Fénelon en Hollande
(1928)–Henri Gérard Martin– Auteursrecht onbekend
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Premiere partie
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été volé, qui osait critiquer les faiblesses du Roi Soleil, tous ces détails justifient une édition en Hollande, l'asile des livres défendus à l'étranger. Aussi, au mois d'août 1699, deux éditions paraissent presque au même moment: une, subreptice, à Paris (celle dont nous venons de parler), l'autre à la Haye chez le libraire Moetjens. En combinant le nombre des éditions françaises parues dans notre pays et indiquées dans la thèse de M. Cherel (Fénelon en France au XVIIIe siècle) et de celles que nous avons trouvées nous-même, nous arrivons au nombre de 44 pour le XVIIIe siècle; les éditions scolaires ou abrégées n'ont pas été comprises dans ce nombre; du reste la plupart de celles-ci appartiennent au XIXe siècle. Mlle S.-A. KrijnGa naar voetnoot1 nous donne la preuve évidente de la grande estime dont jouissait Fénelon chez nous. Dans quarante-trois des cent catalogues de bibliothèques particulières qu'elle a consultés elle a trouvé des ouvrages de cet écrivain, ‘van wie in het biezonder de Télémaque vermeld wordt’Ga naar voetnoot2. Dans cette liste il n'est égalé que par La Fontaine, dépassé que par Boileau, tandis que les grands écrivains du classicisme n'y figurent qu'à des rangs inférieurs. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
A - Les traductions en proseNous avons dit que la première traduction hollandaise du Télémaque ne se fit pas longtemps attendre. Déjà en 1700 parut chez les libraires Adr. Moetjens à la Haye et Hermannus Ribbius à Utrecht De Gevallen/van/Telemachus,/soone van Ulysses;/of/Vervolg van het vierde Boek/der Odyssea/van/Homerus./Uit het Fransch vertaalt./Door/D. GhijsGa naar voetnoot3. Comme Fénelon a écrit son | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Télémaque en prose, Ghijs a préféré la même forme pour sa version. Le Boekzaal annonce l'apparition de cet ouvrage dans son numéro de mai/juin 1700. Cependant ce serait probablement une erreur que de croire que le livre ait paru avant cette date. La traduction doit avoir été faite d'après l'édition française de 1700: les titres sont les mêmes, la fin de la première partie des Gevallen correspond à celle du tome II de 1700Ga naar voetnoot1. L'impression de l'édition de 1700, la traduction de l'oeuvre et l'impression du texte hollandais auraient donc dû se faire en quatre mois au plus. Ainsi nous pouvons reconnaître en toute tranquillité que la publication de Ghijs a eu lieu après - et même longtemps après - que le Boekzaal en a inséré la critique, à moins qu'on n'admette que la traduction et l'impression du livre ont eu lieu en même temps que l'impression du texte français. Bien que le titre ne mentionne pas le nom de l'auteur français, la dédicace nous dit que c'est ‘François de Salignac de Fenellon (!), doemaals Abt en tegenwoordig Aartsbisschop en Prince van Kamerik’. Le manuscrit d'après lequel ont été faites les premières éditions françaises est loin d'être complet: il nous faut attendre jusqu'à 1717 pour voir paraître à Paris l'oeuvre entièreGa naar voetnoot2. Il va donc sans dire que la traduction de Ghijs contient les mêmes défauts dans le texte qui se trouvent dans ces premières éditions. Quant à la manière dont le traducteur a conçu son travail, il n'a essayé que de rendre le texte français sans aucun changement: sans omission ni addition d'idées. Le BoekzaalGa naar voetnoot3 annonce le Tele- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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machus de Ghijs dans des termes enthousiastes: ‘De Heer Ghijs heeft hier wederom een wisse blijk van zijne bequaamheid in het vertalen, waarvoor een ieder weetgierige, die gaarne Nederduytsch leest, hem verplicht is’, et puis, à la fin du même article: ‘Ik wensch den arbeidzamen Man lust en tijd om meer brave schriften door zijn taalkundige penne te ontbolsteren’Ga naar voetnoot1. Nous ne savons pas comment ‘l'homme actif’ a ‘écalé’ les autres ouvrages qu'il a traduits du français, mais s'il n'a pas eu plus de veine avec ceux-ci qu'avec le Télémaque, nous n'avons une grande admiration ni pour le travail de Ghijs, ni pour l'opinion du rédacteur du Boekzaal. Le nombre des mots mal traduits est si grand qu'on trouve à chaque page, nous pourrions dire dans chaque phrase, des traductions fautives. Voici quelques exemples pris dans les premières pages: fournaise-fournuis; ravi-benieuwd; téméraire-dertel; entr'ouvrir-aandoen; ingénu-vernuftig; de peur que-opdat; empesté - a/ ontijdig, b/ onstuimig; sacrifice-slachtoffer; désavouer-bekennen; je vis encore-ik zie hem nog; secrètement animé-in het geheim bemind; volontiers-vrijwillig; un Tantale altéré-een veranderde Tantalus; etc. etc. Nous nous demandons quel doit être le résultat d'un tel travail. Comment est-il possible de rendre le rapport entre les pensées, quand on remplace souvent des mots par d'autres d'une signification toute différente, même d'un sens opposé? Les fautes sont non seulement dans la traduction des mots isolés, très souvent des idées entières ont été mal rendues: p.e. à la page 13: De kleine rok van maliën, belette, dat hij mij niet verscheurde (= la petite cotte de mailles empêcha qu'il ne me déchirât); p. 242: zoo dikwijls dat oorbaar is voor de bondgenooten (= toutes les fois qu'il sera utile que vous y alliez); p. 258: die wij voornemens zijn te maken (= que nous venons d'établir); p. 371: de kudden ondervinden niet die aangename geur, die haar doet wassen en toenemen (= les troupeaux ne sentaient pas la joie qui les fait bondir); p. 409: Hesperië dat gesteund wordt door zooveel zuilen van Griekenland (= par tant de colonies grecques). Reste le style du Telemachus. Aussitôt que nous en commençons la lecture, nous sentons que ce ne peut pas être un ouvrage | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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d'origine hollandaise. Des constructions comme ‘zoekende zijn vader’ ou bien ‘verwonderd te vinden zooveel wijsheid’, s'opposent à l'esprit de notre langue: toutefois Ghijs s'en sert à chaque instant, évidemment sous l'influence du texte français. D'autre part il y a le grand nombre de mots que le traducteur, par paresse ou par ignorance, n'a pas traduits; c'est ainsi que nous trouvons ‘zich formeeren, geordonneerd, discours, triumpheeren, majestueus, tribuit, banquerouten, preuve, conquest, zijn uiterste devoir, naturel, fortressen, tempeesten, in route slaan (vaincre), serpenten, een groote tour, humeuren (= vochten), de auteur der daad, tapisserieën (broderies) et nombre d'autres. Tous ces mots, ainsi que les noms propres ont été imprimés en italiques. Il est vrai que les XVIIe et XVIIIe siècles se servent souvent de mots bâtards, mais on ne s'y attendrait pas dans une traduction où le traducteur doit avoir soin de les éviter scrupuleusement. Aussi, dans son édition de 1715 Verburg fait de son mieux pour les remplacer par leurs équivalents hollandais. Ghijs semble avoir une prédilection spéciale pour les traductions doubles, p.e. fléaux: geeselen en roeden; sa taille: zijn gedaante en statuur; guerre civile: burgerlijke en inlandsche oorlog; innocent: eenvoudig en onnoozel; en paix: in rust en vrede; les mesures: de inzichten en middelen; vie privée: stil en onbeambt leven; etc. Bien que ce ne soient pas à proprement dire des fautes de traduction, elles affaiblissent et alourdissent le style et fatiguent le lecteur. Nous voulons finir cette critique, où n'entre aucun éloge, par une remarque assez caractéristique: Quand le français dit ‘Mentor et moi’, ‘Télémaque et moi’, Ghijs met à la page 14 et à la page 111 ‘Ik en Mentor’, à la page 225 ‘Ik en Telemachus’. C'est certainement une chose qui jette un jour étrange sur le développement moral du traducteur. Il est bien étonnant que, malgré la grande admiration pour le Télémaque, cette traduction n'ait eu aucune réimpression; c'est bien une preuve que le public en a dès l'abord découvert les grands défauts. Sauf le Boekzaal, nous ne connaissons pas de périodiques du XVIIIe siècle qui consacrent des articles à l'oeuvre de Ghijs. Justus van Effen y reviendra encore dans son Hollandsche Spectator en y faisant deux allusions satiriques. Dans le numéro CLV, p. 292, il demande à un jeune homme infatué, s'il connaît | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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le Telemachus en vers de FeitamaGa naar voetnoot1, ce à quoi l'autre répond: ‘Dat werk is mij door mijn boekverkooper gezonden, doch ik heb het weerom gegeven. Het is wat te langwijlig voor mij. Ook heb ik de beste prozavertaaling (merk hieruit de goede keur van dezen heer) door den geleerden Ghijs, reeds veele jaren in mijn Bibliotheek gehad, en daar kan ik het wel mee stellen’Ga naar voetnoot2. Et plus tard dans le numéro CXCV, page 185 le même auteur nous raconte que, dans un cercle d'amis, on veut interdire toute conversation littéraire, à moins que le jugement favorable qu'on a sur les auteurs en question ne soit fondé sur le témoignage d'au moins six savants. Un certain monsieur prétend que c'est inutile, parce que, même si la société se composait de fous et de sages, ‘de verstandigste niet zouden konnen dulden, dat men den Overzetter Ghijs en zijns gelijken geleerd noemde’Ga naar voetnoot3). Quinze ans doivent s'écouler, avant qu'une autre traduction du Télémaque paraisse. C'est une édition anonyme qui, sous certains rapports, offre des différences notables avec celle de Ghijs. Le titre est d'abord plus complet: De/gevallen/van Telemachus/zoone van Ulysses,/Of vervolg van het vierde boek der/Odyssea van/Homerus;/Door den Heere/François de Salignac,/ van Mothe Fenelon, Aartsbisschop Hertog van/Camerijk, Vorst van het H. Rijk, Grave van/Cambresis, weleer Leermeester der Herto/gen van Bourgogne, Anjou en Berry, enz./Dienende tot onderwijzinge van den/Hertog van Bourgogne.//Uit het Fransch vertaalt en van nieuws overgezien./Te Amsterdam/Bij B. en G. Wetstein. 1715. Le livre a été dédié ‘Aan den edelen Heere Mr. Wigbold Slicher Junior’ (la moitié de la première page est prise par le blason de cette famille)Ga naar voetnoot4. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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L'édition est illustrée. Le frontispice représente Minerve guidant Télémaque vers le temple de la sagesse; puis il y a onze gravures, dont dix se rapportent aux aventures de Télémaque et une à celles d'Aristonoüs. En outre elle contient une carte qui permet au lecteur de suivre le héros dans ses pérégrinations. Le ‘Berecht aan den Lezer’ qui précède les Gevallen van Aristonoüs peut être divisé en deux parties. La première moitié est - sauf quelques différences insignifiantes - égale à la partie correspondante du ‘Bericht’ que nous avons trouvé dans Ghijs. La seconde partie dit, avec plus de force que Ghijs, que les Avantures d'Aristonoüs ne sont pas de la main de l'auteur du Télémaque et confirme cela sur le témoignage de ‘verscheidene personen, zich des verstaande’Ga naar voetnoot1: ‘De schrijver van Aristonoüs heeft zich van de wijze van denken, van de schrijfstijl en van de redeleer van den ander bedient; dus, zoo hij de eer van de uitvinding niet heeft, ten minste heeft hij het voorrecht van het geheim gevonden te hebben van een man na te volgen, die onnavolgelijk is’Ga naar voetnoot2. Après avoir constaté que ce ‘Berecht’ a été calqué en partie sur le ‘Bericht’ de Ghijs, il est bien intéressant de lire la longue préface qui se trouve en tête de l'édition de 1715. Après un ample éloge du Télémaque et une appréciation du but qui a amené Fénelon à l'écrire, le traducteur passe à des considérations sur l'oeuvre de Ghijs: ‘Dit werk nu is in den jare 1700 vertaald in het Nederduytsch, zo het anders vertalen genoemd kan worden, dat men meer grove misslagen begaat, dan 'er bladzijden in het boek zijn, het welk onze Lezer overvloedig zal bevinden, die de moeite wil nemen van eenige bladeren van dezen druk tegen de gezegde na te lezen. Het lust mij naaulijx die vuiligheit te roeren......’Ga naar voetnoot3 et puis, après avoir donné quelques exemples pour justifier l'emploi du mot ‘saletés’, il con- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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tinue: ‘Toen ik nu alles zou herstellen, hebben deze en dier gelijke vertalingen in menigte mijn geduld geoeffend, terwijl ik bezig was met de gezegde vertaling na te zien, zo dat ik meer dan eens die gansch heb willen wegwerpen, om eene nieuwe overzetting te maken, en waarlijk het zou mij veel minder moeite gekost hebben: doch toen ik het werk dus aangevangen hadt, moest het 'er mede door’Ga naar voetnoot1. La traduction anonyme de 1715 n'est donc qu'une copie corrigée de celle de Ghijs. Les termes énergiques de cette critique nous donnent le droit de nous attendre à un travail parfait: un homme qui s'arroge un jugement si écrasant sur le travail de son semblable - si faible que soit le résultat de ce travail - doit être lui-même sans défauts ou à peu près. En comparant les deux éditions nous avons constaté que les corrections ont été faites surtout dans les construction défectueuses qui se trouvent dans Ghijs, mais que les fautes faites contre la traduction des mots et des pensées sont restées pour la plus grande partie: ‘claire et unie comme une glace, ‘zoo klaar en stil als ijs’; Aceste sorti de Troie, ‘uit Troje vertrokken’; les noirs soucis sont peints sur son visage toujours ridé, ‘zijn zwarte winkbrauwen (“wijnbrauwen” dit 1715) staan altijd gefronst’ et tant d'autres sont des traductions qui semblent avoir la pleine approbation de notre inconnu. Quelquefois il change la construction, mais ne corrige pas. Quand Ghijs dit ‘en had zelfs geen moed om sig te troosten’ pour traduire ‘qu' (la mort) il n'avait pas même le courage de se donner’, est-ce une correction de dire ‘en had den moet niet zich te redden’? Ou bien en est-ce une de changer ‘maar het is gantsch noodzakelijk dat hij het doet’ (= mais il s'en faut bien qu'il ne le fasse) en ‘maar hij wordt genoodzaakt dat te doen’? Et de tels changements se rencontrent à plusieurs endroits. Mais il y a pire! Quand le texte français dit en parlant du fils d'Idoménée qui se jette au cou de son père ‘qu'il ne savait pas que c'était courir à sa perte’, Ghijs, en traduisant ‘die niet wist dat hij in zijn verderf liep’, fait mieux que l'autre qui écrit | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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‘wist niet wat het te zeggen was, in zijn verderf te loopen’. A la fin de sa préface l'auteur anonyme consacre un alinéa aux noms propres que Ghijs écrit mal: ‘Hebrus’ au lieu de ‘Erebus’; ‘swart Tartarie’ pour ‘de zwarte Tartarus’. C'est grave! Mais pourquoi ce critique sévère parle-t-il lui-même de Buffis (= Butis), Antiphrates (= Antiphates), Netie (= Nerite), Jipiter (= Jupiter), Nabopolasser (= Nabopharsan), Alice (= Alceus), Arpi (= Arpos), Metapontus (= Metapontum), Manduciërs (= Manduriërs)? pourquoi écrit-il Pilos, Listrigoniërs, Pigmalion et non Pylos, Lystrigoniërs et Pygmalion? Somme toute, nous prétendons que, si la traduction de Ghijs est mauvaise, celle de 1715 ne l'est qu'un peu moins. Aussi ne sommes-nous nullement d'accord avec le BoekzaalGa naar voetnoot1, qui dit que ‘de tegenwoordige druk met een ongelooflijke moeite van diergelijke misslagen is gezuivert’Ga naar voetnoot2. Toutes les remarques faites sur l'édition de 1715 prennent des proportions plus grandes, quand nous apprenons par l'édition de 1720 que le traducteur qui s'est caché d'abord derrière un anonymat est un homme de la réputation du savant Isaac Verburg, recteur des écoles latines d'Amsterdam. Pourquoi le pauvre homme a-t-il trahi cet incognito? Etait-il, cinq ans après, encore fier du monument qu'il s'était érigé? Les années de 1715 à 1720 ont été pour le Télémaque une période très importante. Comme nous l'avons dit à la page 10 note 2, Hofhout et les Wetstein en avaient fait paraître à Rotterdam et à Amsterdam la première édition complète faite d'après l'édition parisienne de 1717. C'est de cette édition que VerburgGa naar voetnoot3 se sert pour publier une nouvelle traduction hollandaise. Dans les pages préliminaires nous trouvous une dédicace du livre au sieur Wigbold Slicher, | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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la préface de l'édition de 1715, une préface ‘pour la nouvelle édition’, et une traduction hollandaise du Discours sur le Poème épique de Ramsay. Pour le reste Verburg suit l'édition de 1719, sauf cette seule différence qu'à la fin des ‘Gevallen’ il répète la description du bouclier de Télémaque, telle qu'elle se trouve dans les éditions antérieures et que l'auteur ‘pour des motifs inconnus’Ga naar voetnoot1 a entièrement remaniée. La préface nous informe de la nature des observations. Comme dans l'édition de 1719, il y en a qui tendent à nous prouver