Fénelon en Hollande
(1928)–Henri Gérard Martin– Auteursrecht onbekend
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Troisieme partie
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A - Le Mysticisme en Espagne et en France‘Le phénomène essentiel du mysticisme est ce qu'on appelle l'extase, un état dans lequel toute communication étant rompue avec le monde extérieur, l'âme a le sentiment qu'elle communique avec un objet externe qui est l'Etre Infini, Dieu’Ga naar voetnoot1. Le mysticisme part donc de l'idée que, pour obtenir la grâce divine, les moyens extérieurs ne suffisent pas, mais qu'il faut un effort intérieur pour parvenir à l'union spirituelle avec Dieu. L'invisible royaume de Dieu et l'Eglise - c.-à-d. cette institution extérieure et hiérarchique - ne sont pas un: l'Eglise ne peut être que le moyen pour nous aider à obtenir la grâceGa naar voetnoot2, à entrer dans ce royaume. L'Eglise protestante comprend ainsi sa fonction; l'Eglise catholique cependant va plus loin et se considère comme la seule puissance parlaquelle la grâce céleste puisse être obtenue: elle ne reconnaît pas les efforts individuels de ses membres pour se mettre en rapport avec l'Etre | |
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Suprême, s'ils veulent réussir sans son concours. Aussi verrons-nous que, tant que les mystiques continuent à considérer l'Eglise comme la médiatrice entre le ciel et l'homme sans laquelle la grâce céleste est absolument impossible, la hiérarchie catholique ne voit aucun inconvénient à ce que les nouvelles idées soient propagées. Elle accueille même les théories mystiques qui se forment en Espagne au XVIe siècle avec la plus grande bienveillance et reconnaît en elles une renaissance de la foi, si bien qu'elle canonisera plus tard plusieurs de leurs adhérents: Pierre d'Alcantara, Thérèse de Jésus, Jean de la Croix, François de Sales, Madame de ChantalGa naar voetnoot1 et de nos jours Thérèse MartinGa naar voetnoot2. Tous recommandent la prière comme le principal moyen d'arriver à la grâce. Dans cette forme de prière sans paroles, l'oraison mentale, l'âme se rend sans réserve à la volonté divineGa naar voetnoot3. Poussée par une force intérieure, elle tâchera de parvenir à la communication avec Dieu et, par l'aspect des mystères célestes, à une purification, puis à une perfection complète. A la foi se substituera l'amour, par lequel elle cherchera à s'unir avec Dieu, réunion d'où proviendra un anéantissement de l'individuGa naar voetnoot4. Toutes les douleurs que Dieu lui inflige doivent être subies dans la plus grande résignation: cet abandon à la volonté divine doit se faire dans une passivité totale, afin que Dieu puisse travailler seul dans l'âme et y laisser tomber le don de sa bonté éternelleGa naar voetnoot5. C'est alors que le vrai chrétien arrive à l'état de la contemplation; celui de méditation, dont se contente l'Eglise, ne suffit pas au mystique. Leurs adversaires traitent les mystiques et les quiétistes ordinairement de paresseux et d'indolents; cependant ‘ceux que scandalise leur inertie apparente dans la prière ne songent pas qu'il n'est rien de plus actif que l'extase, rien de moins languissant que l'acte global de tout l'être s'unissant à Dieu’Ga naar voetnoot6. Quand on dit que les quiétistes sont des paresseux, on n'a qu'à observer leur grande activité intérieure et extérieure pour être convaincu du contraire. Qu'on prenne comme exemples Antoinette Bourignon, ‘qui n'a pas | |
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moins écrit que Voltaire’, ou bien Mme Guyon: ‘la vue d'une feuille de papier blanche la met en joie, et quand elle est fatiguée de la prose, elle passe à la poésie. Les vrais mystiques ne sont pas moins abondants’Ga naar voetnoot1. Nous avons dit que l'Eglise catholique n'admet pas la recherche personnelle de la grâce; cette liberté appartient à la doctrine réformée. Pourtant ‘der spanische Quietismus war kein evangelischer Protestantismus: er wollte vielmehr Katholisch sein. Aber doch muszten sich viele allmählig des Gegensatzes desselben zum katholischen Kirchenthum, des Gegensatzes der quietistisch-mystischen Frömmigkeit, welche ihr Vertrauen nur auf das was der Geist Gottes in der Tiefe der eignen Seele gestalte, und der kirchlichen Frömmigkeit, welche in der Theilnahme an den äuszerlichen Gottesdiensten und an den Sacramenten der Kirche ihren Trost fanden, bewuszt werden. Und so dieser Gegensatz erkannt und ausgesprochen ward, da muszten nothwendig Ausscheidungen aus der Kirche erfolgen...... Derartige Ausscheidungen traten in Spanien mit dem ersten Auftauchen der quietistischen Richtung auch wirklich hervor’Ga naar voetnoot2. Le quiétisme espagnol représente la réforme de la religion catholique dans son premier stade. Pendant plus d'un demi-siècle le mouvement reste borné à l'Espagne. Au commencement du XVIIe siècle il franchit les frontières françaises et convertit l'évêque du diocèse de Genève, François de Sales, et son amie spirituelle, Mme de ChantalGa naar voetnoot3. Dans son Traité de l'Amour de Dieu (t. IX, p. 7) François de Sales fait ressortir plus distinctement que ne l'avaient fait les mystiques espagnols - chez eux cette idée n'était pas même essentielle - que la souffrance terrestre est comparable aux douleurs du purgatoire. L'âme, qui, soutenue par un amour intense, subit avec une résignation complète la souffrance, parviendra déjà sur la terre à l'état de grâce et n'aura pas besoin de la purification du purgatoire. Il ajoute même qu'elle supportera ‘amoureusement’ les douleurs de ce lieu d'épreuvesGa naar voetnoot4. Bientôt les nouvelles idées se répandent sur les pays latins. La Biographie de Catherine de Gènes publiée à Paris en 1597 devient un livre populaire. Un grand nombre d'ouvrages mystiques inonde | |
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la France. ‘Wie es schien wollte der Geist der Mystik den ganzen, gewaltigen Körper der katholischen Kirche eine neue Seele, eine ganz neue Art religiösen Lebens geben’Ga naar voetnoot1. Si l'Eglise romaine a toléré jusqu'alors ces théories, elle devra bientôt renoncer à cette attitude tolérante. Michael de Molinos (1627-1696) publie, avec l'approbation de cinq membres influents de l'Inquisition et avec le consentement du pape Innocent XI, son Guida spirituale, che disinvolge l'anima et la conduce per l'interior camino all acquitto della perfetta contemplazione et del ricco tesoro della pace interiore, qui ne tarde pas à avoir une si grande influence que des milliers le choisissent pour une règle de vie. Dans plusieurs localités de l'Italie se forment des conventicules où se pratique une sorte de religiosité qui est en contraste formel avec les dogmes de l'EgliseGa naar voetnoot2. On considère Molinos généralement ‘als het hoofd der quietisten, die nevens zijne aanhangers, onder welke ook berugt zijn Mme Guyon en Fénelon......, te zamen gepoogd hebben het schoonschijnende gebouw der bedorve mystike godgeleerdheit nader te voltooien, en tot volkomenheit te brengen’Ga naar voetnoot3. Un choc est inévitable. Dans une lettre au pape Innocent XI, l'archevêque de Naples, Caraccioli, s'oppose surtout à la théorie qu'on peut arriver à la purification de l'âme ‘sans avoir passé par les exercices de la vie purgative’Ga naar voetnoot4, c.-à-d. sans le secours de l'Eglise. Ce ne fut pas la première fois que l'Eglise catholique s'inquiéta des progrès du nouveau culte. Heppe cite dans une note de la page 133 de son Quiet. Mystik un passage des Three letters qui nous prouve que les Jésuites et les Dominicains avaient vu depuis longtemps dans le quiétisme naissant un ennemi dangereux. ‘Both, the Jesuites and the Dominicans began to be alarmed at the progress of quietism: they saw clearly, that their trade was in decay and must decay more and more, if some stop was not put to the progress of this new method. In order of this, it was necessary to decry the | |
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authors of it; and because of all the imputations in the world heresy is that, which makes the greatest impression at Rome, Molinos and his followers were given out to be hereticks. It being also necessary to fasten a particular name to every new heresy, they branded this with the name of quietism’Ga naar voetnoot1. Un jury fut chargé d'examiner les écrits de Molinos et de son partisan Pietro Petrucci, évêque de Jési. Il finit par reconnaître que les livres d'aucun des deux ne contenaient rien qui fût contraire aux idées de l'Eglise. Bien qu'ainsi le mysticisme quiétiste fût approuvé, les Jésuites résolurent de l'exterminer le plus tôt possibleGa naar voetnoot2. Louis XIV, convaincu par le P. La Chaise de la fatalité de la doctrine de Molinos, obtint à Rome sa eondamnation et son emprisonnementGa naar voetnoot3. Cette condamnation eut lieu de 28 août 1687 et était basée sur soixante-huit chefs d'accusationGa naar voetnoot4. Vraisemblablement Louis XIV ne se serait pas mêlé de cette affaire, s'il n'y avait pas vu un grand danger pour l'unité religieuse de la France et pour la réalisation de l'idéal qu'il s'était proposé d'atteindre: l'établissement de l'Eglise gallicane. Sans compter les Protestants, les ordres des Jésuites, des Saint-Sulpiciens et des Jansénistes contrariaient ses projets. Par le quiétisme, qui se propageait, il courait risque de s'éloigner toujours davantage de cette unité. Le 13 avril 1648 naquit à Montargis Jeanne Bouvier (‘Bouvière’ écrivent les éditeurs du XVIIIe siècle) de la Motte, qui épousa à l'âge de 17 ans Jacques Guyon. Déjà dans sa jeunesse elle manifesta un goût prononcé pour les écrits religieux, bien qu'elle n'exclût point la lecture des romans. ‘Je les aimais à la folie, écrit-elle elle-même; on ne m'en empêchait pas; on a cette manie que l'on | |
