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Livre troisieème.
- Eh bien, Adalbert, quelle nouvelle?
- Pas de nouvelles, bonnes nouvelles!
- Fou, tu vas encore continuer tes énigmes!
- Ah, Monsieur l'esprit fort, il n'y a jamais deplus grands sourds que ceux qui ne veulent pas entendre, de plus francs aveugles que ceux qui ne veulent point voir, et par conséquent de plus oblus que ceux qui ne veulent pas comprendre!
- Et de tout cela tu conclus?
- Je conclus..... non, pas encore..... je continue, et.....
- Passé à la conclusion, je t'en prie!
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- Tu mériterais bien d'être forcé de suivre inon raisonnement dans toates ses phases, mais par générosité, je t'en fais graàce, et je dis que si Robert n'est pas revenu, c'est qu'il n'avait rien de bien important anous apprendre; c'est pourquoi il aura profité de son voyage pour rendre une petite visite à son hermitage de Smeermaas.
- Soit! J'accepte tes explications; mais cependant, elles ne diminuent pas mes inquiétudes. La dernière lettre de Maria me parlait vaguement des obsessions de ce misérable Léon, et te l'avouerai-je, je suis tourmenté.....
- Serais-tu jaloux, par hasard?
- Jaloux! et de qui?
- De Léon!
- Ce serait faire insulle aux nobles sentimens d'une femme a qui personne ne peut refuser son eslime, que de la croire capable de répondre aux voeux d'un pareil misérable!
- Sans doute, sans doute, mon cher; mais vois-tu, la jalousie est comuie la fortune, elle est aveugle! Partant de là, l'odeur d'une paire de bottes qui foule le même sol que l'objet aimé nous porte ombrage malgré nous.
- Grâce a Dieu, je n'en suis pas eneore à ce point! mais ces maudits papiers qui n'ont pas été retrouvés, ces vexations continuelles aux- | |
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quelles sont soumis les habitans de Maestricht, rien de tout cela n'est fait pour me rassurer sur la position de ces deux êtres chéris que j'ai laissés derrière nous, et que ma présence parmi les volontaires liégeois doit nécessairement exposer aux soupçons des autorités hollandaises.
- Allons donc, des femmes!
- Eh, mon Dieu! que ne peuvent tenter les partisans de la Hollande, qui voient chaque jour échapper un à un les plus beaux fleurons de la couronne des Pays-Bas!
- t-'Il est vrai que nos malheureux conciloyens, gardés à vue, parqués dans leurs murailles hérissées de canons braqués plutôt contre eux que contre l'ennemi du deliors, traqués jusque dans leurs domiciles comme des bêtes fauves par des sauvages qui pensent intimider, à force de cruautés inouïes dans les fastes de l'histoire, une population irritée contre ses oppresseurs, il est vrai que tout cela n'a rien de tres rassurant; mais enfin, mon cher Frédéric, des femmes, des femmes inoffensives, la plus belle moitié de l'espèce humaine!
- Eh, mon Dieu! la plus belle moitié de l'espèce humaine peut fort bien être méconnue par la plus laide moitié des sujets de Guillaume Ier.
- A vous, Messieurs les Hollandais pur sang!
La conversation montée sur ce ton allait con- | |
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tinuer d'une manière peu favorable aux chefs militaires de la capitale du Limbourg, lors- qu'un troisième interlocuteur arriva prés de la cantine improvisée oß se tenaient debout nos deux héros. G'était un simple volontaire beige, mais qui, par son courage et son sang-froid, avait acquis une certaine influence, surtout7 dans l'artillerie dont il dirigeait une pièce, sur le coteau de Rocour, où se trouvait en ce moment une forte colonne de l'armée insurrectionnelle. A la guerre, et surtout a la guerre de l'indépendance, où chaque soldat comme chaque capitaine combat avec l'idée fixe de la conquête, non pas seulement du charnp de bataille, mais de la li horté; où chaque soldat comme chaque capitaine tient dans son fusil ou son épée le sort a venir du triomphe des opinions qui lui ont mis volontairement les armes a la main; a la guerre et en face de l'ennemi, la connaissance est bientôt faite entre de jeunes hommes animés d'un seul but, d'un seul résul- tat, et l'intimité ne tarde pas à réunir par une franche amitié des coeurs généreux groupés sous le pli du même drapeau. Aussi le jeune Conrad, dès que le service de sa pièce lui permettait de se livrer à quelque repos, recherchait avec empressement nos jeunes gens, devenus l'un lieutenant, l'autre sous-lieutenant
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dans une compagnie de volontaires, formée en partie des Maestrichtois échappés par ruse a la surveillance hollandaise, et dont la force s'augmentait chaque jour par suite de la maladresse des gouverneurs de la ville. Il faut le dire, la faute de quelques chefs, trop souvent sourds aux plaintes des bourgeois sur les écarts d'une soldatesque effrénee, donnait à chaque heure de nouvelles recrues à l'ennemi, et la conduite parfois ou cruelle, ou partiale, das officiers supérieurs à qui le roi de Hollande avait confié le soin de faire respecter sa couronne, lui a peut-être aliéné plus de coeurs et suscité plus d'obstacles que l'amour d'une liberté qu'il n'était peut-être pas lui-même éloigné d'octroyer franchement à ses peuples, Ainsi vont les révolutions, ainsi vont les royaumes de la terre! Et, comme le répète souvent Adalbert, mieux vaut avoir affaire au bon Dieu qu'à ses saints! Et si le prince d'Orange, entièrement absorbé par les malheurs d'une révolution qui eût été étouffée des son principe, si ses sages conseils eussent été suivis par les ministres de son père; si le prince d'Orange, disons-nous, n'eût pas été contrahit dans ses opérations bienveillantes pour amener la fin d'une lutte sanguinaire, cette révolution n'eût pas abouti à une séparation funeste pour les Pays-Bas!
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- Bonjour Messieurs, s'empressa de dire à ses nouveaux amis notre jeune artilleur, après avoir échangé une poignée de mains! Quoi de nouveau?
- C'est bien plutôt à vous que doit s'adresser cette question! Depuis ce malin que nous avons quitté la ville de Liége avec Frédéric, et que nous sommes én avant-poste derrière cette vieille masure, que pouvons-nous savoir, si ce n'est que le soleil est bien ardent et la cantine à sec!
- Allons, je vous apporte des consolations, et, qui plus est, des nouvelles!
- Des nouvelles! de la ville?
- Oui, et d'autre part.
- Voyons! firent à la fois les deux amis.
- Patience, dit Conrad, d'abord mes consolations! et en disant ces mots il leur passa une bouteille qu'il tira de sapoche, voilapour vous remeltre de l'ardeur du soleil et du vide de la cantine!
- Très-bien pour le physique! et chacun but à longs traits; au moral maintenant! Ces nouvelles......
- Ah, ces nouvelles! c'est que nous allons avoir beau jeu et que le grondeur va parler!
- Ma foi, tan t mieux! s'écria Frédéric. Depuis ce ma tin., que le général m'a envoyé
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sur ce plateau avec la colonne d'observation, je commence à m'ennuyer en face de cette citadelle dont les factionnaires royaux semblent de loin narguer notre tranquillité.
- Que ne nous est-il permis de dire deux mots, là... en face sur ce plateau, à ces harengs fumés, enfermés dans cette forteresse, quipeut à tout instant inquiéter les Liégeois qu'elle domine. Tiens, Frédéric, en quelques bouchées cela serait fini en rase campagne.....