que le Télémaque contient des allusions personnelles, d'autres qui donnent des explications géographiques et mythologiques. Quant aux premières, Verburg les a insérées dans sa traduction, sans vouloir en prendre la responsabilité; quant à celles du second groupe, elles lui semblent d'une importance bien plus grande. Cependant ‘zommige derzelve waren zo kort en andere voldeden mij zo weinig, dat ik die alle verworpen heb en zelf andere gemaakt... ik heb niet toegelegd in die aanteekeningen eenige bijzondere geleerdheit te vertonen, als wel om den Lezer te helpen’ (Voorrede, p. 5.)Ga naar voetnoot2. Bien que ce soit sans aucune importance par rapport au travail qu'il entreprend en qualité de traducteur, il indique dans sa préface quelques endroits des anciens auteurs que Fénelon a suivis textuellement dans son Télémaque. Toute cette tirade aurait pu être omise et nous n'y voyons que le désir de Verburg de donner une preuve de son savoir et ‘enige geleerdheit te vertonen’. Ce qui nous intéresse davantage, c'est de lire au commencement de la même préface que, lorsqu'il était question de faire paraître une nouvelle traduction hollandaise, il a contrôlé ‘mot pour mot’ son travail de 1715 et qu'il l'a corrigé partout où c'était nécessaire. Cette comparaison de sa traduction de 1715 avec le texte français doit lui avoir causé bien souvent des moments difficiles en lui rappe- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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lant la critique dénigrante qu'il donna du travail de Ghijs. De nouveau il peut faire disparaître plusieurs bêtises pour la correction desquelles ses forces ne suffisaient pas encore en 1715. Non que la nouvelle édition soit sans taches: il y reste encore des dizaines de fautes. Mais maintenant du moins nous pouvons nous imaginer que Van Effen dit que le Télémaque ‘vrij goed in het Nederduitsch is overgebracht’Ga naar voetnoot1, pourvu que nous fassions bien ressortir le mot ‘vrij’. Te WinkelGa naar voetnoot2 va plus loin, quand il prétend: ‘Een goede prozavertaling van den Télémaque was reeds in 1720 bezorgd door Isaac Verburg’Ga naar voetnoot3. A côté de tout le mal que nous avons dit de Verburg, nous sommes obligé de lui faire amende honorable sur un point. Les remarques traduites de l'édition de 1719 et les parties que les éditions d'avant 1717 ne contiennent pasGa naar voetnoot4 ont été vraiment bien rendues. On se demande avec étonnement comment c'est possible. Verburg a-t-il travaillé toujours sous l'influence de la traduction inférieure de Ghijs et a-t-il donc si mal fait à cause de la vérité incontestable qu'il est plus facile d'éviter des fautes que d'en trouver qui ont été déjà faites? ou bien a-t-il fait dans ces quelques années de si grands progrès? Nous ne saurions trouver la solution de cette question. La traduction de Verburg a eu trois réimpressions: en 1730, 1750 et 1770. Seule celle de 1730 a été publiée du vivant de l'auteur. Elle fut éditée à Amsterdam chez Antony Schoonenburg. La ressemblance entre cette édition-ci et celle de 1720 est si grande que seule une comparaison minutieuse nous a mis en état de découvrir des différences. La composition des deux ouvrages est absolument la même, excepté qu'en 1730 la dédicace au sieur Slicher a été supprimée; il n'y a aucun changement dans le texte, qui a été divisé sur les pages sans la moindre modification. Les mêmes gravures illustrent les deux éditions. Pourtant quelques petites différences prouvent que nous nous trouvons en présence d'une réimpression: Les deux préfaces (celle de l'édition 1715 - ‘van de voorgaande druk’, dit Verburg en 1720 - et celle ‘voor dezen nieuwen druk’) et les divers chapitres commencent dans l'édition de 1730 par une | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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majuscule ornée et sont surmontés de vignettes. A la fin des chapitres les vignettes de clôture diffèrent dans les deux éditions; - à la page 19 (note) il y a vreemt et non plus vremt; à la page 29, l. 9 acher à côté de achter; - dans la numérotation des pages l'édition de 1730 se trompe et met 134 au lieu de 143; - enfin le D du titre courant est de types différents. Toutes ces choses prouvent bien que l'éditeur a fait composer de nouveau le livre. Verburg, étant mort en 1745, n'est plus responsable des deux éditions qui suivent encore. Jan-Daniel Beman à Rotterdam publie celle de 1750. Elle n'est que l'édition de 1730 pourvue d'un nouveau titre. Différentes inexactitudes typographiques nous donnent la preuve de cette assertion: Comparez p.e.dans les deux éditions la syllabe ‘Wit’ à la dernière ligne de la page 9 ou bien le mot ‘Zone’ dans le faux-titre de la seconde partie, qui ont été imprimés de la même manière défectueuse. Le titre courant de la première partie, ‘De Gevallen van Telemachus’, se prête par excellence à nous faire voir la conformité des deux éditions: aux pages 6, 134, 151, 190, 224, 254, 272 et 292 il y a un point derrière ‘Gevallen’; à la page 80 ‘De Gevallen’ forment un seul mot; aux pages 11, 69, 133, 170 et 239 ‘van’ s'écrit avec une majuscule; le point après ‘Telemachus’ a été oublié aux pages 73, 151 et 171. Dans les autres cas il y a identité. Les deux exemplaires contiennent évidemment aussi les mêmes fautes d'impression dans le texte: p.e. ‘acher’ (p. 29); ‘134’ (p. 143); p. 44 dernière ligne ‘zen;’ (la page suivante à la première ligne ‘zen,’); p. 4 ‘scheen, en de ander;’ (doit être ‘scheen; en de ander,’); etc. Beman doit donc avoir acheté de Schoonenburg les exemplaires non vendus pour les publier sous son nom. Tandis que toutes les éditions dont nous venons de parler sont des petits in-octavo, celle de 1770 est d'un format plus grand. L'éditeur en est JanMorterre à Amsterdam. Outre quelques changements de style (‘de trotse toppen der boomen’ au lieu de ‘de hoogmoedige’; ‘zegevieren’ pour ‘zegepralen’; etc.), cette édition se distingue par l'emploi d'un tout autre système orthographique: le ‘ch’ a été remplacé par ‘g’ dans des mots comme ‘achter’, ‘vluchten’, etc.; la terminaison ‘-lijx’ est devenue ‘-lijks; les ‘a’ et les ‘e’ s'écrivent en double partout où l'analogie l'exige; etc. Quelques formes ont été corrigées sous l'influence de l'évolution | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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de la langue: ‘nederhongen, omleggende, vulnis, elende’ sont devenus ‘nederhingen, omliggende, vuilnis, ellende’. Le fait que les traductions en prose du Télémaque pouvaient avoir encore en 1770 une édition toute nouvelle prouve bien que le public hollandais avait non seulement préparé à cette oeuvre un accueil favorable, mais qu'elle avait gardé cette sympathie pendant tout le XVIIIe siècle. En 1742 on publia à Harderwyck un petit bouquin en forme de brochure: il ne compte que seize pages in octavo. Le compositeur a traduit treize passages du Télémaque, qu'il réunit sous le titre de: Grondregels/van een wijze en rechtvaardige/Regeering,/ten opzichte van zijne/Naburen,/Getrokken uijt/Telemachus/van den Heere/FenelonGa naar voetnoot1. Ce titre explique nettement la tendance de l'opuscule. Comme chacun des treize fragments est surmonté d'une indication marquant le livre du Télémaque et la page de l'édition dont s'est servi le compositeur, nous avons pu constater bien facilement que nous ne nous trouvions pas en face d'une version nouvelle, mais que le compositeur avait puisé dans la traduction d'Isaac VerburgGa naar voetnoot2 de 1720 ou de 1730. De plus le texte est littéralement conforme à celui de ces deux éditions: il se peut donc très bien qu' Isaac Verburg, qui vivait encore en 1742, ait fait imprimer lui-même ce petit bouquin. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
B - La Traduction RimeeComme Fénelon a écrit son Télémaque en prose, Ghijs et Verburg ont préféré la même forme pour leurs traductions. Pourtant, ‘zulk een geestig en verheven werk, door Fénélon in maatloozen stijl geschreven, versierd met alle levendigheid en zwier der Poëzy, was overwaerdig met de taal en trant der Dichtkonst te voorschijn te treden, en de bevallige houding te voeren van een zedekundig Heldendicht’Ga naar voetnoot3. Voilà qui devait être la tâche de Feitama. C'est en 1733 que paraît chez les libraires P Visser et A. Slaats | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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à Amsterdam Telemachus/uit het Fransch van den Heere/Fénelon;/in Nederduitsche vaerzen overgebracht,/onder de zinspreuk Studio Fovetur Ingenium./Met privilegie der Ed. Gr. Mog. Heeren Staten van Holld en Westvriesld.//(Dans les initiales de la devise latine nous reconnaissons le nom du poète: Sybrand Feitama Isaacsz.) Dans la seconde moitié du XVIIe siècle vivait à Amsterdam un droguiste, Sybrand Feitama. Il publia respectivement en 1684 et 1685 deux recueils de poésies plus que médiocresGa naar voetnoot1, intitulés Christelijke en Stichtelijke Rijmoefeningen et Uitbeeldingen van Staaten, Ambachten en Neeringen. Nous ne l'aurions pas nommé, s'il n'avait été le grand-père du poète que le XVIIIe siècle devait considérer comme un des astres au ciel poétique. Comme le grand-père, la père - Isaac Feitama - et l'oncle Eduard rimaillaient: autant dire que le sentiment de la cadence et de la rime était inné chez le traducteur du Télémaque. Sa mère - Catherine Rooleeuw - descendait d'une famille d'artistes musiciens. Le jeune Sybrand naquit à Amsterdam le 10 décembre 1694. Ses parents le destinèrent à la carrière de pasteur mennonite, mais la fragilité de sa santé l'empêcha de réaliser le désir paternel et de bonne heure déjà il se vit placé dans les bureaux d'un marchand, Jan Willink. Le commerce cependant n'avait pour le jeune homme aucun attrait: son instinct le poussait dans la direction de la poésie. Etant riche, il put s'adonner sans réserve à ses goûts littéraires. Trois hommes ont exercé une grande influence sur sa formation: Lambert ten Kate, le savant dont l'esprit a exploré le terrain de la linguistique et qui, par son commerce avec les grands artistes de son époque, avait acquis un haut degré de développement dans le domaine des beaux-arts: peinture, sculpture et musiqueGa naar voetnoot2; - Claes Bruin, surtout chargé de sa formation religieuse et à l'influence duquel nous devons vraisemblablement les vingtsix Christelijke Klinkdichten que Feitama a traduits de Drelincourt; - Charles Sebille, ‘de scherpwikkende Aristarch’Ga naar voetnoot3. Au premier et au dernier Feitama a porté une estime presque | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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sans bornes: il devait les voir mourir prématurément en 1731 et 1738Ga naar voetnoot1. Heureusement, il retrouva dans son disciple Frans van Steenwijk (1705-1788) un ami dévoué. Qu'il ne pût cependant jamais remplacer Sebille, la préface de Henrik de Groote et la Toewijing au commencement des deux éditions du Telemachus nous le prouvent très nettement. L'oeuvre de Sybrand Feitama se compose presque exclusivement de traductions et d'imitations d'ouvrages français: douze tragédies d'après les deux Corneille, Voltaire, La Motte, Crébillon, Brueys, Duché et de Coux; une imitation de la seconde satire de Boileau, dont te Winkel dit dans son Ontwikkelingsgang (p. 389): ‘Kende men Boileau's satire niet, dan zou men geen oogenblik denken dat men met een vertaling te doen had’Ga naar voetnoot2; Telemachus; Henrik de Groote, traduction de la Henriade de VoltaireGa naar voetnoot3. Parmi ses ouvrages originaux nous ne nommerons qu'une tragédie Fabricius en cinq actes et deux pièces didactiques portant comme titres: De triumpheerende Poëzy en Schilderkunst et De schadelijke Eigenliefde of de Vrindschap der WaereldGa naar voetnoot4. En 1758 la mort l'arracha à son travail: il n'a donc pas vu la publication de la deuxième édition du Telemachus, qu'il avait d'ailleurs toute préparée. Elle vit le jour en 1763 par les soins de Frans van Steenwijk. Une question qui a occupé bien des personnes est celle de savoir si on devait considérer le Télémaque comme un roman ou comme une épopée. Les premières éditions l'ont intitulé Suite du quatrième livre de l'Odyssée. C'est peut-êtreGa naar voetnoot5 vrai pour la conception générale; | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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pour la forme il s'en écarte. Nous croyons que c'est justement cette dualité, ce caractère double du Télémaque qui a amené la différence des opinions: que faut-il faire prédominer? sa ressemblance avec l'oeuvre d'Homère?...... alors c'est une épopée; - sa forme en prose?...... alors c'est un roman. Dans une lettre au P. Tellier Fénelon parle d'une ‘narration fabuleuse en forme de poème épique, comme ceux d'Homère et de Virgile’Ga naar voetnoot1. Lui-même ne se prononce pas et cherche une formule qui contente tout le monde. Ce caractère hétérogène est également exprimé par M. Cherel, quand il parle du grand succès du Télémaque: ‘Heureuse destinée que celle du Télémaque, dit-il, imité d'Homère, il plaisait aux partisans de l'Antiquité; poème en prose, il servait d'argument aux modernes; roman enfin, il patronnait en quelque sorte un genre littéraire qui gagnait de plus en plus l'attention des lecteurs’Ga naar voetnoot2. Quoiqu'il ne nous importe que de savoir les opinions dans notre pays, il nous semble utile de connaître aussi celle de Voltaire, parce que Feitama, par son Henrik de Groote, l'a rattaché à notre littérature. Il exprime ses idées sur le Télémaque à la fin de son Essai sur la poésie épique. Après avoir dit que l'Europe a cru les Français incapables de faire une épopée - il passe sous silence la Franciade et considère Chapelain, le Moine, Desmarets et Scudéri comme ‘trop faibles pour oser porter ce fardeau’ - il continue: ‘Quelquesuns ont voulu réparer notre disette en donnant au Télémaque le titre de Poème épique; mais rien ne prouve mieux la pauvreté que de se vanter d'un bien qu'on n'a pas: on confond toutes les idées, on transpose les limites des arts, quand on donne le nom de poème à la prose. Le Télémaque est un roman moral, écrit dans un style dont on aurait dû se servir pour traduire Homère en prose’. Voltaire fait donc tout dépendre de la forme et se déclare ainsi l'adversaire de Ramsay, qui prend le fond de l'oeuvre pour la chose | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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essentielle: ‘La versification selon Aristote, Denis d'Halicarnasse et Strabon n'est pas essentielle à l'épopée. On peut l'écrire en prose, comme on écrit des tragédies sans rime. On peut faire des vers sans poésie, et être tout poétique, sans faire des vers. Ce qui fait la poésie, n'est pas le nombre fixe et la cadence réglée des syllabes, mais la fiction vive, les figures hardies, la beauté et la variété des images’Ga naar voetnoot1. Il n'en fallait pas davantage pour éveiller l'esprit de Feitama. Lui, pour qui la poésie était tout, lui qu'on commençait déjà à considérer comme la législateur du Parnasse hollandais, souffriraitil une pareille diffamation? Une épopée en prose! Aussi, quand Verburg déclare dans la préface de son édition anonyme de 1715, reproduite dans celle de 1720 ‘dat men met recht het gantsche werk een heldendicht mag noemen aan welk niets ontbreekt, dan dat de bewoording niet op maat is’Ga naar voetnoot2, Feitama répond très logiquement dans la préface du Telemachus: ‘Volgens dit getuigenis ontbreekt er dan iets aan, namelijk de dichtmaat’Ga naar voetnoot3. Feitama considérait l'oeuvre de Fénelon comme ‘een half epos’. Sebille énonce la même idée dans un éloge poétique qu'il composa en 1730 pour son protégé et disciple: ‘De Fransche Aartsbisschop, met een dichtersgeest bezield,
Heeft zijn voortreflijk werk in Onrijm eerst geschreven,
Omdat de kunst voor u 't voltooiën overhield,
Als 't middel daar uw naam onsterflijk door zal wezen.’Ga naar voetnoot4
Enfin toutes les époques - depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'apparition du Télémaque et depuis le Télémaque jusqu'à nos jours - ont exigé pour l'épopée la forme rythmique. Tous les exemples le prouvent, tous les théoriciens le disent et nous nous demandons avec Feitama ‘of alle redenen, in die Verhandeling (le Discours de Ramsay) voorgewend, tot verdediging van den ongewonen maatloozen stijl der poëzijë, tegen den vereischten | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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in Vaerzen, niet door den nood zijn bedacht, alleen omdat het werk zodanig geschreven is, en geenszins omdat het zodanig geschreven behoorde te zijn’ (Voorrede, p. VII)Ga naar voetnoot1. Feitama fut un vrai enfant de son siècle: il adora la France et sa littérature. Nous avons déjà vu que, de ses treize tragédies douze avaient été traduites du français. En joignant ses aspirations vers la poésie à son amour de la France, il publia en 1733 son Telemachus ‘in Nederduytsch gewaadt,
Verheerlijkt door de kracht van 't zuiver dichtsieraadt’Ga naar voetnoot2.
