Mijn leven
(1877)–Mina Kruseman– Auteursrechtvrij
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Paris! Oui, 15 Fevrier! Et encore je me trouve à Paris! Au lieu d'être à Rome où le carnaval se passera bien sans moi! Figurez vous qu'en arrivant ici je prends une voiture et je me fais conduire directement à mon petit hôtel, où je descends toujours. Plus d'hôtel à voir! La maison était fermée et les gens partis ‘depuis longtemps!’ - ‘Bon, cherchons un autre hôtel alors!’ - Quelques maisons plus loin, dans la même rue, j'en trouvai un et j'y pris une chambre. Cela fait, je me mis en route pour mon restaurant, passage Choiseuil. Plus de restaurant! La maison était à louer et les gens ‘partis’ depuis six mois! - Par désespoír pur, j'allai diner dans un magnifique restaurant au Palais Royal et puis je me rendis à la Gaîeté pour voir une féerie superbe! Donc, malgré toutes mes déceptions, ma journée finit assez joyeusement. Le lendemain matin je me mis en route pour Monsieur ***. Le pauvre article de *** n'avait pas de chance non plus; on me le rendit partout et le tout-puissant Figaro osa même me demander 500 francs pour le placer! C'était trop fort! - Je remis le journal en poche, et je me préparai à partir, quand le sécrétaire me dit: ‘Attendez un peu Madame, il y a ici un Monsieur qui pourrait peut-être vous indiquer un journal, qui ferait votre affaire.’ Un Mr. noir (vous diriez: ‘un beau noir’) me demanda mon nom, lut l'article et puis me dit: ‘Je veux bien tacher d'avoir votre article inserré dans un journal qui ne s'occupe que d'art exclusivement, mais il me faut du temps pour cela; quand partez-vous?’ ‘Demain matin à onze heures, voici mon billet de chemin de fer, pour Rome.’ ‘Ah! Voilà! Ça ne sera pas possible alors, car il faut bien que j'aie le temps de parler au Rectacteur, et puis....’ ‘Est-ce que moi je ne puis pas aller lui parler? - Quel est son nom? Où demeure-t-il? Où puis-je le trouver? J'irai le voir tout de suite.’ ‘Oui, mais c'est six heures sonnées et je ne sais pas oú il dîne.’ ‘Ça n'y fait rien, donnez-moi toujours son adresse, si je ne le trouve pas maintenant, j'irai le voir demain encore, avant mon départ, et je le trouverai peut-être.’ ‘Mais.... c'est qu'il vit en garçon, mon ami.’ ‘Eh! Que m'importe comment il vit! Pourvu que je le voye, et qu'il place mon article c'est tout!’ Le beau noir se mit à rire et me donna l'adresse d'Arsène Houssaye, le même Arsène Houssaye qui fit enrager Madame C. un jour, en lui déclarant qu'un homme savait aimer deux femmes à la fois. S'il m'avait dit vingt, je l'aurais cru encore! Enfin, | |
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je me rendis tout de suite á l'adresse indiquèe, mais Monsieur était sorti. Je remis ma carte à la portière et j'écris sur l'autre côté à peu près ceci: ‘Je regrette infiniment de ne pas vous avoir trouvé chez vous. (égoisme tout pur!) Je pars demain pour Rome, mais je reviendrai à 9½ demain matin, dans l'espoir d'avoir plus de chance que ce soir.’ Le lendemain j'étais reçue dans un salon, tellement, tellement et tellement riche et beau, c'était un vrai musée de peinture et de sculpture! Après avoir antichambré quelques minutes, Monsieur fit son entrée en Garibaldi (flanelle rouge) et pantalon gris foncé. C'était un homme de ma taille à peu près, laid, gris de cheveux et de barbe, mais agréable dans la conversation. Il prit l'article, le lut, et, sans difficulté aucune il me promit de le placer dans son journal, le plus grand de la France. Enfin, j'avais une chance, après tant de déceptions! Après l'avoir remercié, j'étais prête à partir, quand il me demanda pourquoi j'allais courir en Italie? ‘Je veux voir l'Italie, et puis je veux passer le carnaval à Rome.’ ‘Le carnaval à Rome! Mais il n'y a plus de carnaval à Rome du tout! C'est ici, à Paris, qu'il faut voir le carnaval, c'est ici le vrai foyer des fêtes; tout ce qu'il y a de beau, tout ce qu'il y a de riche et de distingué au monde se réunit à Paris dans ce moment ci. Vraiment, je vous déconseillerais d'aller vous morfondre à Rome dans cette saison de pluie, vous vous y ennuyeriez à mourir, tandis qu'ici....’ ‘Oui, mais je ne connais pas une âme ici, tandis qu'à Rome je serai reçue partout, grâce aux lettres d'introduction qu'on m'a données.’ ‘Mais moi je vous introduirai chez qui vous voudrez; je connais tout Paris, et je vous procurerai des invitations pour toutes les fêtes..... tenez en voici une pour un bal costumé qui aura lieu au Grand Hôtel, demain, allez y, vous y verrez tout le beau-monde de Paris, les artistes, les beaux esprits, les hommes de lettres, tous enfin’. ‘La tentation est grande.’ ‘Mais oui, renoncez donc à Rome pour le moment, ce n'est pas la saison d'aller en Italie; restez un mois ou deux ici, puis, après cela, allez voir l'Italie.’ ‘Je suis capable de rester, ne fût-ce que pour cette invitation-là!’ ‘Donnez-moi votre adresse, je vous en enverrai encore; òu êtes-vous descendue?’ ‘Voilà!’ - Je lui montrai ma vigilante, chargée de mon bagage! ‘Comment?..... C'est là votre hôtel?’ ‘Mais oui, je suis en route pour le chemin de fer, le convoi part à 11 heures.’ | |
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‘Ah, c'est charmant!’ ‘Voici l'adresse de l'hôtel que je viens de quitter, si vous avez quelque chose à me dire, c'est là que vous pourrez apprendre ou je serai allée.’ Ainsi dit, ainsi fait! Au lieu de partir, je me suis louée une très jolie chambre Rue Le Péletier et j'ai parcouru tout Paris pour trouver du satin assorti avec une de mes robes, pour en faire une capeline, formant domino; malheureusement je n'ai pu trouver que du rose, ce qui était assez voyant; le vert ou le gris m'aurait mieux plu, mais enfin, puisque j'avais du rose, j'ai pris du rose et je l'ai garni de signe et de blonde espagnole, de sorte que j'avais le plus joli domino du bal. Mais quel bal!!!!! J'aurais donné cent sous pour vous y voir! Franchement, j'ai été honteuse de mon sexe tout le temps que j'y ai été! Des femmes décolletées et nues, non, mais plus que nues je dirais presque! Décolletées au point que l'une dit à l'autre: ‘Mais tu vois bien qu'il m'est impossible de danser avec cette robe ci, elle ne tient pas!......’ Et c'était bien vrai qu'elle ne tenait pas! Elle tenait si peu, que la belle dame ne pouvait pas même se baisser pour ramasser son éventail qui glissait de ses genoux! Enfin, tel le haut, tel le bas! Il y en avaient dont la jupe commençait à la hanche et ffnissait la! Des jambes, des bras et le reste! C'était bien plus indécent que la féerie ou l'opéra bouffe, qu'on voit de loin seulement! Comme j'étais heureuse d'être emballée dans mon mantelet rose à capuchon, et d'avoir une taille montante encore dessous! - Pourtant, il ne faut pas croire que je n'aurais pas pu soutenir la lutte avec toutes ces belles dames à étalage, je crois même que je serais sortie triomphante du concours, car comme figures il n'y en avaient, que deux ou trois de jolie, les autres étaient laides, ou bien ridées, fanées, arrangées et affectées au possible! De vieilles coquettes à perruques, bien fardées, qui voulaient jouer les jeunes, enfin, c'était honteux et comique tout à la fois, et je n'ai pas pu m'empêcher de rire de tant de misère! Et puis les gestes, les grimaces, les avances qu'elles faisaient aux hommes..... les hommes avaient l'air noble à côté de tant de bassesse! C'est fort, moi parler de la noblesse des hommes! C'est Paris qui me l'apprend. La seule chose que j'ai trouvée admirable de presque toutes ces femmes c'est le pied, quels charmants petits pieds j'ai vus! Et des bottines en toutes couleurs à mettre dans une étagère! .........................
Mina Krüseman. |
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