement fait savoir qu'il avait été assez heureux pour échapper au feu de nos braves soldats; mais un bonheur aujourd'hui, et demain peut-être un malheur! En vérité, Monsieur Léon, je suis bien à plaiudre, et si vous ne remplissiez pas mon espérance, en veillant au bonheur de ma chère enfant, ah! je crois que je descendrais de là haut, pour vous reprocher votre félonie!
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- Bannissez ces vaines inquiétudes, Madame! Vous répéter mes sermens serait superflu, et ee que je fais aujourd'hui pour Mlle Maria, vous est un sûr garant de ma conduite à son égard pour l'avenir!
-J'accepte vos paroles, et j'y compte.
- Ainsi Madame, dans huit jours nous pouvons fixer le moment qui doit être le plus beau de ma vie. Je me retire, en vous priant de vouloir bien déjà me regarder comme un des membres de la familie.
- Allez, mon fils, et que Dieu répande sur vous et sur elle ses bénédictions!
Léon se leva à ces mots, et après avoir baisé la main de Mme van Lonnaert il quitta le salon et fut bientôt dans la rue; mais à peine était-il sur le Vrytbof, qu'un homme de la campagne s'approcha niaisement de lui, et lui dit à l'oreille:
- Ce mariage ne se fera pas, Monsieur le Richard!
- Misérable, fit Léon, en se retournant la canne levée!
- Tout beau, mon maître, on ne paie pas un secret avec des coups de bâton.
- Insolent! que veux-tu dire?
- Je veux dire que vous allez reconnaître mon pouvoir sur vous, et vous taire.
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Celte assurance de Robert, car c'était lui qui, ayant entendu Léon entrer chez Mme van Lonnaert, s'était hâté de sortir pour l'attendre sur son chemin, cette assurance en imposa tellement à cet homme, encore troublé par les menaces de Maria, qu'il ne put trouver une seule parole, et que cette fievté superbe, qui lui avait fait lever la canne, s'était subitement affaissée et humiliée devant le malin paysan. Cependant revenant peu à peu de sa stupeur, et regardant autour de lui pour s'assurer qu'il ne pouvait être entendu:
- Eh bien, ce n'est pas en pleine rue que je donne mes audiences; rends-toi chez moi, et si tu as quelque chose de particulier à me dire.....
- Non pas, messire van Buren, non pas! la respiration n'est pas libre dans votre maison..... enfin n'importe.....
- Comment?
- Oui, oui, un crime coûte peu, pour se débarrasser d'un pauvre diable comme moi, qui peut empêcher d'un mot le mariage que vous projetez.
- S'il en est ainsi, laisse-moi! Je suis bien bon d'écouter tes sornettes, quand je puis d'un mot te faire arrêter.....
- Arrêter! Allons donc, vous n'oseriezpas!.... J'ai des papiers en regie, on ne les a pas fait
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disparaître dans les Hammes coraine ceux..... enfin n'importe.....
- Enfer et damnation! qui donc es-lu? Et la figure de cet homme, aux formes naguères si nobles et si douces, se contracla extraordinairement et ïnontra pour un instant seulement toute la laideur de son ame.
- Un pauvre diable qui fait son petit commerce de marehandises pour gagner sa Iriste vie.
- Tu mens!
- Vouscroyez?.....
- Voyons! que veux tu de moi?
- Oh rien; ce n'est pas a moi à taxer.....
- Allons donc, je savais bien que nous finirions par.....
- Ecoutez, mon maître, l'heure mepresse; mais dans quatre jours je reviens en ville, et alors nous pourrons peut-être nous entendre. Songez-y bien! d'ici là, vous ne tenterez rien, ni contre moi, ni contre votre fiancée. Je sais que vous avez de grands pouvoirs en ces lieux, que vous pourriez essayer de me faire disparaàtre; mais mon sëeret est déposé en mains sures, et si on ne me voyaitpas rentrër, ordre est donné de publier ce secret..... voussavez..... enfin n'importe..... La tête tient bien sur les épaules, mon maître, elle pourrait se détacher
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demain....Au revoir..... Et comme plusieurs officiers supérieurs s'approcliaient de Léon, Robert lui fit un de ces saluts terre a terre qui révèlent l'obligé devant son supérieur.
