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Livre premier.
Par une de ces belles soirées d'été de l'année 1830, une agitation extraordinaire se peignait sur tous les visages des habitans de la ville de Maestricht; la physionomie d'une atmosphère brûlante, se chargeant çà et là d'épais nuages, précurseurs d'un violent orage, après les chaleurs d'une température élevée, prêlait à ce tableau un nouveau jour qui en augmentait encore l'aspect inaccoutumé. De fortes patrouilles de militaires commandées par des officiers, comme aux derniers temps del'empire, sillonnaient les rues et se renouvelaient d'heure en heure.
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Une nouvelle, dont la révélalion devait être terrible, à en juger par les précautions dont s'entouraient ses propagateurs, volait de bouche en bouche avec la rapidité de l'éclair; et cependant cette nouvelle, qui parlait profondément au cceur de ceux qui la saisissaient au passage, n'imprimait sur les visages des initiés qu'une stupeur secrète et mystérieuse dont l'oeil vigilant de la police municipale ne pouvait s'emparer pour arrêter son essor; les boutiques, les magasins de cette ville ordinairement si calme et si tranquille se fermaient comme par enchantement au passage de la fatale nouvelle. Elle était à peine arrivée aux oreilles des habitans d'une des maisons principales de la rue de Tongres, que des pleurs et des cris de désespoir se firent entendre au rez-de-chaussée de cette maison, dans laquelle un jeune homme, précédant les groupes animés qui se refluaient dansla rue devant une forte patrouille de cuirassiers hollandais, venait de pénétrer vivement, en ayant soin de barricader la porte d'entrée derrière lui: Mère, mère, s'écria-t-il, s'adressant a une dame âgée qui se trouvait dans le salon, Maria, Maria, est-elle dans sa chambre?
- Dieu de miséricorde! coinment, tu ne l'as pas rencontrée dansla voiture de la baronne de Roslang!
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- Hélas non, toutes les portes de la ville sont fermées, fermées avant l'heure prescrite par les règlemens, et les fusils des factionnaires sont braqués sur toutes les personnes qui s'aventurent vers les remparts.
- Malheureuse enfant, que va-t-elle devenir? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi ai-je consenti à cette maudite promenade! La baronne n'aura pu rentrer en ville, et ma pauvre Maria va peut-être tomber entre les mains de ces terribles partisans qui entourent, dit-on, la ville et mettent tout a feu et a sang; malédiction sur eux! malédiction sur moi-même qui n'ai pas su prévoir que ces abominables journaux, répandus depuis quelques jours dans notre paisible contrée, dévaient allumer l'incendie qui vanous rantener aux aflfreux malheurs dont Maestricht a été si souvent le théàtre!
- Allons, allons, mère, ne blasphémez pas! La frayeur vous fait voir le mal peul-être plus grand qu'il n'est en réalité; la baronne, ne pouvant rentrer en ville, sera sans doute retournée au château de Hern. Ces dames sont seules dans lavoiture, et c'est ce qui les sauvera. La rëvolution, car il faut l'avouer, mère, c'est une révolution.....
- Frédéric, ne prononcez jamais ce mot devant moi! Une révolution! Mais vous ne
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savez donc pas ce que cela peut produire? Ah! si comirie moi, vous eussiez vu les horreurs qu'elle a enfantées en France, où je voyageais avec votre grand-père, sur la fin du dernier siècle!
- Les temps sont bien changés, mère, et c'est ce qui doit vous rassurer! Les fruits de l'éducalion répandue sur toutes les classes de la société nous sauveront désormais des fureurs qui ont ensanglanté alors une si belle cause! Mais, pardon, ma mère, enfant du siècle qui a commencé sous de si glorieux auspices, j'oubliais combien vous avez souffert à l'ère de cette régénération. Pardon, encore une fois, je dois respecter les convictions de ma mère, mais permettez à votre enfant de vous rassurer sur les dangers que vous redoutez pour notre charmante Maria.
- Dieu t'entende! Mais je ne puis être tranquille! Crois-moi, les révolutionnaires ne respectent rien.
- Ils savent respecter les femmes! Leur faiblesse est leur égide! Maria, d'ailleurs, n'est-elle pas la soeur d'adoption de Frédéric de Castaens? En disant son nom.....................
- Tais-toi, malheureux, tais-toi! N'entendstu pas dans la rue le bruit des patrouilles et
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des gardes qui surveillent les maisons dont les habitans peuvent être suspects? Tes paroles imprudentes, tes opinions, que tu appelles libërales, et que je ne veux pas qualifier, vont faire mettre notre maison à l'index! L'exil..... une condamnation peut-être..... ah! tous les malheurs m'accablent à la fois! Maria, ma chère Maria, n'est-elle pas avec la baronne de Rostang, la vetive d'un haut fonctionnaire hóllandais.............................
- Tant mieux, encore une fois! nous ne faisons pas la guerre aux femmes, et Mme la baronne, füt-elle même la femme du gouverneur du Limbourg pour Guillaume de Nassau, n'a rien à craindre des amis de l'émancipation des peuples. Nous faisons la guerre aux principes, et non aux hommes! Heureux, si un jour toute la grande familie européenne obéit a des lois bienfaitrices, sans autre crainte que celle de Dieu! Mais je m'égare, dix heures viennent de sonner à Saint-Servais, le calme paraît se rétablir,la rue devient déserte; demain, avant midi, mère, croyez-en celui que vous appelez votre fils, je saurai vous donner des nouvelles rassurantes de notre Maria.