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imagine qu'ils apprennent à bien parler’Ga naar voetnoot1. A côté de ces lectures mondaines, elle lisait les oeuvres de François de Sales et de Mme de Chantal, qui exercèrent une influence puissante sur son imagination. Mme Guyon ne tarda pas à occuper une place très importante dans le mouvement quiétiste. En elle le quiétisme atteignit son plus haut degré de développement et par là il portait en lui - comme tout système qui arrive à sa perfection - le germe de son déclin. Quant à Fénelon, il est sûr qu'il a été entraîné dans la voie mystique par Mme Guyon, que, pendant plusieurs années, il a été sous l'influence de cette femme hystérique, avec laquelle il a été dans une correspondance continue et dont les idées sont entrées dans sa tête ‘par la porte cochère’, comme dit Phélipeaux dans sa Relation sur le Quiétisme, en citant les propres termes de FénelonGa naar voetnoot2. ‘C'est d'elle qu'il a appris l'art de souffrir sans trouble et sans révolte, l'art surtout de mourir exilé et disgracié dans un abandon très doux’, écrit M. Maurice MassonGa naar voetnoot3. Ne voyons dans le quiétisme de Fénelon qu'un excès de religiosité qui fait partie intégrante de sa foi. ‘Pour plus d'un renoncer, de gré ou de force, à cette vie intérieure, à ce don royal, c'est renoncer au surnaturel, à toute grâce. Fénelon vous épouvante et vous amuse; à votre aise, mais faites-le renier son pur amour: vous aurez un autre Bayle, plus séduisant et plus dangereux’Ga naar voetnoot4. Nous ne suivrons pas dans le détail la grande lutte qui eut lieu entre les deux partis, ni n'examinerons si Fénelon doit être déclaré coupable ou innocent. ‘On s'étonne parfois que l'autorité les (les mystiques et les quiétistes) juge et les condamne. De ce qui s'est passé au centre de leur âme, le Pape ne peut directement rien connaître. Mais, dès qu'ils ouvrent la bouche ou qu'ils prennent la plume, les voilà réduits à la condition ou à la fortune des écrivains ordinaires, les voilà, non plus mystiques, mais théologiens philosophes, poètes, bons ou mauvais, suivant le cas, dignes d'admiration, ou de pitié, ou de censure. Qu'on se garde pourtant de les condamner trop vite. Qui les juge ridicules, trahit souvent sa propre misère | |
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et l'intime bassesse de cet “homme animal” qui n'entend rien aux choses de Dieu’Ga naar voetnoot1. A en juger d'après l'issue de toute l'affaire du quiétisme, l'Eglise catholique constate une différence entre la doctrine de Mme Guyon et celle de Fénelon: Mme Guyon coupable envers la religion, Fénelon victime des idées erronées de son amie spirituelle; celle-là excommuniée, celui-ci maintenu malgré sa défaite moraleGa naar voetnoot2. Quoi qu'il en soit, depuis l'arrêt papal le quiétisme passe dans l'Eglise catholique pour une hérésie. Un grand nombre de ses partisans passèrent à l'Eglise évangélique; à Genève surtout les disciples de Mme Guyon semblent avoir été très nombreuxGa naar voetnoot3. | |
B - Le Mysticisme dans les Provinces-UniesPeu de temps après que le calvinisme se fut établi dans notre pays, on constate une tendance à affermir la nouvelle doctrine par des règles déterminées. Le synode national de Dordrecht (1618) satisfait à ce désir. Il proclame ce qu'il considère comme la doctrine pure: ainsi le dogmatisme l'emporte sur la religion du coeur et la morale n'est plus en un rapport vivant avec la religionGa naar voetnoot4. Tout vaut mieux que de s'écarter des prescriptions de l'Eglise. Nous verrons les conséquences d'une telle théorie, lorsqu'on demandera à Jac. Koelman, le pasteur destitué de L'Ecluse, de remplacer un de ses collègues à Utrecht. Plusieurs pasteurs s'opposent à ce choix et l'un d'eux, ‘als hem tegengeworpen wierdt, dat wel Leeraaren toegelaaten wierden te prediken, die aen den drank vast waren, ende andere ergelijke zonden deden, daer D. Koelmans vroomigheijdt bekend was, antwoorde, dat zulcks minder quaedt was: want dat een dronckaardt tegen hem zelven en in 't privaat zondigde, maer dat D. Koelman de orders van de Kerk verwierp, ende tegensprack, ende daer tegen dede, ende dat zulcks een veel grooter ende schadelijcker quaedt was’Ga naar voetnoot5. | |
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Puisque la religion n'est pas un système de pratiques extérieures d'où tout sentiment d'âme est exclu, il n'est pas étonnant que plusieurs cherchent à atteindre par leurs propres efforts ce que l'Eglise ne peut leur donner. ‘Zoo vertoont zich dan een tegenwerking van bevindelijke vroomheid en oefening in de godzaligheid; een wereldverachting en onthouding van alle genietingen,...... Er ontstaan kleine en groote kringen, waarin men zich verzet tegen dogmatisme’Ga naar voetnoot1. Ce mouvement est connu sous le nom de piétisme. Très souvent on attribue la naissance du piétisme à des influences anglaises et l'on cite William Perkins (1558-1602) et quelquesuns de ses contemporains et de ses disciples comme ses fondateurs, non seulement en Angleterre, mais aussi dans les Pays-Bas. HeppeGa naar voetnoot2 e.a. prétend qu'il a été introduit dans les universités de Hollande par Willem Teellinck (Utrecht), qui l'avait étudié en Angleterre, et par Amesius (Franeker), qui l'avait importé directement. Douglas CampbellGa naar voetnoot3 est d'un avis contraire et croit que le piétisme a eu son berceau en Hollande. M. Knappert pense un instant à la possibilité d'une influence allemande qu'il exclut cependant en disant: ‘Het piëtisme ten onzent is vrucht van eigen bodem en ook ouder dan het Duitsche van Spener en de zijnen, immers al van de eerste helft der 17de eeuw’.... et puis, pensant aux frères Teellinck: ‘In Zeeland leefde dat geslacht dat, als men wil, het Nederlandsche piëtisme gegrondvest heeft’Ga naar voetnoot4. Quant à nous-même, nous nous | |
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rangeons du côté de M. Wilh. Goeters: ‘Wir werden aber vielmehr zeigen, dasz es sich um eine verwandte Strömung in beiden Ländern handelt...... Die beiden Bewegungen haben sich viel mehr wechselseitig bedingt’Ga naar voetnoot1...... ‘die genaue Regelung des Wandels durch gewissenhafte Beobachtung des göttlichen Gebotes wird daher nach englischem Muster eingeschärft’Ga naar voetnoot2. Nous justifierons notre opinion par les dates et nous nous servirons - chose étrange - de Heppe lui-même. Le premier qui introduisît un christianisme intérieur, écrit-ilGa naar voetnoot3, est Diryck-Volkertsz. Coornhert (1522-1590), qui exposa ses théories dans les pages 1-44 du premier volume de son Hert-spiegel goddelijker Schrifturen. Il est vrai, comme d'ailleurs Heppe le reconnaît, que cette première tentative échoua, mais cela n'empêche pas que son oeuvre n'existât et qu'il n'eût des lecteurs. Puis, en 1586, Jean Taffin publia son oeuvre piétiste Des Marques des Enfans de Dieu et des Consolations en leurs Afflictions, traduite plusieurs fois en hollandais et en latin. Celui-ci fut, selon Heppe, le plus ancien partisan du piétismeGa naar voetnoot4. Or, William Perkins avait alors 28 ans et était au début de sa carrière, si bien que nous pouvons admettre difficilement que son influence se soit fait déjà sentir dans notre pays. Nous parlons évidemment des premières années du piétisme; plus tard - nous avons déjà cité l'opinion de M. Goeters - la prédilection qu'on montre pour les écrits anglais est très grande et les traductions hollandaises des oeuvres de Perkins, Lowe, Hooker, Baynes, Bayly, Dyke, Bolton, Owen et de tant d'autres ne laissent pas de doute là-dessus. Peu à peu l'élément mystique prend plus de place dans les oeuvres de théologie. Le premier dont les idées mystiques attirent plus spécialement l'attention est Jodocus van Lodensteyn (1620-1677), pasteur protestant à Utrecht. La réforme de l'Eglise semblait prochaine, mais ‘weldra werd de morgenglans van dien dag weder beneveld door de vele dampen van het oude mysticisme, te meer, daar zelfs de schriften van Van Lodensteyn daar niet geheel vrij | |
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van waren’Ga naar voetnoot1. Le professeur L. Knappert exprime la même idée dans des termes plus énergiques: ‘Jodocus van Lodensteyn vertoont enkele van de zuiverste karaktertrekken der Mystiek, die altijd en overal dezelfde is: overpeinzing van God en zijn eigenschappen, zich verdiepen in genieten van God, het zoeken van de eenzaamheid om met God te verkeeren, waarin wij de kussen van Gods mond en de omhelzing Zijner liefde smaken’Ga naar voetnoot2. D'ailleurs Van Lodensteyn reconnaît lui-même son mysticisme dans son oeuvre principale, Beschouwinge van Zion, où il dit: ‘De mystieke Theologie is niets anders als een beschrijvinge van de praktijke en oeffeninge van de Heijlige waarheijd, voorstellende den verborgenen mensche des Herten, dat is de gevoelens, bewegingen, ende werkingen van een mensche, in welke Christus woont, en die geleijdet werd door den Heijligen Geest, ofte dat, 'tgeen den verstandigen verborgen, den kinderkens geopenbaart werd’Ga naar voetnoot3 et où il se réfère aux théories de Thomas à Kempis et de Tauler. Le même ouvrage, que nous pouvons considérer comme sa confession de foi, contient plusieurs idées qui prouvent indubitablement ses tendances mystiquesGa naar voetnoot4. Outre ses oeuvres en prose, ses poésies contiennent plus d'un passage où le mysticisme l'a inspiré. Ypey et DermoutGa naar voetnoot5 citent le poème intitulé Hertsterkte in Jehova, dans lequel revient sous plusieurs formes cette idée du ‘tout éternel’ en parlant de Dieu, | |
