Fénelon en Hollande
(1928)–Henri Gérard Martin– Auteursrecht onbekend
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Deuxieme partie
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Rousseau. A côté de ces écrivains, qui ont fait de l'éducation un sujet spécial de leurs oeuvres, nous trouvons dans plusieurs ouvrages des passages qui reflètent les idées de l'époque où ils ont été écrits. Les théories de tous ces auteurs ont été envisagées et comparées les unes avec les autres; du reste le titre de cette thèse nous engage à porter plutôt les regards sur notre pays. Plus d'une fois nous constaterons des rapports entre les idées de nos compatriotes et celles des écrivains français. | |||||||||
A - L'education en Hollande avant 1700Desiderius ErasmusGa naar voetnoot1, bien qu'il ait écrit toutes ses oeuvres à l'étranger, compte par sa naissance à Rotterdam parmi les grands esprits qu'ont produits les Pays-Bas. Les oeuvres qui ont été consacrées spécialement aux questions de l'éducation sont l'Institutio Christiani Matrimonii (1526), dont la dernière partie s'occupe de l'éducation des fillettes; la Declamatio de pueris ad virtutem ac litteras liberaliter instituendis idque protinus a nativitate (1529); le De civilitate morum puerilium (1530)Ga naar voetnoot2. Si l'éducation proprement dite commence dès le moment où l'enfant voit le jour, les premiers fondements qui rendent une bonne éducation possible doivent être posés déjà depuis bien avant la naissance: si l'enfant naît de parents dégénérés, il vient au monde portant en lui des germes que la meilleure éducation ne peut faire mourir. Cette idée exprimée dans la Declamatio et dans l'Inst. Chr. Matr. forme le point de départ de tout le système d'éducation d'Erasme. Quand l'enfant est au monde, il faut que la mère l'allaite ellemême, ou - si c'est impossible - qu'on choisisse une nourrice d'une constitution saine. A côté de la mère, le père doit commencer immédiatement à remplir ses devoirs: la nature ne lui donna son fils que comme ‘rudem massam’Ga naar voetnoot3 qui doit être développée. | |||||||||
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‘Pater esse voluisti, pius pater sis oportet’Ga naar voetnoot1, dit Erasme en s'adressant au père qui doit élever son enfant pour l'Etat et pour DieuGa naar voetnoot2. Toute l'éducation est là devant nous: corporelle, intellectuelle et morale et nous ne nous trompons pas quand nous disons que, pour Erasme, l'éducation de l'âme et de l'esprit est plus importante que celle du corps. Les enfants n'ont qu'à être peu redevables à leurs parents de la vie qu'ils leur ont donnée, si, avec cette vie, ils ne leur donnent pas les moyens de vivre en bons chrétiens et qu'ils n'aient pas soin de leur développer l'espritGa naar voetnoot3. Le meilleur moyen que puisse recommander Erasme pour atteindre complètement son but, c'est de choisir aussitôt que possible un homme ‘ut moribus incorruptis et commodis, ita doctrina neutiquam triviali praditum’, afin que l'enfant puisse sucer avec le lait maternel, ‘le nectar de la science’Ga naar voetnoot4. En plus d'un endroit il s'oppose à l'idée très répandue que l'éducation intellectuelle ne doit pas commencer avant la septième année: on a peur que l'étude ne nuise trop à la santé des enfants. On ne voit aucun inconvénient à les laisser jusqu'à bien avant dans la nuit dans des salles poussiéreuses, ni à les faire assister à des repas qui leur gâtent l'estomac, ‘nec usquam tenerius metuitur illorum valetudini quam quum de litteris coeptum est agi’Ga naar voetnoot5. Erasme préfère un précepteur à une école, car le premier principe d'une bonne éducation, ‘praeceptoris amor’, manque dans les écoles. De là résulte qu'il a pensé en premier lieu aux enfants des riches. Envers les pauvres il semble être très dur: ‘Nous indiquons la meilleure méthode, mais nous ne pouvons pas donner les moyens pour la suivre’Ga naar voetnoot6. Dans l'Inst. Chr. Matr. il exhorte les riches à payer pour les pauvres, à qui une bonne éducation est plus nécessaire encore. Quant aux corrections corporelles, Erasme ne les repousse pas: la Bible les prescrit. Qu'on ne se serve cependant pas de la férule | |||||||||
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que tous les autres moyens n'aient été essayés; qu'on ne donne jamais des coups sous les yeux des autres élèves et jamais sans mesure ni honteusementGa naar voetnoot1. Il met en garde contre les corrections trop sévères et trop multiples, parce que le plus souvent les parents punissent dans leurs enfants leurs propres défautsGa naar voetnoot2. Nous finissons en donnant un bref exposé de la manière dont Erasme veut régler le cours de l'enseignement. En premier lieu il exige que les élèves apprennent à exprimer leurs pensées dans une forme claire et distincteGa naar voetnoot3: qu'on leur fasse réciter souvent des fables, surtout celles d'EsopeGa naar voetnoot4. Il y rattache immédiatement la lecture et l'écriture. Les enfants iront d'eux-mêmes dans la direction de la musique, de l'arithmétique et de la géométrie; on n'a qu'à diriger ces inclinations pour arriver à un but. Le jeu doit être le grand moteur de l'enseignement: jamais les enfants ne doivent avoir l'idée qu'ils apprennent par contrainte. Bien que moins connu peut-être dans notre pays, le De institutione Principum ac Nobilium Puerorum écrit par Philippe de Marnix, Seigneur de Ste AldegondeGa naar voetnoot5, ne peut pas être passé sous silence: son intime amitié avec la noblesse protestante des Provinces septentrionales, son dévouement pour le premier représentant de notre Maison d'Orange, Guillaume le Taciturne, la vive sympathie qu'il a montrée pendant la grande lutte que la Hollande eut à soutenir contre la puissante Espagne, sont autant de faits qui le rendent digne d'avoir une place dans notre système. En outre, Marnix a écrit son traité à la prière du Comte Jean de Nassau, stathouder de Gueldre, qui s'était adressé à lui pour lui demander un manuel d'éducation et d'enseignement à l'usage de la noblesse réformée de sa provinceGa naar voetnoot6. Marnix n'a donc en vue que les enfants | |||||||||
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de l'aristocratie, spécialement ceux de la noblesse. Quant à l'éducation physique des premières années, l'auteur est très bref: elle est du domaine du médecin. La seule chose qu'il dise, c'est que les enfants doivent être nourris par leur mère, ce qui nous prouve combien le mal de prendre des nourrices est répandu dans toutes les classes de la société (Cats répétera la même idée en parlant de la bourgeoisie). S'il ne parle guère de l'éducation corporelle des jeunes enfants, il expose pourtant ses idées sur l'éducation morale ‘Dans un âge qui, bien que tendre, est déjà mûr pour la malice et l'opiniâtreté’ (p. 24), il est du devoir des parents de corriger dans leurs enfants chaque petit défaut: l'idée qu'il faut éviter l'emploi des verges jusqu'à l'âge de cinq ou six ans est fausse et mieux vaut punir légèrement à l'âge de trois ans que d'attendre jusqu'à six, quand les petites corrections n'auront plus de succès; cependant on peut souvent atteindre beaucoup par la douceur (p. 104). Pour Marnix, aussi bien que pour Erasme, l'éducation morale et religieuse occupe la première place (p. 41); vient ensuite le développement de l'esprit, pour lequel il compose un programme d'études complet pour les six classes des gymnases. Puisqu'il faut qu'avant tout l'éducation prépare à la vie pratique, elle doit viser à donner aux enfants une prononciation distincte, une élocution facile (p. 25, 86) et une mémoire excellente. De la maison, comme de l'école, il faut bannir les gravures et toutes les choses, qui peuvent détourner l'attention (p. 85). Pour développer le jugement des enfants, Marnix veut qu'ils forment, en guise de jeu, une petite république avec un sénat, des lois et un tribunal. Là ils trouveront l'occasion de raisonner, de discuter, d'approuver et de désapprouver la conduite de leurs camarades, de comparer leurs bonnes et leurs mauvaises actions et de récompenser ou de punir en proportion (p. 54). En opposition avec Erasme, Marnix n'aime pas le système des gouverneurs. Mais comme il redoute dans les écoles les grandes classes où l'individu disparaît, il propose que quelques familles nobles se réunissent pour fonder à frais communs des gymnases particuliers (p. 29). Tandis qu'Erasme et Marnix, en humanistes, ont exprimé leurs idées pédagogiques en latin, qu'ils ont donc destiné leurs oeuvres à un monde savant, Jacob CatsGa naar voetnoot1 compose les siennes dans une poésie | |||||||||
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facile et populaire et atteint par là mieux le grand public. Son succès ne se restreint pas au XVIIe siècle, mais se prolonge jusqu'e bien avant dans le XIXe. Longtemps les oeuvres de ‘Vader Cats’ restent à côté de la Bible le seul livre dans les familles bourgeoises de la HollandeGa naar voetnoot1 et plusieurs se rappelleront combien de fois leurs mères se servaient de ces petites leçons rimées pour les exhorter au devoir et à l'obéissance. Il est vrai que depuis la fin de XVIIIe siècle la popularité de Cats diminue un peu par la concurrence que lui font les Kindergedichtjes d'Hieronymus van Alphen, mais malgré cette lutte Cats reste debout. Cats énonce ses idées éducatives dans ses poésies intitulées Houwelijck et Spiegel van den Ouden en Nieuwen Tijt. Dans le cinquième chapitre de Houwelijck (Moeder), nous voyons toute la vie de l'enfant se développer dès sa naissance. Tant qu'il est bébé, il doit être confié exclusivement aux soins de la mère, qui, de son côté, est obligée de se vouer entièrement à sa tâche maternelle: Een die haer kinders baert, is moeder voor een deel,
Maer die haer kinders sooght, is moeder in 't geheel (t. I, p. 537)Ga naar voetnoot2.