- Fasse le ciel que cel te espérance ne soit pas déçue! Mais ne va pas t'exposer, je t'en
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conjure! L'agitation qui régnait au dehors, il y a quelques minutes, se réveillera peut-être demain plus terrible encore. Des assassins, au nom d'une loi qu'ils feront pour la circonstance, viendront s'emparer de notre maison, sous prétexte, comme en 93 d'affreuse mémoire, de surveiller les biens de la nation. Ce soir, mon fils, votre mère peut encore vous presser sur son sein; qui sait, si demain, la révolution victorieuse ne viendra pas nous séparer à jamais! Dans une crise aussi solennelle à la veille peut-être d'une séparation éternelle, la veuve du président van Lonnaert doit vous éclairer sur tous les intérêls d'une familie dont vous restez le seul soutien! Prenez cette clef; dans le coffret qui renferme les titres et priviléges de notre maison, vous trouverez un papier tracé de ma main en prévision d'un accident qui nous séparerait: lisez avec soin, mais surlout fermez bien les volets; la lumière, à cette heure de la nuit, dans votre chambre, pourrait éveiller en ces temps malheureux, les justes susceptibilités des autorités: vous êtes fortement suspecté d'un libéralisme dangereux, et sans les égards que réclame notre attachement bien connu à l'illustre maison d'Orange, vingt fois déjà vous eussiez été arrêté.
- Et voilà ce qui fait notre force! Arrêté
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pour mes opinions! La pensee est-elle donc devenue un crime? et.....
- Chut! j'entends du bruit, retirez-vous, et réfléchissez aux devoirs que vont vous imposer les secrets que vous apprendrez; mais surtout ne sortez pas demain avant de m'avoir parlé. Frédéric, vous aimez votre tante, je le sais, et moi-même, je serais fière de vous appeler mon fils, si....
- Bonsoir, bonne mère! vous m'avez parlé d'un secret, je cours le connaître; mais, quel qu'il soit, votre Frédéric saura faire son devoir! Et aussitôt après avoir reçu de sa tante, avec le baiser du soir, la bénédiction, reste vénéré des anciens usages conservés dans la maisort du président, le jeune homme monta précipitamment au premier étage, prit une lettre dans le coffret que lui avait indiqué sa tante, et courut vers sa chambre animé par cette curiosité bien naturelle qui prêtait de nouvelLes forces à ses vingt ans; mais sur lè point de tourner le bouton de la porte, il se sentit vivement frappé sur l'épaule.
- Frédéric, lui dit une voix bien connue, souviens-toi de tes sermens.
- Ah c'est toi, Adalbert, fit-il en se retournant brusquement; tu verras à l'oeuvre si
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la mémoire me manque! je te demande dis minutes et je suis à toi.
- Pas une seconde, le temps njarche toujours, et avec lui les dangers; on a pu me voir entrer dans la maison par la petite porte qui donne sur les remparts et dont tu m'as confié la clef aux jours de nos fredaines; il n'y a pas un instant a perdre; partons, on nous altehd chez Léon. C'est un rendez-vous secret, nous ne sommes pas accoutumés à te voir manquer à cet appel, bien que cette fois il ne soit question ni de brune ni de blonde.
- Trève de plaisanteries! Tu sais que je n'aime pas ce Léon. Mais, tu l'as dit, il s'agit de mes sermens, et je saurai faire taire mon aversion. Laisse-moi au moins prendre mes pistolets, et je te suis, cependant.....
- En route! tu liras cette lettre plus tard. Aussi bien, ta tante pourrait nous entendre, et la chère dame prise peu les buveurs de sang, comme elle nous appelle. J'entends justement du bruit en bas; sau ve qui peut! et il entraàna le pauvre Frédéric, qui eût à peine le temps de se munir de ses armes, et d'une bourse assez bien garnie, qu'il devait aux libéralités de sa tante.
Ce mouvement n'échappa point à l'insoucieux Adalbert: L'argument irrésistible, allons, je vois
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que nous ferons quelque chose de toi! El ils descendirent rapidement le petit escalier qui devait les conduire à la porte du rempart; en quelques secondes ils furent dans la rue.
- Nous nous rejoindrons chez Léon, fit Adalbert à voix basse, toi, paria rue du Pont, moi, par la rue de la Monnaie; il ne faut pas que l'on nous voie ensemble; les oiseaux de nuit sont jaloux par le temps qui court; notre bbnne mine est dangereuse pourla liberté! Et, le cigare à la bouche, le maintien dégagé, et cet air d'irisouciance du promeneur désoeuvré, ils s'acheminèrent, cliacun de son cóté, vers le lieu du rendez-vous, où nous les suivrons, après avoir jeté un coup-d'oeil en arrièrè sur les événemens qui ont précédé cette nuit.
La révolution française avait porlé ses fruits. Les journaux de l'opposition, triomphant des fautes d'un régime retrograde, avaient enflammé les esprits et communiqué a toute l'Europe cette fièvre dé bouleversement général, que des souvenirs encore récens aidaient si puissamment à propager. Les provinces de l'ancienne Belgique, remuées de fond en comble par les écrits de quèlques hommes influens sur les masses, et jalouses d'une fusion avec la Hollande qui les réduisait a un état secondaire, ne pouvaient pardonner la pertë d'un nom qui, sous
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tant de rapports, avait glorieusement figuré parmi les nations européennes; la Belgiquè, disons-nous, avait rêvé pour elle seule, la constitution d'un royaume séparé, ou tout au moins une réunion à la France, dont les moeurs, le langage, le commerce et les habitudes semblaient dès longtemps lui teudre les bras; aussi Bruxelles ne tarda pas à suivre l'exemple de Paris, et ce que les Belges appelaient la domination étrangère, reçut un échec d'autant plus dangereux, qu'il n'avait pas été prévu, et que la sécurité du gouvernement hollandais, en garde contre les révolutionnaires du dehors, n'avait pris auoune précaution vigoureuse contre les ennemis, nombreux à l'intérieur, de la fusion des deux pays. Toute la Belgique s'était soulevée, et c'est cette nouvelle importante qui venait de pénétrer dans Maestricht, capitale de la province du Limbourg, au moment ou nous commençons cette histoire. Maestricht, la clé de la Prusse, cette malheureuse cité, si souvent déchirée par les guerres des rois, mais toujours si vaillamment défendue par ses habitans; Maestricht, voisiné de Liége, l'antique cité des princes-évêques, éprouvait sans trop se prononcer, peut-être même sans pouvoir s'en rendre compte, l'électricité du mouvement convulsif qui allait embrâser toute la Belgique. La jeu- | |
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nesse surtout, séduite par ce noble mot de liberté qui parle si profondément aux coeurs généreux, cette jeunesse, qui rêvait aussi
une nationalité indépendante, avait applaudi au mouvement régénérateur qui paraissait devoir s'étendre sur tous les peuples de l'Europe; mais la place de Maestricht était d'une trop grande importance dans l'équilibre européen pour que l'autorité royale ne prît pas immédiatement les mesures les plus vigoureuses afin de prévenir et réprimer au besoin toute tentative de désördre. La ville était-donc tranquille, à la surface du moins; mais pour l'oeil exercé de l'observateur politique, il eût été facile de voir qu'un orage sérieux grondait sourdemént dans tous les coeurs, et que l'espérance chez les uns, la crainte chez les autres, l'inquiétude et l'anxiété chez tous, s'étaient donné rendez-vous pour imprimer à la ville cet aspect inaccoutumé dont nous parlions à notre début.