- Patience, dit Conrad! un homme sorti ce matin de Maestricht vient d'arriver au camp; et.....
Au même instant on entendit chantonner:
- C'est la voix de Robert! interrompit Frédéric, et aussitôt il fut pres du vieux soldat, qui, lui remettant une lettre avec précipitation:
- Tout va bien, tout le monde se porte bien; vous lirez cela plus tard.
- Mais, reprit Conrad, c'est mon homme à la nouvelle! C'est a merveille. Yous allez nous la raconter vous-même, mon brave!
- Soit, répondit Robert, nous procéderons par ordre! Je quitte le commandant qui m'a questionné. Dam, c'était un plaisir,.... Maintenant
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c'est le tour des officiers, ça arrivera ensuite aux camarades.
- C'est cela, dit Adalbert, te voilà la trompette de la renommee!
- Pour vous servir, mon lieutenant, si j'ert étais capable!..... Donc..... je commence.....
Les trois jeunes gens prirent place sur un ainas de pierres qui se trouvait pres d'eux, et Robert s'avançant gravement en face, prit aussitôt la parole:
- Pour lors, mon commandant..... non, mes officiers..... Ie tour du commandant est passé; pour lois, je sortais ce malin de Maestricht par la porte de Bois-le-Duc, altentiön que c'est une frime pour dépister les mouchards, car il y en a partout..... enfin n'importe..... Il était onze heures; je suivais tranquillement la route de Smeermaas, Conduisant machinalement devant moi ma brouette, manière de frime toujours pour dépister les mouchards. Arrivé a une demi-heure de la ville, je dépose mon équipage, vous savez, dans la petite maison à droite, vous savez, prés des grands arbres, en face le château..... chez le vieux..... vous. savez..... enfin n'importe..... Et aussitôt, prenant mes jambes à mon cou, je m'enfonce darts la campagne sur ma gauche pour tourner la ville et regagner la route de Tongres; Je marchais, je courais que
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j'en étais tout essoufflé; mais 9a vous est égal, mes officiers..... enfin n'importe...... lorsque j'aperçois sur la route un nuage de poussière, qui allait, qui venait, qui tourbillonnait qu'on aurait dit que c'étaient tous les nuages du ciel qui s'étaient donné rendez-vous. Je presse le pas, j'approche sans avoir l'air de rien, là, le paysan curieux, et voilà.... Un traînard, car il y en a toujours..... enfin n'importe..... un traînard me demande si nous sommes encore loin de Liége. J'entame la conversation, et de fil en aiguille, j'apprends que cette poussière est causée par une colonne de Hollandais, composée d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie, qui accompagne un convoi considérable de vivres destiné à ravitailler la citadelle de Liége. Cette colonne, commandée par, le général Daine..... le général Daine commandant les Iroupes hollandaises contre sa patrie... enfin n'importe..... La colonne peut bien être de quinze cents hommes. Je ne perds pas de temps, je me rejette dans la campagne, je rencontre un paysan qui se rendait a Liége, il m'offre une place dans sa calèche d'osier..... et..... voilà.....
- Allons, direntles trois auditeurs, c'est une affaire qui se prépare!
- Mais, reprit Frédéric, l'ennemi est-il encore loin?
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- Oh! il ne peut tarder a paraître dans la plaine; une heure au plus, et voilà.....
Au raême instant, un mouvement extraordinaire, un bruit confus se fireut entendre dans le camp; les tambours, les fanfares annonçaient une prise d'armes.
- Entendez-vous? dit Robert; le renard a senti les poules, ça ne tardera pas à jouer! Et chacun, selon les devoirs de son grade et la place assignée à sa compagnie, se hâta de rejoindre.
Frédéric resté eu arrière ouvrit la lettre que lui avait remise le bon Robert et lut rapidement ce qui suit:
‘Cher Monsieur Frédéric,
‘Graces aux soins et au généreux dévoûment de votre brave Robert, nous avons des nou velles rassurantes sur votre santé; c'est un baume consolateur sur les chagrins dont nous sommes abreuvées votre bonne tante et moi; mais cela sufft-il, en pensant aux dangers que les hasards de la guerre peuvent en un instant accumuler sur votre tête! Oh, je vous en conjure, pour l'amour de tout ce qui vous est cher, ménagez-vous! On parle d'une sortie de nbtre garnison; puissent les lieux où vous vous trouvez ne pas être le but de cette? sortie! et, s'il en était autrement, que Dieu vous conserve pour vos amis, votre tante,
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et un peu pour moi qui ai déjà tant souffert, et dois encore tant souffrir à cause de vous! Notre maison est si triste depuis votre départ; ce jardin, ce bosquet, tout y attend votre retour! Oh! vous reviendrez, n'est-ce pas? j'attends, j'altends toujours!!! Mais encore une fois, en présence des dangers qui nous menacent, je répète ce que j'ai dit tant de fois dans ma solitude: à vous et pour vous ma dernière pensée.
‘Votre Maria,
bien malheureuse de vous avoir aimé, mais ‘qui ne voudrait pas pour tout au monde échanger ce malheur contre l'indifférence.’
- Pauvre Maria! s'écria-t-il. Oh, elle m'aime, elle! Qui pourrait en douler Et il rejoignit Adalbert et Robert, qui, ne le voyant pas revenir avec eux, s'étaient arrêtés.
- Sommes nous un peu plus calme? lui dit sou amij le baume a coulé sur la blessure, n'est-ce pas?
- Tiens, ami, je n'ai rien de caché pour toi. Lis èt juge!
Puis s'adressant à Robert pendant qu'Adalbert parcourait la lettre:
- As-tu appris quelque nouvelle perfidie de ce misérable Léon?
- Les tigres s'endorment quelquefois, mon
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lieutenant, mais leur reveil s'annonce toujours par ime calaimité!
- Qu'est-ce à dire?
- Cela veut dire, que notre aigréfin a paru s'endormir à la suite de l'affaire, vous savez..... le pistolet.... mais que, voyant sans doute les royaumes voisins au port d'arme pour protéger la Hollande, il s'est réveille pour vous disputer une proie que L'on vous offre de grand coeur, là, sans rechigner, vous savez.... et qui lui résiste avec armes et bagages.... enfin n'importe...
- Ah, fit Adalbert! c'est l'explication des souffrances dont parle Maria!
- Je ne sais; mais le vieux Robert a poussê des reconnaissances au quartier-général de ce van Buren du diable, et quant a présent, je puis dire qu'il est à l'eau de rosé avec les autorités mililaires; il est même question de nouvelles faveurs qu'il aurait regues de La Haye et qui lui permettent d'emboîter Ie, pas aux généraux qui commandent en ville! Je doute fort, cependant, qu'il ait jamais le courage de ces donneurs de coups de cravaches..... enfin n'importe.....
- Il paraît, dit Adalbert, que c'est un système nouveau pour entrelenir le patriotisme de nos concitoyens!
- Oh, les gros bonnets ne se gênent plus en
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ville! A tout bourgeois atteint et convaincu d'avoir manqué de respect a un des soldals de Guillaume, depuis le général jusqu'au caporal, la cravache! A tout bourgeois atteint et convaincu de libéralisme en action ou en pensée, la cravache, toujours la cravache! On dit même que la cravache est appliquée à ceux-là même suspectés de pouvoir devenir libéraux..... vous savez..... enfin n'importe.....