Un troisième fait a dû contribuer à donner à Feitama encore plus d'ardeur. En 1723 Voltaire avait publié sa Henriade en Angleterre, en 1728 eut lieu la première publication en France. Ainsi plusieurs pays eurent leur épopée, l'Italie, le Portugal, l'Angleterre, la France, seule la Hollande faisait exception. Ne nous étonnons donc pas que Feitama, poussé par un sentiment patriotique, fût fier de montrer au monde que sa patrie possédait un homme ‘capable de porter ce lourd fardeau’. L'idée d'user de la forme poétique pour le Télémaque n'était pas neuve. En 1727 avait paru en allemand une édition rimée par Benjamin Neukirch: Die Begebenheiten des Prinzen von ItkahaGa naar voetnoot3. Feitama parle de cette traduction dans sa préface à la page IX; | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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la traduction en vers latins dont il fait mention au même endroit comme d'une oeuvre à paraître faite par un Français est peut-être celle nommée par M. Cherel (o.c., p. 299): Fata Telemachi etc., due à la plume de D. Bonhomme (Berlin 1743), à moins qu'il ne veuille parler d'une version partielle par Heursault, professeur d'humanités au Collège du Bois à Caen en 1729, ‘qui a traduit en vers latins cinq livres du Télémaque; le premier a été récité publiquement dans la grande salle du Collège’Ga naar voetnoot1. Cependant, comme cette traduction ne nous est parvenue que manuscrite, il est peu probable que Feitama l'ait connue. La même année 1743 a vu paraître encore une seconde traduction latine de la main du Suédois CharisiusGa naar voetnoot2. En donnant au Télémaque la forme rythmée Feitama, plus que Rotgans ne l'avait fait avant lui, éveille la sympathie pour ce genre de littérature. C'est peut-être le moment de fixer l'attention sur le caractère tout spécial qu'a l'épopée chez nous au XVIIIe siècle. Nous ne possédons aucun poème épique d'avant 1700: la première épopée proprement dite dont notre littérature puisse se vanter, est Willem de Derde de Lucas RotgansGa naar voetnoot3, qui parut en 1700. Elle fut suivie (1706-1710) des poésies épiques de Lucas Schermer: ce sont des histoires en vers des années les plus importantes de la guerre de la Succession d'Espagne plutôt que des épopéesGa naar voetnoot4. En 1727 l'Abraham de Aartsvader de Hoogvliet éveilla chez les poètes de l'enthousiasme pour la composition de biographies bibliques en vers. ‘Het ontbrak denzelven echter aan vinding, en het bezingen van een daad, hetgeen toch bij een Epos tot grond moet liggen, wordt hier geheel verwaarloosd... men begon nu een denkbeeld op te vatten - hetwelk zoo noodlottig voor den bloei der Dichtkunst werd - dat deze alleen bestond in de sierlijkheid der uitdrukking, de bevalligheid der inkleeding en de gladheid der verzen’Ga naar voetnoot5. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Il est vrai que nous rencontrons dans notre littérature quelques poèmes bibliques qui sont antérieurs à celui de HoogvlietGa naar voetnoot1, mais ils n'osent pas encore se parer du grand nom d'épopées. L'Abraham eut un succès énorme: rien n'était comparable à cette création poétique; aussi nous n'avons pas à nous étonner que bientôt d'autres poèmes du même genre fussent publiés. Successivement Daniel, Ruth, Débora, Salomon, Joseph, Moïse et David furent les personnages principaux des oeuvres de Jan HaanGa naar voetnoot2, d'Anna van der HorstGa naar voetnoot3, de Willem-Hendrik SelsGa naar voetnoot4, de Jacob WesselsGa naar voetnoot5, de Nicolaas VersteegGa naar voetnoot6 et de Lucretia van MerkenGa naar voetnoot7. Nous pouvons considérer cette sympathie pour ce genre d'oeuvres comme une conséquence de l'esprit religieux de la nation et comme une réaction contre l'emploi continuel des divinités païennes au XVIIe siècleGa naar voetnoot8. Si, d'un côte, le poème d'Arnold Hoogvliet a donné naissance à une série de biographies rimées empruntées à l'Ecriture Sainte, les oeuvres de Lucas Rotgans et de Lucas Schermer ne sont pas restées sans conséquence. Van KampenGa naar voetnoot9 nomme sous ce rapport le Claudius Civilis (1774) de Steenwijk et le Germanicus (1779), de Lucretia van Merken. Il est facile d'augmenter le nombre de ces ouvrages; nous nommons e.a. Het Vaderland (1669, publié ensuite sous le titre de De Geuzen à Zwolle en 1771 et 1776 et à Amsterdam dans une édition clandestine en 1772Ga naar voetnoot10) d'Onno Zwier van Haren, | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Willem de Eerste (1779) de Jan Nomsz, Willem de Vierde (1756) de Mlle M.-G. van de Werken. Ce fut au milieu de tous ces ouvrages que parurent les poèmes de Sybrand Feitama: les deux éditions du Telemachus (1733 et 1763) et son Henrik de GrooteGa naar voetnoot1). Bien que nous ne voulions pas les considérer, ainsi que le professeur G. Kalff, comme de simples traductionsGa naar voetnoot2, nous ne pouvous pas les compter parmi les oeuvres qui proviennent de la propre invention d'un auteur. Au milieu de tous ces poèmes, qui n'ont coûté aux compositeurs que la peine de la rime et du rythme, l'oeuvre de Willem v. Haren, le FrisoGa naar voetnoot3, se distingue favorablement, car, quoiqu'il prenne pour exemple le roman universellement admiré du Télémaque, il s'efforce de créer quelque chose de nouveau. Bien que cette tentative fût louable, les contemporains ne découvrent dans le poème que des défauts: ils trouvent à redire au style, l'unité n'a pas été observée, Friso quitte son pays sans savoir où aller, etc. Si l'on avait été plus bienveillant pour Feitama, nous croyons que c'est qu'il était beaucoup plus que Van Haren ‘poète du XVIIIe siècle’. Pour connaître les théories de l'épopée auxquelles le XVIIIe siècle souscrivait, nous avons un guide sûr dans l'ouvrage de Rhijnvis Feith, Verhandeling van het HeldendichtGa naar voetnoot4: un traité couronné d'or par une des sociétés les plus respectées de l'époque - Kunst wordt door Arbeid verkregenGa naar voetnoot5) à Leide - peut bien être considéré comme un manuel parfait. Comme Feitama et tant d'autres - nous ne connaissons aucune épopée qui ait paru en prose, sauf le Télémaque - Feith exige pour l'épopée une ‘deftige versificatie’Ga naar voetnoot6. Le Télémaque de Fénelon, dit Feith, a eu depuis longtemps dans l'opinion de plusieurs le plein crédit d'une épopée; mais s'il s'agit seulement d'accepter par ordre, on doit aussi alléguer l'exemple des Anciens, pour qui le rythme était indispensable à un poème épique. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Outre la question de la versification, celle des ‘épisodes’ remue beaucoup les esprits des critiques du XVIIIe siècle. Feith leur consacre le neuvième chapitre de son traité. Il reconnaît aux épisodes une fonction double: d'abord ils permettent au poète de donner à son poème la longueur désirée; puis, en interrompant l'action principale, ils accordent au lecteur quelques moments de reposGa naar voetnoot1. L'épisode n'est pas inhérent au récit proprement dit: on peut le supprimer sans que cette suppression nuise au but que le poète veut atteindre. Cependant il faut qu'il soit préparé par les circonstances, et que le commencement et la fin se confondent imperceptiblement avec la pensée principale, il doit être écrit dans le même ton que le reste de l'oeuvre. La longueur de l'épisode dépend du rapport plus ou moins in time dans lequel il est avec l'action de l'épopée: ‘Episoden, waaraan deze eigenschappen ontbreken, geven een verward plan, een verdeeld belang, eene al te groote ingewikkeldheid, en worden dikwijls ook daardoor verdrietelijk, omdat zij ons in een vermoeijend détail brengen’Ga naar voetnoot2. Feitama était trop sûr entre les mains de Fénelon et de Voltaire pour qu'on pût lui reprocher de pécher contre les théories des épisodes, il était trop bon poète aux yeux du XVIIIe siècle pour avoir des faiblesses de style. Mais c'est justement sur ces deux points que Willem van Haren aurait à subir la condamnation de ses contemporainsGa naar voetnoot3. Regardons maintenant le Telemachus de Feitama d'un peu plus près. Notre poète a travaillé sur un exemple: il a trouvé sa matière toute préparée, toute rangée. Le plan détaillé de son livre est devant lui: personnages, caractères, situations, complications, tout lui est donné; ‘louter vertaalwerk dus’Ga naar voetnoot4, dit Kalff dans son Geschiedenis der Nederlandsche Letterkunde, t. V, p. 451. Ce qui lui reste à faire, c'est de donner à la prose de Fénelon la forme de la poésie. Mais cette mise en vers n'a pas été peu de chose: elle a exigé des efforts qu'il faut estimer à leur juste valeur. La préface de sa première édition nous informe de toutes les difficultés qui se | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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sont présentées dans l'accomplissement de ce ‘zwaarwichtig werk’. Celle du Télémaque, ‘het allersierlijkste Fransche proza’Ga naar voetnoot1, lui a causé plus de peine que la traduction d'une tragédie de Corneille, où il trouve la matière ‘in voeten afgeschetst’Ga naar voetnoot2 et les idées que chaque vers doit contenir ‘ten kortste afgemeten’Ga naar voetnoot3 (Voorrede, p. XI). Aussi s'est-il vu dans la nécessité de corriger sans cesse, de tourner et de retourner les vers, pour ‘zonder gewrongenheid, zich der kortheid te bevlijtigen’. Souvent il est obligé de chercher une autre rime, une autre construction (‘ik heb vele vaerzen op drie- of vierdelijë wijzen moeten verrijmen’). Mais enfin, fidèle à la devise des poètes de son époque: ‘De glorie is voor zweet te koop’Ga naar voetnoot4 il a donné tout son zèle et tout son temps pour réussir, bien qu'il soit convaincu de ne pas avoir fait un ouvrage dont tout le monde sera content. ‘Muggenzifters en Onkundigen’ y trouveront bien des choses à redire, surtout quand ils le comparent avec l'original ou avec la version en prose de Verburg et qu'ils exigent une ressemblance absolue. Mais il se console, car ‘Een Vitter stell' zijn' roem in ydel woorden ziften
En letterknibblarij; wij haaten zulk een stof:
De ware Dichtkunst vind in 't roeren van de driften
In vloeyendheid en kracht, haar' wezendlijken lof.’Ga naar voetnoot5
Nous admettons immédiatement qu'une traduction rythmique ne peut pas être aussi littérale qu'une en prose: le poète est trop gêné par la forme. Pour lui il s'agit de s'imprégner de chaque pensée de son exemple et puis de la rendre dans la forme voulue sans en ajouter ni en omettre une qui donne à l'oeuvre un caractère particulier. Nous diviserons notre critique en quatre parties:
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a.Feitama suit presque textuellement l'original; si, de temps à autre, il y a des différences, elles ne touchent pas au fond de l'oeuvre. A la page XI de la préface nous lisons que l'auteur s'est écarté en plusieurs endroits du texte français; cependant la comparaison des deux textes nous apprend que Feitama exagère, à moins qu'il ne veuille parler des quelques centaines d'adjectifs et d'adverbes dont il se sert sans nécessité apparente et par l'emploi desquels il tâche de donner plus d'énergie à son style. Ce grand nombre d'additions superflues ne laisse pas de faire une impression désagréable et de nos jours on les considérerait comme des tares. Nous disons ‘de nos jours’, car il nous semble qu'au XVIIIe siècle cet abus était assez général. Une seule citation suffira pour faire voir, la différence entre la simplicité lucide du style de Fénelon et le style surchargé de notre poète: La terre ouvre son sein au tranchant de la charrue et prépare ses richesses pour récompenser le laboureur. L'espérance reluit de tous côtés. On voit dans les vallons et sur les collines les troupeaux de moutons qui bondissent sur l'herbe et les grands troupeaux de boeufs et de génisses, qui font retentir les montagnes de leurs mugissements. De gunstige aarde ontsluit haar vruchtbaar ingewand
Op 't snijden van de ploeg, en vormt haar rijke gaven,
Om door een milden loon des landmans heil te staven;
Waarheen men de oogen slaat, de blijde hoop luikt op
In diepe dalen, en op veld en heuveltop,
Daar duizende ooijen met haar lamren tierig grazen,
En hupplende in de beemd op malschen klaver azen,
Bij grooter hoornvee, van welks geloei de grond
En 't hemelhoog gebergt gestaag weergalmen in 't rond.
Telemachus, p. 296 et 297.
A côté de ces additions sans valeur positive, il y en a d'autres qui sont plus importantes, d'autaut plus que Feitama y attire lui-même l'attention des lecteurs, e.a. le passage de quatre vers à la page 2, l. 29-32. Quand il a déjà dit que Calypso ne reconnaît pas ‘de achtbre grijsaart’Ga naar voetnoot1 qui arrive dans son île, mais qu'elle a | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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découvert immédiatement que ‘Telemachus de zoon des Griekschen helds moest zijn’Ga naar voetnoot1, il continue: De min, scharpziende daar zij voedsel denkt te vinden,
Toonde aan Calypso licht den zoon van haar beminden;
Maar stekeblind in 't geen haar tot genezing dient,
Vernam ze Pallas niet in zijn' doorluchten vriendGa naar voetnoot2).