La veuve du président van Lonnaert native, elle-même de Maestricht, mais devenue hollandaise au premier degré par son mariage avec le président, issu d'une des premières familles patriciennes d'Utrecht, avait compris dès le principe que la nouvelle avait un caractère de gravité dont elle redoutait les conséquences. Présentée dans sa jeunesse a la cour de France,
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où elle accompagnait son père, membre de la députation des Provinces-Unies, elle avait vu les horreurs de la révolution de 93, et, pour elle, le mot révolution impliquait le pillage et l'assassinat des classes aisées de la société, par une populace effrénée ne comprenant la liberté que par lé droit qu'elle s'arrogeait d'enlever aux riches un superflu qu'elle devait bien tôt gaspiller; pour elle, la liberté, c'était l'anarchie avec toumtés ses horreurs; anssi avait-elle vu avec un pro- fond chagrin les tendances libérales, professées par le jeune Frédéric de Castaens, fils du général son frère, mort à la bataille de Smolensk au service de l'Empire français. Cet enfant, que lui avait légué le général à son lit de mort, était l'unique fruit d'un mariage secret contracté en Espagne avec la fillè du marquis de Villa Flor, grand d'Espagne de première classe.
Qu'était devenue la mère de cet enfant? Mme van Lonnaert l'ignorait ou semblait l'ignorer. Mais elle avait reçu ce préoieux héritage comme un don du ciel, car la nature lui avait refusé les joies de la maternité. Le président était mort au commcncement de 1813, laissant à son neveu, alors âgé seulement de deux ans, lesoin de consoler, par ses douces caresses, une femme qui avait embelli tous les momens de son existence.
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Frédéric avail donc été élevé dans la maison de sa tante comme son propre fils; mais les événemens devaient bientôt augmenter les membres de cette familie. Dans le courant de l'année 1813, lorsque la victoire cessa de favoriser les armes de la France, et força ses vaillantes cohortes à venir défendre pied à pied le sol natal, le jour même de l'évacuation de Maestricht par les troupesde Napoléon, Mme van Lonnaert, après avoir congédié ses domestiques, était restée dans le salon du rez-de-chaussée; sur le point de s'agenouiller pour la prière du soir, elle entendit sonner violemment à la porte; sans crainte, en ce moment où son coeur allait s'ouvrir à Dieu, elle s'approcha de la fenêtre pour demander qui pouvait venir à pareille heure; pour toute réponse son oreille regut ces mots d'une voix qu'elle crut reconnaître et qui lui dit en français tres pur: ‘Madame van Lonnaert, au nom du ciel, ouvrez; le moindre retard serait un crime dont vous auriez à répondre devant Dieu.’
A cet appel, la pieuse femme, ne consultant que la première impulsion d'une charité dont elle avait déjà donné tant de preuves, ouvrit précipitamment les volets; la nuit était noire et orageuse; au même instant deux bras enveloppés dans les plis d'une espèce de manteau, s'alon- | |
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gerent rapidement, et posèrent sur l'appui de la fenêtre uil panier recouvert de linges blancs dans lequel on pouvait deviner la forme d'une frêle créature. ‘Le ciel confie cet enfant à votre charité, fit la même voix, Dieu veille sur elle et sur vous.’ Et aussilôt, à la lueur d'un éclair qui brilla soudainement, Mme van Lonnaert vit s'enfuir du côté des remparts un homme de haute stature, enveloppé d'un long nianteau brun, et la tête couverte d'un immense chapeau dont les parois avaient été rabattus, sans doute à dessein, pour cacher la figure qu'ils protégeaient.
Malgré la frayeur de cel te apparition subite, malgré l'étrange dépät que la ruse semblait vouloir confier à sa charité, Mme van Lonnaert était chrétienne avant tout, et son premier soin, après avoir refer'mé vivement la fenêtre, par un instinct de coeur qui craignait déjà de se voir enlever le précieux gage que lui avait valu sa piété charitable, Mme van Lonnaert s'empressa de considérer le pauvre petit être que le ciel remettait en ses mains; mais déjà ses plans étaient conçus et arrêtés: l'enfant devait être élevé dans sa maison et partager avec Frédéric son affection profonde.
Un billet attaché sur la poitrine de la petite dille, contenait ces seuls mots: ‘Maria, par sa
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naissance, est digne de l'amitié que Madame van Lonnaert lui prodiguera; les hasards de la guerre la renden torpheline, elle trouvera dans sa seconde mère l'amour d'un père qui ne la reverra peut-être jamais; cet écrit, dont un double a été confié aux soins d'un digne et respectable ecolésiastique avec les pièces nécessaires à la reconnaissance de sa familie, est la seule preuve de tendresse que je puisse laisser à ma fille.’ Pour toute signature: ‘Un officier supérieur de l'armée impériale.’
