Mijn leven
(1877)–Mina Kruseman– AuteursrechtvrijMadame C.
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de lire les journaux ces jours là, et j'ignorais toute la boutique. Par malheur je vais voir Jeanne un après midi que je n'avais rien à faire, et je trouve toute la famille H. prête à sortir. ‘Allez avec nous’, me dit Madame, ‘vous verrez quelque chose qui vous amusera.’ ......................... C'était dans la salle de X X que la charité se pratiquait. En y entrant nous ne voyions personne qu'une dame, Mlle v.R. une assez jolie personne, très affable, un peu coquette et excellente pianiste, qui venait nous prier de payer quelques centimes d'entreé. Puis, un peu plus loin, dans la salle, les stalles étaient placées. La première gardée par une très belle jeune femme, madame F. la femme d'un avocat, simple et gaie, s'ennuyant horriblement et l'avouant franchement. La seconde tenue par trois soeurs qui brillaient par leur absence. La troisième n'appartenant à personne comme la quatrième et la cinquième. Et la sixième et septiéme (petits magasins de patisseries) gardées par deux demoiselles hollandaises très gentilles. Voilà tout. Non, pas tout cependant, car il y avait encore une espèce de boutique ambulante, une certaine baronne *** qui, charitable par excellence, avait absolument voulu être marchande de fleurs et qui parcourait en vrai fantôme de cauchemar, cette grande salle déserte, de l'air le plus prétentieux du monde, un grand panier de fleurs à la main, vous rencontrant toujours et partout, vous devançant, vous poursuivant, vous surveillant, comme si elle existait par une édition de cent exemplaires, de peur qu'on l'oublirait ou seulement qu'on ne la verrait pas. Naturellement nous oubliyons la bouquetière pour les patissières, en leur achetant quelques pâtés nous nous mettions à causer avec elles et à nous amuser on ne peut plus de leurs remarques naïves et spirituelles, qui parfois nous faisaient rire aux éclats. Madame *** ne nous quittait pas des yeux, une fois même je sentais des regards faux bruler avec tant de méchanceté sur moi, que je me levai bien vite pour lui acheter un petit bouquet. Alors elle devenait tout d'un coup, d'une affabilité si grande que je me méfiais tout à fait d'elle; et de peur que le discours ne tombat sur l'un ou l'autre sujet qui pourrait m'intéresser de plus près, je lui demandai quelle était la jeune fille qui distribuait les billets d'entrée. Elle baissait les yeux sur ses fleurs et répondit comme sans y penser: ‘Je ne sais pas,... toujours ce n'est pas grand' chose... Quelle jolie rose, n'est ce pas?’ - poursuivit elle, comme si elle n'avait pas songé à autre chose qu'à ses fleurs. Mais moi qui connaissais la jeune personne de vue et qui n'avais jamais entendu du mal d'elle, je sentais que c'était encore là une de ces détestables méchancetés, comme les femmes seules savent en dire, et j'insistais pour savoir le nom de la jeune fille qui, ne se doutant de rien, venait en riant lui acheter un de ses petits bouquets. Ma- | |
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dame *** était (je dirais presque naturellement) aimable au possible. En attendant, moi je parlais avec Madame de Crombrugghe, qui m'invitait pour venir jouer ou chanter à son dernier concert de la Crèche. Je refusai d'y jouer, parceque les pianos y sont si excessivement mauvais, mais je promis d'y chanter le surlendemain. Madame *** avait fait semblant de ne pas nous écouter, et me dit qu'elle avait besoin d'une jeune personne pour tenir une des stalles qui n'avait pas encore de vendeuse. Moi, je ne répondis pas. ‘Est-ce que vous ne voulez pas nous faire le plaisir de tenir cette stalle? - Le soir c'est si amusant! Et puis c'est une oeuvre de charité, et comme vous avez prêté votre concours avec tant de complaisance.....’ ‘Oh Ciel, non!’ m'écriai-je, au milieu de sa complaisance, et oubliant toute prudence, nécessaire vis-à-vis d'un serpent comme elle: ‘Je vous remercie bien! Moi, tenir boutique! ah, non, jamais!’ lui dis-je. Elle ne fit que baisser les yeux, et partit avec un sourire. En revenant à la maison, je racontais à table les petites rencontres que j'avais eues. Delphine et Jenny trouvaient que je n'avais pas agi diplomatiquement du tout avec une femme aussi dangéreuse que Madame *** et Papa disait qu'au moins j'aurais pu être un peu plus polie. Je sentais que tout le monde avait raison encore une fois, et moi aussi j'avais raison de vouloir me sauver de toute cette charité, die je naar de pieten helpt! Mais que faire maintenant? Tout le monde avait un conseil à donner, une proposition à faire, et après tous les débats imaginables il fut décidé que j'irais le lendemain de bonne heure à la salle de vente pour offrir mes services, si l'on pouvait avoir besoin de moi. C'était une réconciliation avec mon ennemie de quelques heures, qui devait bien me faire pardonner, à peu près, ma vivacité d'hier. Je le pensais. Il n'en fut rien. En entrant dans la salle de vente je n'y voyais qu'une dame d'un certain âge, qui arrangeait et nettoyait quelques objets qu'on venait d'apporter. Je lui demandai pourquoi l'on avait transporté les stalles dans une autre salle que celle ou je les avais vues le jour avant, et pourquoi aucune des dames vendeuses n'était encore venue, quoiqu'il fût onze heures passées. ‘C'est parceque nous aurons le Concert de Monsieur B. et de Madame L. ce soir et que les stalles ne pouvaient pas rester dans la salle de Concert alors. Mais est-ce que vous auriez désiré parler à une des dames de la vente peut-être?’ me demanda-t-elle très poliment. Je lui racontais la proposition que Madame *** m'avait faite, la manière dont je lui avais répondu et la raison pourquoi j'étais venue. Elle me priait de revenir dans deux heures, si je voulais parler | |
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à Mme ***, et voulait bien se charger d'une commission pour elle, si je demeurais trop loin pour faire encore une fois cette course. Je lui promis de revenir. Deux heures après j'y étais encore avant les autres dames, mais en revanche je rencontrais en has de l'escalier Madame la Marquise * directrice, protectrice, inventeuse de toute cette boutique. Je fis semblant de ne pas la connaître et l'accostai tout simplement avec la question: ‘Etes-vous aussi une des dames de la direction, Madame?’ Ga naar voetnoot1‘Oui Mad. Est-ce que je puis vous être utile en quelque chose? C'est vous peut-être qui avez fait retenir une stalle?’ ‘Moi? Non Madame. Hier Madame *** m'en a offerte une, et aujourd'hui je suis venue pour lui dire que je veux bien m'en charger, si l'on n'a pas encore trouvé une autre vendeuse.’ ‘Ah! Attendez Mademoiselle, je vous dirai quelque chose, aujourd'hui il n'y aura pas de vente, à cause du concert de ce soir, ni demain non plus, mais lundi, et toute la semaine prochaine nous accepterons votre concours avec reconnaissance. En attendant vous pouvez monter, si vous voulez, car je crois que Madame *** se trouve en haut.’ Je montais, Madame *** n'y était pas encore. Un quart d'heure après, elle arrivait, les joues en feu, les yeux étincelants de fausseté. Elle venait d'entrer avec son eternel panier de fleurs à la main, en parlant à une personne dans le corridor que je ne pouvais pas voir: ‘Reprenez tout cela, je ne puis pas surveiller une si grande quantité de fleurs, ici surtout, òu l'on n'est sûre de rien!’ Elle avait passée et repassée trois fois devant moi en affectant de ne pas me voir. Je l'arretais tout court par le bras et lui demandais pourquoi elle courait si desesperée avec son immense panier de fleurs?’ ‘Parce qu'on vole ici!’ repondit-elle, en reprenant sa course frénétique. ‘Vous dites?’ ‘Je dis qu'on vole ici, et c'est Mademoiselle v.R. qui vole.’ ‘Mlle v.R. vole? Allons donc! Et qu'est ce qu'elle volerait ici?’ ‘Ce qu'elle volerait ici? Pour commencer elle m'a volé de petits bouquets qu'elle a vendus aux jeunes gens, à un prix exhorbitant, sans me remettre l'argent, qui cependant me revenait de droit!’ J'y étais alors. Mlle v.R., plus jolie que la baronne serpentine, avait vendu l'un après l'autre tous les petits bouquets qu'elle portait au corsage, et on lui avait payé cher les belles fleurs qu'elle avait portées; tandis que Madame *** avait gardé son panier aussi plain de bouquets et sa bourse aussi vide d'argent | |