- C'est être conséquent, dit Adalbert. La prudence hollandaise autrefois proverbiale n'a pas voulu rester en défaut; c'est ce qui s'appelle couper le mal dans sa racine..... Mais, gare aux représailles
- Des représailles..... c'est une machine, foi de Robert, qui ne leur fait pas peur! Figurez-vous que la stupeur est telle en ville, que deux hommes n'osent plus s'aborder, dans la crainte d'être accusés de conspiration et cravachés sur l'heure!
- Et mes compalriotes souffrent cela, exclama Frédéric!
- Ils gémissent in petto, comme faisaient les Italiens du temps de l'autre, dit Robert; les plus impatients ont pris la poudre d'escampette, le reste attend et se tait. On a publié ce matin un ordre du jour qui défend les rassemblemens de plus d'une personne.
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- Bravo, fit Adalbert! inais les femmes sont elles comprises..... Deux femmes, dit-on, valent un homme, par conséquent trois ensemble seraient donc impitoyablement cravachées!
- Non pas! mais les pères, oncles, cousins ou maris sont responsables.
- Adieu ma belle ville de Maestricht, fit Adalbert en soupirant. Il n'y a plus alors d'amouretles possibles.....
- Des amourettes..... Hier, un honnête bourgeois a été cravaché par le général en personne, pour s'être permis de penser que son excellence n'était pas seule possesseur du coeur de sa maîtresse.
- Assez, assez de turpitudes, Robert! n'oublie pas qu'Adalbert et moi, nous sommes enfans de Maestricht, que nous avons grandi dans ses remparts!
- C'est possible, reprit Robert, mais..... vous savez..... enfin n'importe..... tous les frères ne se ressemblent guère!
Tout en devisant ainsi, ils étaient arrivés au camp, où chacun, selon les ordres qui lui furent donnés, prit position pour attendre l'ennemi. Mais a une certaine distance des Belges, la colonne hollandaise fit une halte, et le général Daine, suivi de deux aides-de-camp, et précédé par un parlementaire, seprésenta
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à une portée de fusil des avant-postes; son intention n'était donc pas de livrer bataille, et de tenter, par une diversion, de débloquer la citadelle de Liége dont la garnison était aux abois.
Frédéric commandait positivement cette avant-garde avec sa compagnie de volontaires maestrichtois. Un premier mouvement, parmi cette brave jeunesse qui avait quitté familie, position et fortune pour se ranger sous l'étendard de la liberté, un premier mouvement, terrible pour ceux qui en étaient l'objet, se fit ressentir comme une commotion électrique:
Sus aux Hollandais!..... Sus aux tyrans de Maestricht!..... s'écria-t-on de toutes parts.
L'effet allait suivre ces paroles dangereuses, lorsque Frédéric, tirant son épée et s'avançant sur le front de la compagnie:
- Un parlementaire, Messieurs! c'est un être sacré d'apvès les lois de la guerre, et vous me passerez sur le corps ayant de l'atteindre!.....
La promptitude de ce mouvement, soutenu par les remontrances d'Adalbert et de Robert, qui parcouraient les rangs pour faire comprendre a toute cette compagnie indisciplinée l'infamie d'unpareil acte, sauva le parlementaire et l'honneur en même temps de ces héroïques volontaires, qui eussent terni par un meurtre
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l'éclat dont ils allaient bientôt couvrir leurs noms,
Le parlementaire fut conduit au général en chef, et bientôt M. de Berlaymont, aceompagné de ses deux chefs d'état-major, arriva à la rencontre du général Daine.
Iln'entre point dans notre plan de rapporter mot à mot l'histoire de ces mémorables journées, qui virent couler tant de sang, et croître tant de jeunés lauriers; nous dirons seulement que de nombreux pourparlers eurent lieu, et que, faute de s'entendre, les deux partis en vinrent aux mains; que la victoire longtemps disputée resta aux Belges, qui non seulement s'emparèrent du convoi destiné à la citadelle, mais encore des pièces de canon que hen nerni dut laisser suf le champ de bataille. La compagnie maestrichtoise fit des prodiges de valeur, et son jeune lieutenant obtint l'insigne honneur d'être mis a l'ordre du jour de l'armée pour sa belle conduite pendant les journées de septembre. Les fastes de la révolulioti n'oublieront pas son nom et ceux de ses braves compagnons; mais, laissant à la postérité lesoin d'enregistrer ces nobles actions au grand livre de l'histoire des peuples, nous reprendrons le cours de notre narration.
Harassés, faligués et hontéux d'une tentative- | |
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malheureuse pour porter secours à la citadelle de Liége, dont la position devenail plus insupportable de jour en jour, le reste du Corps d'expédition qui avait échappé au feu,de l'ennemi rentra dans Maestricht et vint y porter une nouvelle qui devait augmenter la rage et la fureur des Hollandais contre une population qui applaudissait aux succès de ses enfans.
Léon van Buren se trouvait en ce moment dans le salon de Mme van Lonnaert avec la baronne de Rostang et la triste Maria. Etait-ce le liasavd qui l'avait amené dans cetle maison au moment ou la nouvelle se propageait en ville! Elait-ce le besoin de porter un coup décisif dans une entreprise qu'il poursuivait avec persévérance! Toujours est-il que nous le retrouvons dans ce même salon où, un mois avant, il s'était si élrangement. dévoilé al'inno- cence de Maria.
- Eh bien, Mesdames! dit-il en observant toutes les physionomies, vous savez ce qu'on dit: un engagement a eu lieu hier entre nos braves défenseurs et les rebelles sur la route de Tongres à Liége.
- Ah, mon Dieu! fit Maria qui rie put maîtriser un premier mouvement.
- Cet engagement a été des plus sérieux; un noble et généreux sang a coulé en abondance.
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- Mon Dieu, Monsieur Léon, dit la baronne, venez donc au fait: sommes nous vainqueurs ou vaincus?
- Rassurez-vous, belle dame, nous sommes vainqueurs; je dis nous, parce que je sais que vous ne partagez pas les faiblesses qui ont arraché tout a l'heure un cri si pénible à Mademoiselle Maria.
- Mais, reprit Mme van Lonnaert en soupirant, quelle que soit l'opinion sous laquelle on se range, et vous savez, Monsieur van Buren, si on peut suspecter les miennes en faveur de nos nobles prinees, il est toujours si cruel, pour des femmes surtout, d'enlendre parler d'eifu- sion de sang humain!
- Sans doute, répondit Léon impitoyablement, je partage vos chagrins, Madame, surtout quand ce sang est celui d'une jeunesse inconsi- dérée, que l'on s'était habitué à regarder comme formant avec vous une même familie.
- Je vous en conjure, Madame, éloignez cet hornme, il faut que je vous parle, dit tout bas Maria à la baronne.
- En vérité, Monsieur Léon, les détails de ces nouvelles, tout brillans qu'ils puissent être pour la cause du gouvernement, ne sont pas à raconter devant des femmes, bien que les victimes méritent peut-être fort peu d'intérêt; je
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dois ce matin rendre visite à la femme d'un conseiller de la Haute-Cour, qui se trouve en ce moment à Maestricht; serez-vous assez aimable peur me donner votre bras?
- Monsieur Léon est trop aimable pour vous refuser, ma chère amie, s'empressa de dire la présidente, qui, elle aussi, ctait impatiente de rester seule.