- C'est bien, c'est bien, mon brave homme, dit Léou, je suis heureux de pouvoir faire quelque chose pour vous.
Comme Robert s'éloignait, Léon le suivit un instant des yeux et fit signe à un homme qui se promenait sur la place de s'attacher aux pas du paysan; mais il avait affaire a trop forte partie pour que son mouvement n'eut pas été compris de ce dernier, qui, revenant aussitôt:
- Pardon excuse, mon bon Monsieur, j'avais oublié de vous dire qu'il ne faut pas que l'on sache que je me suis adressé à vous; on jaserait, vous savez..... et cela pourrait me faire perdre mon procès.
- Ces paysans pensent à tout, dit Léon en se retournant vers les nouveaux venus! Allez, mon brave, nous tâcherons de faire pour le mieux. Et comme il avait parfaitement compris le but de Robert, un nouveau signe presqu'imperceptible fait à l'homme qui ne le perdait pas de vue, lui ordonna de ne plus s'occuper du paysan.
- Eh bien, Monsieur van Buren! lui dit un colonel, a-t-on des nouvelles des insurgés?
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- On dit qu'ils se sont ‘rapprochés de Maestricht, et qu'ils ont placé leur camp hors la portée du canon du fort Saint-Pierre, sur la droite de la chaussée de Tongres, dit un second interlocuteur.
- Ils voudraient tenter un coup de main surMaestricht, fit un troisième! ils comptent sur les bourgeois pour.....
- Les bourgeois, reprit le premier, nous les avons tellement bridés, que la vue seule d'un uniforme les fait rentrer sous terre. Oh! ce ne sont plus ces bourgeois qui ont si souvent fait trembler la domination espagnole, ce sont des enfans dégénérés!
- Parbleu, Messieurs, dit Léon, vous ménagez peu mes compatriotes! Au surplus, je vous les abandonne. Ce sont des ingrats, qui n'ont jamais su apprécier lesbienfaits du règne de la maison de Nassau.
- Apprécier, reprit le colonel! Les Mastrichtois sont trop égoïstes pour être à craindre, tant qu'on ne touchera pas à leurs cents; mais du moment ou on voudra leur faire payer les frais de la guerre, vous les verrez relever la tête!
- A propos, Messieurs, dit un jeune major, avez-vous entendu parler de cette Italienne, qui, depuis quelques jours, rode aux environs de la ville! Monsieur van Buren pourrait nous
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donner quelques explications sur cette femme extraordinaire, car j'étais ce matin de ronde a la porte de Saint-Pierre, lorsqu'elle s'est présentée, et son nom a été plusieurs fois invoqué par cette femme qui au surplus me paraît folle.
Folle! Oui, dit vivement Léon, en cachant son trouble.....
- Peut-être folle par amour, interrompit le colonel! Qui sait si ce n'est pas une victime de la séduction de notre ami Léon!
- Ah, Messieurs, de l'indiscrétion! ce n'est pas bien, reprit avec fatuité ce dernier.
- Bah! répondit le major, chez nous, de la discrétion en amour, c'est fort bien! Mais ici, à Maestricht, nous devons nous regarder comme en pays conquis, et ma foi, au petit bonheur!
- De grâce, major, n'insistez pas davantage, je ne crois pas connaître celte femme..... non..... je ne la connais pas, et ce serait me désobliger que de revenir sur ce point.
- J'accepte vos paroles! Mais puisqu'il n'y a pas de droit de propriété, par conséquent, c'est un coeur à prendre ou plutôt a reprendre! Pour la rareté du fait, je me mets sur les rangs! Cela fera diversion aux langoureuses oeillades de nos belles citadines! Sur cette plaisanterie, les interlocuteurs se séparèrent, et Léon rentra chez lui encore plus agité des nuages qui cha- | |
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que jour assombrissaient l'horizon qu'il s'élait fait avec tant de peine.
Durant ce temps, Robert était sorti de la ville, et après avoir fait les mille détours que sa position exigeait pour déjouer tous les soupçons, il était revenu dans la maison où il avait laissé l'Italienne.
- Ah, vous voilà enfin!
- Oui, Senora, et ce n'est pas sans peine! Etes-vous un peu remise des fatigues que vous avez éprouvées?