Cette première période ira jusqu'à l'âge de sept ans: elle est comparable au temps qu'il faut pour défricher un terrain qu'on prépare à recevoir la semence. Elle est du reste de la plus grande importance, car la jeune âme reçoit les impressions ‘gelijck een wit papier’ (t. I, p. 541)Ga naar voetnoot3. C'est surtout la formation morale qui doit avoir l'attention des parents. Qu'on n'attende pas que le mal ait fait des progrès: rien n'est plus difficile que de faire perdre à un enfant ses mauvaises habitudesGa naar voetnoot4. La foi en Dieu est la seule base sur laquelle se fonde la vertu. Savoir les commandements | |||||||||
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de l'Ecriture Sainte protège contre les tentations; les ignorer expose à la corruptionGa naar voetnoot1. Le moyen le plus sûr de réussir est l'exempleGa naar voetnoot2. A côté de l'exemple des parents, le commerce avec d'autres enfants exerce sur l'âme et le caractère une influence incalculableGa naar voetnoot3: une seule mauvaise tête peut corrompre tous ses camarades, ainsi qu'une seule brebis galeuse peut infecter tout le troupeau et qu'une seule pomme pourrie gâte tous les fruits, qui sont dans le panierGa naar voetnoot4. Qu'on évite de parler aux enfants de toutes sortes d'êtres légendaires ou fantastiques: les fantômes, les croque-mitaine et les bêtes chimériques doivent servir par trop souvent à forcer les enfants à l'obéissance. Les domestiques et les mauvais livres sont bien à craindre sous ce rapport. Enfin Cats met en garde contre la mauvaise habitude de faire assister les enfants à toutes les grandes et les petites fêtes: d'un côté ils voient et entendent des choses qui ne sont pas destinées à leur âge; de l'autre, comme tout le monde les comble de frandises, on finit par leur gâter l'estomac. Pour les mêmes motifs qu'Erasme, Cats est contre l'enseignement scolaire: l'école est bonne pour ceux qui ne peuvent payer. La difficulté c'est de trouver un homme compétent, un homme honnête qui parle couramment le latin, car il faut que le latin soit la première langue, qu'il aille même avant la langue maternelleGa naar voetnoot5. Tout doit être appris en jouant; qu'on comprenne bien que tout enseignement échoue, quand l'esprit s'y opposeGa naar voetnoot6. Rendez vos leçons agréables et n'aigrissez pas les enfants par des coupsGa naar voetnoot7. Non que Cats exclue les verges; s'il est nécessaire de punir, faites-le. Pourtant soyez prudent et n'oubliez pas que vous punissez dans | |||||||||
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vos enfants vos propres défautsGa naar voetnoot1. Ne punissez jamais quand vous êtes en colère et ayez soin de ne jamais perdre cette affection sans laquelle le succès de l'enseignement est pour le moins douteuxGa naar voetnoot2. Nous ne pouvons pas quitter le XVIIe siècle sans parler de trois ouvrages qui ont eu certainement du succès. Le premier fut publié en 1621 et a été composé par Joannes de Swaef, maître d'école à Middelbourg. Nous n'avons pu nous en procurer que la seconde édition qui est de 1740. Elle contient l'oeuvre de De Swaef et une préface de la main de Jacobus Willemsen, pasteur à MiddelbourgGa naar voetnoot3. Pour le moment nous nous bornerons à l'oeuvre de De Swaef. Conformément au titre toutes les théories de l'auteur se basent sur les principes chrétiens; de nombreux renvois à des textes bibliques servent à soutenir les idées qu'il avance. Le livre se compose de quatre chapitres. Le premier traite de l'éducation corporelle et vise surtout à attirer l'attention de la mère sur ses devoirs maternels; le second parle de la formation du coeur et de l'âme: l'exemple des parents, le milieu des enfants, l'influence des domestiques, le choix d'une école et l'application des moyens de la discipline y sont discutés. Le troisième chapitre nomme parmi les devoirs des parents le soin que leur enfant contracte un bon mariage; le dernier prescrit aux parents comment ils doivent se conduire eux-mêmes envers Dieu pour avoir la bénédiction céleste sur l'important travail qu'ils entreprennent. Le livre fait ressortir plus que Cats la nécessité d'une éducation religieuse, mais ne contient d'ailleurs rien de nouveau. Nous y reviendrons plus tard pour parler de l'édition de 1740 et de la préface de Willemsen. | |||||||||
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A la fin du XVIe siècle, en 1591, Valcoogh a publié à Amsterdam son Regel der Duytsche SchoolmeestersGa naar voetnoot1, qui aurait deux rééditions: à Alkmaer en 1607 et à Rotterdam en 1628. Valcoogh, d'abord maître d'école à Barsingerhorn, plus tard notaire à Schagen, destinait son livre aux instituteurs; cependant plusieurs parties en sont applicables à l'éducation domestique. Comme Cats le fera en 1625, Valcoogh écrit ses idées pédagogiques en poésie. Après avoir exposé les qualités qu'un bon maître doit avoir, il décrit la grande autorité dont la confrérie est revêtue et qui est élevée au-dessus du pouvoir de la justice et des parents. Pour maintenir la discipline, le maître doit faire un large usage de la férule (p. 10) et cinq mois après que l'élève est entré en classe, elle sera le seul moyen dont il se servira (p. 13). Valcoogh a beau dire qu'il préfère des corrections peu nombreuses, nous constatons que la liste des délits pour lesquels il prescrit l'emploi de la férule est très longue (p. 14 et 15). Ce qu'il dit au sujet de l'éducation religieuse et de la formation de l'esprit ne contient pas de vues nouvelles Il est remarquable que, quand l'auteur parle du surmenage intellectuel des élèves, il base son opinion sur celle d'‘Erasme et d'autres savants’ (p. 27), ce qui nous prouve que les théories du philosophe de Rotterdam vivent encore parmi les pédagogues plus modernes, Valcoogh est encore un des premiers qui a exprimé l'idée que l'école et la famille doivent collaborer pour faire réussir l'éducation (p. 61). Le troisième livre dont nous voulons parler est intitulé De Plichten der Ouders, in kinderen voor God op te voeden. L'auteur, Jacobus Koelman, a été pasteur à L'Ecluse jusqu'en 1674, lorsqu'il fut destitué par les Etats GénérauxGa naar voetnoot2. Son traité pédagogique a été publié en 1679. Nous ignorons s'il a eu des rééditions au XVIIe et au XVIIIe siècles; l'édition que nous avons consultée et qui porte l'indication ‘Nieuwe uitgave’ est de 1838Ga naar voetnoot3. Tandis que, pour l'éducation en général, il développe les idées que nous avons déjà rencontrées dans tous ses devanciers, nous découvrons, au sujet de l'éducation religieuse, les sentiments piétistes de l'auteur: | |||||||||
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la prière - aussi celle des enfants, quelque naïve et brève qu'elle soit - doit provenir du caeur, sans être apprise d'avanceGa naar voetnoot1, ‘vurig en bewegelijk, ook wel met tranen’ (p. 13); il exclut tous les jours de fête (Pâques, Pentecôte, Noël, la Saint-Nicolas), mais prescrit la célébration du dimanche (p. 119); il recommande la lecture des piétistes de son tempsGa naar voetnoot2. En résumant les théories des principaux pédagogues de notre pays, nous nous sommes efforcé de donner une image de l'éducation en Hollande au moment où le traité de Fénelon y fit son entrée. Vu l'époque où elles ont été écrites, les oeuvres d'Erasme et de Marnix auront perdu leur valeur pratique au XVIIe siècle. Mais les idées de tous deux sont restées et ont été reprises par Valcoogh, Cats et Koelman. Du reste ces idées n'étaient pas nouvelles; Cats lui même cite PlutarqueGa naar voetnoot3, pour nous prouver que, dans les grandes lignes, toutes ses leçons sont soutenues par les théories de cet auteur grec. Avant de donner un exposé des idées éducatives au XVIIIe siècle et d'examiner si les préceptes de l'archevêque français ont fait sentir leur influence dans les Provinces-Unies, nous voulons parler des trois traductions qui en ont été faites dans notre patrie. | |||||||||
B - Les traductionsLa première traduction hollandaiseGa naar voetnoot4 paraît en 1771. Elle est | |||||||||
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de la main de Josua van Iperen, docteur en philosophie, pasteur à Vere et membre de la ‘Hollandsche Maatschappij voor Wetenschappen’ et du ‘Zeeuwsch Genootschap voor Wetenschappen’. Les pages préliminaires contiennent - outre un frontispice qui nous représente l'idéal de la femme mariée se tenant devant son armoire à linge et entourée de ses deux enfants, dont l'aînée reçoit des leçons pratiques de sa mère, tandis que la cadette se prépare aux besognes de la femme en s'occupant de la toilette de sa poupée - le titre et une préface, déd ée ‘aan de jonge juffers van Nederland’, dans laquelle le traducteur tâche de compléter les théories de Fénelon. Son idée est que celui-ci n'a pas fait correspondre le contenu de son livre au titre qu'il lui a donné: il l'a nommé ‘l'éducation des filles’, alors que la majeure partie du livre a été consacrée à celle de l'enfant, garçon ou fillette. Un autre défaut que Van Iperen trouve dans le traité, c'est que Fénelon, qui, lors de la composition de son livre, était chargé de la direction des Nouvelles Catholiques, a fait prédominer trop son catholicisme: Van Iperen remédiera à ce défaut par l'addition de quelques remarques qui rendront sa traduction propre à être employée également par les protestants. Il croit devoir attribuer même à cette tendance catholique le fait que le livre n'a pas été traduit plus tôtGa naar voetnoot1. Nous espérons revenir sur ce point en parlant des remarques que le traducteur ajoute çà et là au texte sous forme de notes. Voyons d'abord quelles sont les idées que Van Iperen développe dans sa longue préface. Les premiers conseils sont de nature générale: il faut profiter du caractère inconstant et capricieux des enfants pour leur apprendre autant de choses que possible (p. IV), mais, avant tout, qu'on rende l'enseignement agréable, non seulement alors qu'on s'adresse à l'esprit, mais aussi quand il s'agit de cultiver la vertu (p. VIII). Quant à la religion, les enfants doivent être pénétrés de l'idée que le bien que nous avons provient de la bonté de Dieu et que le mal qu'il nous envoie sert à nous punir de nos péchés (p. VIII). Ces pensées rendent exactement les principes de Fénelon, comme ce que Van Iperen dit de la nourriture: les petits enfants ne doivent prendre que le lait malernel; mais le plus souvent on gâte l'appétit en leur donnant des friandises trop sucrées, de peur que le lait ne suffise pas: ‘Avoir un peu faim n'est | |||||||||