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du ‘néant infini’, quand il s'agit de l'homme. Dieu est un océan immense qui porte tout ce qui existe, d'où tout sort, où tout s'enfonce. Le principe mystique est donc présent dans l'oeuvre de Van Lodensteyn; pourtant on ne le range pas parmi les mystiques proprement dits. Personne n'a songé à l'inquiéter à cause de ce qu'il a écrit ou dit, et en 1677 il put mourir tranquille ‘voor sig selven een grooten Naam; voor sijne Bloedverwanten veel tijdelijke middelen; voor de wereldsche menschen veel krachtige Overtuijgingen; en voor zijne Gunstelingen een diepen Indruk zijner Deugden nalatende’Ga naar voetnoot1. Van Lodensteyn forme le passage des Piétistes aux Mystiques. Pourtant la ligne de démarcation entre les deux groupes est difficile à tracer et bien que le piétisme tienne à l'idée que le seul moyen du salut est dans la Parole de Dieu, très souvent ses théories se perdent dans les méandres du mysticismeGa naar voetnoot2. Johannes Teellinck (Kampen), Theod. a Brakel (Makkum), Jacobus Koelman (L'Ecluse) et Anna-Maria van Schurman (Utrecht) représentent l'évolution mystique dans les différentes parties des Provinces-Unies. Tandis que l'essentiel de la doctrine piétiste est la sanctification du dimanche, l'établissement de la vie religieuse dans la famille et le développement du sentiment chrétien par le système des conventicules, les Mystiques y ajoutent l'isolement, la mortification des passions terrestres, l'humiliation de soi-mêmeGa naar voetnoot3. Avec Jean de Labadie un nouvel élément se présente: la contemplation et la prière intérieures. Né en 1610 à Bourg sur Dordogne, il entra dans un couvent de Jésuites à Bordeaux où il se laissa bientôt aller à des sentiments mystiques, ce qui rendit son éloignement nécessaire. En 1650 il passa à l'Eglise évangélique, qu'il servit pendant une vingtaine d'années avec une ardeur et une conviction inébranlables. Déjà connu dans notre paysGa naar voetnoot4, il fut nommé pasteur à Middelbourg, | |
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surtout par l'influence de Voetsius, de Van Lodensteyn et d'Anna-Maria van Schurman. L'admiration de celle-ci pour l'homme dévot fut telle qu'elle s'attacha à lui et l'accompagna dans toutes les pérégrinations de sa vie mouvementée. A Amsterdam - à son arrivée en Hollande en 1667 il avait pris sa route par Utrecht et Amsterdam - il fréquentait les chefs des Mennonites et des ‘Collegianten’Ga naar voetnoot1, sans arriver cependant à une amitié durable. ‘Evenmin blijvend was de verhouding met Antoinette Bourignon de la Porte, sinds December 1667 te Amsterdam, waar zij allerlei zoekende zielen in haar huis ontving, die, als zij, geen vrede hadden met het heerschende Christendom’Ga naar voetnoot2. ‘Bei dem Selbstbewusztsein der Häupter konnte es naturgemäsz nicht zu einer dauernden Verbindung kommen’Ga naar voetnoot3. Evidemment De Labadie, qui avait grandi au pays du quiétisme, avait subi l'influence de ces idées. Elles se manifestent chez lui dans sa théorie de l'amour. Ainsi que les Quiétistes il parle de l'amour pur et désintéressé en opposition avec l'impur amourpropreGa naar voetnoot4. Dans la troisième partie de son Manuel de Piété contenant quelques devoirs et actes religieux et chrétiens vers Dieu pour l'usage familier pour l'Eglise Françoise-Walone de MiddelbourgGa naar voetnoot5 il prend le Moyen court et très facile de faire oraison de Mme Guyon pour point de départ de ses considérations. Nous ne suivrons pas De Labadie et ses coréligionnaires, après sa destitution, dans leurs aventures à Amsterdam, à Herford, à Altona (De Labadie † 1674) et à Wieuwert (A.-M. van Schurman † 1678). Il nous suffit de savoir que, par lui, les théories quiétistes ont fait leur entrée en Hollande. Faisons observer seulement que la nouvelle secte, tout en se conformant en plusieurs points à la doctrine réformée, différait des théories théologiques de son temps dans le dogme de l'Eglise du | |
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Christ et qu'elle s'opposait à l'Eglise réformée comme une ennemieGa naar voetnoot1. Alors que les Labadistes voient diminuer à Wieuwert le nombre de leurs partisans, deux autres personnes demandent notre attention par leurs idées religieuses: nous voulons parler d'Antoinette Bourignon et de Pierre Poiret. Antoinette Bourignon naquit à LilleGa naar voetnoot2 en 1616Ga naar voetnoot3. A l'âge de vingt ans elle quitte la maison paternelle pour se soustraire à un mariage que ses parents désirent lui faire conclure. Deux fois elle revient encore à Lille pour plus ou moins de temps. Cette période de sa vie se clôt définitivement en 1662, lorsque, accusée de sorcellerie, elle se réfugie à Gand, puis à Amsterdam, où elle publie en 1668 son oeuvre La Lumière du Monde. ‘Il seroit bien mal-aisé, ajoute Bayle dans le même article, d'exposer quel est son système: il ne faut rien attendre de bien lié et de bien suivi d'une personne qui donne tout aux inspirations immédiates’. La même idée est à peu près dans le passage suivant: ‘Van jongs op vol van een mijmerenden geest, eigenzinnig, hoog van opgetogenheid, en dikwijls met het hoofd op den loop...... van welker bijzondere gevoelens nauwlijks iets anders te zeggen valt, dan dat ze veel van zich zelve | |
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hieldt...... paapsche in 't herte en nochtans met geene gezindheid gemeinschap houdende’Ga naar voetnoot1. Ce peu de stabilité dans le caractère se dessine chez Mlle Bourignon dans toute sa carrière religieuse. Après avoir quitté le couvent de sa ville natale, elle adhéra aux doctrines de l'évêque Jansen, puis à celles des Mennonites, entretint pendant quelque temps des relations avec De Labadie et ses partisans, et resta jusqu'à sa mort (1680) dans une communion spirituelle avec le fameux Pierre PoiretGa naar voetnoot2. Bien qu'elle sortît de l'Eglise catholique, elle n'embrassa jamais la religion réformée. Si Heppe veut la ranger parmi les Réformés, c'est à cause de ses rapports avec PoiretGa naar voetnoot3. Les deux citations suivantes cependant prouvent nettement qu'elle n'appartenait à aucune secte. L'une est de la main de Poiret lui-même, qui en donnant un extrait des théories d'Antoinette Bourignon termine ainsi: ‘......il n'est pas nécessaire pour être sauvé de comprendre en détail la théorie des mystères divins, encore moins d'être attaché à un certain parti plûtôt qu'à un autre, mais qu'il faut seulement sevrer son âme de la pente vers les choses basses, et la présenter à Dieu en état de cessation, de simplicité, de vacuïté et d'abandon à sa conduite, après quoi Dieu produira en elle les lumières et les biens qu'il trouvera nécessaires pour la sauver’Ga naar voetnoot4. L'autre, tirée d'une lettre d'un inconnu, nous peint Mlle Bourignon au milieu de ses domestiques et nous montre sa tolérance absolue: ‘......on n'y (dans la maison) faisoit ni discours, ni lectures, ni prières communes excepté celles de table et encore les faisoit-on à voix basse, tant elle avoit d'horreur pour tout ce qui approchait tant soit peu de l'apparence même d'une secte, laissant à ses domestiques à faire leur dévotion chacun en son particulier, et aller à l'Eglise publique autant qu'ils le trouveroient bon, mais prétendant aussi qu'il leur fût libre de vivre avec qui leur bon sembloit’Ga naar voetnoot5. | |
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Pierre Poiret naquit en 1646 à Metz de parents protestants. Les oeuvres de Descartes imprimèrent leur marque sur ses premières études. Bientôt cependant il s'aperçut que celles de Tauler et de Thomas à Kempis donneraient plus de repos à son âme et il ne tarda pas à s'imposer à lui-même et à ses disciples une vie d'abstinence et de méditation dévote. A Heidelberg et à Mannheim, où il était pasteur, le public goûtait peu ses sermons par la contrainte qu'il exerçait sur la vie intérieureGa naar voetnoot1. Pendant un séjour à Francfort il connut quelques écrits de la Bourignon, ce qui fit naître en lui le désir de rencontrer cette femme si dévote. ‘Der speculatieve Denker war zum contemplatieven Mystiker geworden, der seine Heimath nicht mehr in der Französisch-reformirten Gemeinde, sondern bei der Bourignon hatte, in welcher er das Werkzeug einer ganz neuen Offenbarung des Geistes Gottes sah’Ga naar voetnoot2. Il renonça à sa place de pasteurGa naar voetnoot3 et s'en alla en Hollande, où il espérait trouver ‘la Lumière du Monde’ à Amsterdam: il la trouva à HambourgGa naar voetnoot4. Puis ils ne se quittèrent plus; il l'accompagna à Amsterdam, à Brème, à Oldenbourg et à Franeker, où Antoinette mourut à l'âge de soixante-dix ans. | |
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Grande fut l'influence que Mlle Bourignon exerça sur le philosophe messin. Cette influence est surtout sensible dans l'oeuvre qu'il publia en 1687Ga naar voetnoot1: ‘In dat werk mysticeerde hij op geene andere wijze dan waarop Antoinette Bourignon gemysticeerd had in hare geschriften, die in het jaar 1679 door zijne bezorging waren in het licht gekomen’Ga naar voetnoot2. Dans l'OEconomie divine Poiret disposa plus systématiquement les théories de la Bourignon, en leur donnant une forme tant soit peu philosophique. Faisons observer d'ailleurs que, depuis qu'il a fait sa connaissance, il a tourné le dos à la philosophie cartésienne et s'est méfié de tout système philosophique en matière de religionGa naar voetnoot3. En 1683 Poiret publia chez Elzevier une deuxième édition de ses Cogitationes rationales de Deo - la première édition est de 1676 - où de nombreuses notes témoignent de la modification de ses théoriesGa naar voetnoot4. En parlant de l'OEconomie divine, M. Wieser dit: ‘Die ersten Bände füllt die naturphilosophische, speculative und theosophische Betrachtungsweise Böhmes, während sich in den folgenden Bänden bereits pantheistische, rationale, südländische und practische Mystik zu einem eigenartigen Durcheinander, zu einem ungeheuren mystischen System, das in seiner Zeit, aber auch früher und später nicht seines Gleichen hat, vermischen’Ga naar voetnoot5. | |