- Des fatigues! Oh, j'y suis accoutumée! Mais me direz-vous enfin pourquoi cet intérêt pour la pauvre Margueritta?
- Eh bien, n'êtes-vous pas étrangère?
- Oh oui, et je viens de bien loin pour réclamer..... mais voyez-vous..... il y a dix-huit ans, Maestricht...... j'y suis venue aussi moi.... le général était avec moi..... et puis j'ai été malade...... ah, hien malade...... ma pauvre tête, mon enfant..... le prêtre..... mais il est mort, n'est-ce pas,..... ils sont tous morts, et la pauvre Margueritta reste seule au monde pour les pleurer!!! Des sanglots entrecoupés étouffèrent sa voix.
- Là, là, ne vous désolez pas ainsi! Tâchez de rassembler plus nettement vos idéés! Vous êles née a Rologne, n'est-ce pas?
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- Bologne! oui..... mon père..... française...... le général.....
- Le général......
- Parroni.....
- C'est elle, s'écria Robert, je ne m'étais pas trompé! Et il redoubla de soins et d'attentions pour la pauvre femme.
- Vous rappelez-vous avoir déjà habité ce pays avec votre..... mari?......
- Mon mari!..... Margueritta n'a jamais élé mariée!..... Mais si..... lui..... le général......
- Sans doute, fit Robert, le général commandait dans le Limbourg!
- Ah oui, je suis arrivée ici sous l'escorte................
- Un dragon de l'Impératrice!.....
- Robert! s'écria aussitôt l'inconnue, et ses yeux brillèrent d'unéclat passager, quis'effaça bientôt, en se reportant sur les haillons de la misère qui la recouvraient, Robert.....
- Oui, Robert! oui, lui-même! qui vous accompagna jusqu'ici avec ce pauvre petit enfant, dont vous voulûtes prendre soin pendant toute la route, et qui ne quittait pas votre voiture, tandis que le dragon courait devant.....
- Oh ciel! mais oui, je me rappelle maintenant..... Oui, c'est vous, vous Robert..... vous, le père de cé petit Ulric que.....
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- Son père..... non..... Il est là haut lui, mon colonel..... enfin n'importe..... et il essuya deux grosses larmes qui sillonnaient ses joues.
- Mais alors..... vous savez donc..... attendez..... moi aussi.... moi.... un enfant..... J'étais mère aussi moi.... oh! mon enfant..... Robert rends-moi mon enfant..... Et comme une furieuse, elle s'accrocha au cou du vieux soldat... Rends-moi mon enfant, Robert!.....
- Diable, diable, fit le vieux serviteur! mais si vous m'étranglez, nous ne pourrons rien savoir. Je suis un ami moi.....
Un ami..... ah oui..... ils avaient raison... je suis folle..... Mais mon enfant.....
- Patience, patience, nous y arriverons!
- Oh! vois-tu c'est qu'à présent la mémoire me revient. Il y avait à peine dix jours que j'étais accouchée, lorsque le général, sous prétexte d'une maladie, m'enleva mon enfant. Mais je n'étais pas malade, n'est-ce pas, Robert! on voulait me priver des caresses de mon enfant..... Mais parle, parle donc?
- Hélas, Senora, vous étiez réellement malade, et gravement même! L'armée devait évacuer la ville dans le milieu de la nuit.....
- Eh bien! pourquoi me l'a-t-on enlevé?......
- Ah, ah! pourquoi?..... Si vous vous emportez encore, je ne dirai plus rien!
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- Oh si! Tiens, vois-tu, je suis calme maintenant! Tu parleras, Robert, oui tu sais..... toi toujours si bon, si généreux pour ton petit Ulric..... Songe donc si ou te l'avait enlevé!.,...
- Oh, moi..... moi..... enfin n'importe..... Écoutez, Senora, cet enfant..... tout me dit que nous le retrouverons, mais il faut être prudent.
- Tu demandes de la prudence à une mère, mais dis-lui donc que son enfant est là..... qu'elle. pourra le presser dans ses bras... Dis... dis..... Robert!
- Eh bien! oui.... il vit..... je l'ai vu! là, êtes-vous contente?
- Tu l'as vu, toi, Robert...., toi, tu as vu mon enfant..... et tu ne crains pas ma fureur en le dérobant a mes yeux!!!