Ces quatre vers sont une simple répétition de ce qui précède: aussi Feitama les supprime-t-il dans la seconde édition. Ils forment le seul passage que le poète ait joint au texte de Fénelon de son propre mouvement. Mais il a lu aussi La Télémacomanie et bien qu'il interdise à l'auteur le droit de juger un poème épique, nous reconnaissons l'influence de cette critique dans une des ‘corrections’ faites par Feitama dans l'oeuvre de l'archevêque français. Il avoue du reste franchement s'en être servi. Le passage dont il s'agit est celui où Télémaque tue un lion ‘par les mains seules, sans épée ni bâton, sans piège et sans dard, sans feu, ni flamme, ni fer’Ga naar voetnoot3. Dans Feitama Télémaque se sert de sa houlette, ‘een taaien staf met scharp metaal beslagen’Ga naar voetnoot4, qu'il pousse dans la gueule ouverte du monstre. Celui-ci ‘rijt zijn klauw door zijn strot’Ga naar voetnoot5, crache son sang et, après avoir assailli trois fois son adversaire, il rend l'âme. Feitama découvre d'autres invraisemblances qu'il corrige. A la page 9, l. 10 il remplace ‘les vases d'argent et les tasses d'or’ par ‘kruiken van ivoor en paerlmoeren schalen’Ga naar voetnoot6, parce que, dans la description de la grotte de Calypso, on a nettement déclaré ‘dat daarin noch goud, noch zilver wierd vernomen’. A la page 15, en parlant du stratagème dont Mentor use pour se soustraire à la flotte d'Enée, Feitama lui fait employer des ‘wimpels’ au lieu de fleurs. Comment pourrait-il avoir des fleurs puisqu'il est en pleine mer? Chose étrange! dans la deuxième édition Mentor pare la proue de son vaisseau...... ‘met kransen van gebloemt’. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Nous trouvons un changement peu heureux à la page 163, l. 30, où le texte original dit que le bois ‘sec et enduit de résine’ dont est construit le vaisseau de Mentor jette des nuages de fumée. Feitama trouve que ‘sec’ et ‘enduit de résine’ sont deux qualités qui s'excluent et il traduit dans la première édition: ‘versch met hars omtogen’. Dans la seconde nous lisons: ‘droog en versch met hars omtogen’. Nous craignons que ni Fénelon ni Feitama n'aient bien réfléchi: Fénelon, parce que Mentor vient d'abattre les arbres au plus quelques heures auparavant et que le bois ne peut point encore être sec; Feitama, puisqu'on n'enduit pas tout exprès un vaisseau de résine. Dans le passage qui décrit le rêve d'Athamas, il traduit le verbe ‘voltiger’ par ‘dobberen’. La conséquence est que les songes ailés (‘de leugenrijke stoet gewiekte schijnsels’) ‘op den vloed dobberen’ et dans cette position ils sont placés trop bas pour pouvoir répandre leur liqueur subtile aux yeux du pilote. La seconde édition ne corrige pasGa naar voetnoot1. Les changements ne sont pas fameux; pourtant ils nous font voir la conception que Feitama a eue de son travail: rendre ce que Fénelon a pensé, laisser l'esprit de l'oeuvre intact et ajouter seulement ce qui manquait: le rythme et la rime. Te Winkel dit que Feitama appréciait dans le Télémaque surtout la tendance moraleGa naar voetnoot2: il doit avoir établi cette opinion sur ce que nous trouvons dans la préface du Telemachus: ‘het nooit volprezen Zedenschrift,’ ‘dat uitnemend zedenvormend verdichtsel’, ‘een liefelijke honig van zedekunde, die vooral in onzen Télémaque bijna op ieder blad te vinden is’Ga naar voetnoot3, mais le texte du Telemachus n'a pu servir de preuve. D'ailleurs nous nous demandons comment Feitama aurait pu faire ressortir davantage la tendance morale d'une oeuvre telle que le Télémaque, où elle jaillit partout et en toute occasion où c'est possible. Peut-être aurait-il pu atteindre | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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un pareil but, s'il l'avait eu, en omettant certaines parties plutôt que par des additions; p.e. nous ne sommes jamais arrivé à nous expliquer que Mentor ose conseiller à Idoménée de semer la discorde parmi les alliés pour rendre sa position plus sûre; ou bien, un peu plus tard, de n'envoyer à ses amis que cent Crétois en disant, à l'encontre de la vérité, que Télémaque doit avoir des troupes pour se rendre maître du trône d'Ithaque. Mais surtout, est-il possible que Télémaque se réjouisse de ce qu'il peut se soustraire à la mort, quand c'est un innocent qui va perdre sa vie par la jalousie d'Astarbe? Dommage que Feitama n'ait pas connu la Critique générale de TélémaqueGa naar voetnoot1: elle lui aurait peut-être suggéré d'autres corrections encore. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
b.En donnant spécialement notre attention au Telemachus comme traduction, il nous faut reconnaître que Feitama a bien évité les gallicismes. Nous n'en avons pas trouvé beaucoup: een twaleftal van gijzelaars (254), den een den ander pour l'un l'autre (255), indruk doen (384), et plus souvent la périphrase grammaticale traduite trop littéralement; p.e.: ‘Want in mijn slaap was 't dat die snooden mij verlieten’ (351). C'est bien étonnant pour un homme qui a traduit tant de français. Ghijs et Verburg n'ont pas été si heureux. Si nous en cherchons la cause, nous la trouvons peut-être dans le fait que ceux-ci sont restés plus près du texte original, tandis que Feitama, en cherchant la cadence et la rime, s'est détaché davantage de la langue étrangère. D'ailleurs nous croyons que l'influence d'un homme tel que Ten Kate, d'un critique sévère comme Sebille n'est pas restée sans effet. Nous ne craignons pas de dire qu'en général Feitama a bien senti la construction française. Les traductions fautives sont rares: nous trouvions p.e. à la page 39 ‘'t leerzaam volk’ (la politesse du peuple); à la page 54 ‘Hij spoort de rijken aan en de armen doen hem vreezen’ (Il persécute les riches et il craint les pauvres); et quelques mots mal traduits: p. 36 ormeaux - linden; p. 171 à peine - inmiddels; p. 173 rassurer - nederzetten; p. 223 renvoyer - afvaerdigen; p. 309 illusion - dweperij; p. 343 vigoureux - hartstochtelijk; etc. Mais il est impossible de suivre Feitama de près sur ce terrain, car il s'écarte souvent du texte français | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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par des changements insignifiants. Quand le français dit p.e. ‘comme un rocher qui se détache d'une montagne escarpée’, Feitama trouve nécessaire de dire: ‘als een hooge ceder die door de stormen van zijn wortel wordt gerukt’Ga naar voetnoot1. La rime à ‘neder’ a exigé ‘ceder’ et ce changement-ci a amené les autres; toutefois nous ne pouvons pas dire que Feitama a mal traduit. La seule faute syntactique que nous ayons trouvée est dans la traduction de la proposition exprimant la concession hypothétique. Le Télémaque en contient quatre:
Les quatre fois Feitama traduit cette construction, comme s'il s'agissait d'une concession réelle:
Dans la seconde édition Feitama ne corrige pas les constructions des pages 135 et 220; celle de la page 526 correspond au français:
Al deed u 't godendom dat pronkjuweel der vrouwen
In 't killig Algidum als herderin aanschouwen,
Gij zoud gelukkig zijn met zulk een wijze bruid.
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Un seul mot mérite un peu plus d'attention: ‘daim’. Dans la version de Ghijs, dans toutes les éditions de Verburg ce mot, qu'on rencontre quatre fois dans le Télémaque, se traduit par ‘das’. Nous étions presque heureux de trouver dans Feitama à la page 38 ‘reebok’, mais aux autres endroits le mot ‘das’ reparut. Dans la seconde édition le poète ‘corrige’ page 38 et met ‘das’. La faute en est aux dictionnaires. Celui de d'Arsy (1651) donne ‘daim = eenen das’ et dans la partie holl.-fr.: ‘dasse oft dain = daim’. Cherchant ‘blaireau’, nous trouvions ‘eene meeuwe’, mais ‘meeuwe = mouette’. De même dans le dictionnaire de François Halma (1710): ‘das = daim’; ‘dassevel = peau de daim’. Ajoutons que Feitama, suivant l'habitude du XVIIIe siècle, qui aime à se servir de synonymes mythologiques, change souvent les noms des dieux: Mars-Mavors; Minerve-Pallas; Hercule-Alcides; Phébus-Apollo, etc. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
c.Feitama destine son Telemachus à un public hollandais qui ne demande pas un livre ‘pas mal traduit’, mais une oeuvre qui lui plaise par ses idées et par son style. Dans le paragraphe suivant nous verrons que les contemporains du poète l'admirent presque sans réserve. Et lui-même aussi semble être assez content de ce qu'il crée: quand, dans la préface du Telemachus, il parle de ‘volwrochte vaerzen’Ga naar voetnoot1 en opposition avec les ‘lamme et kreupele vaerzen van Bastaerdpoëeten en Vaerzenmakers’Ga naar voetnoot2 (p. I), il range probablement les siens dans le premier groupe. Au risque d'être compté parmi les ‘Muggenzifters’ et ‘Hairklovers’, nous ne pouvons pas partager en tout l'opinion favorable du XVIIIe siècle. Nous trouvons avec le rédacteur du BoekzaalGa naar voetnoot3 qu'il y a ‘hier en daar een slecht of gedrongen vaers in zijn werk’. La forme défectueuse des vers trouve souvent sa source dans l'effort que Feitama fait pour chercher la cadence et la rime. Cet effort se révèle également dans l'emploi fréquent de mots dont le poète ne se serait jamais servi, si la rime ne l'y avait poussé. On en trouve des exemples quasi à chaque page; aussi nous contenterons-nous de n'en donner que quelques-uns: p. 18: ‘bewondert’ est suivi de ‘gedondert’, quoique ni les | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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idées que Mentor vient d'exprimer, ni l'humeur dans laquelle il se trouve ne justifient ce terme intense; p. 96: ‘Men zag den eenen berg zich boven den ander beuren’, ne se dira point, à moins qu'un poète n'ait besoin d'un mot qui rime à ‘gebeuren’; p. 273: ‘Zelfs kan men zoveel vrucht niet van de beste (menschen) trekken,
Als noodig ware om 't heil der volken uit te strekken’.
Feitama veut dire ‘vermeerderen, grooter maken’, mais la rime l'en empêche. p. 521: Le verbe ‘grieven’ se dit des choses qui font mal, qui blessent moralement, mais nullement en parlant de l'amour, moins encore d'un amour noble; pourtant nous lisons: ‘........................ met welk een edle liefde,
Idomeneus' spruit Antiope mij griefde.’...
Comme la rime, la longueur du vers lui cause plus souvent des difficultés et lui fait chercher des moyens pour compléter le nombre des syllabes. Remarquons le grand nombre de mots contractés: aêm, doên, goôn, grootvaêr, gebiênde, doôn, etc. et l'emploi de tous ces adjectifs qui ne font qu'affaiblir le style (voir p. 31). De l'autre côté nous rencontrons des mots comme oorelog, heerelijk, sporeloos, verwellekomen, fluitenspeeldren, twaleftal, dont le nombre des syllables a été agrandi.
Pour nous mettre au courant des idées poétiques de notre pays au XVIIIe siècle nous nous sommes servi de Fr.-K.-H. Kossmann, Nederlandsch VersrythmeGa naar voetnoot1 et de A. van der Hoeven, Lambert ten KateGa naar voetnoot2. M. Kossmann cherche la caractéristique du vers français dans une longueur égale de toutes les syllabes d'un versGa naar voetnoot3 et comme notre poésie du XVIIIe siècle a pris peu à peu l'allure française, cette théorie de l'‘isochronie’ des syllabes est également applicable à nos vers. Pour nous personnellement l'accent amène inévitablement un allongement de la syllabe et nous croyons que la musique marquera | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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les syllabes accentuées et non accentuées non seulement par l'accent musical de chaque mesure, mais aussi par les longueurs différentes des sons. Quand donc M. Kossmann dit à la page 48 que notre vers comme le vers français se dirige ‘in vrij-golvende voortbewegende gang naar een bepaald einddoel’, il a complètement raison, surtout quand on laisse au vers toute la liberté de mouvement que Ten Kate veut lui donnerGa naar voetnoot1; seulement M. Kossmann rejette alors sa théorie de l'isochronie, en quoi il a encore raison: le ‘mouvement libre et onduleux’ du vers suppose l'accent et l'accent exclut l'isochronie. Feitama a bien profité des théories de Ten Kate: nous avons rencontré peu de vers où nous ne pussions retrouver les préceptes du grand maître. Le plus souvent il tient à la césure après la sixième syllabe, qui porte un accent bien sensible; pourtant il y a aussi des vers où il applique l'idée de Ten Kate qu'il n'est pas nécessaire qu'elle ait un accent aussi fort que l'accent principal de l'hémisticheGa naar voetnoot2: ‘Kupido, ziènde zijn/gewaande zege stuiten
Moest die lafhàrtig met/zijn nederlaag besluiten’.
(p. 164, l. 29, 30).
ou bien ‘Beving hem d'eigenste angst/waardoòr men hem voor dien
Verlegen jongeling zou hebben aangezien’.
(p. 366, l. 7, 8)
Remarquons encore le vers suivant, qui doit être selon Ten Kate d'une distinction remarquable (‘van een merkelijke deftigheid’), à cause de la place de la césure après la première syllabe faiblement accentuée d'un mot de plus de deux syllabes: ‘Wanneer 't onspeurbaar flauw/vermeerdrend morgenlicht’
(p. 549, l. 8)
Dans ces exemples - dont le nombre pourrait être augmenté - Feitama s'écarte de la théorie de Boileau, qui veut ‘Que toujours dans vos vers le sens coupant les mots
Suspende l'hémistiche, en marque le repos’Ga naar voetnoot3),
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mais nous savons que depuis longtemps déjà on tâchait de se libérer de ces théories. HuydecoperGa naar voetnoot1 le dit nettement en s'adressant au rédacteur du Boekzaal, qui avait critiqué quelques-uns de ses vers: ‘Mijn Berisper begeert, dat het einde van een zin of ten minste eene volkome uitdrukking op het eind van een vaers kome, gelijk de Franschen nauwkeurig waarnemen: integendeel verbeeld ik mij...... dat het rijm altijd zo weinig gehoord moet worden als 't mogelijk is...... ronduit dat de wet van den Heer Boileau op onze rijmkonst niet toepasselijk is’Ga naar voetnoot2. Par ces syllabes faiblement accentuées à la césure, le poète doit, il nous semble, perdre le sentiment de la coupe 6-6. Aussi rencontrons-nous dans le Telemachus des vers qu'on coupe plus logiquement 4-4-4 (vers ternaires):
Enfin Feitama se sert fréquemment de l'enjambement. Comme Ten Kate n'en parle pas dans son Oeffenschets, nous ignorons s'il y a des règles spéciales. En général nous avons constaté qu'après l'enjambement Feitama prend, suivant l'idée de Boileau, la moitié du vers suivant ou tout le vers qui suit pour achever sa pensée. Ce qui est cependant sûr, c'est qu'il se permet une grande liberté dans l'emploi de l'enjambement, comme le prouvent les deux vers de la page 366: ‘Beving hem d'eigenste angst, waardoor men hem voor dien -
- Verlegen jongeling zou hebben aangezien’.
Quant à l'accent Feitama sacrifie souvent l'accent naturel du mot à celui du vers: p. 19: ‘Ja, onbekenden zelfs aanzàgen voor hun vrinden’; Un déplacement de cet accent a surtout lieu, quand il s'agit du pronom déterminatif suivi d'un relatif: | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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p. 135: ‘Hem, wièns gesprek ik hoorde......’; mais aussi dans d'autres constructions: p. 30: ‘Hij scheidde ons, ja weerde al wie mij kon verklaren’; Il faut spécialement remarquer sous ce rapport les noms propres de personnes. La première édition se trompe continuellement, la seconde corrige en changeant évidemment plus ou moins la construction de la phrase: p. 305, I: ‘Kon Phīlŏclēs verraad niet meer in twijfel trekken’. de même:
Toutes les faiblesses de construction que nous venons d'indiquer trouvent leur source dans la peine que Feitama s'est donnée pour se tirer des difficultés de la rime et du rythme. Mais même quand il est délivré de ces entraves, quand il est libre dans le choix de ses termes, son style est loin d'être impeccable. La pureté des expressions figurées p.e. laisse beaucoup à désirer; on ne dira pas: zich spiegelen aan een baak (10), twee muren slaan hun vleugels uit in het hart der golven (60), op een zetel treden (59), dolfijnen, die rondom ons zweven (94), een troon bekleeden (101), de oostenwind heeft de vinnen opgestoken (204), wrok verzoenen (247), iemand zijn wraak doen bezuren (372), van leder rukken (536), iemands voetspoor inslaa n (574), etc., etc. Il a l'air de craindre que son style ne soit pas assez beau et assez fort et qu'il ne se laisse aller sans se rendre compte de ce qu'il dit: Comment Télémaque, qui a perdu toute sa force morale, peut-il rugir comme un lion ‘in dollen overmoed’ (85)? ‘Dierbaar’ est-il synonyme à ‘dier = duur’, et peut-on parler de ‘dierbre stof (27), dierbaar koren (196), dierbre vochtigheên (404)’? Poussé par le même désir il se sert souvent de mots populaires, qui sont d'ordinaire plus intenses; cependant il oublie que leur emploi est imcompatible avec la matière d'une épopée: ‘iemand om den duim draaien, zich met het zweet van | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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een ander mesten, vergif zwelgen, de runderen kelen’, etc. En ceci Feitama ne suit pas la règle de Boileau: ‘Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse’.
Ten Kate a rendu cette même idée dans ces termes: ‘Men moet niet meenen dat platheid en eenvoudigheid hetzelfde is: het verschilt zooveel bijna als de laagste en de hoogste trap’Ga naar voetnoot1. Ces termes ne doivent pas être employés ‘in een deftig vaers’, comme disent les Nieuwe Bijdragen tot Opbouw der Vaderlandsche LetterkundeGa naar voetnoot2 à propos des deux vers de Feitama: ‘Maar als de roe zal zijn van uwen rug geweken,
Zal mooglijk weer de waan u de ooren op doen steken’.
(p. 14, l. 21-22).
Ce sont ‘boertende uitdrukkingen’. Nous finirons ce paragraphe par une remarque sur la construction. OrdinairementGa naar voetnoot3 nous ne lions pas deux compléments, ni deux prédicats nominaux dont l'un est simple, l'autre une proposition subordonnée, comme dans ces exemples tirés du Telemachus’: p. 16, l. 10: ‘Zo dra ze onze afkomst wist, en dat wij Grieken waren’; | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
d.sLa deuxième édition du Telemachus parut cinq ans après la mort de Feitama, grâce aux soins de son ami Frans van Steenwijk. Feitama a préparé lui-même cette édition; il en a même écrit la préface. Suivant la volonté de l'auteur les feuilles préliminaires se composent de la ‘Toewijing’ à Charles Sebille - la même que nous connaissons par la première édition - et de la ‘Voorrede des Vertalers’. Dans notre critique de la première édition nous avons relevé de temps en temps que certaines fautes ne sont plus dans la seconde édition. Par la comparaison des deux textes, que nous avons faite suivant le désir du poète ‘regel tegen regel en woord tegen woord’ | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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(Voorrede, p. V), nous avons constaté que la seconde édition est meilleure que la première: le seul but que Feitama se soit promis d'atteindre, comme il dit dans sa préface. Mais nous sommes bien éloigné encore d'une oeuvre parfaite. Il y a des passages que nous préférons dans leur première forme; p.e. à la page 32: I:
‘'k Zie op dat oogenblik al 't woest gebergte beven,
Alsof de hoogste pijn en eik, met gantsche dreven,
Neerploffen van den top, tot in het laagste veld.
De winden zwijgen, als van een doodschen schrik bekneld’.
II:
‘Maar ijlings trok de berg, al bevende mijn oogen;
Van waar, door pijn en eik, in schok op schok bewogen,
Het aardrijk wierd bedreigd, met eenen zwaren val,
Geen windje roerde zich: 't was stil in 't eenzaam dal’.