Depuis cette époque, nul indice, nulle circonstance n'avait pu déchirer le voile qui entourait la présence de la pauvre orpheline dans la maison de la présidente: lors de la catastrophede Waterloo, deux fois seulement, et en l'absence de la maîtresse de la maison, un étranger, qu'a son costume et à ses manières on pensa être un domestique français, vint s'informer des nouvelles de la petile Maria; mais il ne reparut plus, et les mois, les années s'écoulèrent sans ajouter un nouveau jour aux vagues renseignemens que la bonne dame avait puisés dans l'écrit qu'elle conservait avec le plus grand soin.
Le ciel cependant avait heureusement inspiré l'inconnu dans lo choix de la protectrice forcée de l'enfant mystérieux. D'abord par de- | |
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voir, et bientôt par un attachement qui prenait chaque jour de profondes racines, cette pieuse femme éleva Maria comme sa propre fille; elle porta son nora, et rien ne lui coûta pour donner à cette enfant une éducalion que la position de sa bienfaitrice réclamait a tous égards. Nous l'avons dit, Mme van Lonnaert était chrélienne de coeuv et de conviclion; les nouvelles obligations que lui imposait le dépôt sacré que le ciel lui avait confié, augmentèrent une tendance naturelle aux douces consolations que donne une sainte et noble religion. Elle fréquenta plus assidûment les églises, se rapprocha dés minisfres des autels, et se fit remarquer par une piété sincère et charitable, qui lui ouvrit tous les coeurs et la plaga bientôt a la tête des associations de bienfaisance dirigées par leB ecclésiasliques les plus influens de la ville.
Peut-être un espoir secret de se trouver en rapport avec le vénérable prêtre désigné dans l'écrit du père de Maria aida-t-il en partie celte tendance religieüse, peut-être la grace divine suffit-elle seule pour protéger cet entraînement, mais il futremarqué dansle monde que voyaif la présidente, et la calomnie, occupation nécessaire et indispensable aux désceuvrés de toute petite ville, la malignité, défaut obligé de toute sociélé restreinte, oú la médisance tient lieu de
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ces futilités innocente qui animent les conversations des grandes villes, la malignité, qui, n'en déplaise à ‘nos charmantes lectrices qtie nous exceptons en faveur de leur amabilité, régnait en souveraine dans les cercles de Maestricht, la malignité, disons-nous, nè ménagea pas la veuve du président van Lonnaert. On s'occupa en secret, secret de petite ville, de cetle enfant de la providence. Le mot d'oeuvre posthumedu président fut accueilli avec faveur par ces arnes charitables à leur point de vue, pour qui l'exemple d'une bonne action et du plus complet désintéressement est un reproche direct à une vertu dont elles ne connaissent que la théorie.
On plaignit Mme van Lonnaert avec cet intérêt et ces paroles doucereuses qui versént à grands flots le fiel de la calomnie sur les personnes supérieures dont les qualités éminentes ont inspiré une jalousie qui se cache avec peine sous les dehors hypocrites d'une amitié cauteleuse; mais rien ne put faire dévier cette vertueuse femme de la ligne qu'elle s'était tracée, et Maria grandissait en grâces et en beautés sous les yeux de sa seconde mère.
Les propos méchans et malicieux avaient eu leur temps, comme toutes choses ici bas, et l'orpheline de Maestricht; qui avait été élevée
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dans un pensionnat de Liége, était seulement de retour depuis: quelques mois, lorsque la baronne de Rostang, amie de la présidente, vint lui proposer d'emmener la jeune personne au château de Hern oú elle allait en visite; au moment où commence cette histoire, Maria n'était pas encore rentrée, et Mme van Lonnaert, en qui l'âge avait affaibli la force de caractère qui l'avait soutenue dans les rudes épreuves de la vie, tremblait pour sa fille adoptive au souvenir des horreurs d'une révolution. Frédéric, de son côté, partageait la vive affection que Maria inspirait à tout ce quil'approrhait. Elevés ensemble, ces deux en fans éprouvaient l'un pour l'autre cette amitié fraternelle qui bientôt, lorsque l'âge ent développé leurs sensations, fit place à un sentiment plus vif, dont ils ne se rendaient pas compte execiemeut, mais qui se décélait dans les moindres actions de leur vie.
Un amour profond et ardent s'était surtout révélé tout à coup à l'âme de Frédéric, et la jalousie, cette lourde épreuve que la nature nous a inoculée pour nous faire connaître la violence de nos passions, la jalousie était venue avec ses amères rêveries, troubler le bonheur sans nuages qui jusqu'alors avait présidé à l'existence de ce jeune homme, entre une
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tante qu'il aimait et respectait malgré ses faiblesses, et une aimable jeune fille qu'il chérissait comme une soeur et adorait de toutes les forces de son âme.
La beauté de Maria avait de nombreux adorateurs dans la jeunesse de Maestricht; et le brillant Léon van Buren, maître à trente ans d'une fortune considérable que lui avaient laissée ses parens, morts depuis quelques années, s'était mis audacieusement sur le premier rang. Mme van Lonnaert, ne voyant que l'intérêt de sa fille adoptive, à qui elle ne pou vait donner une fortune, devenue par la volbnté de son mari l'héritage de Frédéric, dont elle ne soupgonnait pas l'amour, avail favorablement accueilli les visites du jeune Léon, et la vie se passait ainsi pour cette pieuse femme entre l'afféction de ses deux enfans et les inquiétudes que lui causaient les opinions politiques de son neveu, qu'elle croyait absorbé tout entier dans le dédale trompeur et mensonger d'une polémique qui la faisait trembler pour la sûreté du jeune homme.
Les choses en étaient à ce point, de part et d'autre, dans la soirée du 26 août! Nous nous empresseróns donc de rejoindre nos deux amis que hous avons quittés au moment où, chacun de son côté, ils s'acheminaient avec précaution
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vers la demeure de Léon van Buren, indiquée pour le rendez-vous d'une jeunesse aventureuse, et dont la position du propriétaire éloignait tous les soupçons. Cette maison, située dans la rue du Bouc aux pieds des remparts que baignait la Meuse, se prêtait merveilleusement à des rendez-vous nocturnes, et les orgies d'une jeunesse imprudente pouvaient facilement couvrir de leur voile épais des projets de conspiration dont tout semblait devoir écarter la surveillance.