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pas mal, et le trop peu vaut mieux que le superflu’ (p. VII). Après ces observations générales l'auteur entame son véritable sujet: l'éducation de la jeune fille. Puisque la fillette deviendra un jour une femme qui devra entretenir sa maison, Van Iperen ne fait que la préparer à cette vie. Il faut qu'elle soit élevée autrement que le garçon. Celui-ci doit fréquenter l'école et apprendre bien des choses; celle-là peut être formée entièrement par la mère (p. IX). Ses premiers joujoux seront une poupée et une maison de poupées: elles composeront le premier ménage qu'elle ait à diriger, constamment contrôlée par sa mère bien entendu. Tout ce dont elle aura besoin, elle l'achètera elle-même de ses ‘épingles’: cela lui apprendre à être économe de son argent. Elle s'accoutumera mème à marchander, pourvu que cela ne dégénère pas en avarice. Sans faire de dettes - il s'agit d'une enfant qui joue encore à la poupée! - elle doit tâcher de ne pas dépenser tout (p. XI). Il faut qu'elle ait soin de la toilette de sa poupée, et elle fera tous les vêtements, pour que son ‘enfant’ soit habillée convenablement. En mère pratique elle songera, en découpant les patrons, que son ‘bébé’ grandira, de sorte qu'elle puisse allonger et élargir plus tard les jupes et les corsages (p. XIII). Sur ces entrefaites la fillette est devenue jeune fille. Le vice qu'il faut combattre le plus, c'est la vanité: le miroir doit être employé, non pour admirer le visage, mais tout au plus pour contrôler la façon d'une robe ou d'une toilette de nuit élégantes, mais très simples (p. XV). Une jeune fille ne doit jamais s'affubler de vêtements d'homme, ni d'habit d'amazone dont les femmes s'habillent soi-disant pour avoir une toilette de voyage commode. Le meilleur préservatif contre tous ces caprices est le travail: elle aidera sa mère à faire les provisions d'hiver et elle apprendra la cuisine (p. XV). Dès lors elle entre dans une nouvelle étape de sa vie; dans la cuisine elle fréquentera les servantes et comme premier devoir on exigera qu'elle soit toujours polie envers ses inférieures. Il faut même que la mère commande aux servantes de refuser nettement tout service, s'il n'est pas demandé poliment (p. XVI). La jeune fille peut encore profiter beaucoup des mauvaises et des bonnes qualités des domestiques: il y en a qui sont habiles ou intelligentes, d'autres qui sont stupides, paresseuses, indolentes ou nerveuses, encore d'autres entêtées, babillardes, médisantes, méchantes ou | |||||||||
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boudeuses. Il faut qu'une bonne mère fasse connaître à sa fille tous ces caractères (p. XVII-XX). Si la servante est fiancée, la mère parlera à sa fille du mariage, et lui recommandera la prudence dans le choix d'un mari; si la servante se laisse entraîner trop loin par son amour, le moment sera venu pour la mère d'avertir son enfant en lui faisant observer la grande honte qu'amène un pareil cas (p. XXIII). Le mariage de la bonne procurera l'occasion de calculer amplement ce dont la demoiselle aura besoin pour monter un ménage suivant les exigences de sa position sociale. Un capital de fl. 40.000 peut suffire (p. XXVIII). Après les avoir mis en garde contre le commerce des femmes légères et sensuelles, Van Iperen donne quelques leçons aux parents qui ont des filles nubiles. S'ils ont des filles boudeuses, il faut qu'ils les conduisent devant le miroir (p. XXXI), ou bien, le père doit introduire dans sa maison des jeunes gens et contraindre sa fille à leur servir le thé (p. XXXII); du reste il est nécessaire qu'une jeune fille se trouve souvent en compagnie de jeunes hommes honorables, car c'est le meilleur moyen de lui faire connaître le caeur humain (p. XXXIV). Ensuite Van Iperen donne encore quelques avis concernant les amusements permis aux jeunes filles. C'est d'abord le chantGa naar voetnoot1: des chansons douces où il peut être très bien question d'un amour vertueux et sensé (p. XXXIII). Surtout les poésies de Jacob Cats sont recommandables (p. XXXIX). Il leur permet aussi l'étude, la morale chrétienne (p. XXXX), mais il déteste les femmes savantes: d'abord, parce qu'elles sont toujours très jalouses l'une de l'autre, ensuite, parce qu'elles croient avoir la sagesse infuse et qu'elles sont plus susceptibles que les autres (p. XXXX). Plus tard il revient à ce même sujetGa naar voetnoot2: là il veut que les jeunes filles aient toutes les bonnes connaissances possibles comme une arme contre la superstition. Seulement nous voudrions bien savoir comment elles peuvent trouver le temps d'en acquérir au milieu de toutes leurs besognes domestiques. Quelques petites observations à l'adresse de la femme mariée forment la fin de cette préface. Le désaccord des parents forme des enfants désobéissants; la femme autoritaire fait déserter son foyer à son mari; elle doit lui être soumise, mais avec une soumission généreuse et non servile. | |||||||||
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Van Iperen a traduit librement le livre de Fénelon. Il en a bien rendu toutes les idées, mais puisqu'il ne traduit pas littéralement, nous devons nous contenter de cette observation. Ce qui nous déplaît dans son ouvrage, c'est le ton douceâtre et le grand nombre de diminutifs dont il se sert en parlant des enfantsGa naar voetnoot1. De temps en temps le traducteur ajoute sous forme de notes ses idées personnelles sur celles de Fénelon. Quand celui-ci dit qu'il ne faut jamais assujettir les enfants par une autorité sèche et absolue’Ga naar voetnoot2, Van Iperen y voit un motif pour ne pas commencer de bonne heure l'étude du latin et d'autres langues, qui demandent toute l'application de l'enfant (p. 31, note). Dans la note de la page 57 il désapprouve l'ignorance de la jeune fille sur n'importe quel terrain; le savoir seul peut prémunir contre les écueils où elle pourrait tomber: la lecture des fables païennesGa naar voetnoot3 n'est donc nullement un danger, ni pour les garçons, ni pour les fillettes. Outre ces deux notes qui ont rapport à l'éducation de l'intelligence, Van Iperen en ajoute quelques-unes où il critique le dogme catholique. Evidemment il rejette la ConfessionGa naar voetnoot4. Il veut la remplacer par un interrogatoire qui revient chaque semaine et où les enfants seront obligés de se rappeler toutes leurs peccadilles: les parents (ou bien le pasteur? - Van Iperen ne le dit pas) auront alors l'occasion de leur parler de Dieu, qui peut pardonner tout, et de leur recommander la prièreGa naar voetnoot5. Dans quelques notes il attaque plus ou moins violemment la catholicisme, surtout dans le chapitre VII, où Fénelon parle des ‘premiers principes de la religion’ et va donc contre les théories calvinistes. Sur l'emploi des gravures les opinions de Fénelon et de Van Iperen sont différentes. Tandis que celui-là les recommandeGa naar voetnoot6, celui-ci les repousse, parce que le plus souvent elles sont en contradiction avec la vérité: il pense ici aux auréoles autour de la tête des Saints. Il est également contre l'emploi des Bibles illustréesGa naar voetnoot7. Cependant, alors qu'il dit expressément dans cette note que, puisque personne n'a jamais vu Dieu, il est impossible de le représenter | |||||||||
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par une image, il abandonne cette idée dans la note de la page 75 où il base son opinion sur la coutume des peuples orientaux. Dans celle de la page 64 il y a encore une contradiction de cette même idée: il ne veut pas se servir du Catéchisme historique de l'abbé de Fleury, mais recommande le Historische School- en Huys-Bijbel de Kulenkamp et plus encore le Lusthof der goddelijke Historiën, ‘à cause des images plus achevées’. Cette opposition contre l'emploi des gravures et même contre l'exercice des arts, n'est du reste pas nouvelle; Rousseau a également l'opinion que les sciences et les arts dégénèrent un peuple. Il allègue le témoignage des Anciens pour le prouver: ‘Les Romains ont avoué que la vertu militaire s'était éteinte en eux, à mesure qu'ils avoient commencé à se connaître en tableaux, en gravures; ......les anciennes républiques de la Grèce avoient interdit à leurs citoyens tous les métiers tranquilles et sédentaires, qui, en affaissant et corrompant le corps énervent sitôt la vigueur de l'âme’Ga naar voetnoot1. Si nous nous sommes arrêté longtemps à la critique de cet opuscule, c'est que nous nous trouvons en présence, non seulement d'une simple traduction, mais aussi d'un système d'éducation dont le traité de Fénelon forme la base. Quant aux remarques ajoutées au texte, elle ne sont pas d'une si grande valeur. La seconde traduction de l'Education de Fénelon a paru un demi-siècle plus tard. Elle a été faite par Th. van Stavelen, prêtre catholique, curé à VlaardingenGa naar voetnoot2. Le livre comprend quatre pages préliminaires contenant le titre et l'index et 152 pages numérotées dont 137 sont occupées par le Traité de l'éducation et le reste par le texte hollandais de l'Avis à une Dame de Qualité sur l'Education de sa fille. Van Stavelen n'a ni ajouté une préface, ni annoté l'oeuvre de Fénelon. La seule note que contienne son livre se trouve à la page 133 où il mentionne une traduction hollandaise du Catéchisme historique de l'abbé de Fleury par le P. Tombrink, de son vivant curé à Veendam et membre honoraire de la Société catholique des Pays-Bas. En 1878 paraît le troisième volume de la ‘Paedagogische Bibliotheek’ rédigée par J. Versluys: Fénelon, Over de opvoeding van | |||||||||