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qu'avant la vente. - Enfin, ses fleurs etaient cachées sous une table, et si bien cachées qu'elle avait de la peine à les retrouver elle-même. Rouge de colère, elle se mettait devant une glace, pour arranger les brides de son chapeau, qu'elle avait énormément froisées en maltraitant l'amie absente. Encore une fois je m'approchais d'elle, pour lui dire pourquoi je me trouvais là, et pour la première fois elle ne faisait pas semblant de me parler sans me voir. ‘Vous venez maintenant pour tenir une stalle?’ me demanda-t-elle d'un son aussi méchant que possible. ‘Je vous suis bien reconnaissante de votre bonté, mais c'est trop tard. Ce soir nous aurons un concert pour les pauvres où se feront entendre de grands artistes. La Duchesse de Braband honorera cette oeuvre bienfaisante de sa présence et visitera notre bazar. Vous comprenez que nous pouvons avoir pour ce soir autant de vendeuses que nous voudrons. Et Madame la marquise * dit qu'elle ne veut plus accepter de nouvelles dames, qui ne s'offriraient pourtant que pour assister au concert, ce qui serait une grande indélicatesse de leur part.’ ‘Vous vous trompez, Madame’, lui répondis-je aussi calme que possible, ‘aucune des dames vendeuses n'assistera au concert, puisque la salle de vente sera fermée tantôt pour ne plus s'ouvrir qu'une heure après la fin du concert. Et Madame la Duchesse de Braband ne visitera pas votre bazar.’ ‘Qu'en savez-vous? Vous!’ me dit-elle, en me jetant un regard furieux et inquiet à la fois. ‘Moi? Oh, moi je n'en sais rien! C'est Mme la Marquise qui me l'a dit toute à l'heure.’ ‘La Marquise *? Vous avez parlé à la Marquise? Et c'est elle qui vous aurait dit pareille chose?’ ‘Elle même, Madame.’ Mlle v.R. entrait alors; Madame ***, enchantée de la voir, courut à elle, lui tendant les bras, lui pressant les mains, lui disant mille choses affectueuses. C'était la voleuse d'hier soir qu'elle acceuillait ainsi! Un Monsieur long et maigre, noir, entre deux âges, entrait d'un pas calme et systématique, par une porte qui n'avait pas encore été ouverte; deux ouvriers le suivaient. ‘Mesdames,’ dit il, de l'air le plus respectueux du monde, ‘vous permettez que je ferme les portes qui correspondent avec la salle au concert.’ - Et tournant la clef de celle par laquelle il venait d'entrer, il fit signe aux ouvriers de prendre soin de l'autre, qui ne pouvait pas être fermée à clef. Les ouvriers, sans dire un mot, prirent un piano et en barricadèrent la porte. La plupart des dames restait muette d'étonnement, et moi je jouissais de la fureur de Madame *** qui ne savait pas trouver de mots pour exhaler sa rage. Après quelques essais inutiles, elle | |
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reprit enfin un peu de sangfroid: ‘Que signifie tout ceci, Monsieur?’ demanda-t-elle, en montrant les ouvriers, qui allaient se retirer. ‘J'espère qu'on ne nous enfermera pas ici? Pourquoi retirez-vous la clef de cette porte?’ ‘Pour vous la remettre, Madame. Vous êtes une des dames protectrices de cette oeuvre charitable, n'est-ce pas?’ ‘Oui Monsieur,’ repondit elle stupéfaite. ‘Alors, me permettez-vous d'avoir l'honneur de vous remettre cette clef? Je vous la confie, et vous veillerez à ce que personne n'entrera dans l'autre salle pendant la durée du concert.’ ‘Mais Monsieur! Moi, veiller à ce que personne n'entrera dans la salle du concert? Moi, veiller à ce que cette porte restera fermée ce soir? Et notre vente donc? Et nos pauvres?’ Elle aurait dû ajouter: ‘Et nos toilettes?’ Le Monsieur haussa les épaules. ‘Vous comprenez Madame’ dit-il avec le plus grand calme - ‘vous comprenez que la société, qui a loué la salle du concert, pour ce soir a le droit de la fermer. Mais comme nous voulons faire toutes les concessions possibles, nous mettrons la salle à votre disposition une heure après le concert, si cela peut vous être agréable.’ ‘Une heure après le concert! Mais la Duchesse sera partie alors! C'est trop tard!’ ‘Mais Madame la Duchesse n'a pas d'autre intention que de venir au concert.’ ‘Bien, mais quand elle sera au concert, nous l'inviterons à venir voir notre bazar!’ ‘Impossible Madame! On ne peut pas forcer la Duchesse de Braband à prendre part à une oeuvre de charité, fût elle aussi charmante que la vôtre, D'ailleurs la Duchesse est habituée aux étiquettes de la cour, elle n'aime pas les surprises.’ ‘Mais moi, je les aime bien!’ ‘Comme votre bazar est gentil! Comme tout est arrangé avec un gout parfait! Vous permettez, Madame?’ ajouta-t-il, en prenant au hazard un livre sur une table, près de lui. ‘Personne autant que moi n'approuve les différentes oeuvres de charité, qui honorent notre pays; cependant il faut en convenir, que dans les derniers temps, on a un peu abusé de la charité publique. A qui puis-je avoir l'honneur de remettre l'argent?’ ‘A moi Monsieur!’ cria-t-elle en tendant la main; puis, fouillant sous la table elle revint avec quelques fleurs. ‘Un petit bouquet, Monsieur?’ ‘Volontiers, Madame.’ ’Trois francs pour le livre, un franc pour les petits bouquets. Mais, Monsieur, est ce que nous autres dames de la vente, nous ne pouvons donc pas vendre quelques petits objets dans votre salle, pendant le concert?’ ‘Il me fâche bien de devoir vous refuser ce petit plaisir, mais | |
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nous ne vous avons loué la salle de concert que jusqu'à samedi soir, pour vous la louer encore à commencer de dimanche matin. Une autre société l'a retenue pour ce soir et nous vous avons accordé cette table ci, pour y mettre vos stalles, afin que vous n'eussiez pas la peine de déménager deux fois avec toutes ces jolies choses, qui sans doute en auraient beaucoup souffert. Mais, si vous aviez voulu continuer la vente au lieu d'interrompre un soir, vous auriez pu garder la salle, et le concert se serait donné autre part. Naturellement, nous aurions tout fait pour vous être agréable autant que possible.’ Mme *** ne repondit pas, elle baissait les yeux; puis elle reprit du ton le plus aimable qu'elle pouvait contrefaire de l'une ou l'autre personne bonne et caressante, qu'elle avait entendue Dieu sait où: ‘Mais Monsieur, si vous vouliez seulement permettre qu'on vendît des fleurs ce soir?.. Vous me feriez un si grand plaisir... Vous...’ ‘Impossible, Madame; moi je ne fais qu' exécuter les ordres que je viens de recevoir et si je suis obligé de vous contrarier en quelque chose, croyez bien, Madame, que cela me chagrine autant que vous.’ Là dessus il prit son chapeau, fit un profond salut et disparut. Alors commença une discussion orageuse; une vraie discussion de femme, où tout le monde avait quelque chose à dire et où personne ne fit attention à ce que les autres disaient! Moi j'étais simple spectatrice, et ce role me plut infiniment, dans ce chaos d'intrigues dans lequel je commençais à voir clair un petit peu. Je comprenais enfin que les dames charitablesGa naar voetnoot1 avaient voulu assister sans payer à un concert de bienfaisance, pour éblouir cette autre société philantropique et s'aproprier les premiers roles sur ce théatre étranger. Je comprenais aussi que Madame ***, qui se donnait de si grands airs, n'avait rien à dire et dépendait tout à fait de la Marquise X, la seule directrice. Sans rien dire sur ce que je venais d'entendre, je m'apprettais pour partir, mais quand je pris congé de Mme *** elle me retint et me fit une harangue d'une bonne demie heure, pour me convaincre de la méchanceté et de l'impolitesse des directeurs du concert, des difficultés qu'on avait à vaincre pour faire un peu de bien aux pauvres, qui avaient toujours à souffrir de l'orgueil et de la vanité des hommes, et enfin des jalousies des femmes qui s'enviaient tout, même les bienfaits qu'on était obligé de faire en commun. Pour cette fois ci, je lui donnai parfaitement raison, ce qui l'exaspérait encore davantage. ‘Et pourquoi donc, pourquoi donc ces éternelles jalousies?’ | |
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s'écria-t-elle, les bras en l'air; ‘pourquoi ces contrariétés, ces envies, ces petites méchancetés sans fin?’ ‘Oui, n'est ce pas, pourquoi ces vraies méchancetés de femme, qui naissent d'un rien et n'aboutissent à rien de bon! Oh! Je n'en sais rien, moi, qui ne suis pas charitable, du tout; mais si je l'étais comme vous l'êtes toutes, je crois que je voudrais avoir à commander ou à obéir seulement, et non pas à commander et à obéir á la fois; c'est un role double, il serait trop compliqué pour moi.’ Sa bouche riait, mais ses yeux me jetaient un regard diabolique! Je faisais semblant de ne pas m'en apercevoir et je continuais de l'air le plus stupide du monde: ‘Cependant vous pouvez disposer de moi. Si Madame la Marquise a besoin d'une vendeuse, et qu'elle ne pourra pas trouver une autre personne pour remplir cette fonction honorable, je m'en chargerai.’ Le lendemain c'était le jour que je devais chanter à la Crêche. Madame *** m'avait dit qu'il lui était impossible d'assister à cette soirée, à cause de je ne sais quoi. Cependant, en entrant dans la salle, la première personne que nous voyons c'est elle. Elle faisait semblant de ne pas nous voir, passait et repassait devant nous, causait avec des personnes assises à coté et derrière nous, saluait tout le monde excepté nous et se mettait enfin juste devant nous, son genoux touchant le mien. Je la laissais faire jusqu' à ce que je la voyais installée pour toute la soirée, alors je lui touchais sans façons le bras, en lui disant: ‘Eh bien, Baronne, ça va bien, depuis que j'ai eu le plaisir de vous voir?’ ‘Ah! c'est vous? Pardon, je ne vous avais pas reconnue si vite, etc.’ Mais moi, j'avais bien reconnu le regard faux d'hier matin. Au moins c'était la une ennemie qui ne se cachait pas, et elle me plut mieux comme cela, que comme je l'avais vue bras dessus bras dessous avec Mlle V.R. qu'elle avait appelée: ‘pas grand'chose’ - et ‘voleuse’ - quand elle n'était pas là. Enfin, mon tour venait de chanter, et je chantais comme j'y avais déja chanté une couple de fois, sans penser le moins du monde à avoir peur. Je commençais, je continuais et je finissais, on m'applaudissait, comme on applaudit tout le monde, et je revenais à ma place, c'était tout. Mais voilà Mme *** qui se leve, qui me presse les mains, m'accable de compliments et me jette un regard impossible. Il y a une espèce de serpent aux Indes, qu'on ne peut pas toucher sans recevoir un choc électrique. Elle me fit l'effet d'un tel serpent, et je me sauvai de ce contact désagréable. Une heure après peut-être, je devais chanter pour la seconde fois. Naturellement je commencais avec le plus grand calme, mais a peine avais-je chanté quelques mesures, que je sentais bruler quelque chose sur moi, qui me gênait horriblement. Deux, trois fois je secouais malgré moi la tête, pour m'en dé | |
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barrasser. Peine inutile! Enfin j'ai l'imprudence de regarder autour de moi pour voir ce que c'est, et voilà que je rencontre les grands yeux noirs de Mme ***, qui me fixaient avec une telle expression de haine et de méchanceté, que j'en perdis la tête.Ga naar voetnoot1 Je ne voyais plus rien, je ne sentais plus rien, je ne savais plus rien. Je chantais toujours, mais sans en avoir conscience, et la seule chose que je me rappelais après, c'est que j'avais tremblée et que j'avais roulé mon morceau de musique pour que le public ne s'en appercevrait pas. Et mon but, je l'ai atteint, car mes soeurs m'ont dit après, que j'avais chanté comme une personne à moitié endormie, et hesité comme une personne qui n'était pas sûre de ses intonations; cependant, elles n'avaient pas eu la moindre idée que j'avais eu peur et ne s'étaient pas aperçu du tout de ce que j'avais tremblée. Voilà maintenant le courage d'une personne qui n'a jamais eu peur de rien, moi qui ne reculais devant acune difficulté, qui brisais tout obstacle, qui riais de toute méchanceté, me voilà maintenant une grande poltronne devant une paire d'yeux un peu plus fausse que celles qu'on rencontre d'ordinaire dans la vie! Oh! C'était une véritable surprise pour moi et je vous assure que mon premier mouvement fut d'être furieuse contre moi-même! Puis, quand j'y pensais avec un peu plus de calme, je me félicitais de tout coeur de ce petit accident inattendu. La même chose aurait pu m'arriver plus tard, et Dieu sait où, et cela aurait pu me causer un chagrin réel, maintenant c'était dans un concert d'amateurs et devant un public sans opinion pour ainsi dire, ce n'était donc rien qu' une petite déception, qui sera une bonne leçon pour l'avenir et me mettra en garde contre une poltronnerie, dont je ne me serais jamais cru capable sans les méchants regards d'une femme que je déteste. .........................
Mina. |
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