Fils d'un riche négociant d'Amsterdam, Léon comptait parmises ancêtres plusieurs membres influens dans les anciens Etats des Provinces- Unies, et la faveur dont son père avait constamment joui prés des princes de la maison d'Orange, Je faisait, à juste litre peut-être, regarder comme devant être un des plus fermes soutiens de leurs droits au jour du malheurj cependantil n'en était pas ainsi, et Léon, en prévision aussi d'une lutte qui laissait tant d'incerlitude dans ses résultats, avait su se ménager, par des demi-confidences et un blâme mystérieux sur la marche du gouvernement, une espèce d'influence parmi les membres du comité d'opposition, composé de nobles et fougueux jeunes hommes, aux sentimens élevés, á l'âme exaltée par des souvenirs glorieux, et
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qui voyaient dans l'apparence même d'une injustice, fût-elle involontaire, la menace d'un retour aux anciens abus et à la domination de certaines castes. Une réunion avait été indiquée pour ce même jour; mais, aux yeux du monde indifférent, c'était un essaim de jeunes fous, allant demander aux vapeurs de l'orgie les plaisirs d'un aulre siècle dont ils imitaient les écarts, mais dont, selon leurs principes régénérateurs, ils ne pouvaient reconnaître, comme hommes, la marche avilissante pour l'espèce humaine.
Léon paraissait présider aux joies tant soit peu graveleuses de ses convives, mais le choix des invités révélait assez que la politique était le but, si l'orgie avait été le prétexte, de la réunion.
Dans un salon qui eût fait honneur à une de ces maisons princières que l'on rencontre dans les grandes villes, des tables richement dressées étaient couvertes des mets les plus délicats; les vins d'Espagne et de France garnissaient les étagères en quantité suffisante pour abreuver tous les convives, eussent-ils été deux fois plus nombreux, et toutes les précautions avaient été prises pour pouvoir se passer du service des domesljques; aussi, lorsque la porte se referma sur le dernier des invités attendus, et c'était
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Frédéric, les gens de Léon eurent ordre de se retirer afin de laisser un libre cours aux élans d'une folle jeunesse.
- En retard, un pareil jour, monsieur Frédéric, fit Léon en l'introduisant au milieu du salon où une douzaine de jeunes gens étaierit assis autour d'une table amplement servie pour satisfaire tous les gouts!
- Adalbert a dû vous expliquer les causes de ce retard, et mon excuse.....
- Pas d'excuse, Frédéric, fit Adalbert, viens pres de moi, et répare le tempsperdu.
- Oui certes, reprit Léon avec intention, aujourd'hui cela peut être doublement nécescéssaire.
- Allons, Messieurs, voilà ce qui s'appelle entrer brusquement en matière! Foi d'Adalbert, c'est un bel exemple à suivre; mais d'abord vidons nos verres; vous connaissez le vieil adage: In vino veritas. Je tiens pour faux frère quiconque ne me fera pas raison.
- Toute vérité n'est peut-être pas bonne a dire, reprit Frédéric en vidant d'un seul trait le verre que Léon venait de remplir, et je n'enveux pour preuve que quelques paroles prononcées dimaanche sur le Vrythof, qui ont été immédiatement traduites au gouvernement; au surplus, l'événement a justifié ce qué j'avançais alors....
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- Or donc, interrompit Adalbert, qui craignait que l'aigreur de son ami n'amenit des explications trop vives avant le temps, Dieu est juste et Frédéric est son prophète! Il s'agit de savoir maintenant comment Maestricht, la ville aux trente-six églises, accueillera cette prophétie qui est devenue une réalité.
- Maestricht se conduira selon les circonstances, dit Léon.
- Bravo, je propose une motion! Nous avons hesoin d'un signe de ralliement. Je vais, cette nuit même, commander des cocardes à double face, aux couleurs de la liberté et aux couleurs dela maison d'Orange; cesera délicieux, selon les circonstances (et il appuya sur ces mots), selon les circonstances nous les porterons d'un côté on de l'autre.
- Vous avez mal interprété mon idéé; j'ai voulu dire que Maestricht ne pouvait encore, sans compromettre la sûreté de ses habitants, prendre un parti, que les circonstances peuvent................
- Plus fort, encore plus fort! Les circonstances commandent, attention! Vous placez des drapeaux aux couleurs de la maison d'Orange sur tous les clochers de Saint-Servais; suivez bien mon raisonnement! vous placez un nombre égal de drapeaux surl'église Notre-Dame, mais
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ceux-ci aux couleurs de la liberté, et puis, attention! après ce trait héroïque vous attendez patiemment l'issue de la lulte! Si la Belgique triomphe, Maestricht n'a pas démérité de son antique gloire, elle aura arboré dès le principe l'étendard de la liberté, témoin l'auréole brillante qui couronne Notre-Dame, et les tristes drapeaux de Saint-Servais seront restés comme monument de la victoire remportée sur le despotisme! Mais si au contraire nous succombons, Maestricht aura bien mérité du gouvernement; sa fidélité deviendra proverbiale, toujours selon les circonstances, et les drapeaux de Notre-Dame précipités dans la Meuse, comme symbole de la chute de l'anarchie, attesteront à nos princes que les drapeaux victorieux de Saint-Servais, arborés en leur honneur dans leur bonne ville, ont fait fuir la révolution. J'ai dit; la parole est à Frédéric!
- Mais ne me sera-t-il pas permis, fit Léoǹ, d'un air contrarié, de revenir sur la plaisanterie d'Adalbert à mon sujet.
- Tous ces messieurs connaissent et apprécient vos sentimens, dit Adalbert malicieusement, passons outre.