- C'est vraiment, Mesdames, mettre cette galanterie, que vous voulez bien reconnaître en moi, à une vude épveuve. Sans doute, Madame la baronne, j'estime pour un grand bonheur celui de vous posséder à mon bras; mais d'un autre côté vous me priverez de la sooiété de ces dames, ce qui peut et doit à plus d'un titre me causer une peine réelle!
- C'est me refuser poliment! Les idees de liberté vous gagneraient-elles, mon Dieu?
- Non, Madame, non, la liberté ne peut plus rien sur moi, car je ne suis plus libre, et ne désire pas le devenir!
- Comment donc? Mais c'est d'une délicatesse de cour..... Cependant j'insiste..... oh! mais je devine, vous connaissez les nouvelles défenses de ce matin.
- Qu'est-ce donc? firent a la fois la présidente et Maria.
- Une plaisanlerie, dit Léon, les rassemble- | |
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mens.... de telles défenses, vous le savez troji,
belle dame, ne sont pas faites pour des gens comme nous! Et d'ailleurs, qui ne s'empresse- rait de les enFreindre pour vous accompagner?
- Prouvez-le donc, preux chevalier! Etsans altendre une réponse, la baronne se hâta de prendre le bras de Léon, que celui-ci, sans pa- railre grossier, ne pouvait plus lui refuser. Il connaissait l'influence exercée par cette femme sur la présidente, comme sur Maria, et une plus longue discussion pouvait compromettre ses in téréts.
- Dieu et votre amabililé disposent, belle dame, je suis entièrement a vos ordres. Ces dames voudront bien m'exouser et me permettront de revenir dans la soiree leur présenter mes hommages.
- Vous savez, Monsieur, que vous ètes toujours le bienvenu dans ma inaison, lui dit la présidente en s'incliuant.
- Eli bien, petile, fit la baronne, vous me boudez, n'est-ce pas, de vous enlever votre cavalier! Yenez donc m'embrasser, nous vous le rendrons! Maria s'approcha les larmes aux yeux et dit vivement a la baronne en lui présentant le front: dans deux heitres je serai chez vous.
Léon venaitde sorliravec M.me Rostang; les
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deux femmes se regardèrent tristement. Cependant elles sayaient que, si la nouvelle rapporfée par M. van Buren était vraie par rapport à l'engagement entre les troupes royales et les rebelles, elle était fausse dans les détails. La rumeur publique avait marché plus vite que les bulletins militaires du gouvernement, et l'on savait déjà dans toute la ville que la compagnie de Maestricht, commandée par le jeune de Castaens, avait fait des prodiges de valeur; mais on parlait aussi de blessés, de morts, et il était peu de families qui n'eussent a craindre soit pour un de leurs membres, soit pour un ami. La vive inquiétude de la présidente était donc à son comble, et la pauvre Maria, assise tristement auprès d'elle, ne pouvait lui donner des consolalions dont elle avait elle-même un si grand besoin.
Mme van Lonnaert prévoyait les conséquences de la conduite de son neveu. déjà en ville toutes les families dont quelque membre avait embrassé la cause de la révolulion étaient mises à l'index par la sévérité des autorités militaires. Les ve xations les plus inouïes poursuivaient ces families, qui étaient chaque jour appelées a rendre compte, devant une espèce de tribunal secret improvisé par la seule volonté des chefs, des sentimens et de la conduite de leurs mem bres
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restans. Bien que ces vexations n'eussent pas encore atteint la maison de la présidente, ou deux femmes senles ne pouvaient causer de graves préoccupations a la police militaire, cependant la position exceptionnelle que venait dese faire Frédéric lui ouvrit subitement les yeux sur les dangers qu'elle allait courir élle-même. Son coeur se serra, non pour elle, Dieu, en qui elle avait mis toute sa confiance, la soutenait assez pour lui faire courberla tête avec humilité sous ces facheuses épreuves, mais pour sa pauvre Maria, sa fille bien aimée!
L'amour que Frédéric ressentait, partagé par la jeune fille, n'était plus un secret pour personne. Quoique ces deux enfans ne se fussent point parlé depuis que cet amour leur était révélé, il était connu, la présidente le savait, et Léon lui avait laissé entrevoir qu'il le soupçonnait, mais que, à l'âge de Maria, la raison et les distractions d'une nouvelle et honorable position en auraient bientôt fait justice, Fort du secret qu'il avait surpris, l'astucieux prétendant s'était franchement, en apparence du moins, ouvert a la présidente, et son désintéressement en demandant la main de Maria, qu'il savait sans fortune, mais qu'il voulait, disait-il, arracher aux persécutions qui ne manqueraient pas de l'accabler, lorsque l'on connaîtrait les
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sentimens de Frédéric, oe désintéressement avait ébloui la bonne Mme van Lonnaert; elle appelait de tous ses voeux la réalisation de ce mariage qui allait donner un protecteur liaut placé à l'innocente orpheline, si Dieu, comme elle le redoutait, la rappelait à lui.
Mais peur la pauvre enfant, la position était bien différente: son amour était pur comme son coeur; elle aimait Frédéric parce qu'elle avait foi et confianceen lui, et les assiduités de Léon, qu'elle méprisait à tous égards, lui étaient devenues plus odieuses que jamais.
Bien que Frédéric, par prudence, pour ne pas exposer Maria a la haine et a la vengeance de cet homme, ne lui eût jamais appris le nom du traitre qui avait causé sa fuite, un pressentiment, fortifié par la conduite et les aveux de Léon, avertissait l'infortunée qu'elle allait devenir la proie d'un misérable, si la faiblesse, ou plutôt l'excès de tendresse de la présidente, ne savait résister aux pressa nies sollicilations de celui qu'elle regardait déjà comme son plus mortel ennemi. Plusieurs fois déjà, elle avait tenté, mais en vain, de faire revènir sa bienfaitrice sur des projets quilui faisaient horreur; Mme van Lonnaert était inexorable sur ce point, et fermait toujours la bouche de la malheurcuse jeune fille, en lui disant que ce mariage
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était sa seule espérance pour l'avenir; que certes elle ne voudrait pas la contraindre, mais que s'il ne se faisait pas, la douleur qu'elle en éprouverait abrégerait les derniers momens de son existence. Opposer de pareils argumens a une enfant qui chérissait sa seconde mère, c'était employee plus que la contrainte, et Maria, qui eût trouvé dés forces pour résister a une volonlé impérieuse, n'en trouvait plus pour combattre un projet dont le refus lui faisait entrevoir un crime!
C'élait dans cette affreuse perplexité que l'avait surprise la visite de Léon et de la baronne, et, sans savoir positivement a quel parti elle devait s'arrêter, elle voulait encore consulter une amie dont le coeur était bon et généreux, malgré des dehors én qui l'age et une certaine coquetterie conimencaient a laisser voir non pas peut-être le ridicule, mais au moins l'exagération.
Elle attendit donc impatiennnent que les deux heures qu'elle avait demandées à la baronne fussent écoulées, et aussitôt que la pendule lui eût dit qu'elle pouvait partir, profitant de l'assoupisseinent dans lequel était tombée sa bonne mère, elle sortit précipitamment, et dirigea sa course vers la demeure de Mme de Rostang, située rue du Petit Fossé.