I est sans doute supérieur à II: les quatre vers se lisent plus facilement et rendent parfaitement par le mot ‘alsof’ la comparaison exprimée dans le texte français. Les deux premiers vers de II sont affreux et dans le quatrième nous ne trouvons plus cette idée de ‘crainte’ qui semble avoir saisi toute l'atmosphère. Puis à la page 116: I:
‘Een vreedzaam vorst is niet ter heerschappij geboren
Met oogmerk om de rust zijns eigen volks te stooren,
Door ontembre zucht naar eenes andren staf
Waartoe hem 't godendom het minste recht niet gaf’.
II:
‘........................ zulk een vorst is niet ten troon gerezen
Om rustverstoorder van zijn eigen volk te wezen.
(Dit-on vraiment “ten troon rijzen”?)
Door 't zorglijk dingen naar 't wetteloos gezag,
(Que fait ici le mot “zorglijk”?)
Terwijl hij 't zijne in vree gerust bezitten mag’.
(‘In vreê’ et ‘gerust’ disent la même chose)
Nous avouons que le style de I n'est point beau, mais II contient des négligences auxquelles on ne s'attendrait pas dans une édition ‘corrigée’. Nous voulons être bref en disant que, s'il s'agissait de faire de la seconde édition une critique dans le genre de celle que nous avons donnée de la première, les mêmes paragraphes seraient à recommencer, avec d'autres exemples peut-être pour prouver ce que nous avançons. Van KampenGa naar voetnoot1 a dit que Feitama s'est posé trois ques- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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tions: Io ‘Les règles admettent-elles l'expression dont je me sers?’ - 2o ‘Contribue-t-elle au poli du vers?’ - 3o ‘Est-elle poétique?’ Nous dirions qu'il ne semble jamais arriver à la troisième, car Telemachus n'est pas de la poésie, dans la seconde édition pas plus que dans la première, et même, malgré la forme, il est moins poétique que la prose de Fénelon. Ramsay l'a dit si bien: ‘On peut faire des vers sans poésie, et être tout poétique, sans faire des vers’Ga naar voetnoot1. Ce résultat n'est guère brillant après tant d'années que le poète a sacrifiées à la correction. Nous ignorons quand il l'a commencée, mais il est peu probable qu'il y ait donné les trente années comprises entre les deux publications, comme quelques-uns le disent dédaigneusement. Quoi qu'il en soit, ne doutons pas qu'il ne se soit donné toutes les peines possibles pour réussir; pour cela les préceptes de Boileau: ‘Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage’
et ‘Polissez-le sans cesse et le repolissez’
s'étaient trop bien établis dans son esprit. Feitama cependant prenait ce ‘polissez sans cesse’ trop à la lettre et n'en finissait jamais. Relisons les préfaces de toutes ses oeuvres et partout nous verrons que le temps lui a manqué pour mettre la dernière main à la revision. Pendant son travail de correction Feitama s'est constamment servi non seulement de sa première édition, mais aussi du texte français, en quoi il forme un contraste avec Verburg dont toutes les rééditions contiennent à peu près les mêmes inexactitudes. Aussi Feitama II suit, comme Feitama I, textuellement l'oeuvre de Fénelon, sauf une seule exception. Cette différence se trouve dans la traduction de ce que nous lisons dans le livre X, ligne 15 du Télémaque. Fénelon dit, en décrivant la tristesse de Nestor à cause de la mort de son fils Pisistrate: ‘Son âme ne demandait plus qu'à quitter son corps et qu'à se rejeter dans l'éternelle nuit de l'empire de Pluton’. Feitama I traduit: ‘Terwijl de ziel niets zocht dan 's lichaams band te ontwijken
In de cindelooze nacht der onderaardsche rijken.’
(p. 486, l. 9-10)
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Feitama II fait prévaloir l'idée chrétienne: ‘Zijn ziel begeert alleen van 't lichaam zich te ontbinden
En in een ander licht al zijn geluk te vinden.
Ne pensons-nous pas ici à cette lumière céleste qui reluit pour les bienheureux après cette vie terrestre et n'est-ce pas d'ailleurs la même idée que nous trouvons exprimée dans Fénelon, quand il décrit les Champs-Elysées: ‘Le jour n'y finit point, et la nuit, avec ses sombres voiles, y est inconnue: une lumière pure et douce se répand autour des corps de ces hommes justes et les environne de ses rayons comme un vêtement. Cette lumière n'est point semblable à la lumière sombre qui éclaire les yeux des misérables mortels et qui n'est que ténèbres; c'est plutôt une gloire céleste qu'une lumière: elle pénètre plus subtilement les corps les plus épais que les rayons du soleil ne pénètrent le plus pur cristal’Ga naar voetnoot1.
Dans les pages précédentes nous avons tâché de placer le Telemachus dans son milieu littéraire et nous avons dit notre opinion concernant une oeuvre qui, au XVIIIe siècle, a eu tant de succès. Il est curieux de lire les appréciations qu'elles a obtenues parmi les contemporains de l'auteur. Elles sont les témoignages tacites de la grande admiration qu'on avait pour lui. Lisons les poèmes qui remplissent les premières feuilles de ses éditions, partout nous verrons que ses confrères le considèrent comme le premier d'entre eux et le louent dans des termes très flatteurs. Tantôt il est ‘de groote geest, die, zwanger van den hoogen heldentoon, zijn volk beschonk met Mentors voedsterling’ (Frans van Steenwijk), tantôt ‘onze Amstelfénelon’, ‘de Kunst-Orestes’ ou bien ‘d'eer der Nederduytsche Sophoklessen’ (Arnold Hoogvliet). D'autres comme Jan Luyken, Pieter Langendijk, Lucretia van Merken, Simon Doekes sont également unanimes dans leurs éloges. Mais en lisant tous ces poèmes nous avons souvent pensé aux mots dont se sert Jan ten Brink en caractérisant l'esprit du XVIIIe siècle: ‘Een vast kenmerk der achttiende-eeuwsche letterkundigen was hun aaneensluiting, hun onderlinge bewierooking en hun camaraderie. Een troepje der middelmatigste rijmers maakte elkander door grenzelooze ophemeling diets, dat zij Hooft en Vondel verre | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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overtroffen’Ga naar voetnoot1; Feitama a eu largement sa part dans cette adulation réciproque. A côté des poèmes de ce genre il y a la critique de ceux qui disent franchement ce qu'ils pensent, qui louent ce qui brille et osent blâmer ce qui est inférieur. Parmi ceux-ci Justus van Effen mérite d'être nommé en premier lieu. Lui, qui ordinairement n'est pas facile à contenter et dont nos ‘prulpoëetjes’ et ‘rijmkraamers’ craignent avec raison la critique sévère, réserve une place d'honneur au Telemachus. Il reconnaît volontiers avoir accusé Feitama d'abord d'une témérité irréfléchieGa naar voetnoot2 pour avoir osé entreprendre la traduction d'une oeuvre dont le style est si pur. Mais depuis qu'il a vu cette traduction, son opinion a tout à fait changé: ‘Geen buldertaal, geen waterzuchtige uitdrukkingen, maar zakelijke hoogdravendheid’Ga naar voetnoot3. Il finit son article en disant qu'aucun Hollandais n'a le droit de se refuser la possession d'un pareil livre, à moins que l'argent ne lui manque ou qu'il ne soit absolument dépourvu de goût et de sentiment noblesGa naar voetnoot4. Dans le numéro CCXX de son périodique un anonyme insère un long poème à la louange de Feitama. Le rédacteur du BoekzaalGa naar voetnoot5 admire également les vers de Feitama, ‘schoon zij hier en daar tekens dragen van de schielijkheid van den dichter’ et qu'il y ait ‘hier en daar een slecht of gedwongen vaers in zijn werk’. Il loue surtout le zèle et le labeur du poète et ajoute d'un ton qui n'est pas libre d'exagération ‘dat hij het dichtwerk veel liever leest in de Vaerzen van Feitama dan in de vertaling van zeker Heer’ (Ghijs? Verburg?), ‘ja zelfs in het origineel.’ Les Nieuwe Bijdragen tot Opbouw der Vaderl. Letterk. donnent dans le tome Ier, p. 155-208 une comparaison détaillée des deux éditions | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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du Telemachus (Livre I) par A.v.Z. et de la page 209 à 244 une par P. du Marez (Livre IX). Dans le tome II, p. 401-452 A.v.Z. continue ses considérations en parlant des livres II, III et IV, cette fois-ci influencé par la critique française publiée à Cologne sous la devise ‘Non sapio Mendacio’ (= celle de Gueudeville; voir p. 34). Bien que les deux commentateurs parlent encore d'une manière très élogieuse du Telemachus, le fait qu'ils joignent à leurs discussions une critique qui, à côté des beautés, cherche à découvrir aussi les faiblesses de l'ouvrage, prouve qu'on commence à le voir dans un autre jour. Nous arrivons au XIXe siècle et ce qui reste de Feitama, ce sont ‘nette en deftige verzen, van lettergreep tot lettergreep gepolijst’, mais qui ne proviennent pas d'un coeur qui sent le besoin de se décharger de ses émotions bouillantesGa naar voetnoot1). Mais soyons juste, c'est le défaut de l'époque et non pas de Feitema seul, car toute la poésie consiste à ‘polysten van woorden en van regels: in die woorden, in die regels was voor 't overige Proza zoo welkom als Poëzie’, ‘'t Moest proza zijn in maat’, dit Bilderdijk dans la peinture qu'il donne des pauvres poètes de ce temps-là et qu'il caractérise par le nom de ‘beuzelaars’Ga naar voetnoot2. Voilà aussi l'opinion des temps modernes. Feitama n'est pas un poète, c'est un ‘rijmkunstenaar’, qui représente plus qu'aucun autre l'esprit des sociétés de nourrissons des Muses (‘dichtgenootschappen’)Ga naar voetnoot3. Jan ten Brink met au-dessus du chapitre où Feitama et ses confrères sont passés en revue: ‘Middelmatige en kleine dichters’Ga naar voetnoot4. Lui aussi voit dans Feitama le poète ‘die met ongemeene volharding zijn dichterlijke overzettingen herschaafde’Ga naar voetnoot5. En 1733 il publia le Telemachus, ‘waaraan hij zijn geheele leven bleef vijlen’, en 1753 son Henrik de GrooteGa naar voetnoot6, ‘nadat hij er achttien jaren | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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aan gepeuterd had’Ga naar voetnoot1. Toujours l'idée de ‘limer’ et de ‘fignoler’. ‘Voor ons is het werk van Feitama meer monnikenwerk’, est le résultat où est arrivé J. te WinkelGa naar voetnoot2. Nous ne considérons plus la prose rimée comme de la poésie; mais Feitama s'est surtout appliqué ‘à l'harmonie des vers, à l'exactitude des expressions et à la clarté de la phrase’, ajoute-t-il en répétant les termes dont Feitama s'est servi dans la préface de la seconde édition du Telemachus. Nous croyons avoir démontré (voir p. 36-42) que Feitama n'a pas atteint le but qu'il s'est proposé et nous sommes plus près de l'opinion de G. KalffGa naar voetnoot3, qui ne voit dans l'oeuvre de Feitama rien qui puisse lui faire mériter les titres honorifiques que ses contemporains lui ont donnés: ses tragédies ‘presque’ ‘louter vertaalwerk’; son Telemachus, pour la revision duquel ‘hij aan het schaven en peuteren bleef vijfentwintig jaar lang’Ga naar voetnoot4; son Henrik de Groote, une traduction rimée à laquelle il sacrifia à peu près vingt années de sa vie. Plus nous nous éloignons du XVIIIe siècle, plus l'opinion sur Feitama et ce qu'il a produit semble devenir défavorable. M.J. Prinsen écrase en trois lignes l'oeuvre de Fénelon et le travail qu'a fait Feitama: ‘In 1733 verscheen zijn vertaling van Telemachus in versvorm, waarmee hij aan dezen tendenz-roman een air van epos wilde geven’Ga naar voetnoot5. On ne peut détruire plus en moins de mots! Après un tel arrêt, Feitama ne peut attendre que le coup de grâce: M. Prinsen lui ôte l'illusion d'avoir créé en Hollande le premier poème épique, M. Colenbrander lui enlève tous les lauriers dont son époque l'avait estimé digne comme poète: ‘Zien we uit in de 18de eeuw naar een Hollandsch aandeel in den arbeid van het toenmaals Europeesch denken, dan vinden we maar weinig bij al ons zoeken..... | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Er is nauwelijks iets in onze letteren, dat toonbaar blijft ook naast het werk van de beste buitenlanders. De dichters trachten de Fransche vormen over te nemen, zonder het den Franschen inhoud te kunnen doen. Fransche vormen: de verzen van Feitama en Van Merken staan onder den regelrechten invloed van de Henriade; de alexandrijn heeft zich, naar den Franschen, zoo verdroogd en verglaasd, dat hij met den sap- en kleurrijken van Vondel nauwelijks van ééne wereld schijnt’Ga naar voetnoot1. Nous ne pouvons pas finir ces pages sans nous opposer aux jugements sévères des deux dernières citations. Qu'on nomme le Télémaque un roman ou une épopée, n'importe, mais le nom de ‘tendenz-roman’ est injuste et impropre. Ajoutons cependant immédiatement que M. Prinsen, depuis 1924, a bien changé d'opinion: ‘Een volledige cursus voor adellijke opvoeding was de Télémaque van Fénelon...... Het is de “conte moral destiné à former la raison et le coeur”. Hij zit vol antieke motieven, uit de Odyssée en Eneis vooral. Hij is de eerste bepaald paedagogische roman en aangezien deze paedagogie voor aanstaande vorsten bestemd was, tevens politieke en philosophische roman’Ga naar voetnoot2. Quant au Telemachus de Feitama, c'est une oeuvre qui a, pour nous, ses défauts et même de très graves défauts; voyons-y pourtant l'oeuvre d'un homme qui a fait de son mieux, mais qui avait le malheur de vivre dans un temps où il pouvait briller, malgré ses qualités médiocres: ne considérait-on pas ‘le patricien d'Amsterdam Huydecoper comme | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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le meilleur auteur tragique et à côté de lui Sybrand Feitama comme le chef de cet art en décadence’Ga naar voetnoot1? Enfin, est-ce que vraiment notre XVIIIe siècle a produit si peu qui puisse être mis au même plan que des oeuvres d'autres littératures? et est-il permis d'oublier complètement des hommes comme Justus van Effen, Langendijk, Poot, les frères Van Haren et Betje Wolff-Deken? Ten Kate et Huydecoper? Nous croyons qu'en écrivant son passage, qui anéantit tout, M. Colenbrander a vu le XVIIIe siècle à vol d'oiseau, sans donner assez d'attention aux détails et nous nous référons encore à l'oeuvre citée de M. Prinsen: ‘Het idee, dat de 18de eeuw voor ons, zoowel als in Duitschland de pruikentijd zou zijn met al het achterlijke, pietluttige, geestelooze dat aan dit woord vastzit, is wel geheel op den achtergrond geraakt. Ook bij ons was er wel groei van ideeën en meeleven in het geestelijke leven van West-Europa’Ga naar voetnoot2. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