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Malgré l'opinion d'Ypey qu'après avoir rencontré Mlle Bourignon, Poiret a tourné le dos à la théorie cartésienne, nous reconnaissons au début de l'OEconomie divine une ressemblance - quoique légère - entre Poiret et le philosophe français. Le ‘cogito, ergo sum’ est pour Descartes le point de départ de ses raisonnements; Poiret base les siens également sur le principe ‘Je suis’Ga naar voetnoot1. Tous deux partent donc d'un principe analogue et bâtissent là-dessus leur système. Puis Mlle Bourignon, sous l'influence de laquelle Poiret a écrit son oeuvre, était elle-même entichée de cartésianisme et attirait l'attention de plus d'un cartésienGa naar voetnoot2. Nous n'avons pas voulu dire que Poiret ait suivi les théories de Descartes, mais que celui-ci a suggéré à Poiret la forme de sa démonstration. Quant aux théories de Böhme, dont M. Wieser trouve l'oeuvre de Poiret ‘toute remplie’, nous donnons la parole à Poiret luimême. Il ditGa naar voetnoot3: ‘Je dois au reste reconnoitre, que ces principes-là (et beaucoup d'autres choses) ne viennent point de mon crû; mais que j'y ay été introduit par les divins écrits et par l'instruction d'une personne de valeur inconnueGa naar voetnoot4, dont j'auray peut-être occasion de parler ailleurs plus particulièrement. J'avois aussi vû il y a 8 ou 10 ans quelques-uns des écrits d'un Autheur que j'ay cité au bas de la page 427Ga naar voetnoot5 du Traité suivantGa naar voetnoot6; mais sans y rien comprendre alors par rapport à ces matiéres. Depuis cela, je ne l'ay point lû, mais en composant cet Ouvrage, il m'est venu des pensées | |
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que j'ay crû ne s'éloigner pas fort des siennes, et pouvoir servir à les éclaircir, la vérité étant toûjours conforme à la vérité’. Il est évident que, quand Poiret avoue encore au milieu du tome second que Böhme est pour lui ‘pures ténèbres’, l'influence de cet auteur n'a pas été grande, bien qu'elle ne puisse pas être niée complètement, comme nous verrons plus tard. Il est possible que la publication de De Idea Theologiae christianae secundum principia J. Böhmii TeutoniciGa naar voetnoot1, que Poiret pourvut d'une préface, ne soit pas restée sans effet et qu'elle ait rafraîchi sur certains points ses souvenirs. Ce qui distingue surtout les Mystiques entre eux, c'est la conception de la Trinité. Poiret expose la sienne à la page 48 du premier tome de l'OEconomie, où il dit: ‘Rien n'est nécessairement en Dieu que Dieu même, que sa propre Idée et connoissance, et son propre Amour: ou, pour parler autrement dans le même sens, rien n'est nécessairement en Dieu que son Fils éternel et son S. Esprit’. Après avoir développé ce principe dans les pages suivantes, il termine à la page 81: ‘Ainsi Dieu par son Idée ou son Verbe, et par son Amour ou son Esprit, a étably et créé toutes les idées, toutes les vérités, et toutes les choses; et il est le Producteur et l'Autheur de tout ce qui est’. Voilà tout justement la conception des mystiques allemands du moyen-âge. EckhartGa naar voetnoot2 l'énonce en disant: ‘Der Dinge ewiger Urquell ist ‘der Vater’, der Dinge Urbild in ihm ist der ‘Sohn’ und seine Liebe zu diesem Urbilde ist der ‘heilige Geist’. Celle de TaulerGa naar voetnoot3 y correspond exactement: ‘Der Vater nach seiner persönlichen Eigenschaft wendet sich in sich selbst mit seinem göttlichen Denkvermögen und durchschaut in klarem Verstehen sich selbst, den wesentlichen Abgrund seines ewigen Wesens, und in folge des bloszen Verstehens seiner selbst spricht er sich völlig aus, und das Wort ist sein Sohn, und das Erkennen seiner selbst ist das Gebären seines Sohnes in der Ewigkeit; er ist in sich bleibend nach wesentlicher Einheit und ausgehend nach persönlichem Unterschied. Also geht er in sich und erkennt sich | |
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selbst und geht dann aus sich heraus, indem er sein Bild gebiert, das er dort erkannt und verstanden hat, und geht dann wieder in sich in vollkommenem Wohlgefallen an sich selbst; das Wohlgefallen strömt aus in eine unaussprechliche Liebe, die da ist der heilige Geist’. Citons encore RuusbroeckGa naar voetnoot1, qui ne parle pas autrement: ‘Dese hoghe enicheit godliker naturen es levendich ende vruchtbaer; want uut deser selver enicheit wert dat ewighe Woert gheboren van den Vader sonder onderlaet. Ende overmits dese gheboirte bekent die Vader den Sone ende alle dinc in den Sone. Ende die Sone bekent den Vader ende alle dinc in den Vader, want si sijn eenvoldighe nature. Ute desen ondersiene des Vaders ende des Soens in ere ewigher claerheit vloyt een ewigh welbehaghen ende ene grondelose minne, ende dat is die heilighe Gheest’Ga naar voetnoot2. Si nous comparons avec cette conception de la Sainte Trinité celle qu'en a Böhme, nous verrons que celui-ci part d'une tout autre idée. Pour Poiret et pour ceux que nous avons cités, le Père est la Conscience qui se forme soi-même par la pensée; il est la source de tout et par là il est au-dessus de tout. L'idée du Père est représentée par le Fils, qui est la sagesse divine, reconnaissable dans la création. L'Amour est le lien qui les unit: cet Amour est le Saint-Esprit. Pour Böhme au contraire le Père contient l'élément des Ténèbres et de la Colère, mais aussi celui de la Lumière et de la Joie, représentées par le Fils. Le Saint-Esprit est la Force créatrice et, puisque dans le Père, par la volonté duquel il opère, se trouve aussi l'élément ténébreux, il s'ensuit que toute nouvelle créature naît dans la douleur: ‘Der Vater ist das urkundlichste Wesen aller Wesen: so nun nicht das andere Prinzipium in der Geburt des Sohnes anbrüche und aufginge, so wäre der Vater ein finsterer Thal. Also siehest du ja, dasz der Sohn, | |
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welcher des Vaters Herz, Liebe, Licht, schöne und sanfte Wohlthun ist, in seiner Geburt ein ander Prinzipium aufschleust und den zornigen, grimmigen Vater...... versöhnet, lieblich und barmherzig macht: und ist eine andere Person als der Vater; denn in seinem Centro ist nichts dann eitel Freude, Liebe und Wonne’Ga naar voetnoot1. ‘Der dritte Unterschied, oder die dritte Person in dem Wesen Gottes ist der wallende Geist, welcher von dem Aufstehen im Schreck, in das Leben geboren wird, entstehet, er wallet nun in allen Kräften und ist der Geist des Lebens, und die Kräfte können ihn nicht wieder ergreifen oder fassen; sondern er zündet die Kräfte an, und macht durch sein Wallen Figuren und Bildnisse und formet dieselben nach der Art, wie die ringende Geburt an jedem Orte stehet’Ga naar voetnoot2. Il va de soi que ni le Fils, ni le Saint-Esprit ne puissent rien faire sans la volonté toute-puissante du Père: ‘Des Vaters Kraft ist Alles in und über allen Himmeln’Ga naar voetnoot3, et plus loin: ‘Derselbe ungründliche, unfaszliche, unnatürliche und unkreatürliche Wille, welcher nur Einer ist, und nichts vor ihm, noch hinter ihm hat, welcher in sich selber nur Eines ist, welcher als ein Nichts und doch Alles ist, der heiszet und ist der Einige Gott, welcher sich in sich selber fasset und findet, und Gott aus Gott gebieret’Ga naar voetnoot4. La fin de cette dernière citation peut avoir servi d'exemple à Poiret, mais les premières citations s'opposent si formellement à cette supposition que nous pouvons admettre difficilement que cette seule phrase puisse donner à M. Wieser le droit de dire que Poiret a imité Böhme. Si M. Wieser avait voulu donner un semblant de vérité à son assertion, il aurait pu citer le passage où Poiret expose ‘les facultés ou les capacités du Père’Ga naar voetnoot5: ‘Ce qui est faculté, ou ce qui est propre au Père, a sept formes sçavoir, celle de désirer, celle de s'émouvoir, celle de se sentir vivement, celle de faire un élant et un effort ardent et divin, celle de la faculté de l'intelligence, ou la capacité de recevoir une lumière et une connoissance infinie, celle de s'egayer infiniment dans un objet infiniment aimable, et enfin celle de réünir le tout | |
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en un total unique et accomply’. C'est là littéralement la théorie de BöhmeGa naar voetnoot1: ‘Die erste Eigenschaft der Natur ist die Begierde, die machet Herbe, Schärfe, Härte, Kälte und Wesen. Die andere Eigenschaft ist die Bewegniss oder Einziehen der Begierde, die macht Stechen, Brechen und Scheidung der Härte;...... Die dritte Eigenschaft ist die Empfindlichkeit in der Zerbrechung der herben Härte, und ist der Grund der Angst und des natürlichen Wollens...... Die vierte Eigenschaft ist das Feuer, darinnen die Einheit im Licht erscheinet, als in einem Liebebrennen...... Die fünfte ist das Licht mit seiner Liebekraft...... Die sechste ist der Schall oder Hall, oder die natürliche Verstandnis, darinnen die fünf Sensus geistlich wirken, als in einem verständigen Naturleben. Die siebente ist das Subjectum oder Umschlusz der andern sechs Eigenschaften......’ Il nous semble encore que M. Wieser trace une ligne trop marquée entre le mysticisme germanique et celui des pays latins. D'abord, s'il y a une différence à constater, elle ne se trouve pas dans la conception, mais plutôt dans la forme dans laquelle les théologiens expriment leurs sentiments. Le mysticisme est élevé au-dessus de toute nationalitéGa naar voetnoot2 et de toute religion: nous le trouvons en Espagne, en Italie et en France parmi les Catholiques, en Hollande, en Angleterre et en Allemagne parmi les Protestants, en Galicie et en Pologne parmi les JuifsGa naar voetnoot3. Pour M. Wieser Tauler, Engelbrecht et Böhme représentent le mysticisme germaniqueGa naar voetnoot4. Or, personne ne placera Tauler et Böhme sur la même ligne: Tauler fait ressortir avant tout l'importance de la religion pour la vie pratiqueGa naar voetnoot5; dans Böhme l'accent tombe sur l'élément philosophique et occulte, où les considérations cosmiques ne rappellent que très vaguement les théories subjectives de TaulerGa naar voetnoot6. Nous répétons que nous ne voyons pas dans l'OEconomie divine une grande influence de Böhme, mais plutôt une oeuvre dont on trouve les sources dans les Mystiques du moyen-âge et aux théories | |