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Pour une jeune fille Beule, la route était assez longue; il fallait traverser la ville de part en part; mais, outre que les habitudes du pays n'avaient rien de contraire à cette excursion qu'elle avait déjà si souvent entreprise, l'animation de ses esprits lui faisait suivre machinalement le chemin accoutumé, sans s'occuper de ce qui se faisait autour d'elle. Et cependant l'aspect de la ville paraissait troublé; ladéfaite du général Daine occupait tous les habitans; et si on ne voyait plus de ces groupes divers, comme aux premiers jours de la révolution, si la politique ne se commentait plus en pleine rue, chaque visage avait un caractère extraordinaire que les circonstances de la veille, racontées en secret, imprimaient à toutes les physionomies. Les hommes se heurtaient en passant, mais n'osaient se parler; un serrement de main, un régard, un mouvement étaient vivement échangés entr'eux, et ce langage muet était cependant si expressif que la plus infime intelligence pouvait en saisir les différenles nuances. Les fenêtres s'ouvraient et se refermaient, et une pantomine aériénne s'engageait entre les habitans d'un côté a l'autre de la rue, sans que l'oeil des aflidés du gouvernement put la saisir au passage, par la précaution que prenaient les acteurs de se tenir toujours en arrière.
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Au milieu de cette préoccupation générale, Maria avançait toujours . et ne s'aperçut pas qu'un homme, si le nom d'homme peut être donné à de pareils êtres, la suivait pas à pas en échangeantun regard d'intelligence avec d'autres individus qui se croisaient sur son chemin. Ce n'élait point pour ceux-là cer tes, qu'avaient été faites les ordonnances contre les altroupeniens; car des conversations s'engageaient quelquefois evitr'eux, et chaque bourgeois que les circonstances forçaient à en approcher, s'éloignait avec précipitation dès qu'il le pouvait; ces hommes étaient des étrangers a laville, une contre-police venue de la Hollande et obéissant spécialement à rautorité militaire. La police municipale n'avait rien de commun avec eux, et on eût pu à juste litre leur donner le nom de police des consciences. Ces gensse retrouvaient partout, et l'épaulette de capitaine a maintes fois été salie par un service de ce genre aux portes de la ville, où du reste ils ne rougissaient pas de mettre à contribution la bourse des habitans, au préjudice de la cause qu'ils servaient et qui les payait.
Divers établissemens publiés étaient tenus par des agens de celle contre-police, et il ne sera peut-être pas hors de propos de metlre sous les yeux de nos lecteurs une pièce assez
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importante et qui vient a l'appui de notre assertion:
‘Le soussigné général-major, ancien commandant de place a Maestricht, déclare que, pendant la révolution belge, il a été chargé par le lieutenant-général commandant X*** d'etablir une police secrète; qu'il a satisfait à cette mission selon les désirs du général, mais que, peu de temps après, ses travaux militaires l'ont forcé de confier cette direclion importante a M. le capitaine N***.
‘Les circonstances ayant exigé l'extension de cette police, le fusilier Z***, Liégeois de naissance, servant dans le ... régiment de ligne, a été détaché prés de cette dernière, avec beau- coup d'autres soldats de la garnison.
‘Z*** sachant parler français et wallon, a été chargé à différentes reprises d'expéditions dangereuses et importantes au dehors, par suite desquelles, pendant une reconnaissance de la position des troupes belges à Tongres et à Hasselt, en arrivant au camp de Beverloo, il fut arrêté comme suspect, et jeté dans les prisons de Hasselt, où il a subi les plus terribles tourmens et faillit être fusillé.
‘Ce n'est qu'après une quinzaine de jours, et en s'engageant a prendre du service dans l'armée beige, qu'il fut assez heureux pour
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recouvrer sa liberté, et regagner Maestricht par des chemins détournés.
‘Déja au commencement de la révolution belge, des salles de danse avaient été établies chezdes particuliers, et servaient en général à protéger d'autres plaisirs, afin de pouvoir connaïtre, a l'aide des affiliés de ces maisons, les opinions des bourgeois et des soldats.
‘Le soussigné déclare que la maison de Z** a appartonu a cette dernière calégorie, et que ce furent la ses seuls moyens d'existence après son arreslalion au camp de Beverloo; car, ayant été signalé aux autorités belges, il ne pouvait plus être employé à l'extérieur; et d'ailleurs son service avait diminué d'importance, par suite de la déserlion en Belgique de presque tous les jeunes gens chercheurs de fortune (sic) de Maestricht. Il a continué à tenir la dite maison quand presque toutes les autres n'exislaient déjà plus, jusqu'a ce que le soussigné lui ait donné à entendre que c'était un empêchement sérieux à la récompènse d'un emploi quelconque.
‘Enfin Z*** a rendu d'éminens services, pendant l'étal de siége, a la police secrète lant dans la ville qu'a l'extérieur, et il n'a jamais été récompensé.
‘(Signéj A***.’
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1l paraît cependant que cette policè secrète était à la disposition de qui savait ou voulait l'employer, moyennant salairë, puisque l'un de ses agens avait suivi Maria depuis la rue de Tongres, et paraissait disposé à rie poiht la quitter sans savoir où elle se rendait.
Nous l'avons dit, Maria n'y avait point fait attention, et elle entra chez la baronne, sans avoir détourné lés yeux de la route qu'elle devait suivre.
La maison de Mme de Rostang était une des plus élégantes de la ville, et la position de la baronne, veuve depuis un an seulement d'un secrétaire d'Etat de Guillaume Ier, lui avait permis d'entretenir chez elle les habitudes de luxe contractées dans les grandes villes qu'elle avait successivement habitées du vivant de son mari. Restée veuve et sans erifans, à la tête d'une fortune considérable, qu'elle devail à l'amitié du baron de Rostang, elle était venue se fixer à Maestricht depuis quelques mois, pour se trouver près de la présidente van Lonnaert, qu'elle avait autrefois connue, lorsque son mari exerçait une des hautes dignités de la province du Limbourg, et, par suite, elle s'était étroitement liée avec cette dame.
La baronne n'était point hollandaise, mais son langage, ses moeurs et ses habitudes s'étaient
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si bien prêtés aux exigences de ce pays, qu'elle passait généralement pour une enfant de la province; et, soit coquetterie, soit bizarrerie, elle ne voulait jamais parler de son enfance et de sa première jeunesse. Sa vie, pour ses amis même, se résumait toujours au moment présent. Fiere et coquette, sa fortune lui permettait de se livrer avenglément à ces deux défauts, que la bonté de son coeur, lorsqu'il se sentait vivement attaqué, forçait ses intimes à lui pardonner. Pour les indifférens de la société, c'était un appas de plus aux hommages doiit elle était l'objet, et l'aristocratie de la petite villa, à genoux devant l'idole dorée, applaudissait à un caractère qui la dominait et à un luxe qui l'éblouissait. La médisance ne l'avait cependant pas ménagée dans le principe, mais elle était riche, et par conséquent le venin avait perdu sa force réservée seulement pour ceux dont la réputation est nécessaire à l'existence. On briguait l'honneur d'être reçu dans ses salons, et une invitation chez Mme la baronne de Rostang était une nécessité indispensable pour toute personne qui voulait se poser convenablement dans la ville.