C - Le Telemaque comme livre d'ecole‘De Telemachus is van zijn verschijning af tot in de tweede helft der negentiende eeuw een der meest gebruikte schoolboeken geweest. In ons land werd hij veel ter vertaling gebruikt op Fransche scholen en nog in 1834 verscheen voor dat doel een uitgave bij J. Noorduyn te Gorinchem’Ga naar voetnoot3. C'est en ces termes que Versluys termine son article sur Fénelon. Dans nos recherches nous n'avons pu découvrir nulle part que le Télémaque soit entré immédiatement dans les écoles, ni qu'il y soit resté ‘tot in de tweede helft der negentiende eeuw’: la première édition que nous trouvions mentionnée est de 1816, la dernière de 1848. Remarquons encore que l'addition ‘nog in 1834’ ne peut pas être considérée comme une preuve de | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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l'assertion que le Télémaque aurait été employé dans les écoles après 1850. Avant de parler des éditions scolaires du Télémaque que nous avons pu nous procurer, il ne semble pas sans intérêt de voir ce que les siècles précédents ont écrit pour la jeunesse. Quels sont les livres qu'on lisait à l'école? Quels sont les livres qu'on destinait aux enfants? Voilà des questions qui ont mené à des découvertes étonnantes. Nous n'avons pas l'intention de donner ici une liste plus ou moins complète de titres. Nous nous contenterons de suivre dans les lignes générales les idées qui ont dominé et d'où les faits ont découlé. Les ouvrages que nous avons consultés nous conduiront, d'étape en étape, au moment où, pour ainsi dire, le Télémaque devait faire son entrée dans l'école. Comme base de l'éducation au XVIe et au XVIIe siècles nous trouvons partout nommé la Bible. La religion a formé non seulement le fondement de l'éducation domestique, elle a été aussi le principe de l'enseignement scolaire. Le Synode national de Dordrecht (1618) se prononce très nettement là-dessus. Dans les actes de cette assemblée, publiés en 1621, nous lisons qu'il est du devoir des parents d'enseigner aux enfants, dans les proportions de leur esprit, les éléments de la religion chrétienne, de les exhorter sérieusement à la crainte de Dieu, de les accoutumer aux prières sacrées, de les conduire au temple, de leur faire répéter le sermon et de lire avec eux quelques chapitres de l'Ecriture SainteGa naar voetnoot1. Déjà au commencement de la Réformation, écrit le docteur Schotel, le premier devoir des maîtres d'école fut d'enseigner aux enfants l'histoire sainteGa naar voetnoot2. Si quelquefois on se servait d'autres livres que de la Bible et des catéchismes, ils contenaient presque toujours les mêmes choses: l'Oraison dominicale, les dix Commandements, les douze articles de la Foi, des prières du matin et du soir. Plus tard il s'y ajoute de petits récits édifiantsGa naar voetnoot3. Tout ceci ne doit pas nous étonner: qu'on n'oublie pas qu'alors les pasteurs se considéraient comme les inspecteurs naturels des instituteursGa naar voetnoot4 et que l'Eglise et l'Ecole | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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étaient si étroitement liées ensemble que l'Eglise prescrivait à l'Ecole le rôle qu'elle avait à remplir dans l'éducation de l'enfantGa naar voetnoot1. Partout, à la maison, à l'église, à l'école, la religion. Pas une religion adoucie, adaptée à l'âme enfantine, mais dans toute la rigidité de ses doctrines, qui se contente de remplir la cervelle de ses jeunes victimes de toutes sortes de choses non-comprises. Aussi le résultat des recherches de Mme Elise Knuttel-Fabius est: ‘Uit de XVIIe eeuw heb ik geen kinderboeken kunnen vinden’Ga naar voetnoot2. Remarquons que l'auteur exclut dans son ouvrage les livres d'école. Si elle les avait compris dans ses recherches, elle aurait certainement nommé les ‘Hane-Boecken’, ces abécédaires qui existaient déjà au XVIe siècle et qui sont restés les premiers livres de lecture pendant tout le XVIIe siecle, le XVIIIe et une bonne partie du XIXe siècle. Mais dans ces livres élémentaires une grande partie est encore consacrée aux matières religieuses, si bien qu'il y avait des éditions catholiques, luthériennes et protestantesGa naar voetnoot3). Ce que Mme Elise Knuttel-Fabius a dit à propos du XVIIe siècle, M.A. de Vletter le répète à peu près par rapport au XVIIIe: ‘Van een eigenlike kinderlitteratuur was in de 18e eeuw geen sprake’Ga naar voetnoot4. Il est vrai que Mme Knuttel-Fabius cite deux petits livres qui se distinguent favorablement: le premier de 1720 intitulé De Kleine Printbijbel, où à chaque page se trouve reproduit un texte biblique en forme de rébus; l'autre de 1740 Letterkundige geschiedenissen voor de JeugdGa naar voetnoot5, mais en général nous pouvons dire que la situation n'a pas changé depuis le XVIIe siècle. Nous n'avons qu'à lire les titres de quelques livres d'enfants cités dans les ouvrages qui visent à approfondir cette matière pour être convaincu que les histoires contenues dans ces livres ne sont nulle- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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ment en harmonie avec l'état de développement d'un enfant. Les livres religieux lui parlent des frayeurs du Jugement Dernier, de l'attentat de la femme de Putifar sur la vertu de Joseph; d'autres traitent des sujets philosophiques et soumettent au jugement de l'enfant le scepticisme anglais ou bien les théories de SpinozaGa naar voetnoot1. Le Boekzaal mentionne dans son numéro du mois d'août 1742 un livre qui fait soupçonner ce qu'on exigeait d'un enfant du XVIIIe siècle: De schole der Jeugt, waar in de Evangelische Geloofs-Keten de halze der Kinderen, die kloekzinnigheit, wetenschap en bedachtzaamheit, mitsgaders gerechtigheit, recht en billijkheit begeren, als een dierbaar en aangenaam toevoegsel, wordt omgehangen par B.-S. Cremer, professeur à l'Université de HarderwijkGa naar voetnoot2 et dans son numéro du mois de mars de la même année Het kort begrip der Christelyke Religie voor die zich willen begeven tot 's Heeren Heilig avondtmaal, 't welke met de Heidelbergsche Katechismus en de Belijdenis der Nederlandsche Kerke, doorgaans geplaatst wordt achter de Psalmboeken, Testamenten en Bijbels, die in de Huizen, Scholen (!) en Kerken dezer landen gebruikt worden,...... par Johan van den Honert, professeur d'université et pasteur à LeideGa naar voetnoot3. Les livres profanes - car avec le temps le domaine exploré s'est étendu - ne le cèdent pas à leurs frères plus âgés; tantôt ils comparent la frivolité française avec l'austérité hollandaise, tantôt ils attirent l'attention de l'enfant sur des sujets politiques ou économiques: l'hérédité de la fonction de stathouder, le droit au suicide, etc.Ga naar voetnoot4. Qu'on lise surtout les pages que Mme Knuttel-FabiusGa naar voetnoot5 consacre à ce sujet: l'auteur donne dans son chapitre bien documenté plusieurs extraits de récits où il est question d'adultère, d'accouchements clandestins, de relations illicites entre hommes et femmes, de légitimation d'enfants naturels. Ce n'est que dans le dernier tiers du XVIIIe siècle que l'on commence à constater un changement dans le bonne direction; peu à peu de meilleures idées s'établissent en matière d'éducation et ces nouvelles idées se reflètent évidemment dans la littérature | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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destinée aux enfants. Non seulement nous voyons s'agrandir tout à coup le nombre des publications, mais nous constatons aussi que le contenu de ces nouvelles éditions se conforme mieux à l'esprit de l'enfance et, bien qu'il y ait parmi tout cela des livres moins réussis et qui rappellent les temps passés - nous pensons au Nieuwe spiegel der Jeugd of Fransche tyranny (1674), où un père décrit à son fils toutes les cruautés que les Français auraient commises en 1672 à Woerden et à Bodegraven, un livre qui eut des rééditions en 1716, 1742, 1773 et même une en 1870Ga naar voetnoot1 -, nous pouvons souscrire aux paroles de Betje Wolff: ‘Onze eeuw is, in één opzicht, zeer wel van alle voorgaande te onderscheiden. Dit is de eeuw, waarin men naamentlijk voor kinderen schrijft’Ga naar voetnoot2. Plus d'un auteur de cette époque a réussi à conduire la littérature pour les enfants dans de meilleures voies. Des hommes, tels que les Allemands Campe et GellertGa naar voetnoot3 et les Hollandais Hieronymus van Alphen, Florentius Martinet, Ysbrand van Hamelsveld, W.-E. de Perponcher et tant d'autres ont certainement droit à la reconnaissance de la jeunesse de leur temps. Nous n'avons nommé que quelques-uns de ceux qui travaillaient dans cette direction, car vers la fin du XVIIIe siècle le nombre des livres d'enfants augmente tellement qu'en 1797 le pasteur Van Breugel demanda dans la préface de son De Ouderdom of de Zaak der Bejaarden, si, par le grand nombre des ouvrages pour la jeunesse, on oubliait complètement la cause des vieuxGa naar voetnoot4. Tous les livres de cette période poursuivent le même but: rendre les enfants vertueux. Cette vertu consistait à être reconnaissants de tout le bien qu'ils recevaient de Dieu et de leurs parents et à montrer cette gratitude à tout instant en témoignant de leur | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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dépendance et de leur indigence; à admirer la nature en se rappelant la bonté infinie et la merveilleuse sagesse de son Créateur; à éviter tous les petits vices propres à leur âge. Tous ces types de perfection humaine se retrouvent dans les livres d'enfants de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du XIXe. Lisons les Kindergedichtjes de Van Alphen, le Trap der Jeugd publié par la Maatschappij tot Nut van 't Algemeen, les petits récits d'Anslijn (De brave Maria, De brave Hendrik) et les Honderdtal (len) composés par Schmidt, et ils passent devant nous tous ces petits contents, économes, avides de science. Est-il étonnant que, dans cet entourage, le Télémaque de Fénelon, ce livre plein de leçons morales, parût sous une nouvelle forme, celle de livre d'école? Nous voulons faire d'abord une petite excursion en Belgique. Bien que nous ayons exclu la Belgique de notre étude proprement dite, le détail que nous avons à relever nous a paru assez intéressant parce qu'il nous met en état de nous former une idée de la manière dont on se représentait autrefois l'étude d'une langue et parce que nous y trouvons les premiers éléments de notre enseignement moderne. En 1818 Joseph Jacotot, né à Dijon en 1770, fut nommé lecteur à l'Université de Louvain. Comme ses étudiants flamands ne comprenaient pas le français, il leur donna à étudier le Télémaque et sa traduction flamande. En comparant les deux textes et en apprenant par coeur le texte français, ils arrivèrent bientôt à pouvoir suivre leur professeur. Ce succès amena Jacotot à écrire son Enseignement universel, où il développait un système pour l'instruction de la jeunesse. Il part de la première phrase du Télémaque, l'analyse dans ses mots isolés. Le maître dit lentement: ‘Calypso’, ‘Calypso ne’, ‘Calypso ne pouvait’, etc.; les élèves répètent chaque fois la partie que le maître a dite, jusqu'à ce qu'à la fin toute la phrase puisse être reproduite sans interruption. Par cette prononciation très lente et très distincte les élèves apprennent à distinguer les syllabes, puis les sons. Après ces leçons analytiques viennent des exercices de synthèse pour former des mots nouveaux. Quand la phrase a été soigneusement préparée oralement, elle doit être écrite. La méthode a eu son premier imitateur en Allemagne: Karl Seltzsam (1805-1870); dans notre pays H. Bouman basait là-dessus sa méthode pour la lecture élémentaire, où il part d'une série de mots spéciaux qui apprennent aux enfants tous les sons | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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de notre langue. Chacun de ces mots doit être traité suivant la méthode de JacototGa naar voetnoot1. Comme nous l'avons dit, la première édition scolaire du Télémaque que nous ayons trouvée est de 1816. C'est une édition in-12, d'une impression plus serrée que nous ne la préférions aujourd'hui pour les livres d'école (38 lignes sur une pa e), mais la préface nous en a déjà averti: ‘Men heeft deze Uitgave zoo compres doenlijk doen drukken, om daar door de Prijs voor de School geschikt te doen zijn’Ga naar voetnoot2. Nous apprenons encore par la même préface, qui est du reste très courte - un peu plus d'une demi-page - que cette édition abrégée a été traduite du français. Vraisemblablement le traducteur s'est servi d'une édition scolaire française publiée également chez Moeleman et mentionnée sur la couverture de la traduction hollandaise que nous avons devant nous (Bibl. du N.O.G. - Amsterdam); nous n'avons pu en trouver un exemplaireGa naar voetnoot3. L'édition hollandaise a été fortement abrégée, mais outre celle-ci il y a d'autres différences avec les éditions complètes. D'abord, ce n'est plus Télémaque qui raconte la première partie de ses aventures à Calypso, mais depuis le départ d'Ithaque le traducteur s'adresse à ses lecteurs. Puis on évite soigneusement de parler d'amour, c.-à.-d. d'un amour illicite ou frivole: le récit de la douce affection de Télémaque pour Antiope a été conservé. A propos d'Astarbe (p. 29) on se contente de dire: ‘Deze listige vrouw had zich van het verstand des Konings meester gemaakt en regeerde in zijn naam, zij wilde een jongeling, die haar veracht had, voor den vreemdeling doen doorgaan, dien Pygmalion wilde doen sterven’Ga naar voetnoot4. C'est donc ici le mépris du jeune homme qui fait agir la reine et non son amour déçu. A Chypre il ne mentionne pas la visite au temple; tout ce qui s'y passe n'occupe pas même deux pages (34-35). Nous aurions | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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certainement supprimé encore quelques pensées difficiles à expliquer: que dire p.e. si un des élèves demande pourquoi l'air qu'on respire à Chypre est empesté (‘verpest’), pourquoi les hommes y sont infectés (‘besmet’), quel est le poison que la population répand en parlant. Enfin, à la page 47, Télémaque arrive chez Calypso. Une seule page suffit pour nous décrire les beautés de l'île et du palais rustique de la déesse; on glisse aussi légèrement sur l'amour qu'elle sent pour le jeune héros: ‘Ulysses was er door een storm heen gedreven geweest: de godin had niets gespaard om er hem te houden. Zij nam ook zijnen zoon Telemachus op en zocht hem voor altijd aan zich te boeijen: zij beloofde hem de onsterfelijkheid’Ga naar voetnoot1. Télémaque hésite, Mentor attire son attention sur son devoir et le fait rougir de son oisiveté. Eucharis n'est pas même nommée dans le cortège des nymphes qui crient et secouent les cheveux déroulés en voyant les flammes qui dévorent ‘het van droog hout gemaakte en bepekte schip’Ga naar voetnoot2. On a également supprimé tous les passages où il est question de politique, d'économie sociale ou de religion; e.a. toutes les considérations de Télémaque pour justifier ses réponses aux autorités crétoises, le récit d'Adoam et l'histoire du peuple de la Bétique, tous les motifs qui ont poussé Mentor aux réformes de Salente, les sages leçons de Mentor sur les misères de la guerre et les avantages de la paix. Le récit est donc un simple rapport des voyages et des aventures du jeune héros, excepté sa visite aux Champs Elysées et aux enfers. Quant au style, remarquons que les phrases sont en général courtes et d'une construction facile, deux qualités qui ne sont pas dépourvues d'utilité dans un livre scolaire. Nous nous sommes arrêté un peu longuement à ce premier bouquin, nous pouvons être bref en discutant le second: Lotgevallen/van Telemachus, /den zoon van/Ulysses, /volgens het werk van/Fénélon./Verkort en ten dienste der jeugd, als/leesboek op de scholen, vervaardigd./Uit het Fransch vertaald. Met platen.//Te Amsterdam, bij/H. Moolenijzer,/1827. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Commençons par constater que les gravures ne se trouvent plus dans l'édition que nous avons vue, le seule que nous ayons pu nous procurer (Bibl. de Leide, Genootsch. v. Nederl. Letterkunde). L'éditeur a supprimé les quatre lignes de la page 34 de l'édition de 1816: ‘De gebeurtenis scheen als een droom.... zij zagen hem verwonderd aan’. Après tout, nous doutons que Moolenijzer ait fait traduire cette édition du français, comme il l'annonce dans le titre; nous supposons qu'il l'a calquée sur la traduction de Moeleman, sauf quelques changements peu nombreux dans le style. Les deux livres dont nous venons de parler ont été publiés pour être des livres de lecture. Nous n'en avons pas trouvé d'autres dans notre paysGa naar voetnoot1. A côté de ces éditions hollandaises il doit y avoir eu des Télémaque en français - nous avons déjà nommé 1 édition de Moeleman (voir p. 55) - en allemand et en anglais. Ainsi nous trouvons mentionné dans la Alphabetische Naamlijst van boeken uitgegeven van 1790-1832Ga naar voetnoot2 deux éditions différentes de 1834:
Nous n'avons pas réussi à voir ces deux éditions; la dernière est celle dont parle J. VersluysGa naar voetnoot3. La seule édition française dont nous ayons pu disposer est celle qui est à Amsterdam dans la Bibliothèque du N.O.G.: Le/Télémaque des Ecoles, /ou/Résumé des Aventures de Télémaque, /fils d'Ulysse; /d'après le Poème de Fénélon./Ouvrage divisé en leçons, avec la ver- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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sion/en hollandais des phrases et des mots/les plus difficiles./Augmenté de notes historiques et géographiques./Par/G.-C. Verenet/et/G. Engelberts Gerrits./Seconde édition./Amsterdam, /chez G. Portielje./1844. Elle a paru portant la devise: ‘Télémaque est le plus bel ouvrage que la vertu ait inspiré au génie’. L'opuscule entier se compose de trois parties, dont la première et la troisième ont été conservées. Les deux adaptateurs ont publié d'abord le premier tome pour voir ‘si ce petit livre élémentaire est goûté de ceux qui aiment les beaux modèles’Ga naar voetnoot1, promettant d'y ajouter le reste en cas de succès. Le reste s'est fait attendre quelque temps. En 1844 la première partie fut réimprimée et annonça l'apparition probable du tome suivant; la première édition de la troisième partie est de 1848: la seconde partie a donc paru entre 1844 et 1848Ga naar voetnoot2. Le livre lui-même offre aux élèves ‘le simple resumé des aventures de Télémaque, telles qu'il les raconte lui-même depuis son | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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départ d'Ithaque jusqu'à son arrivée dans l'île de Calypso. Les six livres de l'oeuvre de Fénelon pouvaient être facilement ‘détachés du corps de l'ouvrage, comme représentant en substance le tableau le plus parfait d'une morale pure’Ga naar voetnoot1. Bien que les mots ‘simple résumé des aventures du héros’ fassent prévoir un fort élagage du récit, Verenet et Engelberts ont trouvé bon d'y laisser bien des considérations sur la vertu et la politique. Le Naamlijst van Boeken nomme encore une édition anglaise de 1836 et une en allemand de 1835, toutes deux arrangées par J.-C. Beijer, professeur de langue et de littérature néerlandaises à l'Ecole militaire de Bréda. L'édition anglaise - in-8 et publiée à Dordrecht chez Blussé et Van Braam - est à la Gemeentelijke Bibliotheek de Rotterdam; un exemplaire de l'édition allemande est à la Bibliothèque royale de La HayeGa naar voetnoot2. Dans sa préface l'adaptateur du livre donne une petite esquisse de la vie de Fénelon et de la publication du Télémaque, un exposé de la méthode et du résultat qu'il espère atteindre par ce livre, qui doit être employé comme ‘Uebersetsungs- und Lesebuch für Schulen’. Il paraît que Beijer n'enseignait pas seulement le hollandais: ‘In den neuern Zeiten hat man, für die Jugend, einen Auszug aus dem gröszeren Werke geliefert, unter den zweideutigen Titel Le petit Télémaque, und da ich diesz, unter mehrern, meinen Schülern zur Uebersetsung in Deutsch gab, so entschlosz ich mich, gleichfalls einen Auszug in der Deutschen Sprache zu besorgen’. Beijer dit encore dans la même préface que, ‘auf gleicher Art wie solches in dem Petit Télemaque stattfindet’, il a ajouté à son opuscule un petit dictionnaire historique et géographique où il explique ‘nach alphabetischer Ordnung alles kurz, deutlich und hinlänglich, was zum Verständnisz der obenerwähnten Sachen erforderlich ist’Ga naar voetnoot3. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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D - Le Telemaque comme Livre PopulaireNous avons été amené à ajouter ce paragraphe grâce à un bouquin que nous avons trouvé à la Bibliothèque Royale de Bruxelles. Il fait partie de la longue série de livres populaires que publie encore de nos jours la maison Snoeck-Ducaju et FilsGa naar voetnoot1. La première édition semble avoir paru en 1812 ou à peu aprèsGa naar voetnoot2. A en juger d'après la préface et le texte, qui est identique à celui des éditions scolaires que nous venons de traiter, nous pouvons admettre qu'au début ce bouquin a été un livre scolaire. Quoi qu'il en soit, en Belgique il y a une édition dite ‘populaire’ du Télémaque. En Hollande, nous n'avons pas trouvé pareille édition. Pour devenir ‘populaire’ un livre doit posséder des qualités que le Télémaque ne semble pas avoir. Il est souvent impossible de dire pourquoi tel livre a eu la prédilection du peuple, tandis que tel autre n'a pu la gagner. SchotelGa naar voetnoot3 énumère quelques livres qui n'ont pu jamais se réjouir de la faveur populaire. Quant au Télémaque, il semble qu'il ait été un peu trop savant pour être goûté du peuple: son appareil mythologique, ses tendances pédagogiques et les considérations politiques et économiques le rendaient peu attrayant pour la masse, elle y voyait trop nettement un livre écrit pour un prince. C'est par là que le livre de Fénelon devait le céder à son grand rival littéraire, les Aventures de Robinson Crusoë, qui était ‘une espèce de Télémaque bourgeois, dont le but est de porter les hommes ordinaires à la Vertu et à la Sagesse, par des événements accompagnés de réflexions’Ga naar voetnoot4. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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E - L'influence du TelemaqueLa manière la plus directe dont un auteur puisse exercer de l'influence dans un autre pays, c'est que ses oeuvres s'y impriment dans la forme qu'il leur a donnée lui-même et dans la langue du pays d'origine. Evidemment ces éditions ne seront lues que d'une partie de la nation. Pour atteindre ceux à qui les langues étrangères sont inconnues, il faut que les ouvrages paraissent dans la langue du pays; alors seulement nous pouvons nous attendre à voir le livre entre les mains de tous. Supposant que l'ouvrage ait la sympathie de ceux qui le lisent et que le nombre des lecteurs s'elargisse sensiblement, il y aura bientôt des personnes qui se laisseront entraîner à écrire dans le même esprit et des éditeurs disposés à publier ces produits plus ou moins littéraires. Nous devons compter certainement Fénelon parmi les auteurs dont les oeuvres - et spécialement le Télémaque - ont eu dans notre pays un succès plus qu'ordinaire. Editions, traductions, imitations se succèdent avec une rapidité vraiment étonnante. Pour les différentes éditions françaises publiées en Hollande nous renvoyons à la ‘Table chronologique’ imprimée à la fin de cette étude; quant aux traductions nous les avons traitées dans les premiers chapitres de cette partie. Il nous reste donc à parler des ouvrages où nous reconnaissons l'esprit ou l'influence du Télémaque. Parmi ces imitations il y en a quelques-unes qui ont été traduites du français et dont nous trouvons l'édition originale mentionnée dans la longue liste d'imitations qu'à composée M. Cherel dans la ‘Bibliographie méthodique’ de sa thèseGa naar voetnoot1. Nous citons e.a. Les Avantures de Néoptolème, dont une traduction hollandaise parut en 1761Ga naar voetnoot2; - les Voyages de Cyrus par RamsayGa naar voetnoot3; les Voyages du jeune Anacharsis, dont on publia dans notre pays une traduction complèteGa naar voetnoot4 et une édition française abrégéeGa naar voetnoot5; - Numa Pompilius | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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de FlorianGa naar voetnoot1, etc. Nous ne voyons pas au fond dans la publication de ces livres une véritable influence de Fénelon ou du Télémaque: nous n'avons même aucune preuve que ceux qui ont traduit ou publié ces imitations aient seulement pensé au livre de l'archevêque ou à son auteur. La question se pose autrement, quand le nom de Télémaque ou de Fénelon entre dans le titre. La tragédie en cinq actes de M.-J. Chénier intitulée Fénelon ou les Religieuses de Cambrai fut publiée en hollandais en 1796Ga naar voetnoot2, sous le titre de Fénelon of de Kamerijksche Kloosterlingen. Les Algemeene Vaderl. LetteroefeningenGa naar voetnoot3 donnent de cette pièce une critique très favorable et trouvent qu'elle nous dépeint merveilleusement ‘dans le vénérable Fénelon l'image du prêtre juste’. Nous citons encore le Télémaque travesti de Marivaux, une parodie publiée en Hollande en 1736 et qui eut une seconde édition en 1748Ga naar voetnoot4. Voici ce que M. Cherel en ditGa naar voetnoot5: ‘...... elle comprend les livres I-III...... Marivaux, à qui on l'attribua aussitôt, le désavoua par une lettre au libraire de Paris, placée en tête de la IIIe partie de la Vie de MarianneGa naar voetnoot6. Mais le libraire proteste; il affirme qu'il a le manuscrit de la main même de Marivaux, ainsi que les quittances des sommes versées; que Marivaux s'est offert à mettre le Télémaque en vers burlesques. Marivaux ne réplique pas...... La grande faiblesse de cette parodie, c'est de n'être qu'une parodie, de se borner à transposer en les épaississant de vulgarité les Aventures de Télémaque: Calypso inconsolable devient Mélicerte “coiffée le plus souvent en mauvais battant-l'oeil” (p. 26); et ses quatre filles chantent “des chansons au dessert” (p. 48), puisque les nymphes avaient chanté après le repas de Télémaque’. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Nous en sommes arrivé aux livres hollandais qui ont été composés sous l'impression du Télémaque, à ceux qui contiennent - tout en traitant une autre matière - des éléments qui, apparemment, lui ont été empruntés. Il n'est guère nécessaire de dire que nous n'avons pas pu consulter tous les ouvrages dont le titre ou une indication quelconque faisaient présumer qu'ils avaient été écrits sous l'influence du Télémaque. Parmi ces livres nous nommons De oprechte Hoveling of de Gebeurtenissen van den Graaf van RiveraGa naar voetnoot1 mentionné au BoekzaalGa naar voetnoot2, qui ajoute que cette histoire a été écrite dans le même esprit que le Télémaque, les Voyages de Cyrus et le Séthos; - De vorstelijke VoedsterlingGa naar voetnoot3; - Verhalen van het Hof, en onderwijs voor diegene dewelke in 't zelve omgaan, zeer nut en noodig voor alle hooge staatsbedienden en voornamelijk voor die van de hoven van Koningen en VorstenGa naar voetnoot4. Très souvent nous avons dû constater que nos recherches ne produisaient aucun résultat. Nous pensons sous ce rapport à quelques Robinsonades dont plusieurs contiennent des éléments qui font penser au Télémaque. Celui-ci ‘sluit een tijdperk af, maar heeft toch tevens motieven in zich voor enkele typische verschijnselen in den achttiende-eeuwschen roman, zoowel voor de Voyages du jeune Anacharsis, als voor Emile en Robinson’Ga naar voetnoot5. Nous retrouvons la même idée dans l'ouvrage de Geoffroy AtkinsonGa naar voetnoot6: ‘The rationalism of Fénelon, his hatred of the abuse of power, his convictions concerning the ideal state and the absence of luxury, all these conceptions bind the Télémaque not only to the Terre australe connue and to the Histoire des Séverambes, but also to the mass of similar writings wich follow in 18th century’. Il y a donc bien une filiation entre le Télémaque d'un côté et le Robinson | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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et ses imitations de l'autre: du reste Defoe lui-même nomme son Robinson un ‘Télémaque bourgeois’Ga naar voetnoot1. Le titre d'une des imitations hollandaises du Robinson a attiré surtout notre attention: nous pensons aux Gevallen van den ouden en jongen RobinsonGa naar voetnoot2, dont le titre complet renferme tant de détails qui rappellent les Aventures de Télémaque qu'il est impossible d'admettre que l'auteur n'ait pas songé au livre de FénelonGa naar voetnoot3. Les thèmes du Télémaque s'y retrouvent; cependant ils y ont été développés d'une manière qui ne permet plus de parler d'une imitation. Ce que nous venons de dire des Gevallen van den jongen en ouden Robinson, vaut également pour le Robinson Crusoë de Defoe, si bien que Fritz Brüggemann exclut toute possibilité de comparaisonGa naar voetnoot4. Plusieurs fois nous avons rencontré des allusions au Télémaque dans les périodiques du XVIIIe siècle. Ainsi nous lisons dans une critique que le Boekzaal donne d'un livre intitulé Reize van George AnsonGa naar voetnoot5: ‘Ze komen aan het eilant Juan Fernandes. Wij vinden dit eilant zo bevallig beschreven, als of het een der eilanden van Circe of Kalypso was, daar Ulysses en Telemachus in hunne dolingen zich eenigen tijdt ophielden’Ga naar voetnoot6. Or, Télémaque n'a jamais été dans l'île de Calypso que dans le roman de Fénelon. Après avoir lu le David de Lucretia van MerkenGa naar voetnoot7, le rédacteur des Vaderlandsche Letteroefeningen commence sa critique en ces | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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termes: ‘Zo haast mij dit sedert eenigen tijdt verwachte kunstwerk in handen kwam, ging 't mij bijna als Justus van Effen, toen hij 't eerst den beroemden Telemachus open sloeg, ik wilde tegelijk alles zien en leezen....’Ga naar voetnoot1. Le même rédacteur dit en parlant du caractère de l'ancienne reine d'Espagne qu'elle avait une grande influence sur le roi, ‘zij was zijn Mentor onder de gedaante van Minerva’Ga naar voetnoot2. L'Ebrahim de Florian est un poème où l'amour fraternel, la vertu patriarcale et l'ardeur de l'amour ont été peints avec force et délicatesse, d'une plume digne de FénelonGa naar voetnoot3. Le nombre de ces citations pourrait être facilement augmenté; elles nomment toujours le Télémaque et son auteur avec admiration et respect. Nous n'avons pas hésité à compter parmi les imitations un petit roman intitulé De Gevallen van Carita en PolydorusGa naar voetnoot4. Le titre ajoute: ‘traduites en français d'après un manuscrit grec, puis mis en hollandais’. La préface développe cette addition en disantGa naar voetnoot5: ‘Un des professeurs de l'Université de Goettingue découvrit dans certaine bibliothèque d'Allemagne le manuscrit. Les troupes françaises envahirent l'Allemagne et un des officiers obtint du Professeur le droit de propager l'histoire par une simple histoire. Il devait se contenter, pour tout détail, de raconter que l'auteur de la fable était une “femme” d'Epidaure, nommée Pamphila. Elle vivait du temps de Néron...... Une troisième édition se prépare à Goettingue, contenant le texte grec et les explications nécessaires’. Il n'est donc pas impossible que nous ayons devant nous une traduction. Or, les indications sont si étranges, et en même temps si vagues, qu'il se peut très bien que tous ces détails aient été inventés pour stimuler la vente du livre. Comme dans le Télémaque le centre d'action est la Grèce. Il s'agit de deux amants qui, brusquement arrachés aux mains de leurs parents, ont été séparés. Carita et Polydorus ont les meilleures qualités du monde: leur amour et leur foi sont illimités. Tout le | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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récit est rempli de leçons morales: la patrie passe avant tout, il ne faut pas se prévaloir de services rendus, mais on doit être reconnaissant de ceux qu'on reçoit, etc.; cependant l'auteur ne les explique point avec autant de profondeur que Fénelon par la bouche de Mentor. On y trouve encore les fonctionnaires et les courtisans: les juges condamnent Carita bien qu'innocente, pour plaire à leur prince; Pisistrate est trop vertueux pour pouvoir rester à la cour. Les misères de la guerre occupent une grande place dans le récit. Nous pouvons y trouver quelques situations qui rappellent tant soit peu des situations analogues dans le Télémaque: Polydorus esclave, vient dans l'île de Naxa, comme Mentor arrive à Chypre avec son maître et ami Hazaël; ainsi que Hazaël a acheté la liberté de Mentor pour en faire son ami, Nausicrates paye la rançon de Polydorus et l'adopte comme son fils; Polydorus, comme Télémaque, se laisse emporter par sa colère et accuse Carita, plus tard il s'en repent comme Télémaque; Carita est sur le point d'être immolée sur le tombeau d'Androgeas, quand une bande de gens armés lui rend la liberté. Télémaque et Mentor sont dans la même situation sur le tombeau d'Anchise, seulement ce n'est pas par les armées ennemies qu'ils sont délivrés, mais par la crainte de l'arrivée de ces troupes. On peut donc bien trouver des ressemblances, quoique sur d'autres points il y ait de grandes différences dans le développement des aventures. Nous pourrions en dire autant d'une tragédie composée par Claes Bruin et intitulée De deugdzame HovelingGa naar voetnoot1. L'auteur a dédié sa pièce au sieur Georges Bruyn, régent de l'Hospice des Vieillards (Oude-Mannen- en Vrouwenhuis) à Amsterdam: les Régents de cet Hôpital sont en même temps les administrateurs du ‘Amsterdamschen Schouwburg’. La scène se passe en Perse. Sepi, roi de Perse, est entouré de plusieurs courtisans parmi lesquels un certain Mahamed s'est attiré la jalousie et la haine de ses égaux. En accusant Mahamed d'un vol de diamants, ceux-ci parviennent à le rendre suspect auprès du roi; ils y réussissent facilement grâce au concours de l'ambitieuse reine Sela. Après une lutte désespérée de la probité | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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contre la calomnie, le cinquième acte amène le dénouement de l'intrigue: on reconnaît l'innocence de Mahamed. En lisant la tragédie, nous nous sommes rappelé immédiatement l'épisode des Livres XIII et XIV du Télémaque: Philocle entraîné à sa perte par Protésilas. Les rôles de ces deux personnages se retrouvent dans ceux de Mahamed et d'Ibrahim. Ismaël et Jani sont comparab es à Timocrate, qui abandonne le complot, aussitôt que les affaires tournent mal. Philocle, retiré dans son île, vit content et s'estime heureux d'être délivré pour jamais de toutes les intrigues de la cour; ce n'est qu'après de longues hésitations qu'il revient enfin. Mahamed n'agit pas autrement. Quand le roi est convaincu de l'innocence de son ancien confident, celui-ci demande comme une dernière faveur royale à pouvoir se retirer en emportant sa houlette et sa panetière, les deux objets qui lui rappellent à sa jeunesse. Lui aussi cède à la fin aux instances du roi. Plus encore que par l'intrigue, la pièce évoque en nous le Télémaque de Fénelon par certaines sentences: ‘Een koning moet voor eerst, wil hij gerust regeeren,
De wetten, die hij vind, nooit kreuken, door 't gezag,
Ten zij tot welstand van den onderdaan’Ga naar voetnoot1.
(III -3)
‘Een koning moet zich doen beminnen als een' Vader’Ga naar voetnoot2.
(idem)
‘Helaas! wie moet den droeven staat
Der vorsten niet beklaagen?
Die in huns 's leevens dageraad
Steeds bloot staan voor de laagen
Van eigenbaat en vleierij’Ga naar voetnoot3.
(III -5).