- Mes amis, dit alors Frédéric d'une voix ferme et grave, nolre réunion est solennelle; les nouvelles parvenues ce soir par la barque
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du Liége, annoncent un soulèvement général dans toute la Belgique: nos frères de Bruxelles nous appellent aux armes pour la défense de nos libertés communes! Notre belle patrie serat-elle sourde à cet appel de l'affranchissement des peuples? La guerre qui commence va servir d'exemple et d'enseignement à l'Europe, la noble cité de Maestricht restera-t-elle en arrière de la régénération qui se prépare? Les momens sont venus de parler ici à coeur ouvert; moi, Frédéric de Castaens, je puis compter sur deux cents affiliés, tout prêts à ma voix à prendre les armes, pour reconquérir une nationalité enlevée par un partage inique entre les grands de la terre, qui se sont mesuré nos persönnes et nos propriétés coname une vile marchandise; ces deux cents patriotes n'attendent que le signal pour entraîner sur leurs pas une foule plus nombreuse encore, que l'incerlitude retient, mais que l'exemple décidera. Que chacun de nous s'explique hardinient sur les moyens qu'il peut fournir au succès de notre sainte entreprise. Mais si la peur de vait dominer dans quelques esprits, que ceux-là se retirent; indignes du nom d'hommes libres, vouons-les à l'exécration et á la vengeance de leurs frères, s'ils osaient trahir leurs sermens.
Un applaudissement universel suivit ce dis- | |
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cours, et chacun vint énumérer le contingent d'affiliés dont il, pouvait disposer, et qui, avec les prévisions, mettait à la discrétion des conjurés environ quatre mille combattans; Léon lui-même, sans rien promettre positivement, parla vaguement d'intelligences seorèles qu'il saurait mettre à profit pour les besoins de la cause.
- Nous sommes quatre mille, dit Adalbert, la garnison comple à peine cinq mille hommes, et les Beiges y sont nombreux! N'attendons pas que Guillaume Ier nous envoie ses braves Hollandais pour maintenir la place; car ne nous faisons pas illusion, les Hollandais aussi lutteront vivement contre nous: l'honneur de leur drapeau leur fera un devoir de repousser la révolte; à l'oeuvre donc, car, comme onl'a dit jadis:
Il faut des actions et non pas des paroles!
Partageons-nous les dangers de la hitte, mais à l'oeuvre, pour Dieu, à l'oeuvre cette nuit même! Buvons au succes de notre entreprise. Allons, Léon, prouvez-nous, en vous mettant à notre tête, que nous avons été heureusement inspirés en choisissant votre maison pour notre quartier-général.
A ce mot, Léon balbutia: Mais si vous ne
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réussisaez pas, la garnison est sous les armes, il y aurait plus que de l'imprudence a se mettre en évidence avant d'avoir sondé les dispositions des coalisés.
- Qui parle ici de temporisation! L'occasion est trop belle, Messieurs, pour lalaisser échapper! Profitons de cette première stupeur qui a saisi nos tyrans; demain peut-être il serail trop tard.
En disant ces mots, Frédéric se leva résolument et continua: Je puis répondre d'armer en deux heures nos braves amis, Monsieur van Buren, un homme sûr pour porter des ordres, et avant peu cette maison va devenir le centre des opérations d'où partiront les moyens qui doivent nous livrer la ville!
- Me compromettre ainsi, et peut-être inutilement, dit timidement Léon, dont les yeux étaient constamment tournes vers la porte, quolle nécessité.....
Mais à peine ce dernier mot était prononcé qu' Adalbert, un pistolet à la main, s'approcha de Léon et d'un ton menaçant:
- Lâche, lui dit-il, tuliésites encore, mais cette hésitation a trahi tes séntimens! Regarde cette porte, tu attends sans doute le prix de ton infàme trahison! Lâche, mille fois lâche! J'avais deviné ton exécrable parjure et deux hommes affidés ont fait justice de ton odieux messager.
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A toi maintenanl d'aller rendre compte devant Dieu du sang de les frères.....
- Messieurs, Messieurs, dit Léon épouvanté, ne croyez pas cet étourdi, il poursuit sa mystification!
- Le temps des plaisanteries est passé, mou maître; mais sache que je n'ai jamais eu confiance en toi.
- L'affaire est manquée, Messieurs, s'écria Frédéric, que chacun agisse de son côté; les braves se retrouveront toujours devant rennend; mais il faut du moins pour cette nuit nous assurer ie silence de ce traître.
- Sois tranquille, Frédéric, et vous mes ainis, écoutez bien ceci! Léon van Buren, encore douze lieures....., douze heures..... entends- tu bien, et tu es dégagé de tes sermens! Jure sur ce poignard, que tu respecteras les secrets de ceux qui n'ont pas rougi de l'appeler leur ami..... Après cela, moi, moi seul je te délie de tes engagemens; mais s'il arrive le moindre malheur à ceux que ta lâche trahison allait je ter dans les cachots de la Hollande, tu es mort, car mille poignards sont suspendus sur la tâte!..... Douze heures encore, tu vas dormir, mon maátre, non pas dn sommeil du juste, mais avec le cauchemar de l'ambition déçue!..... Adieu clone, et si tu veux que nons puissions nous
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revoir un jour, ferme bienles yeux, et fais le mort, comme disent les français.
En un instant la salle fut évacuée, les conjurés sortirent, laissant Léon, la rage dans le coeur, mais effrayé et contenu par des menaces dont il ne connaissait que trop la portée.
Arrivés sur le palier de l'escaliër, Frédéric et ses amis, délibérèrènt un instant sur le parti qu'ils avaient à prendre; car il n'y avait plus a douter que Léon n'eût donnél'éveil sur leurs conciliabules, et la révolte de la Belgique une fois connue à La Haye, l'ordre arriverait infailliblement de les arrêter. Il s'agissait donc de quitter la ville, mais á pareille beuie, il eût été imprudent de s'aventurer dans les vues en aussi grand Nombre, sans s'exposer à être inquiéTés; il fut convenu que chacun s'éloignerait isolément pour veiller à sa sûreté personnelle, et le rendez-vous général fut donné pour le lendemain soir, dans la ville de Tongres, chez un des affiliés dont tous connaissaient le dévoûment sans bornes a la cause de la liberté.
Saint-Jean et Saint-Servais, tel sera le mot de ralliement qui servira a reconnaître tous les bons Maestrichtois dans le camp des insurgés! et ce furent les dernières paroles que jela Frédéric, à voix basse, en donnant a chacun le baiser d'adieu.