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MeisjesGa naar voetnoot1. Ainsi que la traducteur, J. Schippers, le dit dans sa préface, son but n'a été que de donner une traduction exacte du livre français. Bien qu'il puisse souscrire en général aux théories de Fénelon, il y en a quelques-unes qu'il ne peut pas approuver. Cependant il n'a pas voulu donner sa propre opinion à côté de celle du pédagogue français, supposant que celui qui lit attentivement trouvera lui-même les passages qui sont moins acceptables. Le livre ne donne donc dans ses quatre-vingts pages qu'une traduction hollandaise du Traité de FénelonGa naar voetnoot2. | |||||||||
C - L'education dans notre pays au XVIIIe siecle - L'influence de FenelonDans le premier paragraphe de ce chapitre nous en sommes venu jusqu'au moment où Fénelon écrivit son Traité (1687). M. le comte d'Haussonville, parlant du sort que l'ouvrage eut en France, dit ‘qu'après bien des vicissitudes’ il entra dans ‘une assez longue période d'oubli’Ga naar voetnoot3. Pour ce qui concerne notre patrie nous pouvons en dire autant. Tandis qu'en France il a eu quelques réimpressionsGa naar voetnoot4 et que Mme de Maintenon, Mme de Lambert, Mme de Genlis ont formulé dans leurs ouvrages des idées pédagogiques plus ou moins conformes à celles de l'abbéGa naar voetnoot5, les deux éditions de 1697 et de 1704 furent suivies d'une troisième en 1754 seulement, alors que la première traduction ne paraîtra qu'en 1771. D'où vient que Fénelon, qui n'est pourtant pas un inconnu en Hollande, ait été si longtemps négligé comme pédagogue? Comme | |||||||||
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première cause de cet oubli on nomme ordinairement la grande concurrence que lui fait l'oeuvre de John Locke: Some thoughts concerning education, qui parut en 1693 en Angleterre sans nom d'auteur, et dont nous trouvons mentionnée une édition française dans notre pays déjà en 1695Ga naar voetnoot1, suivie en 1698 d'une traduction hollandaise intitulée Bedenkingen over de Opvoeding. La traduction française de Pierre Coste fut réimprimée à Amsterdam en 1708, puis à Paris en 1711. Il est vrai que ces éditions se succédèrent vite; d'ailleurs le fait qu'une seule édition hollandaise et deux éditions françaises de Locke ont suffi pour contenter la curiosité du public, prouve bien que le vrai intérêt pour l'ouvrage n'existait pas. Comme la France et l'Angleterre, notre pays a vu paraître à la fin du XVIIe siècle son principal traité pédagogique. Pierre PoiretGa naar voetnoot2 publie en 1690 sa Lettre à une personne de bonne volontez sur les vrais principes de l'éducation des enfants, rééditée à plusieurs reprises en flamand, en anglais, en allemand et en latinGa naar voetnoot3 et publiée en 1705 à Amsterdam sous le titre de Principes solides de la religion et de la vie chrétienne appliqués à l'Education des enfantsGa naar voetnoot4. La traduction latine est de la main de Poiret lui-même, comme il nous l'apprend dans la préface de cette édition. En Allemagne | |||||||||
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on avait publié à son insu, nous dit l'auteur dans cette même préface, deux éditions (à Hambourg et à Leipsick) sous le titre Klugheit der Gerechten, qui rendaient défectueusement les idées déposées dans l'édition française. Comme les éditions allemandes avaient paru sans nom d'auteur, on croyait là-bas que Hornius, pasteur à Hambourg, était le compositeur du traité. L'opuscule excita un grand mécontentement parmi les pasteurs; le chef de l'opposition, était Aug. Pfeiffer. Pour avoir un arbitre on s'adressa à Colerus, pasteur de l'église allemande à la Haye. Celui-ci se trouvait à Amsterdam, ainsi que Poiret. Tout à coup la lumière se fit sur toute l'affaire. Poiret jugea nécessaire de publier son oeuvre en latinGa naar voetnoot1, afin que tous ceux qui ne comprenaient pas le français fussent renseignés sur ses véritables intentions. La matière a été étendue dans quelques parties par des explications mises entre crochets. Dans le même volume se trouve une défense de Poiret contre les attaques de PfeifferGa naar voetnoot2. C'est ainsi que le petit livre de notre compatriote a joué son rôle dans les grandes luttes piétistes éclatées à Hambourg en 1693Ga naar voetnoot3. Poiret a écrit son traité pour persuader ses contemporains de l'importance de l'éducation religieuse. Dans une dédicace aux parents et aux instituteurs il expose nettement ses principes: toute l'éducation doit s'inspirer de la religion et le premier but qu'elle doit se proposer d'atteindre, c'est la perfection de l'âme. Jésus donna déjà l'exemple en préférant la vie spirituelle à celle du corps. Toutes les misères proviennent d'une éducation qui n'a pas pour base l'amour envers Dieu. Quant à l'éducation morale on se contente d'apprendre aux enfants quelques bonnes manières, sans penser à la véritable formation de l'âme. Celle-ci doit être étudiée dans tous ses rapports avec l'Etre Suprême. Dieu l'habite constamment et veut la perfectionner, pourvu que l'homme collabore avec tous les moyens que Dieu lui a donnés: le désir de chercher Dieu, la volonté de la connaître, la faculté de se réjouir de cette connaissance, la volonté de remplir les commandements divins (p. 9 et 10). | |||||||||
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Sans le ‘désir’ l'âme est morte. Pour l'exciter il faut tuer toutes les passions qui peuvent détacher l'âme du ciel: égoïsme, ambition, orgueil. Des qualités opposées doivent être cultivées; l'homme n'est rien par lui-même, qu'il se sente donc en tout dépendant de la grâce de son Créateur. Cette grâce divine ne sera obtenue que par la prière sincère, celle qui sort du coeur (p. 27). Quand l'enfant est encore trop jeune, les parents le remplaceront dans ces devoirs sacrés (p. 35). La ‘volonté de connaître’ exclut le mensonge, qui n'est permis dans aucun cas (p. 38). La divinité ne peut être découverte que par la vérité. Il en résulte que ceux-là seuls à qui Dieu a révélé les vérités célestes sont en état de se charger de l'éducation des enfants (p. 49). Il faut que Dieu soit toujours présent à leur esprit dans sa sainte trinité: le Père comme le Créateur de tout ce qui existe, le Fils comme le Libérateur de l'humanité, le Saint-Esprit comme la force qui sanctifie les coeurs et remplit l'âme de la lumière céleste (p. 60). La ‘joie d'avoir trouvé Dieu’ est la faculté finale: en dehors d'elle il n'y a pas de repos. Le luxe, les beaux habits, les commodités de la vie sont incapables de la donner (p. 66). Il n'est pas néccessaire d'enlever aux enfants toute jouissance, pourvu qu'ils reconnaissent toujours que tout ce qu'ils reçoivent est un don du ciel et qu'ils soient dispos à y renoncer aussitôt et de bon coeur, dès qu'il plaira à Dieu de le leur enlever (p. 73). C'est ici le cas de leur faire sentir les sages leçons du décalogue expliquées non seulement d'après leur signification littérale, mais aussi adaptées à la vie moraleGa naar voetnoot1). Aux pages 98 e.s. Poiret expose en quatre paragraphes les devoirs que les enfants ont à remplir:
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Pour finir Poiret envisage la question des punitionsGa naar voetnoot1. Il recommande la douceur envers ceux qui sont de bonne volonté, la rigueur envers les obstinés. Le point de départ de toute punition doit être l'amélioration de l'enfant. Les corrections exagérées remplissent les enfants de haine envers ceux qui les infligent. L'auteur reconnaît que son système n'est pas complet: il reste beaucoup de questions que les parents doivent résoudre d'après leur propre expérience. Qu'ils n'oublient jamais de faire eux-mêmes ce qu'ils exigent de leurs enfants. Malgré les premiers succès ni les théories de Fénelon, ni celles de Locke, ni celles de Poiret ne semblent avoir eu assez de force vitale pour tenir au milieu de l'indifférence de la première moitié du XVIIIe siècle. Nous employons le mot ‘indifférence’ et le terme ne nous semble pas trop fort. Lisons ce que dit le rédacteur du Boekzaal en novembre 1753 à propos de la publication des Pensées de Locke: ‘De vertaler schijnt zich te verwonderen dat deze Verhandeling van den beroemden Locke in een omwenteling van 54 jaar tot nu toe slechts eenmaal in Nederland gedrukt is; maar hij zal er toen niet aan gedacht hebben, dat velen het opvoeden van kinderen geen stuk van zooveel gewicht rekenden, om hierover met eenige schrijvers raadt te plegen.... Men moet er maar order onder houden, en dan zal het wel gaan; men heeft niet vergeten, hoe men zelf is opgevoedt en moet veel aan schoolmeesters en schoolmeesteressen overlaten: laat die de wijze lessen van een partij Filozofen en Zedemeesters lezen; men heeft zelf te veel | |||||||||