Les enfans de la présidente étaient surtout tendrement aimés de la baronne; aussi, Maria, dans le trouble qui l'agitait, n'avait pas hésité
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à lui coufier ses peines. Mais la position de Frédéric, devenu révolutionnaire, avait quelque peu refroidi l'intérêt qu'ellë portait à ce dernier, et c'est ce qui donnait plus dé forces aux sollicitations de Mme van Lonnaert, parce qu'elle se sentait soutenue par la baronne, qui, tout en plaignant son amie des erreurs de son fils, l'engageait vivement à assurer le sort de sa fille adoptive. Maria le savait, mais son coeur avait besoin de s'épancher; et d'ailleurs l'illusion, cette seule et dernière consolation d'un araour malheureux, l'illusion lui faisait voir la baronne se rangeant de son côté et décidant Mme van Lonnaert à rëvenir sur ses projets.
C'ést dans ces dispositions qué la jeune fille, sans sè faire annoncer, pénétra dans le boudoir de la baronne.
Celle-ci allant au devant d'élle:
- Eh bien, ma chère enfant, voyons! Encore de la tristesse! Qu'avons-nous donc?
- Ah, Madame, vous m'avez toujours témoigné tant d'intérêt que c'est encore votré pitié que je viens implorer.
- Ma pitié! folle, à votre âge et jolie comme vous êtes, a-t-on jamais besoin d'un pareil sentiment!
- Plus que jamais, hélas!
- Allons, allons, asseyez-vous et contez-moi
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vos peines: vous savez que si je puis y porter remède, vous devez compter sur moi.
- C'est dans cet espoir, qui ne sera pas vain, je pense, que je vous ai demandé cet entretien pour décider du bonheur de ma vie!
- Mais, mon Dieu! cela tourne au tragique!
- Oh, ne plaisan tez pas, Madame! vous connaissez les projets de ma mère, je vous ai avoué, ce que déjà vous aviez deviné, les sentimens que j'éprouve pour..... son..... neveu....,
- Folie d'enfans que tout cela!
- Gardez-vous de le croire! Cette passion, dont maintenant je ne suis plus maîtresse, a pris naissance au milieu du calme de nos jeunes années, les malheurs l'ont cimentée, et depuis les événemens qui nous ont séparés, elle a pris sur moi un tel empire, que vouloir me forcer à l'oublier, c'est le coup de la mort.
- La mort! finissez donc, enfant, on ne meurt pas d'amour!
- Oh, Madame, vous n'avez donc jamais aimé!
- Petite cuiieuse, qui peut vous faire penser?
- Ah! c'est qu'on n'aime qu'nne fois, Madame, e,t que l'amour que j'éprouve pour Frédéric, ne me permettrait pas de donner ma main à M. van Buren, quand bien même cette aversion que je ressens pour lui.....
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- Cette aversion vient des obstacles qu'il met à vos rêves de félicité.....
- Oh non, Madame, vous ne connaissez pas cet homme!
- Cet homme, comnie vous l'appelez, ma chère, est devenu un des plus riches partis de la Hollande.
- Riche, cela se peut! mais honorable.....
- Riche et honorable! Il vous aime, et son désintéressement, en demandant votre main, a vous qu'il sait sans fbrtune, est une preuve que vos aimables qualités ont été le seul but de sa demande!
- Et c'est ce que je ne puis croire! Je vous ai déjà rapporté l'étrange conversation que nous avions ene le lendemain du départ de Frédéric, et malgré vos paroles rassuvantes à son égard; je persiste à penser qu'il y a dans son insistance à vouloir posséder une main, dont le coeur ne peut être à lui, un mystère que je n'ai pu dé- couvrir, mais quicache peut-être la plus odieuse trame.
- Allons, allons, vous exagérez! M. Léon vous aime, il est riche, il veut vous assurer une position dans le monde, et vos amis doivent être plus sages que vous! Vous les remercierez un jour de n'avoir pas cédé à un caprice de jeune fille.
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- Je vous l'ai dit, Madame, me pousser à cet odieux hymen, c'est me condamner à la mort!
- Toujours! mais vous êtes donc incorrigible?
- Oui, lorsqu'il s'agit de l'honneur! La main de Maria, l'amie, la fiancée, devant Dieu qui connait notre amour, de Frédéric de Castaens, cette main dans celle de M. van Bnren, nous rendrait tous deux aux yeux du monde.....
- Le monde, ma chère, le monde, mais vous en parlez en écolière! Savez-vous ce que c'est que le monde? Si nous sommes heureux, et pour le monde, le bonheur, c'est la fortune, il nous flatte! Malheureux, il nous abandonne! Voilà la vie! Croyez-en ma triste expérience, et sacrifiez un péu plus à ses tyranniques exigences! Votre union avec Frédéric, proscrit et ruiné, ne peut enfanter que la misère; avec M. Léon c'est la richesse et toutes les jouissances de la vanité satisfaite!
- Non, vous dis-je, Madame! Maria mourra ou suivra le sort de celui à qui elle a voué son existence.
- Vains mots que tout cela! Écoutez, mon enfant; vous êtes venue me demander des conseils, et, malgré la légèreté apparente de mes sentimens, votre confiance m'a touchée. Prenez
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cet écrit que j'ai tracé à votre intention, il vous apprendra qu'un amour malheureux ne tue pas toujours, et qu'on peut encore goûter quelque repos dans la vie positivo, après avoir perdu les illusions de la jeünesse! Yous y verrez ce que mes conseils peuvent avoir de salutaire, et ensuite nous aviserons!....
Elle avait à peine terminé ces mots, que l'on annonça M. van Buren; les complimens de part et d'autre restèrent sur le pied de la plus sempuleuse étiquette, et Léon, qui, nous devons le dire, faisait clepuis quelque temps surveiller la maison de la présidente, afin d'être au courant de tout ce qui pouvait intéresser ses projets, Léon, en qui les menaces de Robert, qu'il n'avait plus revu malgré ses recherches, semblaient être un aiguillon pour aetiver son hymen avec l'orpheline, insista en vain pour prier Maria de ne pas le priver si promptement du bonheur qu'il éprouvait en la retrouvant chez la baronne. La jeune fille s'excusa froidement, mais avec dignité, sur la nécessité de ne pas laisser sa bienfaitrice plus longtemps seule à ses chagrins, et se retira immédiatement, au grand déplaisir de cet odieux amant qui eût bien voulu l'accompagner, mais qui n'osa sur ce point braver le mécontentement de Mme de Rostang l'engageant à lui sacrifier quelques minutes.
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Il dut céder aux convenances, et Maria rentra seule chez Mme van Lonnaert. La journée se passa dans la tristesse, on atlendait des [nouvelles de Frédéric, Robert ne paraissait pas! Que de raisons ponr se livrer à la peine! Maria ne put se dérober un instant pour lire le manuscrit que lui avait confié la baronne, manuscrit qui devait, disait-on, tempérer l'ardeur de son amour! Mais le soir, dàs qu'elle fut seule, elle se hata de s'enfermer dans sa chambre, et hit avec avidité les lignes suivantes:
conseils de la baronne de rostang.
On m'a fait une réputation de coquettarie, qui, si elle est méritée, a pris sa source dans des chagrins que ma vie entière ne pourra jamais apaiser. Si, pour m'étourdir sur des événemens déjà si vieux qu'ils devraient être effacés de ma mémoire, je me suis jetée corps et ame dans le tourbillon de ce que le monde appelle ses plaisirs, les souffrances intérieures que j'éprouve dans mes momens de solitude, les reproches que m'adresse ma conscience sont une assez terrible punition d'un amour que je n'ai point su maîtriser, pour que l'exemple que je vais donner à ceux qui me liront, les prému- | |
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nisse contre un entraînement dont la falalité pèsera sur ma vie jusqu'a mon dernier jour.