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desquels se mêlent celles du pur subjectivisme des Mystiques méridionaux et celles d'Antoinette Bourignon. Les idées bourignoniennes restent celles de Poiret pendant son séjour à Amsterdam. Il y fréquente surtout des esprits qui pratiquent une vie de dévotion affranchie de tout système dogmatique et qu'aucune communauté ne peut compter parmi ses membres. Ce séjour est de courte durée et déjà en 1688 il s'établit à Rhinsbourg, petit village près de Leide, où il vivra jusqu'à sa mort (1719). Quant à ses idées religieuses nous pouvons dire qu'il rejette tout dogme et qu'il s'en tient comme tout vrai mystique à la pratique de la partie essentielle de la religion, c.-à-d. la foi intérieure. Constatons qu'il n'a jamais cherché à fonder une secte à part et qu'il n'est point comparable à De Labadie, ni à Verschoor ou à Van HattemGa naar voetnoot1. Bien éloigné de toute idée séparatiste, il cherche à établir l'unité dans toutes les religions et se montre par là le vrai disciple de Mme Guyon et d'Antoinette BourignonGa naar voetnoot2. Ainsi il est possible qu'en discutant avec un ministre protestant, le chevalier de Ramsay devînt catholique. Il resta à celui-ci quelques doutes à propos de certains textes de la Bible. ‘Il était dans cette disposition en Hollande, lorsque le voisinage de Cambrai lui fit naître le désir de voir Fénelon’Ga naar voetnoot3. M. Wieser cite à la page 48 de l'ouvrage que nous avons mentionné déjà plusieurs fois un passage tiré de La Paix des bonnes âmes | |
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dans tous les partis du Christianisme (1686), où Poiret console les Huguenots français en leur conseillant de souffrir pour l'amour de Dieu et de la paix tout ce qu'on leur demande; ils n'ont pas à se faire scrupule de se soumettre à la confession, ni d'assister à la communion des Catholiques: la participation à ces cérémonies ne servira qu'à entretenir l'humilité. Ne trouvons-nous pas dans ce conseil une marque de ce pacifisme religieux qui apprend à vivre en paix et à supporter ‘pour l'amour de Dieu’? Comme Fénelon, Poiret expose ses idées de la sorte que partout on reconnaît la noblesse de ses sentiments. Ceux-là même qui ne partagent pas ses idées reconnaissent en lui un homme d'un esprit perspicace et qui, s'il ne s'était pas écarté de la parole de Dieu, aurait pu être compté parmi les plus grands théologiens de son temps. C'est là l'opinion d'un de ses plus grands adversaires, Johann-Wolfgang Jäger à Tubingue, quand il censure les principes de Poiret dans son Examen Theologiae NovaeGa naar voetnoot1. Poiret n'écrivit pas pour le peupleGa naar voetnoot2. Ceux-là donc qui lisaient ses oeuvres savaient bien distinguer les théories qui s'opposaient à la vraie doctrine de l'Eglise. Et bien que quelques-uns - Ypey et Dermout citent G. van Ewijck, avocat à la Haye, J. Schrader, médecin à Amsterdam et Van der Waayen à FranekerGa naar voetnoot3 - fussent entraînés dans la voie quiétiste, le fait que l'oeuvre de Poiret restait fermée à la grande masse explique que ses théories n'ont pas trouvé tant de partisans dans notre pays. Pour finir ce paragraphe nous voulons parler encore de deux personnes qui ferment la période mystique dans notre pays: Wilh. Schortinghuis, pasteur à Midwolda en Groningue, et Gerardus Kuipers, pasteur à Nijkerk. Pour tous deux nous renvoyons à la thèse pour le doctorat en théologie de M.J.-C. KromsigtGa naar voetnoot4. L'oeuvre où Schortinghuis expose ses théories a pour titre Het inwendig Christendom. Bien qu'il ne veuille pas être compté parmi les mystiques, le passage dans lequel il fait une peinture du vrai chrétien sufflt pour nous faire voir que leurs idées ne lui sont point étrangères. Aussitôt que l'état de perfection a été atteint, nous voy- | |
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ons ‘de oprechte Christen met tranen, verfoeijinge en walginge van sigselve in sijne gantsche sondige nietigheijd. Nu is hij sijnes selfs niet meer, alle sijn ingebeelde wysheijd is nu dwaasheijd, sijne gerechtigheijd godloosheijd, sijne deugden, ondeugden; ja alle sijne plichtsbetrachtingen schade en drek, sijne kragt kragteloosheijd en alle sijne geregtigheden als een verwerpelijk kleed’Ga naar voetnoot1. Il résume ces idées dans sa fameuse théorie des cinq négations: je ne veux pas, ne peux pas, ne sais pas, n'ai pas, je ne suis propre à rien. La même théorie se retrouve dans Tauler, Overdenkingen van het lijden en sterven van onzen Heer en ZaligmakerGa naar voetnoot2 et dans la Théologie germaniqueGa naar voetnoot3. M. Bremond parle, en citant Grandmaison, de ‘phénomènes corporels et mentaux très perceptibles qui précèdent la contemplation et plus frappants pour l'entourage, assurément plus extraordinaires que l'acte de contempler’Ga naar voetnoot4. Ne découvrons-nous pas ces mouvements dans la description que Schortinghuis fait de sa conversion à l'état de grâce: ‘Als verhooring van mijn gebed om indruk en gesigt van sonde wierd ik schielijk en seer onverwacht als in een oogenblik gants overstelpt met vele tranen, bewegingen en ontroeringen. Ik sag met verbasinge mijne menigvuldige sonden...... Hier sonk ik als 't waare ter neder en versmolt | |
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als het mij scheen in een stroom van tranen, en meijnde, dat ik in de aarde, ja, so in den afgront soude neerstorten, verdwijnende in mijn helweerdige nietigheijd en verdoemlikheijd met die nare en overstelpte uitroep: Ach, wat moet ik doen! Ik verfoeide mijzelf met snokken, met schudden en bewegen van mijn gantsch lichaam.... In dese selve oogenblik wierd ik levendig met vele opgeklaardheijd en ingeleijd in het gesigt van de onbegrijpelike, alles overklemmende hoogheijd en majesteit Gods, de onvergankelike schoonheijd, volheijd en dierbaarheijd van den Heere Jesus’Ga naar voetnoot1. Ces ‘phénomènes corporels et mentaux’ se manifestent plus fortement encore à Nijkerk, petite localité au nord de la Gueldre. Le 16 novembre 1749 le pasteur Gerardus Kuipers choisit pour texte de son sermon les paroles du psaume 72:16. L'émotion des âmes fut générale. Kuipers lui-même en donne une descriptionGa naar voetnoot2: ‘Traanenbeeken wierden er gestort en teegen het einde van den godsdienst wierd veel geween gehoort, ja, omtrent het geeven van den zeegen, zommige zeer bevreest zijnde en beevende, vielen needer van de voeten, konnende niet staan vanweege de beroering, die de leevende indrukken hunner zielsnooden in hunne lichamen werkte’Ga naar voetnoot3. Quelquefois le vacarme des gens qui criaient, sanglotaient et avaient des crises nerveuses était si fort que l'office devait être interrompu. Kuipers y vit ‘de groote magt des satans en zijn sterkte, die hij in het werk stelde om zijn slaaven te behouden’Ga naar voetnoot4. | |
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Le mouvement eut une forte répercussion d'abord dans les villages environnants, puis dans plusieurs villes de la République des Provinces-Unies. Il y eut même des pasteurs qui priaient Dieu qu'il fît jouir leurs communes de la même grâce céleste. Ce qui se passait à Nijkerk avait été préparé depuis longtemps et peut être considéré comme le résultat final des recherches spirituelles des piétistesGa naar voetnoot1. Nous ne pouvons pas voir dans toutes les manifestations mystiques, moins encore dans les mouvements extatiques de Midwolda et de Nijkerk, l'expression d'une dévotion pure; cependant nous devons admettre que par suite des évolutions piétistes, mystiques et quiétistes, le sentiment religieux avait été renforcé. Nous avons pour nous les paroles de M. Bremond: ‘La dévotion est la fleur: l'union mystique le fruit; mais la fleur ne survit pas au fruit qui l'achève, tandis que la dévotion emprunte à l'union une vitalité nouvelle’Ga naar voetnoot2. | |
C - L'Influence de FenelonEn résument les pages qui précèdent nous constatons que les théories du mysticisme français, de ce mysticisme pratique et subjectif, sont entrées pour la première fois dans notre pays avec l'arrivée de Jean de Labadie. Evidemment celui-ci aura subi l'influence de son entourage hollandais où les oeuvres de Böhme avaient tant de lecteurs, de sorte que Jacobus Koelman a pu prétendre - avec quelque exagération peut-être - que l'oeuvre de De Labadie porte entièrement l'empreinte des idées de BöhmeGa naar voetnoot3, mais cela n'empêche pas que son Manuel de Piété et le Moyen court de Mme Guyon n'aient été inspirés par le même esprit (voir p. 130). Comme cependant De Labadie s'est séparé de l'Eglise, que ses théories sur les cérémonies du culte ont pris un caractère si spécial, ses idées n'ont été suivies que par une petite minorité. Parmi ceux qui ont subi l'influence de Fénelon il faut nommer Pierre Poiret. Cette influence peut être prouvée par la publication des OEuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe Fénelon qui eut lieu en 1718 par les soins de Poiret et aussi par la | |
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préface de la Théologie réelle, où Poiret se réfère aux théories de l'archevêque. Cette influence a attiré souvent l'attention des critiques. M. Wieser fait commencer à Rhinsbourg la seconde (n'est-ce pas au fond la quatrième?) période de la vie de Poiret: ‘Steht Poiret im ersten Zeitabschnitt denkerisch unter dem Banne von Descartes und gefuhlmässig unter der Anziehungskraft der Mlle Bourignon,...... so beeinfluszt ihn im zweiten Zeitabschnitt entschieden die Mme Guyon und Fénelon’Ga naar voetnoot1. Le même critique voit en Poiret même ‘den verschiedensten Vertreter der spanisch-französischen Mystik in Holland’. Heppe le nomme ‘den Vater der romanischen Mystik in Deutschland’Ga naar voetnoot2. D'autres écrivains partagent ces opinions: ‘Poiret hat die Schriften der Frau von Guyon im protestantischen Deutschland verbreitet und verbreiten können, weil die im Pietismus herrschende Glaubensstimmung ihnen entgegen kam’Ga naar voetnoot3. Jung-Stilling nomme Poiret un ‘Schüler Fénelons’ et parle de la grande évolution religieuse qu'il a causée en Hollande dans les vingt premières années du XVIIIe siècle par la publication d'oeuvres mystiques françaises et espagnolesGa naar voetnoot4. Ce qui rapproche Poiret de Fénelon, c'est la théorie de l'‘amour pur’, de cet amour désintéressé dont parle l'archevêque si amplement dans sa défense contre les accusations de BossuetGa naar voetnoot5. Ce qui les sépare, c'est que - malgré cette théorie, qui se retrouve surtout dans la doctrine romaineGa naar voetnoot6 - Poiret n'est pas catholique. Nous avons mentionné déjà la Préface de la Théologie réelle. Nous avons eu en vue plus particulièrement la | |