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La maison fut désertée en quelques minutes, mais Frédéric et Adalbert restèrent les derniers; lorsqu'ils furent seuls, après s'être assurés que tout, autour d'eux comme dans les environs, respiraitleplus grand calme; Ami, dit Adalbert, nous sommes trop compromis tous deux pour rentrer dans nos pénates; après ce qui s'est passé, je ne doute pas que nous n'ayons été désignés comme les cliefs futurs de l'insurrection. Si tu veux m'en croire, nous quitterons immédiatement la ville, où; notre présence ne peut plus être ulile à la cause que nous avons juré de défendre jusqu'à la mort; auras-tu le courage de me suivre? Tu verras que mes précautions sont bien prises, et que mes batteries sont dressées de main de maître; mais je le répète, il faut du sangfroid et du courage?
- Ce mot s'adresse-t-il bien à Frédéric?
- Pardon, ami, je connais et ton énergie et la supérioritê de ton esprit aventureux pour notre sainte cause; mais ici, pour im moment, laissetoi guider pap moi, tu verras qu'un fou peut quelquefois être bon à quelque chose; si tu rentres chez toi, tu seras sans nul doute arrêté. Les craintes de ta bonne tante, la surveillance dont elle-même t'entourera dans l'intention de te sauver, ne feront que te compromettre davantage. Il faut quilter la ville? à l'instant
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même. Nos amis, moins en évidence, nous rejoindront sans peine à l'ouverture des portes; Car je compte aussi sur eux, et, s'il s'est trouvé un traître dans nos rangs, son isolément en fera justice parmi notre brave jeunésse.
- Ta sollicitude pour moi a réveille de tendres souvenirs, ami; mais aujourd'hui, soldat de la liberté, Frédério étouffera dans son coeur tout autre sentiment! Je m'abandonne à toi.
- Suis-moi donc, et n'oublie pas que pour les patrouilles et les gardes de nuit, nous sommes deux docteurs appelés en consultation près d'un malade; mon titre cette fois me servira plus que les Sciences que j'aurais pu puiser a la faculté!
Et aussitôt, ils quittèrent la maison maudite, et longeant les remparts, ils furent bientôt à la porte de Bois-le-Duc.
La garde de nuit était composée d'une compagnie de fantassins hollandais et d'une escouade de cuirassiers; un capitaine, contre l'usage en tempS ordinaire, commandait lé poste; Adalbert s'avança intrépidement vers lui.
- Capitaine, lui dit-il, en lui montrant sa carte de passé, voici une permissiou pour sortir à toute heure de la nuit par la porte de Bois-le-Duc; nous sommes appelés à Smeermaas pour......
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- Impossible, lui répondit brusquement en mauvais français, le capitaine, qu'il eût été facile à son accent de reconnaître pour un enfant de la Zélande!
- Impossible! Et pourquoi? celte carte de passé......
- Ordre à moi donné, laisser sortir personne.
- Cependant.....
- Moi des ordres! obéir comme moi a consigne, ou......
- Ou,.... interrompit Frédéric en frémissant de rage, encore du despotisme! Mais ce mot fut étouffé par Adalbert qui reprenant vivement la parole: ou vous mettrez a exécution le catéchisme militaire, n'est-ce pas, capitaine, comme dit mon compagnon.
- Comprends pas, mais vous pas passer, partir terstond, terstond.
- Suffit, suffit, respect à la consigne des braves, dit Adalbert en entraînant Frédéric parle bras. Adieu, capitaine, les malades peuvent bien attendre le bon plaisir de notre sire commandant; nous reviendrons demain!
- Ja, ja..... et un gros rire sardonique vint bourdonner aux oreilles de nos deux amis qui s'éloignaient.
- Partie manquée, dit Adalbert en remontant la rue, mais non pas perdue; nous avons
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une antre corde à notre arc. En tournant à gauche, nous allons remonter sur les remparts; la sentinelle ne dépasse jamais le trou de la dame de fer, suis-moi, nous aurons beau jeu. Et à travers les jardins qui bordent ce cûté des fortifications, et dont les murs palissadés aidèrent merveilleusement une escalade, en quelques minutes nos jeunes gens furent dans le trou decette terrible dame de fer, la terreur des vieux Maestrichtois, cominuniquée aux miliciens de la garnison, qui en aucun temps n'eussent osé se promener la nuit de ce côté.
- Noble dame châtelaine des entraillesde la terre, dit Adalbert, que sa gaîté n'abandonnait jamais, viens à mon aide! Et, grimpant sur le plateau, il s'approcha d'un affût de canon prêt à recevoir l'airain, dont la précaution hollandaise devait le lendemain même hérisser les remparts, il prit un paquet de cordages que le hasard semblait y avoir placés.
- Que t'ai-je dit, Frédéric, voila l'arc et la corde, nous serons les flèches.
Et immédiatement, protégés par le mur dé gazon qui eritourait le bastion, par la frayeur qu'inspirait à cette heure de la nuit le trou de la dame de fer, et plus encore par le Cavalier qui faisait en cet endroit l'angle du chemin de ronde, et derrière lequel se promenait la senti- | |
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nelle, il attacha solidement à l'affût un des bouts du cordage, et jetant l'auire aux pieds du rempart, en s'assurant qu'il touchait aux glacis:
- Mettons en oeuvre la force centripète, conime disait notre révérend professeur de l'athénée, fais tes adieux à l'illustre souveraine de ces lieux et..... à la grâce de Dieu.
Un combat de quelques secondes s'engagea entre ces deux hardis fugitifs.
- A toi l'honneur de la descente, clier Frédéric.
- Non pas, à tout inventeur tout honneur!
- Cela devrait être ainsi, mais on a fait le contraire dans tous les temps; as-lu donc oublié, Frédéric, le fameux sic vos non vobis? Cependant nous ne pouvons descendre que l'un après l'autre; si encore nous avions le parapluie du doyen pour nous servir de parachûte! Allons, descends, aurais-tu peur?