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om 's hants om er zijn hoofdt mede te breken, en kan den tijdt wel aangenamer besteden, dan zich met zulk soort van zedelessen en vermaningen op te houden’Ga naar voetnoot1. Si c'est là l'opinion de nos ancêtres sur l'éducation en général, nous n'avons plus à nous étonner que celle des fillettes fût complètement négligée: ‘De opvoeding der dochteren word nog vrij meer dan die der Zoonen verwaarloost, de best opgetrokkene zelfs word niets ingeboezemt, dan 'tgeen op de uiterlijke zinnen betrekkelijk is, waar in de opschik en de studie om zig bevallig te maken het voornaamste zijn. Bied men wel iets aan haare aandagt als 'tgeen haare inbeelding kan kittelen? Legt men zig wel toe om haar verstand eenig heilzaam voedsel te verschaffen? Daaruit moet noodzakelijk volgen, dat ze haar eenigste genoegen zoeken in voorwerpen, die aan haar uitgedooft verstand alleen bekend zijn. Haar zinnen geen tegenstand vindende in de kragt van een verlichte reden, moeten noodzakelijk haar gansche ziel overheeren, en zich over haar zelve eene onweerstaanbaare dwingelandij aanmatigen’Ga naar voetnoot2. Nous concluons de cette demière citation qu'il y a aussi des gens qui avertissent leurs compatriotes, des gens qui ne sont pas comme cet auteur de 1703 qui se sent heureux de ce que les fillettes n'ont plus à apprendre ‘le latin et d'autres arts et sciences’, parce qu'alors on trouverait encore ‘zoo geleerde Matronen, als er gevonden wierd in voorleden tyden’Ga naar voetnoot3. | |||||||||
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On a écrit beaucoup pour attirer l'attention sur cette lacune dans la formation de la femme, mais autant la destinée de la femme est différente, autant l'est l'opinion des savants. Nous pensons d'abord à Johan van Beverwijck, qui publia en 1639 son Van de uitnementheyt des vrouwelicken geslachtsGa naar voetnoot1, où il prouve par une longue série d'exemples que la femme a occupé souvent une place très honorable dans la société et que la science n'a pas besoin d'être pour elle un terrain interdit. Après lui Anna-Maria van Schurman, dont nous parlerons plus amplement dans le chapitre suivant, prend également sur elle la protection de son sexe et prouve l'aptitude de la femme à l'étudeGa naar voetnoot2. Mais toute théorie marche lentement, car au beau milieu du XVIIIe siècle on s'occupe encore à résoudre la question de savoir si la femme doit être comptée parmi les êtres humains. Dans son article Bijbelsche Geneeskunde le BoekzaalGa naar voetnoot3 résout ce problème dans un sens affirmatif en basant son opinion sur la Genèse, Chap. I, vs. 26 et 27, alors qu'un pamphlet de 1779 porte le titre significatif: Bewijs dat vrouwen geen menschen zijnGa naar voetnoot4. Le pamphlétaire de 1779 n'a peut-être plus de partisans, mais une grande partie de l'humanité continue à considérer la femme comme inférieure à l'homme ‘en nog steeds leeft er zooveel uit het patriarchale tijdvak in onze maatschappij, dat in laatste instantie nog altijd de vrouw wordt verondersteld er te zijn ter wille van den man. Niet meer duidelijk, niet meer bewust - niet meer in zulke afschuwelijke vormen. Maar het is er toch nog...... | |||||||||
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Nog altijd leeft de machtsverhouding zoo sterk onder ons, dat de vrije en volledige ontplooiing van de vrouwen niet gewenscht wordt’Ga naar voetnoot1, car ‘de bevrijding der vrouw bestaat niet hierin, dat men van alle verschillen tusschen man en vrouw zoo veel mogelijk abstraheert, maar ook hierin, dat ook vrouwelijk wezen om zijns zelfs wille zich ontplooit en niet alleen om der wille van een ander in bepaalde, door dien ander aangegeven, banen ga’Ga naar voetnoot2. Parmi ceux dont les ouvrages sont remplis de bonnes observations, doit être compté Justus van Effen. Bien qu'il ait senti les défauts de son époque, il n'est pas assez pénétré de l'esprit des oeuvres dont il parle: il connaît Locke et Fénelon, mais une analyse approfondie de leurs livres, il ne la fait pas. Nous devons plus d'un des articles pédagogiques du Hollandsche Spectator à Suderman, successivement pasteur à Tiel, Sevenhoven, Delft, Harlem et RotterdamGa naar voetnoot3. Et quel est le résultat que van Effen atteint par ses observations? A en juger d'après les feuilles spectatoriales qui ont paru dans la seconde moitié du siècle, nous avons le droit de répondre: un résultat minime. On continue à considérer la femme comme le jouet de l'homme, dont elle doit tâcher de conquérir le coeur en s'abaissant à des moyens inférieurs: ‘Onze rijke vrouwen worden niet opgebracht om moeders te zijn, maar om gehuurde maîtressen te worden van hunne mans’Ga naar voetnoot4. Faute de mieux, elles ne pensent qu'à étaler leurs attraits devant les yeux des hommes, qui, de leur côté, s'opposent de plus en plus aux mariages réguliers, les trouvant | |||||||||
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du dernier bourgeoisGa naar voetnoot1. Les moeurs de l'époque se reflètent dans la mode: ‘ze kleeden zich dun en kort van rokken, als de Tyrolsche, of lang en luchtig als de Chineesche dames; ze ontsloegen zich voorzichtig van zoo veele kleederen, als zij met mogelijkheid konden afleggen, de nek en boezem raakten bloot en van de nijdige halsdoek bevrijd, en het rijglijf zonk neder ter halverwege van den middel, terwijl de beenen meer ruimte uit de naarmate rijzende rokken verkreegenGa naar voetnoot2. Elles disposent d'un grand choix de coiffures pour compléter leur toilette, surtout depuis que le coiffeur français de Beaumont eut publié chez le libraire Kok à Amsterdam un petit bouquin contenant les dessins de quarante-huit coiffures différentes. Plusieurs dames font relier cet opuscule à la fin de leurs almanachs pour l'avoir toujours à leur portéeGa naar voetnoot3. Toutes ces frivolités sont la conséquence d'une mauvaise éducation ou plutôt d'un manque d'éducation. Au siècle passé les pères se contentaient que leurs fils fussent des garçons avant d'être des hommes, maintenant ils désirent que leurs enfants soient des hommesGa naar voetnoot4. Mais la pauvre fillette, on la traite comme une simple machine, on la place sur une chaise pour être admirée comme un bibelot en porcelaine et on leur apprend à mentir par la bouche et par les gestesGa naar voetnoot5. L'indifférence des Hollandais attirait même l'attention de l'étranger: Mlle von Wolzogen Kühr cite un passage des Lettres sur les Hollandais écrites en 1735 par un certain M.A.F.C., ainsi conçu: ‘Les Hollandois ne se piquent point de donner de l'éducation à leurs enfants. L'empire que ces derniers exercent sur ceux qui leur ont donné la vie ne provient que de la tendresse démesurée des pères et des mères. Ils ne savent point les châtier ni leur refuser leurs volontez’Ga naar voetnoot6). Lisons les pages 110 et 111 de la thèse de M. | |||||||||
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R. MurrisGa naar voetnoot1 et nous verrons que M.A.F.C. n'est pas le seul qui soit de cette opinion. Outre celui-ci M. Murris cite - pour nous borner au XVIIIe siècle - Antoine de la Barre de Beaumarchais, qui dans Les Hollandois ou Lettres sur la Hollande ancienne et moderne et le médecin Guillaume Daignan dans ses Réflexions sur la Hollande, font les mêmes observations. Bien que celui-ci approuve beaucoup l'esprit de douceur qui caractérise le dernier tiers du siècle, il ne peut s'empêcher de s'étonner de la grande liberté d'action dont jouissent les enfants hollandais à l'égard de leurs parents et de leurs maîtres. L'auteur inconnu et de la Barre de Beaumarchais peuvent avoir raison en parlant du peu de respect des enfants pour les parents, ils se trompent quand ils croient que les coups tombaient ici si rarement: bien au contraire, les verges et la férule jouaient un rôle très important dans l'éducation. Dans l'école la férule est le sceptre du maître, sceptre qui est non seulement le symbole de son profession, mais qui lui sert en même temps à inculquer à la jeunesse toutes les connaissances requises et toutes les vertus chrétiennes et socialesGa naar voetnoot2. Le petit livre Regel der Duytsche Schoolmeesters de Valcoogh peut avoir fait son temps au XVIIIe siècle, l'esprit en est resté bien longtemps encore après l'époque dont nous parlons. L'idée de Valcoogh: U instrumenten sullen slechts wesen plack en roede,
Want dat daar boven is, dat is van den quaden,Ga naar voetnoot3
peut avoir été remplacée dans les livres postérieurs par des considérations plus généreuses, il y a bien loin de la théorie à la pratique. Nous constatons la même dureté dans l'éducation domestique. C'est ici le père qui représente le pouvoir et, fidèle à la parole biblique, il leur donne souvent les preuves efficaces de son amour. La mère est ordinairement moins sévère: dans les cas difficiles cependant, elle cède sa place à son mari; d'ailleurs elle joue souvent un rôle inférieur dans l'éducation des enfantsGa naar voetnoot4, bien que tous les pédagogues veuillent qu'elle occupe la place principale, surtout | |||||||||