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seconde partie intitulée Sur la Théologie Mystique. Nous croyons constater une ressemblance de forme et de tendance entre cette Préface et les Maximes des Saints de Fénelon. Quant à la forme, les deux textes ont été écrits dans ce style facile et clair qui nous frappe tant en lisant Fénelon. Divisée en paragraphes très courts, la Préface de Poiret expose une théorie comparable à celle que les Maximes expriment dans l'ensemble des articles marqués de ‘Vrai’. La ressemblance entre les deux ouvrages devient plus frappante encore, quand nous constatons qu'ils ont été composés pour expliquer aux non-initiés le vrai caractère de ‘la vie intérieure’ (Fénelon), de la ‘Théologie mystique’, qui est ‘la même chose que la perfection de la Religion Chrétienne’ (Poiret, p. 54). Les deux traités pourraient être considérés comme de petites encyclopédies raisonnées où l'on explique les termes ‘techniques’ du mysticisme. FénelonGa naar voetnoot1 le dit au commencement de l'‘Avertissement’ (p. 98): ‘Je me propose dans cet Ouvrage d'expliquer les expériences et les expressions des Saints, pour empêcher qu'ils ne soient exposez à la dérision des impies’, et bien que Poiret n'indique pas aussi explicitement le but de sa Préface, il fait ressortir aux pages 45 et 46 la nécessité d'un vocabulaire spécial pour les idées mystiques, comme il en faut un à ‘chaque art et à chaque science ou profession’, en demandant ‘à toutes les personnes sensées, s'ils trouvent de l'absurdité dans un procédé si utile et si autorisé par-tout ailleurs’. Il est évident que, dans deux textes qui traitent le même sujet de la même manière, les similitudes sont très nombreuses. Il faut donc trouver dans le livre de Poiret une idée qui soit vraiment fénelonienne. Or, Fénelon a écrit ses Maximes pour défendre sa théorie du ‘pur amour’, le point cardinal de l'accusation portée contre lui. L'écrit de Poiret est également une glorification de cet amour ‘où Dieu doit être l'objet, le motif et la fin de toutes nos affections et de toutes nos intentions’ (p. 64). Aussi le terme ‘amour pur’ revient-il à tout instant: ‘la Contemplation et l'Amour pur qui en (de la divine Théologie) font la tête et le coeur’ (p. 54), ‘l'âme très-déifiée dans la Contemplation et dans le pur Amour de Dieu’ (p. 58), ‘l'âme où réside l'Amour pur’ (p. 77), ‘ce divin et ce pur Amour’ (p. 81). | |
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C'est non seulement dans la seconde partie de la Préface que Poiret se montre un partisan de la théorie de Fénelon: dans le texte de la Théologie réelle il introduit quelques modifications qui font voir qu'il subit l'influence des idées quiétistes. Là où le texte allemand parle d'une ‘hitzige Liebe’ (p. 40) la traduction française dit en termes plus doux ‘de l'aimer de plus en plus’ (p. 25); ‘inbrünstige Liebe’ (p. 41) se rend par ‘un amour tout libre et tout pur’ (p. 26). A la page 44 nous trouvons un changement d'une tout autre nature: par l'emploi du mot ‘impassible’ et l'intercalation du mot ‘indolent’, Poiret fait ressortir plus que ne le fait le texte original l'état de passivité du Quiétiste. Le fait que Poiret cite trois fois Fénelon dans des rapports différents prouve bien que ce prélat est toujours présent à son esprit: à la page 94 comme partisan de la théorie du pur amour; à la page 141 Poiret prend son parti contre l'auteur du Traité historique contenant le jugement d'un Protestant sur la Théologie MystiqueGa naar voetnoot1; à la page 155 pour réfuter l'assertion de Le Clerc que l'état passif des Mystiques admet le péché mortel. Cependant Poiret s'était trop retiré du monde pour que les idées de Fénelon pussent être propagées par lui autrement que par l'édition que nous venons de mentionner et par ses propres oeuvres de la période postérieure de sa vie. Or, nous avons dit que Poiret était lu surtout des intellectuelsGa naar voetnoot2, de sorte que le cercle de ses lecteurs était assez restreint et que ceux qui le lisaient savaient distinguer dans ses oeuvres exactement les passages qui allaient contre la doctrine de l'Eglise officielle. Ajoutons que Poiret n'a pas uniquement étudié et publié les oeuvres spirituelles de Fénelon, mais encore celles d'Antoinette Bourignon et de Mme Guyon; qu'au fond les théories des Mystiques se ressemblent et que leurs écrits diffèrent plutôt dans les termes et l'expression des idées que dans les idées elles-mêmesGa naar voetnoot3 et qu'il est impossible de constater à qui un tel a emprunté telles idées, s'il n'en indique pas lui-même la source; que ‘tout en traitant les principes guyonniens en disciple indépendant, il leur est peutêtre le plus profondément fidèle, au moment même où il paraît | |
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les renier’Ga naar voetnoot1; que la filiation entre les idées de Fénelon et celles de Mme Guyon est si étroite que l'abbé Faydit ne voyait dans l'Archevêque que ‘le Télémaque spirituel’Ga naar voetnoot2, qui travaillait sous l'impulsion d'un habile Mentor; qu'enfin, à côté de ces oeuvres du mysticisme français, Poiret a consacré à Rhinsbourg une grande partie de sa vie à débrouiller les théories de Böhme, dont il a composé un système plus clair et plus purGa naar voetnoot3 et qu'il a subi, comme nous l'avons démontré, fortement l'influence des Mystiques du moyen-âge: Eckhart, Tauler et Ruusbroeck. A côté de Pierre Poiret, nous devons citer Elie Saurin, pasteur wallon à Utrecht, qui dans son Traité de l'Amour de DieuGa naar voetnoot4 se fait connaître comme un disciple de Fénelon. Dans la préface déjà, citant l'Explication des Maximes des Saints, il prend le parti de Fénelon contre Bossuet, qui ‘a été ravi de prendre cette occasion aux cheveux, pour mortifier son Antagoniste, et son rival de gloire’. Cette préface indique exactement la place que Saurin occupe dans l'évolution mystique. ‘La Théologie mystique a ses beaux côtez, et ses côtez désagréables. Il y a dans ce corps de maximes théologiques et morales, du vrai et du faux, du bien et du mal. Il ne faut donc pas canoniser, ou anathématiser tout indifféremment, sans examen et sans choix.... La Parole de Dieu suffit pour nous faire discerner le bien et le mal, et pour nous donner le Système complet de la vraye Théologie mystique...... On peut aisément juger par les fondemens sur lesquels je bâtis mon Système.... en quoi je conviens avec les Mystiques, et en quoi je leur suis opposé’. Saurin a été incité à écrire son Traité par la publication ‘du Livre de M. L'Archévêque de Cambrai’. Depuis longtemps déjà il avait vu ‘la Théologie mystique de l'Eglise Romaine, et le Quiétisme, qui n'est autre chose que la Théologie mystique, faire de grands progrez dans l'esprit et dans le coeur de certains Protestans, moins considérables par leur nombre, que par leur piété et leur mérite, mais qui ne se font pas tout-à-fait la même idée de la | |
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Théologie mystique et du Quiétisme, que les Mystiques et les Quiétistes Romains et Monacaux’. Il constate que ces Protestants retombaient ‘dans une espèce d'Epicuréisme spirituel, c'est-à-dire dans un Amour propre, recevant les hommages de l'Amour divin, et dans un Amour divin rendant les hommages à l'Amour propre’. Ainsi il s'est ‘crû obligé à publier ses pensées et ses sentimens, sur ce qu'il y a de plus essentiel dans cette importante controverse sur l'Amour divin, pur et désintéressé, que plusieurs Théologiens regardent comme une chimère, sur l'Amour d'Union et de sainte convoitise, que d'autres Théologiens traitent d'Amour intéressé, injustement, grossièrement et sordidement intéressé, purement servile et mercenaire, et sur la liaison et la dépendance naturelle qu'il y a entre ces deux espèces d'Amour divin’. Aussi le Traité de Saurin n'est-il qu'une glorification de ‘cet Amour pur et désintéressé, qu'on prétend ne pouvoir trouver nulle part dans la Parole de Dieu’Ga naar voetnoot1. En citant plusieurs endroits de l'Ecriture, l'auteur prouve que Dieu lui-même exige cet Amour, de sorte qu'il désire qu'un seul voeu soit dans la bouche du Chrétien: ‘J'aime Dieu, et par la force de cet Amour je lui donne tout ce que je lui puis donner. Je me donne à lui; et avec moi je lui donne tout ce que je suis, tout ce que je puis, tout ce que j'ai, tout ce que j'espère. Je renonce à tout, pourvû que Dieu soit glorifié’Ga naar voetnoot2. N'est-ce pas là ce que le Quiétiste appelle l'état de contemplation? Saurin parle de ‘l'adoration intérieure’, c'est ‘le dévoûment entier que la créature fait de soi-même au Créateur: le parfait anéantissement de la créature en la présence du Créateur: c'est donc un Amour infini que la créature a pour le Créateur’Ga naar voetnoot3. L'esprit fénelonien est dans tout le livre, partout cet ‘Amour de Dieu, pur et désintéressé, indépendant de l'intérêt et de l'Amour propre, ....cet Amour qui fait l'essence du Christianisme, de la piété, de la sainteté, de notre union avec Dieu, et le fondement de tous nos droits et de tous nos privilèges’Ga naar voetnoot4. La troisième partie du Traité de Saurin - il se compose de quatre parties - est consacré à la critique d'un livre intitulé Apologie de l'Amour qui nous fait désirer véritablement de posséder Dieu seul, par le motif de trouver notre bonheur dans sa connoissance et son Amour. Avec des remarques fort importantes sur les Principes | |