Pour Mahamed l'honneur est le plus grand bien; ce sentiment est si fort qu'il l'empêche de demander grâce (IV, 5); Ima, l'ami de Mahamed fait dans une longue tirade une comparaison entre l'ancien roi Abas et son fils, qui se laisse mener par des flatteurs, | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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au lieu de se faire guider par le bon sens, la justice et l'indépendance (IV, 5), etc. Il n'est du reste pas étonnant que Claes Bruin, l'ami de Sybrand Feitama, ait choisi un sujet qui, nous ne voulons pas dire a été emprunté au Télémaque, mais qui a certainement subi l'influence des théories de Fénelon. Aussi cette influence est-elle assez sensible. L'auteur J. Le Francq van Berkhey publia en 1768 une comédie en trois actes où il achève, pour ainsi dire, le Télémaque de l'illustre Fénelon: Het Huwelijk van Telemachus en Antiope in IthacaGa naar voetnoot1. La pièce fut écrite pour être représentée le 30 mai 1768 lors de la visite de Leurs Altesses le Prince d'Orange et sa jeune Epouse à la capitale; cependant, comme elle n'était prête que six jours avant le grand événement, elle ne pouvait pas être jouée. L'auteur obtint l'autorisation de la faire imprimer et elle parut précédée d'une dédicace aux Régents du ‘Amsterdamschen Schouwburg’ et aux habitants d'Amsterdam, ‘het Bataafsche Tyrus’. Ulysse et Pénélope sont morts; Télémaque a depuis peu succédé à son père. Minerve est encore auprès de son protégé sous la forme de Mentor, mais elle lui annonce que le moment du départ est arrivé: des nuages descendent et Minerve, après avoir rappelé à son disciple son conseil d'être bon et vertueux, monte aux cieux. Phorcas invite Télémaque à entrer au Conseil d'Etat: tout a été préparé pour recevoir le nouveau roi et on a organisé de grandes fêtes militaires pour les troupes territoriales aussi bien que pour les forces maritimes. Tout à coup paraissent des navires étrangers qui, à en juger d'après les ornements des proues, sont des vaisseaux crétois. On ne s'est pas trompé: peu après Antiope débarqueGa naar voetnoot2 (acte I). Apollon - c'est le roi Minos déguisé - fait admirer à Antiope les beautés d'Ithaque et lui annonce le projet des dieux de la marier à Télémaque. Antiope, qui croyait que le jeune héros s'était noyé en quittant Salente, ne se sent pas de bonheur. Bientôt les deux amants se rencontrent (acte II). Le troisième acte nous introduit dans le Conseil d'Etat. EumèneGa naar voetnoot3 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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décrit à Nestor, président du Conseil, la nouvelle Reine en ces termes: ‘Haar schoonheid evenaart zelfs Cypris Koninginne,
Haar vlugge en fiere tred is als een jagtgodinne.
Als zij ten tempel gaat met offerfruit belaân,
Schijnt daar de godheid zelfs voor 't reukaltaar te staan,
Haar edle ziel is vol van heusche aanminnigheden,
Zachtmoedigheid en deugd, de grondslag van haar zeden;
En 't geen gantsch Griekenland in haar voortrefflijk vind,
Is dat zij d'onderdaan gelijk zig zelfs bemind,
Haar deftig zwijgen doet haar lof veel sterker sprekenGa naar voetnoot1.
Pendant qu'Eumène va chercher Antiope et Télémaque, Nestor chante dans cinq strophes de six octosyllabes la gloire d'Ithaque et l'esprit de liberté de sa population. Aussitôt que le jeune couple est arrivé, Minerve et Apollon descendent dans un nuage et la bénédiction du mariage a lieu. Les deux divinités ne laissent pas d'ajouter de l'éclat à la solennité en faisant ressortir dans de longues allocutions les grandes qualités morales de leurs pupiles. La pièce finit par une visite au temple. Le style est celui des poètes du XVIIIe siècle: de la prose rimée. ‘Overhaasting heeft wel eens gebrek aan oplettendheid veroorzaakt, maar die is, zoo ooit, bij deze gelegenheid verschonelijk’Ga naar voetnoot2. Bien sûr, ce n'est pas une pièce d'une grande valeur artistique, mais à titre de curiosité historique, surtout par rapport au Télémaque, elle est significative. La pièce a été l'objet d'une attaque de J. Nomsz contre Le Francq van Berkhey. Deux tragédies de NomszGa naar voetnoot3 avaient été sévèrement critiquées dans les Vaderl. Letteroefeningen et Nomsz soupçonnait Van Berkhey d'être l'auteur de ces critiques peu bienveillantes. Dans sa Noodige OnderrichtingGa naar voetnoot4 et ses Bescheidene | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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AanmerkingenGa naar voetnoot1, Nomsz défend ses deux pièces et attaque en même temps l'auteur du Huwelijk van Telemachus en Antiope en lui souhaitant la magnanimité d'Idoménée, qui n'avait pas honte de reconnaître ses fautesGa naar voetnoot2. Les deux articles de Nomsz déchaînèrent une série de satires à son adresseGa naar voetnoot3. En 1741 parut une imitation sous forme épiqueGa naar voetnoot4 de la main du gentilhomme frison Willem van HarenGa naar voetnoot5. Dix-sept ans après (1758) la seconde édition vit le jourGa naar voetnoot6. Pour le moment les préfaces des deux éditions nous intéressent le plus. Les anciens chroniqueurs de la Frise racontent que, du temps d'Alexandre le Grand, un prince de l'Asie quitta le royaume de son père, s'embarqua, et arriva après un long voyage dans le pays des Alanes, qui le proclamèrent roi. Friso se sentit aussitôt heureux au milieu de ses sujets et donna son nom à son nouveau royaumeGa naar voetnoot7. Le récit n'est pas trop étrange: l'idée d'inventer une histoire pour expliquer le nom d'un pays ou l'origine d'une nation, de prendre ou de créer quelque personnage d'une naissance illustre qui pose les premiers fondements d'un état est venue à plus d'un auteur: Virgile dans son Enéide, Ronsard dans sa Franciade n'ont pas agi autrement. Des circonstances fortuites ont décidé Van Haren à écrire son poème. Pendant l'été de 1738 il se trouvait à la campagne avec quelques amis, lorsque au milieu des conversations littéraires l'un d'eux demanda s'il serait possible de composer une épopée avec les données des chroniqueurs frisons. D'abord on crut que ce travail offrirait des difficultés incalculables, insurmontables peut-être. Pourtant, après bien des hésitations, Van Haren l'entre- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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prit. Trouvant que le voyage le long des côtes de toute l'Afrique serait trop peu intéressant, il préféra faire traverser à son héros l'Asie, puis la Méditerranée, comme cela se trouve dans une des quatre chroniques, celle de FurmeriusGa naar voetnoot1. Il se peut que l'égoïsme ne fût pas tout à fait étranger au grand projet de Van Haren: très lié d'amitié avec la branche frisonne des Princes d'Orange, qui portaient eux-mêmes le nom de Friso, il a espéré peut-être profiter de cette nouvelle preuve de loyauté pour se tirer de sa fâcheuse position financièreGa naar voetnoot2. Pour en arriver là, nous devons voir dans le Friso - ce que le poète semble avoir désiré - une allusion au jeune Johan-Willem FrisoGa naar voetnoot3 qui nous revient de l'empire des morts dans la personne de Willem-Karel-Hendrik FrisoGa naar voetnoot4. Ce qui constitue une particularité dans cette épopée, c'est que l'auteur introduit la religion de Zoroastre, ‘om de heidensche godheden, tot walgens toe, in de Digtkunst ten toneele gebragt, te ontgaan’Ga naar voetnoot5. Mais l'auteur oublie à chaque instant son principe: ‘Friso, een Raja uit Hindoestan en zijn oom Teuphis aanbidden den God van Zoroaster en de laatste rekent tevens zijn afkomst van vader Bacchus; de Raja Charsis en andere Indische vorsten aanbidden Jupiter; alle hebben Grieksche namen’Ga naar voetnoot6. ‘Eigenlijk speelt het klassieke godendom veel grooter rol dan de Perziesche religie’Ga naar voetnoot7 et on ne le trouve pas spécialement dans les livres VIII et IX, dont le récit se passe sur le territoire romain, mais justement le plus dans les autres livresGa naar voetnoot8. Le Friso a été incontestablement composé sous une forte influence du Télémaque. Pour les points de rapprochement entre les deux oeuvres nous nous référons à la thèse de M. Van HaselenGa naar voetnoot9: | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Mais il y a plus de ressemblances que les seize points cités: toute la trame des deux oeuvres est la même. Van Haren, tout comme Fénelon, a utilisé son ouvrage pour y développer ses théories sur toutes sortes de questions politiques et morales, pour faire donner par ‘le sage Teuphis’ des leçons de diplomatie, de justice et de religion. Et pourtant il y a dans le Friso quelque chose qui le distingue du Télémaque: il ne s'agit pas ici d'intrigues spéciales, mais plutôt de la manière dont l'auteur tâche de tirer profit des longs voyages de son héros. On sent qu'il veut faire plus qu'instruire un jeune prince; ses observations sont plus profondes que celles de Fénelon: ‘hij is een voorganger van zijn volk op den weg naar het betere en hoogere. Jammer dat zijn dichterlijke vermogens niet meer harmonisch ontwikkeld waren. In hem leefde een krachtige edele geest, niet zonder wijsgeerige diepten en gericht op het hooge: hij had iets tot zijn volk te zeggen en zocht naar een edelen vorm voor hetgeen hem vervulde...... Zijn verbeelding was (evenwel) niet krachtig genoeg om door het verhaal van een verdichten zwerftocht te kunnen boeien; zijn menschenkennis was niet rijk genoeg voor het scheppen van karakters’Ga naar voetnoot1. M. Cherel, qui connaît le Friso par une édition française de 1785Ga naar voetnoot2, | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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y voit l'influence des Voyages de Cyrus de RamsayGa naar voetnoot1. M. Van Haselen pense à une influence du Robinson Crusoë de DefoeGa naar voetnoot2, livre qui a eu un succès sans égal dans notre pays au XVIIIe siècleGa naar voetnoot3, et quelquefois - quand il s'agit des tendances générales du livre - à celle de la Henriade de VoltaireGa naar voetnoot4. Comme nous l'avons dit, le Friso a eu deux éditions. La première (1741) est en douze livres, imprimée sur papier ordinaire et publiée sous la forme d'un modeste in-octavo sans ornement ni gravure. La seconde est un in-quarto; elle contient le portrait du poète gravé par J. Houbraken d'après une peinture de P. Dumesnil (Bruxelles, 1753). Pour le style de la première édition Van Haren a beaucoup profité des remarques et des observations de HuydecoperGa naar voetnoot5, pour la seconde édition il s'est assuré le concours de De Huybert. Van Haren a longtemps hésité avant de se résoudre à une nouvelle édition. Il avait prévu que la revision du Friso lui demanderait beaucoup de temps et ses occupations politiques étaient trop nombreuses pour qu'il pût se donner à un travail qui exigerait toute sa personne. Ajoutons le grand chagrin que lui avait causé la mort du Prince d'Orange (1751), son ami et protecteur, et nous comprendrons que le poète préférait consacrer ses loisirs à faire des poésies qui reflètent les émotions de son coeur plutôt que de penser à un travail d'une si longue durée. Une lettre de son éditeur Onder de Linden datée du 14 août 1753 semble l'avoir incité à ne pas attendre plus longtemps: il se mit à l'ouvrage, de sorte que le manuscrit de la seconde édition fut prêt en 1756Ga naar voetnoot6. Suivant le conseil de Clément, un des amis français de Van | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Haren, il a pratiqué des élagages: les livres III et IV forment un seul livre, ainsi que les livres XI et XII, si bien que la seconde édition compte dix livres. A été supprimée la descente aux enfers, que le poète remplace par un songe où Friso voit les principaux événements qui se déroulent en Frise jusqu'au moment de la mort du prince GuillaumeGa naar voetnoot1. En outre, suivant l'habitude des poètes de son temps, Van Haren a tant limé et modifié son ouvrage que le poème a subi toute une métamorphose qui ne l'a pas rendu plus beau, et même moins intéressantGa naar voetnoot2. ‘Nadat Friso in de Vaderlandsche school gevormd was, is hij vervolgens naar Parijs vertrokken. Daar hebben de Franschen zijn passen afgemeten, zijn tong besnoeid, zijn hoofd gekapt en zijn portefeuille met charades, etiquetten en portraitten volgestopt. Maar daarvoor is hij ons thuisgekomen, zooals vele Hollanders, die te Parijs hunne herschepping ontvingen, niet beter, niet gezonder, niet verstandiger. De kunst heeft bij hem de natuur verdrongen en heeft zij den Fries deze of gene lompheid afgeleerd, de vrijheid, de vlucht, de stoutheid van het gevoel eens helds is tevens in hem verstikt geworden’Ga naar voetnoot3. Van Haren a attendu trop longtemps: on peut méditer trop; l'inspiration du poète a fait place à une plus grande connaissance de la théorie de la poésieGa naar voetnoot4. Halbertsma et Beets donnent donc la préférence à la première édition. L'admiration de Beets est très grande: ‘Door rijkdom van verbeelding, volheid van gedachten, verscheidenheid van tafereel, aanschouwelijkheid van voorstelling, het doorgaans | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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grootsche van den stijl, kracht van taal, en velerlei schoonheid van detail, staat de Friso, naar mijn gevoelen, boven alles wat de achttiende eeuw in ons vaderland op het gebied der dichtkunst heeft voortgebracht’Ga naar voetnoot1. Sauf le Boekzaal, qui compare le Friso à un ‘morgenzon, die even na haar glanstijke opkomst voor een tijdlang door een donkere wolk bedekt en voor 't oog verborgen word’Ga naar voetnoot2, le poème n'a pas eu beaucoup d'admirateurs. Les Tael- en Dichtkundige BijdragenGa naar voetnoot3 trouvent que le Friso manque d'unité, que le poète n'a pas encore les qualités qu'il faut pour en treprendre un pareil travail, et que le lecteur, au cours de tout le premier livre, ne sait pas qui est Friso, qui est Agrammes, pourquoi Agrammes est si furieux. Les aristarques n'ont ni flatté ni choyé Van Haren, ils l'ont attaquéGa naar voetnoot4. Il y a beaucoup de fondement dans leurs accusations - De Clerc ajoute encore que la ressemblance avec le Télémaque est trop apparente -,mais le Friso ne mérite point le mépris dont ses contemporains l'accablaient, surtout quand on le compare à Sybrand Feitama dont les grands mérites se fondaient sur la traduction de la Henriade et surtout sur celle du TélémaqueGa naar voetnoot5. Cette opinion se rapproche beaucoup de celle du Professeur G. Kalff, qui, dans son style caractéristique, prononce ce jugement: ‘Tegenover enkele mooie brokken staat veel middelmatigs en onbeholpens’Ga naar voetnoot6. Pour nous autres, le Friso est resté une source pour connaître les théories politiques et religieuses et le degré de développement intellectuel de l'auteur: sous ce rapport la première édition est préférable à la secondeGa naar voetnoot7. Le dernier ouvrage que nous avons trouvé offrant un rapport | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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avec le Télémaque nous ramène au théâtre. En 1814Ga naar voetnoot1 Abraham-Louis Barbaz (1770-1833) publia Pygmalion, Koning van Tyrus, tragédie en cinq actes. Ainsi que l'auteur l'annonce dans sa préface, il a tiré la matière de sa tragédie du troisième et du huitième livres du Télémaque, traduit en vers par Feitama. Quelques légères modifications ont été nécessaires: l'auteur introduit un nouveau personnage, Aza, l'amie d'Astarbe, mais en général le contenu de la pièce correspond au récit tel que nous le lisons dans le Télémaque et les caractères ont été bien soutenus: Pygmalion, se méfiant de son milieu, l'ambitieuse Astarbe et Narbal, ‘de steun van Tyrus' zeegebied’Ga naar voetnoot2, dont la loyauté est inébranlable, forment avec Joazar, l'amant de la reine, et Bétis, le confident du roi, les personnages principaux. Le premier, le troisième et le quatrième actes jouent dans le palais royal, le second chez Narbal, le dernier sur une place publique située devant la maison de Narbal. A la fin du quatrième acte le décor change et nous fait voir la grande salle des fêtes de Pygmalion, où nous assistons à l'empoisonnement du roi. Le cinquième acte nous montre la mort d'Astarbe et l'avènement de Béléazar, fils du défunt tyran. Le tout est un tissu d'intrigues et de trahisons, ‘een erbarmelijk drama’Ga naar voetnoot3 entre des personnages ‘meestal redeneerend naar den aard van deszelfs onderwerp’Ga naar voetnoot4. Du reste la pièce n'est pas dépourvue d'action et quelques parties ont été gentiment menées, p.e. la scène entre Pygmalion et Joazar (III, 2), où le roi dérobe à son rival le secret de son amour pour Astarbe, et la scène suivante, dans laquelle Astarbe sauve par son attitude la vie de son amant sans trahir leur affection mutuelle. Nous ne savons pas si les pièces que nous avons nommées ont été représentées. La seule indication de représentations scéniques de pièces qui ont rapport à notre sujet, nous l'avons trouvée dans la thèse de M.J. FransenGa naar voetnoot5, indication qu'il a tirée des Merkwürdige Reisen durch Niedersachsen, Holland und Engelland de Z.-C. Uffenbach (t. III, p. 362): ‘Den 5 December (1710) gingen wir | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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abends um halb fünf Uhr in die Opera den Telemach vorstellen zu sehen...... Die beste Sänger waren Mad. Armand, so die Eucharis, Mr. Poussin, so den Telemach und Mr. Dun, so den Neptun vorstellte. Es war übrigens die Opera so schlecht, dass wir froh waren, als sie aus war’. M. Fransen fait observer que ‘c'était sans doute le Télémaque, opéra, représenté pour la première fois le 11 novembre 1704; texte de Dauchet, musique de Campra’Ga naar voetnoot1. |
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