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pendant la jeunesse des enfants. En ceci Cats a été le devancier de Fénelon: ‘Elle (la mère) est chargée de l'éducation des enfants; des garçons jusqu'à un certain âge, des filles jusqu'à ce qu'elles se marient ou se fassent religieuses’Ga naar voetnoot1. En tout cas tous sont d'accord que l'éducation est l'affaire des parents. Il est vrai que Fénelon, ainsi qu'Erasme et Cats, veut donner un gouverneur aux enfants, mais c'est avant tout pour l'éducation intellectuelle; ils insistent tous trois pour que ce soit un honnête homme et ils avertissent les parents de ne pas confier les enfants ‘aan de zoo schandelijke leiding der dienstboden’Ga naar voetnoot2 et des gouvernantes. Erasme, Marnix, Cats et après eux Fénelon, Locke et Poiret parlent du grand danger qu'offre l'entourage des enfants et avec la décadence morale du XVIIIe siècle ce danger devient de plus en plus imminent, surtout depuis que la mode s'est établie de prendre des gouvernantes étrangères, sans se demander si elles sont bonnes. Le portrait qu'en donnent les Bijdragen tot het menschelijk geluk de 1789 à la page 277 nous prouve bien que ces dames ne sont pas précisément celles qu'on devait préférer: ‘De jegens Frankrijk zoo goed gezinde Nederlanders schijnen over het algemeen met het vrouwelijke uitschot dier natie zeer tevreden te zijn. Verouderde theaterprincessen, uitgediende juffers van vermaak, afgedankte kameniers, jonge weduwen die nooit getrouwd waren en rondreizen om hun ontrouwe minnaars op te zoeken, enz., enz. zijn de meeste in Nederland zoo hooggeachte Mademoiselles’Ga naar voetnoot3. Un autre groupe de personnes qui, selon Fénelon, doit être exclu de l'éducation est formé par les grand'mères et les tantes, qui, poussées par des sentiments d'affection pour les petits, exercent une influence pernicieuse: elles sont remplies de bonnes intentions, mais leur tendresse l'emporte sur la raisonGa naar voetnoot4. Erasme parlait déjà | |||||||||
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du ‘nourrisson de la grand'mère’, parce que les aïeules traitent les enfants avec plus d'indulgence que les mères elles-mêmesGa naar voetnoot1. Il nous faut attendre jusqu'au dernier tiers du siècle pour voir faire des tentatives sérieuses afin d'apporter des améliorations dans l'éducation. Ce sont les grandes sociétés scientifiques qui commencent à comprendre qu'on doit posséder un système complet - et si c'était possible parfait - suivant lequel l'éducation pût se faire. C'est ainsi qu'en 1763 la ‘Hollandsche Maatschappijë der Weetenschappen’ à Harlem met au concours une question: ‘Hoe moet men het Verstand en het Hart van een kind bestieren, om het te eeniger tijd een nuttig en gelukkig mensch te doen worden?’Ga naar voetnoot2, après en avoir publié l'année précédente une qui se rapportait à l'éducation corporelle: ‘Wat is het beste bestier, 'tgeen men moet houden omtrent het ligchaam der kinderen, zoo met opzicht tot hunne kleeding, voedsel, oefening, als anders, van hunne geboorte af?’Ga naar voetnoot3 La ‘Maatschappijë’ fut assez heureuse pour recevoir à chacune des deux questions une réponse - parmi beaucoup d'autres - digne d'être couronnée d'or; dans le premier groupe le prix fut emporté par le sieur BallexserdGa naar voetnoot4, citoyen de Genève, dans le second par S. FormeyGa naar voetnoot5, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences à Berlin. Les deux auteurs présentèrent leurs réponses en français; la publication eut lieu en hollandais, tandis que les textes français furent ajoutés au bas de la page. Bien que les deux lauréats n'habitent pas notre pays, nous n'avons pas hésité à donner une place à leurs dissertations: le fait qu'une des principales sociétés scientifiques de l'époque publie ces réponses, nous prouve qu'en les publiant elle en espère une influence favorable sur l'éducation nationale. Nous ne pouvons exclure ni l'une ni l'autre, étant de l'avis de Formey que ‘les deux questions sont unies entr'elles par un | |||||||||
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lien aussi étroit que l'est celui des deux parties dont l'homme est composé, de cette âme et de ce corps, dont les opérations demeurent exactement harmoniques pendant toute la durée de notre vie’ (p. 5, 6). Aussi l'éducation du corps et celle de l'âme sont également nécessaires et ‘s'il fallait un peu faire pencher la balance’, Formey serait porté ‘à le faire en faveur des soins dûs au corps’ (p. 8), l'âme ne pouvant jamais exercer bien ses fonctions, si ‘son domicile est chancelant et délabré’ (p. 9). Comme Erasme et Cats, Ballexserd a compris que la santé des enfants dépend en premier lieu de celle des parents. Aussi donne-t-il, avant d'entamer son sujet proprement dit, une longue série de conseils aux époux en rapport avec les neuf mois qui s'écoulent entre la conception et l'accouchement. Une fois l'enfant venu au monde, l'éducation corporelle commence. L'auteur y distingue quatre périodesGa naar voetnoot1, pour chacune desquelles il indique l'habillement et la nourriture convenables. Quant à l'habillement il désapprouve tout vêtement qui restreint la liberté de l'enfant: ‘le maillot inquiète, irrite, échauffe’ trop le bébé, ‘il lui cause une espèce de douleur en le comprimant’ (p. 134). A peine cette première période est-elle finie, que ‘nous voyons l'Européen, c.-à-d. l'habitant de la partie savante du monde, suivre une route toute opposée à celle qu'indique l'infaillible nature.... il n'y a guère que l'enfant étoit dans les entraves du maillot, qu'il va le mettre à la torture du corps à baleines’ (p. 79). ‘Cette mode ou plutôt ce supplice’ (p. 182) est au moins aussi nuisible que l'emploi du maillot. La nourriture du bébé doit être exclusivement le lait maternel (p. 119); si la mère est incapable de nourrir son enfant, il faut avoir recours à une nourrice qui doit être choisie avec un soin des plus minutieuxGa naar voetnoot2. Pour les autres périodes nous pouvons être bref: la sobriété en tout; surtout pas de sucreries, pas de salade, ni fruits crus, point de vin ni de bière. Enfin, quand l'enfant est malade, qu'on ne lui donne pas de potions, quelques jours de jeûne rétabliront bientôt toute la machine (p. 275). Comme la nourriture, le sommeil doit être réglé: se coucher | |||||||||
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et se lever de bonne heure. Jamais il ne faut faire coucher les enfants avec des personnes âgées (p. 206). Le jeune enfant doit être couché bien mollement, mais peu à peu les matelas doivent être plus durs et dans la quatrième période les matelas remplis de poille ou de crin méritent la préférence (p. 317)Ga naar voetnoot1. Après avoir parlé de l'habillement et de la nourriture, Ballexserd donne pour chaque période une série de sages leçons. C'est ainsi qu'il raconte, en s'adressant aux mères et aux nourrices - l'auteur n'en respecte pas beaucoup dans leurs fonctions de nourrice (p. 161) - qu'elles ne doivent pas bercer un enfant pour l'endormir, comment il doit être porté et mouché (p. 172, 173), qu'il ne faut pas l'exposer à la lumière, aussitôt qu'il se réveille (p. 165), combien il est dangereux que tout le monde l'embrasse (p. 204), etc., etc. Deux points méritent d'être observés plus spécialement, parce que l'auteur s'oppose à l'opinion généralement établie. Premièrement il veut supprimer presque toutes les corrections corporelles: elles ne sont jamais sans dangerGa naar voetnoot2. Le deuxième point concerne cette sobriété et cette tempérance qu'il a recommandées pour les trois premières étapes de l'éducation. Un homme qui s'est habitué à faire toujours les mêmes choses aux mêmes heures, se dérangera, aussitôt que la vie ne lui permettra pas de continuer son régime. Aussi Ballexserd ne voit-il aucun inconvénient à ce qu'un jeune homme - pour s'entraîner - ‘s'accoutume un peu à tous les excès du corps (excepté ceux de l'amour et tous ceux qui pourroient | |||||||||
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offenser la religion)’ (p. 327). Cette idée n'est pas seulement applicable aux plaisirs, mais aussi au travail: il faut qu'il puisse supporter la faim, la soif, le chaud, le froid, les veilles, la fatigue (p. 328). Maintenant que nous avons résumé les opinions de Ballexserd sur la culture du corps, voyons ce que Formey nous apprend au sujet de la formation de l'esprit et du coeur. Nous avons déjà observé que Formey ne peut pas détacher la culture corporelle de l'éducation intellectuelle et morale, nous ajouterions que les corrections corporelles forment le trait d'union entre ces deux idées. Aussi consacre-t-il plus de cinquante pages à cette question importante. Il se promet de répondre à trois questions: 1o Fautil châtier? 2o Comment faut-il châtier? 3o Jusqu'à quel âge un enfant peut-il être châtié? Quant à la première question, l'auteur y répond sans réserve affirmativement ‘de concert avec la Raison et l'Ecriture’ (p. 161). Jamais on ne remplacera la punition par de fades caresses ni par des raisonnements: ‘L'enfant ne comprend pas, ou n'écoute pas; il s'ennuye ou rit sous cape’, et ‘si l'on attend à le faire qu'ils soyent capables de saisir les idées et de suivre le fil d'un raisonnement, ils auront déjà pris quantité de mauvais plis’ (p. 165)Ga naar voetnoot1. En répondant à la seconde question, Formey dit: ‘La verge entre les mains de celui qui ne sçait pas la manier, court risque non seulement de demeurer un instrument inutile; mais elle peut devenir un poignard, avec lequel il tue aussi réellement l'enfant que s'il l'égorgeoit’ (p. 177). C'est pourquoi il y a quelques préceptes à observer: Qu'on ne châtie que ceux qui en ont besoin (p. 179) et encore, après que tous les autres moyens ont été mis en pratiqueGa naar voetnoot2; qu'on n'administre jamais de correction par humeur ou quand on est en colère (p. 187) et, ce qui tient étroitement à ceci, qu'on n'inflige jamais de châtiment qui puisse produire sur le corps un effet nuisible (p. 194)Ga naar voetnoot3. Qu'on ne châtie pas trop fréquemment (p. 201), | |||||||||