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et les maximes que Mr. l'Archevêque de Cambrai établit, sur l'Amour de Dieu, dans son Livre intitulé Explication des Maximes des S.S. par ⋆⋆⋆⋆Ga naar voetnoot1. Le fait que Saurin prend le parti de Fénelon contre ceux qui l'attaquent est bien la meilleure preuve qu'il est fortement sous l'influence des sentiments de l'Archevêque. Nous trouvons une défense semblable à la page 349 du premier tome. Là il s'agit d'un passage du Traité historique contenant le jugement d'un Protestant sur la Théologie mystique, sur le Quiétisme, et sur les démêlez de l'Evêque de Meaux avec l'Archevêque de CambraiGa naar voetnoot2. Dans ce livre, qui est au fond une attaque satirique contre Bossuet, Jurieu se fait connaître comme un fervent antagoniste des Catholiques, spécialement des Jésuites, ‘ces pernicieux Docteurs’Ga naar voetnoot3. L'ouvrage se compose de quatre parties. La première contient un exposé des théories mystiques, la seconde un abrégé du Guide Spirituel de Molinos et des ‘Erreurs du Quiétisme’. Il est assez intéressant de lire les pages où Jurieu énumère les motifs pour lesquels, le Quiétisme était, au début, sympathique aux Protestants. C'était parce que ses adhérents ‘avoient été condamnez par un Tribunal pour lequel les Protestants avoient une souveraine horreur’; parce que ‘Molinos et ses disciples se sont trouvez dans le même cas que les Protestants, condamnez les uns et les autres par le Pape’, et ‘qu'on étoit prévenu de l'injustice des procédures, par les lettres imprimées en Hollande et jointes à la version du Guide Spirituel; mais avant tout parce que ‘à regarder le Mysticisme extérieurement et superficiellement, on ne peut nier qu'il n'ait de beaux dehors’Ga naar voetnoot4. Plus tard ils ont compris que le Quiétisme était une doctrine impure, mais ‘cent fois moins que la morale des Jésuites, pour lesquels on a dans le monde tant de complaisance et tant de tolérance’Ga naar voetnoot5. La troisième et la quatrième parties traitent de la théologie de | |
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Fénelon et de celle de Bossuet. Dans la troisième partie l'auteur critique les quarante-cinq articles des Maximes des Saints; dans la quatrième, la plus longue du livre - 124 pages - il accuse l'Evêque de Meaux d'avoir usé de malignité, d'obliquité, d'iniquité et de mauvaise foi dans tout ce qu'il entreprit contre l'Archevêque de Cambrai, et il tâche même de prouver par plusieurs citations tirées des oeuvres de Bossuet que cet évêque était non moins mystique et quiétiste que FénelonGa naar voetnoot1. D'ailleurs Bossuet n'agissait que poussé ‘par une jalousie assez peu honnête...... Un Précepteur dont il avoit toujours été le Supérieur, devient tout d'un coup non seulement son égal, mais son Supérieur. Les dignités d'Archevêque, de Duc et de Prince de l'Empire, dans l'esprit d'un homme fait comme l'Evêque de Meaux, faisoient un crime qui ne se pardonne guères entre les Evêques de Cour’Ga naar voetnoot2. Peu importe si toutes les conclusions de Jurieu sont justes; nous reconnaissons dans cet ouvrage un esprit sympathique pour l'auteur des Maximes. Jurieu condamne le Quiétisme: ‘Il faut avoir un travers dans l'esprit, et une imagination peu réglée pour adopter des visions qui ne sont point du tout fondées sur les maximes de l'Evangile’Ga naar voetnoot3. Cependant, comme il adoucit son jugement, quand il parle de Fénelon et qu'il continue à la même page: ‘Il faut donc chercher la cause du mauvais choix, qu'a fait ce grand esprit, dans les dispositions de son coeur. Souvent la tendresse du coeur, et la délicatesse de la conscience font illusion à l'esprit, et le tournent du côté des fausses spiritualitez’. Jurieu trouve dans les oeuvres de Fénelon tous les éléments du Quiétisme; seulement l'Archêveque tâche de détourner l'attention de sa doctrine par deux artifices ‘que nous voulons appeler innocens: il tourne toujours sa Théologie Mystique sur le beau côté, celui du pur Amour et de l'Amour désintéressé; pour n'être pas accusé d'être Quiétiste, il fait dans ses “articles faux” un portrait affreux de la Théologie de Molinos’Ga naar voetnoot4. Jurieu revient ainsi au jugement qu'il a prononcé déjà à la page 12 de son traité: ‘La Théologie de l'Archevêque de Cambrai est un Quiétisme mitigé, et d'où il a pris soin d'éloigner les plus sensibles impuretez’Ga naar voetnoot5. Il est impossible de citer tous les endroits où l'auteur fait preuve de sa bienveillance pour Fénelon; qu'une seule suffise: ‘Nous sommes obligez de dire en concluant, que nous ne regardons | |
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pas l'Archevêque de Cambrai comme un malhonnête homme. Au contraire on le trouve plus pur, plus tendre, plus dévot et plus sage que son adversaire. On ne lui attribuë pas les conséquences impures qui semblent naître de son Quiétisme mitigé. Souvent les consciences les plus tendres et les plus délicates, s'entêtent d'une fausse spiritualité et d'une fausse dévotion mal entenduë, sans aucune mauvaise intention’Ga naar voetnoot1. L'affaire du Quiétisme a donc effectivement remué les esprits dans notre pays. Nous avons constaté que, dans quelques éditions du Télémaque, la préface fait allusion à la grande lutte entre Fénelon et Bossuet. Evidemment ces observations sont très sommaires. Dans les éditions des OEuvres spirituelles un pareil sujet est plus à sa place. Aussi, dans la grande édition de 1738, toute la préface - 48 pages - est-elle consacrée à cette question importante. En 1754 on publia à la Haye une traduction rimée de cinq satires de Boileau (les satires V, VIII, X, XI et XII)Ga naar voetnoot2. Dans le ‘Berecht aen den Leezer’ le traducteur anonyme nous fait observer qu'il a intercalé dans la onzième satire un passage de quatre-vingt-huit vers qu'il croyait être applicables aux moeurs religieuses de notre pays: ‘het beruchte werk van NieuwkerkGa naar voetnoot3 en de belagchelijke en huichelende beroernissen, die daer uit alom ontstaen zijn’Ga naar voetnoot4, le poussaient à le faire. Il est bien remarquable qu'on condamne toujours le Quiétisme, mais qu'on parle avec la plus grande estime de Fénelon. On le considère comme le martyr qui se soumet docilement à l'inévitable. Dans sa première frayeur le rédacteur du Boekzaal, à l'apparition des Maximes des Saints, a beau s'écrier: ‘Scherp vrij uw vernuft, lezer, eer gij begint, want zulk een opstel, van elk niet te doorgronden, heeft de steilte van geestdrijverij, opdat ik geen hersendweeperij zegge, zulks dat men zonder kommerlijke omzichtigheid in groot gevaar is om daar in neêr te storten’Ga naar voetnoot5, dans la livraison | |
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suivante son ton s'adoucit, quand il pense à Fénelon, qui tombe en victime de ses erreurs. Le passage se rencontre dans une critique que le Boekzaal fait d'un ouvrage de Petrus Hamer intitulé Technologeemata sacra of Woorde-boek van heilige KonstredenenGa naar voetnoot1, où, dans sa préface, l'auteur en veut surtout à la suprématie du Pape et discute le sort qu'a subi à Rome le fameux livre de l'Archevêque, le livre, ‘waarover onlangs aan 't Roomsche hof zoo veel bedillens is geweest, dat de Aartsbisschop, die zich nu vrijwillig aan het doemvonnis van den Paus gevangen geeft, en alle voorstanders van 't Pauselijk gezag hunne mutsen wel daarbij neer mogen leggen’Ga naar voetnoot2. La première édition en Hollande des Maximes des Saints est de 1698Ga naar voetnoot3; l'année suivante une traduction hollandaise, publiée également à Amsterdam, fut éditée, sous le titre de Maximen der Heijligen. Nous n'avons pu consulter les deux éditions. Nos recherches nous ont fait trouver quelques titres de livres qui font présumer que nous avons affaire à des ouvrages mystiques ou quiétistes. Depuis 1685 on lisait le livre de Johannes EsweilerGa naar voetnoot4, Vrije Genade, zielseenzame Meditaties, dont une cinquième édition paraît déjà en 1739Ga naar voetnoot5. Puis il y avait Dyon. Bouman, De staat van de ware Genade van Godt in de zielGa naar voetnoot6 et De Waarheid in het binnenste of bevindelijke Godtgeleertheit d'un auteur anonymeGa naar voetnoot7. Evidemment ces publications ont été faites pour être lues en premier lieu par ceux qui s'intéressaient au mysticisme. Il nous est donc permis de conclure de l'existence de ces éditions à l'existence de plusieurs partisans des théories mystiques et quiétistes. Reste à savoir si ce sont précisément les idées féneloniennes qu'on embrasse: le livre de Johannes Esweiler, qu'on nomme un ‘quietistisch boekje’Ga naar voetnoot8 est là pour nous apprendre plutôt le contraire. | |
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D'autre part l'extension qu' avaient prise les influences mystiques, faisaient naître de nombreux livres où ces théories furent combattues. Nous devons encore nous contenter d'énumérer quelques titres, n'ayant pu avoir communication d'aucun des ouvrages: De inwendige staat in de Mystieke Theologie of verboden Godgeleerdheid, ter gelegenheid van de beruchte geschillen tusschen Fénelon en Bossuet par M.T.Ga naar voetnoot1; De evangelische Zedenketen par B.-S. CremerGa naar voetnoot2, dont le premier volume contient une réfutation du Quiétisme; Onderzoek van de Mystieke Godtgeleertheidt, waarin de schadelykheid van Thomas a Kempis, Geulinck, Saurin, Poiret, enz. zonneklaar aangetoont wordt par Ph. NaudeGa naar voetnoot3; De Gevaarlijke Voorspraak voor het bij de Nederlandsche kerken veroordeelde quietistisch boekje ‘Eenzame Zielsmeditaties’ par C. van VelzenGa naar voetnoot4. Il est vraisemblable que Fénelon a eu un lecteur assidu dans Willem BilderdijkGa naar voetnoot5, ‘le plus grand poète hollandais de son époque’Ga naar voetnoot6. S'il n'avait pas beaucoup lu l'oeuvre de l'Archévêque, pourquoi aurait-il choisi une de ses prières pour épancher son coeur dans une imitation poétique, ‘une des premières poésies où se prononce chez lui un sentiment religieux non-conventionnel’Ga naar voetnoot7, à un moment de sa vie où son âme avait à soutenir une lutte intérieure? N'est-il pas possible qu'il ait tâché alors de retrouver le repos par la lecture des paroles consolatrices de Fénelon? L'imitation rend, peutêtre plus encore que l'original, cet état d'inquiétude du poète. C'est le cri de détresse d'une âme en peine: ‘Genadig God, die in mijn boezem leest!