Fille unique d'un père resté veuf quelques jours après ma naissance, je fus élevée dans les grandeurs, et pour ainsi dire sur les marches d'un trône jusqu'a l'âge de quinze ans.
Les conquêtes de Napoléon se succédaient alors en Europe avec une rapidité effrayante; les royaumes disparaissaient de la carle des nations ou changeaient de maîtres, selon la volonté du fier vainqueur, et tout cela, pour l'heureux conquérant, s'accomplissait au pas de course.
Notre malheureux pays, envalii par les armées françaises; suivit la destinée commune alors a tous les états de l'Europe, et mon père, après avoir assisté à la chûte de son roi, et à la perte de ses dignités et de sa fortune, dût chercher dans la fuite un salut que les hautes fonctions qu'il avait exercées a la cour rendaient plus difficile à trouver. Déguisés tous deux, lui en matelot et moi en jeune mousse, nous prîmes passage sur un baliment de commerce qui nous jetasur les cätes de la Hollande, où mon père espérait trouver des ressources qu'il avait fait passer en ce pays, en prévision des malheurs de notre patrie. Trompé dans son attente, à l'aide d'un nouveau déguise- | |
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ment nous parcoûrumes une partie de l'Europe, vivant pour ainsi dire de la charité des personnes qui nous avaient connus dansl'opulence, et que d'anciennes relations diplomaliques nous pennettaient de voir sans nous exposer. Dégoûté, rébuté de cette vie errante, toujours si difficile avec une jeune fille que l'éducation première ne pouvait plier aux soumissions de la misère, mon père se rappela qu'il avait une parente, supérieure du couvent des carmélites a Sarragosse; il concjutimmédiatement le projet de se débarrasser d'une fille qui le gênait dans la vie aventureuse qu'il ntenait depuis quelque temps. Mon caractère avait conservé sa fierté native, et le malheur, loin d'adoucir cette fierté, si noble quand elle est soutenue par l'éclat de la fortune, n'avait fait que
l'irriter davantage; et je dois avouer, peut-être a ma honte, que j'étais devenue insupportable à toût ce qui m'entourait.
Mon père m'annonça donc que neus allions nous séparer, et le dirai-je, cette séparation, qui pouvait être éternelle, s'opéra de part et d'autre avec la plus parfaile tranquillité; craignant sans cesse d'ètre reconnu, et suspecte de chercher a susciter des ennemis à la France par suite de mes iudiscrétions de jeune fille, il aspirait au moment de se débarrasser de moi! Je puis
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donc, sans offenser sa mémoire, aujourd'hui qu'il a plu au Seigneur de l'appeler à lui, dire qu'il m'abandonna, plutôt qu'il ne me confia, aux soins d'une familie qui se rendait à Sarragosse.
J'arrivai dans cette ville sous nn nom supposé, et fus assez heureuse pour y retrouver notre parente, qui, cliassée de son couvent par les troupes de l'usurpateur, avait eu le rare bonheur de se conserver une positron assez honorable dans la ville; je fus regue chez elle a bras ouverts, et inslallée bientôt comme l'enfant de la maison. Je retrouvai près d'elle une partie de mes premiers instincts, et mes goûts, flatté spar cette bonne parente qui m'avait prise en affection, loin de se modérer, prirent une nouvelle extension, que la fortune raisonnable mais restreinte de l'ancienne religieuse ne lui permettait pas toujours de contenter. Ma tante, c'estle nom que je donnais à cette respectable femme, dont l'amitié aveugle voyait en moi mille qualités que je n'avais pas, mais que le clinquant d'une éducation de cour faisait apparaàtre à ses yeux, ma tante, en vue de me distraire, et peut-être aussi pour me trouver un parti convenable, recevait chez elle tous les principaux officiers de la garnison française.
J'élais belle, et je le savais; mes charmes
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joints à cette fierté qui les rehaussaitpeut-être, avaient quelque retentissement dans la ville; on ne me désignait plus que sous le nom de la fière Junon. Dans les réceptions, que les chefs suprêmes de l'armée française savaient improviser avec cette exquise recherche qui distingue cette nation, j'élais toujours la reine, et la reine adulée, flattée de l'élite de ces jeunes guerriers; un seul de mes regards était brigué avec enthousiasme, et le bonheur d'une contredanse avec moi semblait la félicité suprême de tous ces jeunes héros pour qui l'amour était une distraction a la gloire, pas autre chose, mais qui en parlaient avec tant de feu, que l'on pouvait penser que c'était devenu leur seul élément. Jeune et belle, mais sans expérience du monde, que je voyais sous des couleurs si riantes, entourée, flattée des hommages de tant de braves, l'enivrement de mes succès jne fit bientôt oublier les malheurs qui m'avaient accablée dans mes voyages, et Sarragosse était devenue pour moi un royaume céleste où je régnais en souveraine. Cependant tant de félicité devait naturellement céder enfin a l'humaine faiblesse et me faire relomber d'un piédestal enchanteur pour me ramener à la vie positive assiégée de toutes ses misères.
Un jeune colonel de la garnison, lè comte
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Ulric, s'était déclaré mon chevalier, cavaliero servienie; ce nom qui, il y a près de vingt ans, exerga une si déplorable influence sur ma destinée, ce nom, au moment où j'écris ces lignes, me pèse encore de ses souvenirs douloureux. Mais j'ai promis des oonseils et des enseignemens sur les suites funestes d'une passion aveugle; je continuerai, quoiqu'il m'en coûte.
J'acceptai ses hommages, mais d'abord avec moins d'indifférence que ceux de ses compagnons, sans cependant lui donner d'autre espoir que celui que pouvaient concevoir fous ses rivaux. C'était déjà une faute dont jepayai bien clier les conséquences. Il devint plus pressant, ma fierté s'adoucissait auprès de lui; que vous dirai-je? Il y avait à peine un mois qu'il s'était déclaré, que déjà le coeur de la fière Junon connaissait les angoisses de la jalousie, et si le comle n'était pas encore maître de ma personne, mon coeur était tout à lui. Je résistais cependant, mais faiblement, je l'avouerai. Il fut assez insinuant pour se faire recevoir chez ma tante aux beures où d'ordinaire les intimes seuls peuvent se présenter. Notre amour puisa de nouvelles forces dans cette intimilé; car l'aveuglement de cette excellente femme semblait ne pas comprendre les dangers que courait sa fille adoptive; elle pensait ne pouvoir l'unir
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qu'à un prince de l'Empire, ou tout au moins à un maréchal de France. Mais elle voulait me donder une distraction, dont mon coeur alors eut eu peut-être un si grand besoin, et ces bienveillantes complaisances favorisèrent ma chute.