- Patience, vous dis-je, ou tout est perdu!
- Comment perdu! fit subitement Margueritta en mettant la main sur un poignard qu'elle tenait caché dans son sein; mais que veulent-ils donc encore, les misérables qui me pèrsécutent depuis quinze ans..... Car tu ne sais pas, Robert! Ils m'avaient fait enfermer comme folle, moi, moi, folle, une mère qui cherche son enfant, qui le demande à tous les échos, j'étais enfermée, et ce n'est que depuis cinq mois que j'ai pu me sauver des mains de mes geôliers. Saistu, Robert, ce qu'il faut de courage à une mère,
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pour faire ainsi six cents lieues, seule, sans secours, vivant au jour le jour de la charité publique, aujourd'hui rebutée, rejetée, demain secourue par une main charitable! Oh, j'ai bien souffert, Robert! mais enfin je suis arrivée, me voilà..... et ils me rendront mon enfant!.....
- N'avez-vous douc aucun indice, aucune preuve d'un dépôt?
- Un dépôt......oh si..... et elle tira'de son sein un papier soigneusement enveloppé dans un petit sac de soie. Ce papier, vois-tu, je le leur ai toujours caché, car s'ils avaient su que j'avais cet écrit, ils me l'auraient enlevé......
Robert tendit la main pour en prendre connaissance.
- J'ai fait un voeu, Robert! c'est le voeu d'une malheureuse mère: ce papier ne sortira de mes mains que pour passer dans celles de mon enfant.
- Cependant... il faut..... enfin n'importe... que dit-il?
- Oh, je le sais par coeur! C'est un reçu de Ia somme de huit cent mille francs confiés à un prêtre qui ne doit les remettre que contre cet écrit.
- Le nom de ce prêtre?
- Joseph Apostolo van Buren!
- C'est lui!!!
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- Qui, lui?
- Senora! nous touchons au terme de vos souffrances; mais je vous le répète, il faut de la prudence. L'homme qui a signé cet écrit, n'existe plus; le dépôt est maintenant en d'autres mains; il à été dénaturé..... Ceux à qui le vénérable Apostolo s'était confié ont reçu des dons considérables pour se taire; il y a dans tout cela un mystère que vous m'aiderez à débrouiller; mais pour l'amour de Dieu et de cet enfant que je remettrai dans vos bras, de la prudence!.....
- Mais, mon enfant..... le prêtre....
- Allons, sa tête se perd encore..... Pauvre femme, fit doucement Robert!
- Que faire, mon Dieu, que faire!!!
- Ne pas laisser soupçonner que nous sommes d'accord! En ces lieux aussi, ils veulent vous faire passer pour folle, laissez leur cette croyance! Aux yeux de nos braves paysans de Saint-Pierre, vous serez un être respectable et sacré; le succès de la pauvre mère dépend de la préserice de la pauvre fille. Restez ici! Surtout cachez bien cet écrit, et avec l'aide de Dieu, Senora, qui ne nous abandonnera pas, je vous promets de faire jouer les violons pour une belle noce.
- Mais mon enfant?
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- Si vous n'êtes pas raisonnable, vous ne le verrez pas; si au contraire, vous suivez cle point en point ce que je vous reconunande, avant peu nous aurons raison de tous ces briganda. Adieu, Senora, pour tout le monde ici, vous êtes une pauvre femme, qui n'a pas son bon sens! Je reviendrai bientôt; mais, sur la tête de votre enfant, ne parlez à personne de nolre conversation; car j'ai encore une autre tâche à remplir..... Enfin n'importe..... Silence.....
Il s'éloigna en disant ces derniers mots.
Il était temps! car lui aussi, le brave et digne homme, il était ému aux larmes, et il craignait de compromettre la sûreté de ses amis, en s'ouvrant plus longuement a cette malheureuse femme, qui, si elle n'était pas tout-à-fait folle, éprouvait au moins un dérangement dans ses facultés intellectuelles, de manière à donner de l'inquiétude sur les confidences qui pouvraient lui être faites. L'heure s'avançait et, comme il venait de le dire, sa tache n'était pas finie! Il avait encore d'autres infortunes à consoler!
fin du pemier volume.
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