Ik vlied tot U, en wil, maar kan niet smeeken.
Aanschouw mijn nood, mijn neergezonken geest,
En zie mijn oog van stille tranen leken!
Ik smeek om niets, hoe kwijnend, hoe bedroefd;
Gij ziet me een prooi van mijn bedwelmende zinnen,
Gij weet alleen hetgeen Uw kind behoeft
En mint het meer, dan 't ooit zich zelf kan minnen.
Geef, Vader, geef aan Uw onwetend kroost,
Hetgeen het zelf niet durft, niet weet te vragen!
Ik buig mij neer; ik smeek noch kruis, noch troost;
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Gij, doe naar Uw ontfermend welbehagen!
Ja, wond of heel, verhef of druk mij necr,
'k Aanbid Uw wil, hoe duister in mijn oogen,
Ik offer mij op, en zwijg en wensch niet meer
'k Berust in U, ziedaar mijn eenigst pogen!
Ik zie op U met kinderlijk ontzag,
Met Christen hoop, noch laauw, noch ongeduldig.
Ach, leer mij hetgeen ik bidden mag!
Bid zelf in mij, zoo is mijn bee onschuldig!’Ga naar voetnoot1
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D - Le Roman SentimentalNous pouvons considérer le milieu du XVIIIe siècle comme l'époque où le mysticisme a fait son temps. Il va sans dire qu'un mouvement si universel ne pouvait pas s'éteindre sans laisser des traces. Evidemment ses influences continueront à se faire sentir dans la vie religieuse; cependant nous croyons les dévouvrir aussi dans la littérature. Nous pensons ici au roman sentimental. Non pas que nous voulions prétendre que celui-ci soit du mysticisme pur; si nous le disons, c'est que nous y découvrons des éléments qui jouent aussi dans le mysticisme un rôle important: l'analyse de la vie intérieure, l'idée de la mort, la recherche de la solitude, l'amourGa naar voetnoot2. Seulement, ce qui forme le grand contraste entre le mystique et le héros sentimental, c'est que le premier met tout en rapport avec Dieu, tandis que celui-ci cherche l'objet de sa vénération dans quelque être terrestre. Comme le mysticisme en matière de religion, la sensibilité est une révolte contre le rationalisme en littérature. La raison ne pourra compter qu'en tant qu'elle est la cause de notre bonheur: ce n'est pas la raison qui joue le rôle principal dans la vie humaine, | |
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c'est l'âme, le coeur, le sentiment de la vertuGa naar voetnoot1. Cette vertu ne reste pas enfermée dans l'âme de l'individu, elle se révèle au dehors: de là le réveil lent d'une justice sociale et d'un sentiment de compassion pour ceux qui sont moins pourvus de biens terrestresGa naar voetnoot2. Que de fois nous trouvons dans les traités d'éducation le précepte d'apprendre aux enfants à traiter les servantes avec une grande bienveillance! Rhijnvis Feith donne la définition suivante de l'idée ‘sentimental’: ‘Ik zou sentimenteel niet beter dan door gewaarwordelijk weten over te brengen, en dan versta ik door sentimenteele schriften dezulke, in welke eigen gewaarwordingen uitgedrukt en door eenen stijl, die meer tot het hart en tot de verbeeldingskracht dan tot het verstand spreekt, zoodanig uitgedrukt worden, dat ze in de ziel van den lezer overgaan en daar een teedere, soortgelijke gevoeligheid verwekken’Ga naar voetnoot3. M. Prinsen ajoute: ‘Dit gaat inderdaad terug op de zielsanalyse, waaruit we oorsprong en wording van het sentimenteele meenen te moeten verklaren’Ga naar voetnoot4. L'analyse de l'âme, n'est-ce pas aussi un des principaux éléments de la vie religieuse du XVIIIe siècle? Il est vrai que la religion au XVIIIe siècle ne fait qu'effleurer l'âme, et que l'on pratique souvent une dévotion qui prend un sentiment larmoyant pour une émotion pieuseGa naar voetnoot5. Cette dévotion, vraie ou fausse, fait envisager en tout cas la question de la mort, par laquelle le mystique et le héros sentimental trouvent le seul moyen d'une réunion éternelle avec l'être chéri. L'amour qui lie les deux amants est pur et désintéressé, comme l'amour du quiétiste envers Dieu: il ne sera parfait que quand une confusion complète des deux âmes aura eu lieu. Nous répétons qu'il y a certainement des liens entre l'évolution | |
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mystique et le développement de la sensibilité littéraire. Reste cependant à savoir si le mysticisme seul aurait donné naissance au roman sentimental. Tous ceux qui ont fait du roman sentimental l'objet de leurs études sont d'accord pour dire que la littérature anglaise a exercé sur son développement une influence notableGa naar voetnoot1. Les ouvrages de Richardson (traduits en néerlandais par Joh. Stinstra), de Young et d'Ossian ont trouvé ici plus d'un imitateur. L'influence anglaise ne s'est pas fait valoir seulement dans notre pays: en Allemagne et en FranceGa naar voetnoot2 les mêmes ouvrages ont trouvé également de nombreux lecteurs. Evidemment dans les deux littératures - allemande et française - la sensibilité littéraire a pris des directions différentes dépendant des conditions locales. Dans notre pays les trois influences étrangères se sont fait sentir. ‘De Nederlanders waren soms niet langer baas in eigen huis’, dit KalffGa naar voetnoot3. Elles peuvent être constatées dans l'oeuvre de Rhijnvis Feith, le chef de l'école sentimentale en HollandeGa naar voetnoot4. Dans ses premières oeuvres il penche surtout du côté des littératures anglaise et allemandeGa naar voetnoot5; la thèse de M.D. Inklaar démontre par la citation de plusieurs passages l'influence française, nommément celle de Baculard d'Arnaud. Sans parler des disciples de Feith - Jacob-Eduard de Witte (1763-1853) et Elisabeth-Maria Post (1755-1812) -, nous trouvons dans Wolff-Deken cette même prédilection pour les romans de Richardson, tandis que leurs goûts français se révèlent par une imitation de RousseauGa naar voetnoot6. Il résulte de ce qui précède que plusieurs courants ont concouru à créer ce qu'on appelle le roman sentimental. Le mysticisme doit avoir été un de ces courants, puisqu'il a mené à l'analyse de l'âme | |
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et au subjectivisme. D'autres influences s'y sont jointes, des influences qui ne peuvent pas être précisées et que M. Prinsen indique quand il parle ‘du grand esprit cosmopolite qui s'empare aussi de la Hollande’Ga naar voetnoot1. ‘De oorsprong van het begrip “sentimenteel” is te zoeken in de gemoedsontwikkeling der achttiend'eeuwsche Westeuropeesche menschheid’, résume KalffGa naar voetnoot2. Nous devons admettre que l'auteur du Télémaque, de l'Education des Filles, de l'Existence de Dieu et de tant d'écrits spirituels a eu sa bonne part dans ce développement moralGa naar voetnoot3 et, par conséquent, dans la naissance de la sensibilité; cette influence cependant disparaît, comme tant d'autres, dans les échanges qui se font entre les littératures des différents pays. |
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