L'amour du comte Ulric fut bientôt connu dans toute la ville, et dès cet instant, si la cour qui m'entourait continuait à rendre hommage à ma fiere beauté, je m'aperçus facilement que la conquête d'un frère d'armes était respectée et que les prétendans à mon coeur s'étaient retirés pour porter ailleurs leurs voeux et leurs sermens d'un jour; ma fierté en fut d'abord irritée, mais le comte devenait pressant, et comme je résistais toujours, il se crut forcé de me parler d'une Union secrète. Mon amour propre, ma dignité se trouvaient froissés d'un pareil moyen; mais il était simple colonel, me disait-il, un mariage pouvait faire obstacle à son avancement; l'empereur Napoléon voulait que ses guerriers nese courbassent sous les lois de l'hymen qu'autant qu'ils s'adresseraient à de riches héritières dont la fortune put rehausser l'éclat de leurs grades et leur permettre d'avoir une maison montèe! Et je ne pouvais oifrir à mon mari qu'un nom, illustre il est vrai, mais déponillé de tout ce qui sert a le faire briller!
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et encore, je ne l'avais pas fait connaître au comte, qui eût peut-être reculé devant une alliance avec la fille d'un proscrit!.....
Cependant, le temps marchait, j'étais devenue coupable, et il fallait légitimer une liaison dont les suites commengaient à se faire sentir en moi. Que de peines, que de chagrins alors! Que j'ai payé chèrement quelques instans de bonheur! Oh! j'aimais, j'aimais de toutes les forces de mon âme, et les sensations extraordinaires qui se révélaient chaque jour en moi, ajoutaient de nouveaux liens à cet amour. Mais hélas! plus je devenais heureuse d'un avenir, qui cependant ne se présentait pas entouré de toutes les félicités de la vie, plus l'amour du comte me paraissait se refroidir! Non pas qu'il fût devenu moins empressé, moins assidu prés de moi; ses soins, ses égards redoublaient au contraire en raison de ma fâcheuse position, qui bientôt allait ne plus pouyoir se cacher! Mais il est de ces infimes nuances invisibles à l'oeil le plus exercé, mais que le coeur d'une femme qui aime ne laisse jamais échapper. Le comte était jeune, sans autre fortune que son épée, ambitieux de gloire et d'honneur, et je voyais avec peine que mon amour ne lui suffisait plus! D'un autre côté, ma position embarrassante m'avait forcée à me retirer peu a peu
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d'un monde où j'avais en tant de succes, et oii ma prèsence continuelle ne pouvait plus Halter son amourpropre d'amant heureux. Que de raisons pour assombrir notre horizon! Cependant je doutais encore; mais une circonstance imprevue vint m'éclairer sur l'immensité du malheur qui m'attendait.
Le roi Joseph avait écrit au commandant de Sarragosse pour lui demander quelques officiers supérieurs qui devaient faire parrie du corps d'armée destiné à suivre les armes de Napoléon dans la campagne qui se préparait; une expédition en Russie était projetée, et le comte, assez bien en cour à l'état-major, avait brigué et obtenu l'honneur d'être admis au nombre de ces officiers.
De ce moment, hélas, la triste réalité s'offrit à mes yeux dans toute son horreur, et je commençai à détester; etl'ingrat qui m'abandonnait a la honte, et l'innocente créature qui devait la révéler à tous les regards! Mon humeur altière imposa ses déceptions à tout mon entourage. J'accusais et mon père, et mon amant, et ma pauvre tante, et cependant
j'étais seule coupable! La fierté, la coquetterie avaient fait tout le mal maintenant irréparable!
Le colonel cependant, touché de la position affreuse dans laquelle il me laissait, irrité de la
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lâchelé de mon père, que je lui avais appris:i connaître, et qui menaçait sourdement de me rappeler à lui, pour cimenter, par un mariage avec quelque chambellan du roi Joseph, le retour des nouvelles faveurs qu'il espérait en tirer, le colonel me proposa de l'accompagner en secret pour m'arracher aux poursuites d'un père qui, seulement alors, se rappelait qu'il avait une fille, parce que son intérêt se trouvait en rapport avec ses droits. Refuser eût été peut-être un bonheur pour tous deux! Je n'en euspas la force, la honte allait m'atteindre, et les cönséquences d'une première faute me contraignirent a en commettre une seconde!!! En quelques jnstans, mes préparatifs furen faits; accompagnée d'une seule femme de chambre, et suivie d'un domestique de confiance, que le comte choisit parmi les hommes de son régiment, et qui lui était tont dévoué, je quittai Sarragosse a dix heures du soir, laissant a ma bonne tante des adieux bien stériles après la douleur que j'allais lui causer; car j'appris bientôt qu'elle avait succombé à son chagrin, et s'était endormie dans l'éternité en priant pour sa nièce.
Pauvres jeunes femmes! ou nous mènent, hélas, les erreurs dé notre coeur et le manque de confiance en vers ceux qui spnt chargés de veiller sur nous! J'étais seule dans la voiture
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avec la femme de chambre; le domestique du comte courait à cheval pour faire préparer les relais. Le rendez-vous était donné dans un petit village à douze lieues de Sarragosse sur la route de Madrid; et là, pour rassurer ma conscience et le tumulte de mon coeur qui altérait ma santé et pouvait occasionner un crime malgré moi, le colonel devait me conduire aux pieds des autels, devant un prêtre affilié à d'anciennes guerillas, et que les nouvelles lois de Napoléon avaient toujours trouvé rebelle à son code civil; il nous maria selon les anciens usages du pays, usages que ce prêtre respectait seuls. Tout avait été préparé à l'avance, et ma signature donnée, je remontais en voiture au bout de quelques minutes.
Plus tranquille sur la position que j'allais donner à l'enfant que je portais, nous avions à peine fait quelques lieues que des douleurs aigues se firent sentir. Le moment était venu, j'allais être mère, et le comte volait devant nous sur la route de Madrid pour préparer les logemens. Mais il était écrit là haut que je ne le reverrais plus! Nous fûmes forcées de nous arrêter dans un misérable village que nous rencontrâmes, et là, après trois jours d'une horrible souffrance, je mis au monde un malheureux être qui pensa me coûter la vie en
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voyant la lumière. La fièvre me prit bientôt, et durant quarante jours je fus aux portes du tombeau; une sorte de folie s'était emparé de tout mon être, et lorsque, revenue à la raison et rassemblant mes idées, je demandai mon enfant, la femme de chambre que m'avait donnée le comte me remit un écrit contenant ces adieux terribles que j'ai toujours conservés depuis:
‘Je n'ai pas été dupe de votre manege; le nom d'un colonel ne suffisait plus à votre ambition, je le sais; fière d'un nom que vous espériez revoir briller dans le monde, vous n'avez consenti à notre union que parce que la nature vous avait punie de la faiblesse d'un moment. J'ai eu pitié de vous, parce que je vous ai beaucoup aimée; ce mariage, qui semble vous lier à jamais, n'est pas valable; vous êtes donc libre, et jamais vous n'entendrez parler de cet enfant dont l'existence serait pour vous un reproche vivant. Quittez ces lieux, vous trouverez dans vos malles les sommes nécessaires pour vous aider à rejoindre votre père; votre domestique emporte mon enfant qui ne me quittera plus. Que le temps qui vient de s'écouler entre nous soit pour vous un rêve, au milieu de ce monde, où vous alles rentrer et où est votre véritable
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place! Soyez heureuse, c'est le voeu que fait pour vous,
Ulric.’
Pleurs, sermens, menaces, tout fut mis en oeuvre; je désirais la mort à grands cris, je voulais me détruire..... poursuivre l'infidèle ou mourir à ses yeux..... et cependant....... quatre mois après.......................... on m'appelait l'opulente baronne de Rostang!
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