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mais qu'on n'en interrompe jamais aucun qu'on a commencé (p. 204). Une fois la punition finie, aucun ressentiment ne doit subsisterGa naar voetnoot1. Jusqu'à quel âge les enfants restent-ils ‘châtiables’? Formey fait dépendre cela de l'individu: il y en a qui, grâce à la verge, apprennent bien vite à se ranger, d'autres ‘qui sont si durs, si agrestes, si insensibles et si incorrigibles qu'on a quelquefois honte d'être forcé à les châtier malgré leur âge et leur stature’ (p. 218). Formey ne dira pas beaucoup de la première partie de la vie: puisque, dans les premières années, l'éducation est presque exclusivement corporelle; il n'a qu'à citer l'excellente dissertation de Ballexserd. Pourtant il veut avertir ‘ceux qui continuent à traiter l'enfant en simple automate, qu'il suffit de conserver et de préserver de tout accident, ou comme une poupée, un jouet, dont on s'amuse sans autre but que de s'amuser, et qui posent les premiers fondemens d'une éducation retardée, ou gâtée’ (p. 76)Ga naar voetnoot2. Il est impossible de faire ‘le plan d'une éducation universelle’. Les aptitudes et les caractères des enfants sont si différents que chaque individu demande des mesures spéciales. ‘C'est là l'écueil ordinaire; on réunit sous une même discipline et dans une même classe, une multitude d'Enfans, qui n'ont d'autre conformité que celle de l'âge’ (p. 25). L'auteur reconnaît aussitôt que le système ne peut pas être changé: il faudrait donner un maître à chaque enfantGa naar voetnoot3. D'ailleurs tout le monde n'a pas besoin de développement | |||||||||
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intellectuel; ce qu'il faut en premier lieu, c'est une base solide de religion (p. 45). Sans retomber dans une tendresse qui s'épuise en ‘toutes sortes de mignardises et de singeries’ (p. 89), une indulgence qui ne refuse jamais rien (p. 94), il faut que les parents soient toujours près de leurs enfants, qu'ils les surveillent constamment jusqu'au moment où l'éducation est accomplie, c.-à-d. jusqu'à la 20ième ou 25ième année (p. 79). ‘Un père, une mère habiles voyent du coin de l'oeil tout ce que font leurs enfans, sans que rien leur échape’ (p. 121); ‘il n'y a pas de parens cependant qui courent plus risque d'être trompés que ceux qui s'érigent en Argus formels et perpétuels, il n'y en a point qui soyent plus mal obéis que ceux qui veulent l'être à la baguette, et qui assujettissent les moindres détails à leur autorité’ (p. 122). Autant Formey recommande l'influence des parents, autant il s'oppose à une fréquentation constante des domestiques, ‘nourrices et d'autres femmelettes du bas peuple qui leur remplissent la tête des idées les plus fausses’ (p. 233). Il désire qu'on dise la vérité aux enfants, qu'‘on leur rende fidèlement raison de tout ce dont la connoissance convient à leur âge’ (p. 239). L'entourage des enfants est de la plus grande importance: ‘sans la vigilance la plus complète à cet égard, tous les autres travaux de l'éducation sont à pure perte; une heure de séduction détruit, ce qu'ont opéré plusieurs journées, et quelquefois plusieurs années de culture’ (p. 340): les nourrices, les domestiques, les gouverneurs et les gouvernantes et surtout ‘les demoiselles françaises sont sous ce rapport le plus à craindre’Ga naar voetnoot1. En parlant de la fréquentation des enfants, Formey ne veut pas qu'ils fassent de longues promenades avec des amis (p. 377) et met en garde contre un commerce trop intime entre les deux sexesGa naar voetnoot2. La question de savoir laquelle vaut mieux de l'éducation scolaire | |||||||||
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ou de l'éducation domestique, Formey la résout en faveur de la première, pourvu que les parents n'oublient pas de la compléter par leur dévouement personnel (p. 274, 275). L'auteur s'épuise dans les pages suivantes en toutes sortes de réflexions sur les pensionnats, les séminaires et les collèges d'un côté, et sur les diverses formes sous lesquelles l'éducation domestique peut se faireGa naar voetnoot1, et découvre dans tous ces systèmes des défauts qu'il dépeint sous les couleurs les plus sombres. Ce qui fait pencher la balance du côté de l'éducation scolaire, c'est que par celle-ci l'enfant est tenu à concourir avec ses camarades, stimulant puissant qui manque absolument dans l'éducation domestique (p. 310). Quant à l'éducation que Formey veut donner aux jeunes filles, nous nous contenterons de citer le passage qui y a rapport. ‘C'est une discussion, dit-il, dans les détails de laquelle je n'ai pas dessein d'entrer; on connoit les bons ouvrages qui ont paru sur cette matière et l'on peut y recourir. Les âmes n'ont point de sexe: ainsi l'éducation des filles part des mêmes principes que celle des garçons. On doit en particulier élever les filles, de façon qu'elles puissent être de dignes épouses et de dignes mères. Toute qualité qui n'influe en rien sur ces deux états ne mérite qu'une attention très superflcielle; toute qualité qui est en opposition avec eux doit être proscrite comme pernicieuse’ (p. 366). Mais il s'oppose à ce que les jeunes filles apprennent le latin: elles seraient méprisées de leur sexe, raillées des hommes (p. 368). Formey ne trouve pas nécessaire d'indiquer des méthodes pour la culture de l'esprit. Grâce aux ouvrages pédagogiques de plusieurs grands penseurs - Plutarque, Erasme, Bacon, Montaigne, Locke, Crousaz, Fénelon, l'abbé de Saint-Pierre - on a des guides sûrs pour qu'on puisse trouver soi-même le meilleur chemin. ‘Mais, ajoute-t-il malicieusement, on trouve dans ces auteurs tant d'opinions contraires, qu'après la lecture on a le droit de leur dire: Vous avez si bien fait que je suis un peu plus incertain que je ne l'étois auparavant (p. 263). Lui se bornera à donner quelques indications générales. ‘La forme actuelle des sociétés policées exige que les individus des plus basses conditions apprennent au moins à lire, à écrire, un peu d'arithmétique, et ce qu'on appelle le catéchisme’ (p. 258). | |||||||||
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Il attache beaucoup de prix aux gravures et aux livres illustrésGa naar voetnoot1. L'auteur finit ses considérations en exposant ses idées sur la formation religieuse et morale. Pour la première la nature est la grande maîtresse; elle ‘permet à toute heure de remonter à son divin Auteur, de parler de sa puissance, de sa sagesse, de sa bonté, de toutes les perfections adorables, qui brillent également dans les plus grands ouvrages que dans les moindres’ (p. 396). Qu'on accoutume les enfants à la prière et à la lecture de la Bible. Alors il s'agit seulement encore de leur mettre entre les mains un bon catéchisme et de charger de son explication une personne qui en soit véritablement capable (p. 400). Quoique la culture morale soit la partie principale de l'éducation, Formey ne donnera pas pour elle de conseils spéciaux: quiconque aura fait et bien fait tout ce que demandait la culture de l'esprit, sera bien avancé dans celle du coeur. ‘La distinction entre l'esprit et le coeur est plus idéale que réelle’ (p. 408). L'exemple de ceux qui sont chargés de l'éducation exerce une influence incalculable. L'horreur du mensonge, l'amour de la justice et de la sincérité, la pratique de la bienfaisance sont des qualités qui s'obtiennent, si l'enfant a sous les yeux les bons exemples de ceux qui le guidentGa naar voetnoot2. Apprendre à vivre pour son propre bonheur et celui d'autrui voilà le double but que l'éducation doit tâcher d'atteindre. Evidemment la meilleure éducation peut échouer. On doit être content, quand, l'ayant finie, on peut dire à celui qui l'a reçue: ‘J'ai donné à votre esprit et à votre coeur la véritable culture qui leur | |||||||||
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convenoit; j'ai ensuite jetté dans ce terroir ainsi préparé les semences qui sont destinées à y germer et à croître; le reste est votre affaire; et dans ce moment rien n'empêche que vous ne trouviez en dedans de vous tout ce qui peut rendre le reste de votre vie conforme à vos devoirs et à vos intérêts; vous possédez le secret du bonheur; si vous négligez d'en faire usage, ce ne sera, ni la faute de ce secret qui est infaillible, ni la mienne, puisque je vous l'ai fourni dans toute son intégrité; mais ce sera la vôtre propre; et l'on pourra dire: Ta perte vient de toi’ (p. 485). Nous ne pouvons pas quitter la ‘Holl. Maatsch. der Weetenschappen’ sans parler d'une troisième question qui forme avec les deux autres dont nous venons de parler un système complet: ‘Welke zijn de middelen tot verbetering van 't Verstand en van het Hart en de Zeeden der geringe lieden, zoo in de Steden als ten platten lande? bijzonder om dezelven tot meerdere naarstigheid aan te moedigen’Ga naar voetnoot1. La réponse qui reçut la médaille d'or était de la main d'Alexandre-Benjamin Fardon, d'Amsterdam. L'auteur trouve que le développement du peuple n'est pas désirable sous tous les rapports. Il se pose deux questions que l'on doit bien envisager avant de commencer le grand travail: 1o Qui voudraient encore se charger de ces travaux qui ne demandent aucune culture?Ga naar voetnoot2 2o Le développement de l'esprit ne nuirait-elle pas au sentiment religieux? (p. 364). Fardon considère la lecture comme l'unique moyen qui puisse conduire au but. Il propose de faire imprimer de petites feuilles | |||||||||