- Il fallait ce mot pour me décider! Et aussitôt, enjambant le parapet de gazon qui faisait saillie devant lui, Frédéric se laissa glisser de toute la longueur de son corps, et saisissant entre les deux pieds la corde qu'il tenait déjà fortement dans ses mains, il descendit assez rapidement, ayant soin de maintenir avec ses pieds la rapidité de la course.
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- Quand tu auras touché la terre, lui dit Adalbert à voix basse, agite violerament ‘la corde et je me meltrai én route.
A peine avait-il achevé ces paroles, qu'une violente secousse imprimée à leur railway aérien l'avertit que son tour était arrivé.
En un clin-d'oeil il répéta la manoeuvre de Frédéric, et quelques secondes après, il était dans les bras de son ami.
- Qu'ondise, s'écria-t-il, que l'instruclion ne sert à rien; la gymna9tique nous asauvés, je voterai une statue à son inventeur!
- De la prudence, Adalbert, tout n'est pas fini!
- C'est vrai, mais en terme d'école, le plus fort est fait; en ayant Soin d'éviter les casemates, ce ne sont plus que jeux d'enfans; mon éducation buissonnière va encore mè venir en aide; décidément je vote une masse de statues à tous nos professeurs. Suis moi, nous allons prendre le cours de la Meuse jusqu'a Smeermaas. Et longeant à droite, ils eurent bientôt franchi le fossé, et les ouvrages avancés qui défendaient la place contre un ennemi extérieur, mais protégeaient les sorties secrètes de la garnison.
Un coup de feu vinl immédiatement siffler à leurs oreilles.
- A plat ventre, Frédéric, nous cherchons des simples en ce moment!
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Un second coup partit à gauche; mais nos intrépides voyageurs gagnaient du chemin en se glissant derrière les petits arbustes qui encombraient le fossé, et en moins d'un quart d'heure, its étaient hors de loute atteinte.
Frédéric, par un mouvement naturel à tons les hobles ceeurs après un grand danger auquel la providence nous a fait échapper, Frédéric se jeta à genoux pour remercier l'éternel; et ce mouvement fut machinalement imité par Adalbert, qui, échappé à l'imminence du danger qu'il avait couru, ne put trouver que cette seule parole: Merci, mon Dieu! tu n'as pas voulu que je succombasse avant d'avoir pu répondre à ces maladroits que nous reverrons, je l'espère!
- Maintenant qu'allons-nous faire, dit-il, en se relevant? le danger est passé, je te, remets le commandement.
- Sais-tu bien que tu me traites comme ce miserable Léon!
-Frédéric, ne me parle jamais de cet infâme; mais je dois m'abaisser devant la supériorité de ton esprit; un péril imminent met en mouvement toulea mes facultés inventives, il est vrai, mais ce péril passé, je retombe dans l'atonie du commun des mortels.
- Tu nous as cependant sauvé la vie, mais
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j'accepte ton offre; voici donc mon avis, que tu pourras discuter à ton gré. Nous allons regagner la route de Tongres, en tournant Maestricht, et bientôt nous pourrons être à Liége. La révolution nous ouvrira passage, et là, simples volontaires, nous fitisons notre devoir que la trahison ne nous a pas permis d'accomplir plus avantageusement pour notre cause.
- Patience, am! vient à temps qui vient lentement! L'avenir nous est ouvert, sachons en profiter sans assombrir nos pensées. Dieu aidant, nous arriverons au hut, Mais pourquoi ces soupirs?
- Nous partons, Adalbert, nous quittons Maestricht, séjour de mon enfancé, les regrets...
- Oui je comprends, un peu pour Maestricht, beaucoup pour certaine jeune personne.....
- Ah, grand Dieu! fit Frédéric, en mettant subitement la main asapoche de côté, perdu... perdu.....
- Quoi donc?
- Hélas! les instructions de ma bonne tante renfermant des renseignemens de familie et les preuves qui seules peut-être puissent attester la naissance de..... Cet écrit sera tombé de ma poche lors de notre descente. Je vais..... mais non! Je me souviens, oh oui! J'ai dû le laisser sur ma table en prenant mes pistolets.
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- Certes, reprit vivement Adalbert, qui cependant ne le croyait nullement, mais qui voulait rassurer son ami: un papier cachelé, n'est-ce pas, en forme de pétition ministérielle? Tu l'as posé sur le secrétaire!
- Oui, oui, ce ne peut être différeminent! Adieu donc, ma bonne tante, adieu Maria, ou plutôt au revoir! Revenez, ah revenez promplement consoler notre bonne mère! Mais penses-tu, Adalbert, que les portes de la ville s'ouvriront demain pour laisser renrrer les personnes que la prudence des autorités a forcées de passer la nuit hors la ville.
- Ne m'as-tu pas dit que Mlle Maria était avec la petite baronne? Je te garantis que, fallût-illes envoyer prendre avec la moitié de la garnison pour leur servir d'escorte, ces dames pourrontrentrer en ville. Bannis donc ce sombre chagrin qui nous ferait passer pour des maris jaloux; l'adieu que nous faisons aux remparts de Maestricht n'est pas éternel; nous y rentrerons, Frédéric, et avec les honneurs de la guerre!
- Les honneurs de la guerre!..... Ou peut-être ses horreurs!
- Un jeu de mots! Les rôles seraient donc changés! Allons, allons, pre'ssons le pas èt laissons derrière nous les timides frayeurs, pour
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nous occuper sans partage de notre sainte entreprise! Et il se mit a frédonner:
Ah, diable! mais il me semble que nous; leur tournons le dos..... à leur canons; mais bast! c'est une ruse deguerre! A bientôt, Messieurs les grondeurs; avant peu vous aurez changé de maîtres!
Le plus profond silence suivit cette saillie. Nous laisserons nos deux héros longer tranquilement la route de Smeermaas pour gagner ensuite Tongres, et nous reviendrons a Maestricht, où les événemens de la journée doivent avoir une si étrange influence sur tous nos personnages’
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