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hebdomadairesGa naar voetnoot1) qui, grâce à la générosité des riches, peuvent être distribuées (p. 377), et de fonder des bibliothèques populaires où l'emprunt des livres soit gratuit. L'auteur désire que les jeunes filles aussi bien que les garçons profitent de ces établissements: celles-là, afin qu'en cas de mariage elles puissent aider leurs enfants, ou pour remplir leurs heures oisives, si elles ne se marient pas (p. 384). Les domestiques doivent être aidées par leurs maîtresses ou leurs maîtres, quoique au commencement cela excite assez les railleries du public. Fardon s'attaque surtout à la manière dont on tâche d'inculquer la religion dans l'âme du peuple, à ces catéchismes qui doivent être appris par coeur si bien que telle réponse, mal comprise ou non comprise, puisse être donnée à telle question (p. 387). Puis il critique les pasteurs, qui se servent d'une langue trop difficile et d'explications trop philosophiques et trop verbeuses et qui prennent deux heures pour ce qu'ils pourraient dire avec plus de profit en une seule (p. 389)Ga naar voetnoot2. Pour ce qui est de la seconde partie de la question - comment peut-on encourager le peuple à déployer plus d'activité? - l'auteur résume lui-même le résultat de ses réflexions en disant à la page 415 que le peu de zèle provient des petits salaires, de la longue durée de leurs journées en proportion avec la tâche qu'ils doivent achever et de la manière peu aimable dont les chefs traitent leurs inférieurs. Parmi les sociétés qui mettaient des questions pédagogiques au concoursGa naar voetnoot3 doivent être nommées encore ‘Het Zeeuwsche Genootschap’, qui tâche de parvenir de cette manière à une amélioration générale des écolesGa naar voetnoot4, ‘Het provinciaal Utrechtsch Genootschap’, qui demande une dissertation sur les avantages et les désavantages | |||||||||
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des éducations scolaire et domestiqueGa naar voetnoot1, et surtout la célèbre ‘Maatschappij tot Nut van 't Algemeen’. Fondé en 1784, ‘Het Nut’, comme on le désigne ordinairement, s'est acquis une grande renommée par la fondation d'écoles et de bibliothèques. Par la publication de livres d'école pour toutes les branches de l'enseignement, il a bien mérité de la jeunesse scolaire de notre pays. Enfin il a proposé des prix pour les meilleures réponses à des questions de concours sur toutes sortes de sujets pédagogiques: l'éducation morale, l'éducation corporelle, le problème des punitions et des récompenses, la prière des enfants, etc.Ga naar voetnoot2 Indépendamment de la grande campagne de ces sociétés, paraît en 1779 le livre d'Elis. Bekker, veuve A. Wolff intitulé: Proeve over de Opvoeding, aan de Nederlandsche MoedersGa naar voetnoot3. Elle s'adresse aux mères elles-mêmes, à ces braves femmes bourgeoises ‘qui ne connaissent ni les plaisirs de la vie de cour, ni les soucis de la pauvreté’, parce qu'elle est sûre de trouver parmi elles le plus grand nombre de mères tendres. Le succès de l'éducation dépend principalement de l'habileté des parents: le meilleur caractère, les meilleures qualités de l'esprit peuvent être étouffés par des moyens mal appliqués: un petit garçon intelligent ne doit pas devenir ‘un vocabulaire vivant qui parle sans relâche’ (p. 42); une fillette ne doit pas être élevée ‘pour plaire à des sots’ (p. 42). Depuis la première jeunesse les deux sexes doivent être élevées de manières différentes. Une éducation efféminée éloigne le garçon de la carrière qui l'attend: il fréquentera l'école et rassemblera les connaissances utiles à sa vie future; la fillette ne doit pas avoir les façons d'agir d'un garçon: elle sera toute à la charge de la mère, aucun homme ne s'occupera de son éducation (p. 15). Une sage affection pour l'enfant doit guider les parents, car les enfants qui les craignent deviennent de petits hypocrites dont tôt ou tard le mauvais caractère éclate avec véhémence (p. 45). De | |||||||||
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l'autre côté pas de faiblesse; un petit nombre d'ordres suffit, mais aussi, qu'on exige une obéissance sans réserve (p. 50). Il y a des gens qui fatiguent les enfants de considérations religieuses. Il est impossible de fixer l'âge où elles commencent à devenir de quelque utilité, puisque cela dépend de l'individu. Surtout la prière exige des qualités dont un enfant ne dispose pas (p. 77). Le passage qui traite de l'attitude des enfants envers les domestiques et les pauvres est très sympathique: ‘Leert hun het groot verschil dat er bestaat tusschen eene onbetamelijke genegenheid, die alle rangen verward, en een zondige laatdunkendheid, die niemand meer vernederd, dan hem die haar koesterd’ (p. 74)Ga naar voetnoot1.
Après avoir fait une peinture générale de l'éducation pendant le XVIIIe siècle, nous pouvons nous demander, quelle est l'influence que Fénelon a exercée dans notre pays. Nous avons vu que le nombre d'éditions de son traité a été très restreint et que la première traduction ne parut qu'en 1771. Aussi croyons-nous que, pour la première moitié du siècle, les idées éducatives se basent surtout sur les théories de Locke. Le livre de De CrousazGa naar voetnoot2 vint renforcer cette influence. Le BoekzaalGa naar voetnoot3 dit dans la critique qu'il en donne que ce traité peut être considéré comme une suite à celui de Locke. Le but de l'auteur n'a été nullement de remplacer les systèmes existants, mais de les compléter. Du reste il est bien difficile de constater des emprunts, quand il s'agit d'idées qu'on trouve dans presque tous les auteurs qui s'occupent de l'éducation. Quand De Crousaz dit que l'éducation doit être fondée sur l'amour pour l'enfant ou sur l'excitation de la curiosité de l'élève, qui peut prétendre qu'il prenne cette assertion dans Fénelon ou dans un autre auteur? Nous faisons la même observation au sujet du mensonge et du luxe, contre lesquels chaque pédagogue met en garde. De Crousaz a certainement connu les oeuvres de l'archevêque de Cambrai, car, après avoir exposé qu'à côté de la prière et de la prédication, il faut cultiver dans l'âme de l'enfant la conscience de | |||||||||
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l'existence de Dieu, il cite parmi les meilleurs ouvrages qu'on puisse leur faire lire le Traité de l'Existence de Dieu de Fénelon. Dans le Hollandsche Spectator de Van Effen nous rencontrons le nom de Fénelon, mais non comme pédagogue. Il y est toujours l'auteur du Télémaque et Van Effen ne cite pas même le Traité de l'Education des FillesGa naar voetnoot1. Nous revenons au livre de De Swaef, Geestelijcke QueeckerijëGa naar voetnoot2, dont Johannes Willemsen, pasteur à Middelbourg, publia en 1740 une seconde éditionGa naar voetnoot3. Les notes dont Willemsen a enrichi l'ouvrage ont une double tendance: elles confirment les conceptions de De Swaef en les expliquant, et elles font voir, par de nombreuses citations d'autres auteurs ‘plus renommés qu'un simple maître d'école de Middelbourg’, que les mêmes idées ont mûri dans la cervelle d'hommes supérieurs. Ces citations ont été prises dans Plutarque, Cicéron, Locke, Koelman, Tillotson, Wittewrongel, Pictet, Osterwald et quelques autres. Nulle part cependant nous ne rencontrons la moindre allusion à l'Education des Filles, ni même ne trouvons le nom de Fénelon. Est-ce que plus tard Van Iperen aurait raison en disant que le catholicisme de l'archevêque a été un empêchement pour que son livre eût du succès dans notre pays? En tout cas, nous voyons dans l'omission du nom de Fénelon dans la préface de Willemsen une preuve très forte qu'en matière d'éducation d'autres auteurs ont été plus connus et plus en vogue. En 1753 on traduisit pour la seconde fois LockeGa naar voetnoot4; personne ne pensait à Fénelon. Il est vrai que l'ouvrage de Locke est plus général et plus détaillé et que le traité de Fénelon ne se rapporte - du moins selon le titre - qu'aux jeunes filles. Cependant les temps ont changé et aussi les idées: on commence à donner plus de soins à l'éducation de la jeune fille. Mlle Von Wolzogen Kühr nomme ce changement d'idées la conséquence naturelle de ce qu'on étudie plus profondément la question de l'éducation, et celle d'une conception | |||||||||
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modifiée du calvinisme trop conservateurGa naar voetnoot1. Rien ne se serait donc opposé à une publication du livre de Fénelon. Mais on porte les regards sur l'Angleterre, et en 1761 et en 1764 paraissent successivement deux traités pédagogiques anglais traduits en hollandaisGa naar voetnoot2. Nous ne disons pas que Fénelon soit absolument inconnu: de temps en temps nous rencontrons son nom dans des articles qui, pour le reste, n'entrent pas dans les détails de ses idées; ils se bornent à citer son nom sans plus. Même après la traduction de Van Iperen, Locke reste l'oracle qui connaît la vérité. Nous le voyons dans la dissertation de Formey: les grands soins qu'il juge nécessaires à la culture du corps sans laquelle l'éducation de l'esprit ne peut avoir de succès, rappelle le ‘Mens sana in corpore sano’, de Locke. Alors qu'il cite Fénelon une fois d'une manière générale et une fois par rapport à l'éducation du Duc de Bourgogne, il nomme Locke comme un maître à qui il emprunte ses théories. Est-ce qu'on peut donc dire que l'influence de Fénelon comme pédagogue soit nulle dans notre pays? Evidemment non. Plus d'une fois nous avons observé que telle pensée dans les systèmes dont nous faisions l'analyse était conforme à telle idée de Fénelon. Comme toutefois cette même pensée se trouvait aussi dans d'autres traités, notre observation n'avait qu'une valeur très relative. Le fait est que les idées pédagogiques des grands éducateurs ont été tellement confondues par leurs successeurs que l'influence d'aucun d'eux ne peut être nettement indiquée, tant que l'imitateur ne nomme pas lui-même la source de ses théories. Quand El. Bekker-Wolff dans son Geschrift eener bejaarde Vrouw dit ‘mijne moeder had over de opvoeding niets gelezen dan Fénelon en Locke’Ga naar voetnoot3, il est clair que Fénelon a joué dans l'éducation un certain rôle; pourtant l'indication est trop vague pour qu'on puisse en tirer des conclusions importantes. |
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