Mijn leven
(1877)–Mina Kruseman– Auteursrechtvrij
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pas dire l'un, quand on ne peut pas dire l'autre; mais je ne puis pas vous croire aussi dépendant de qui que ce soit, pour supposer que vous auriez besoin des débats des professeurs pour décider d'une réponse qui, à mon idée, ne dépend que de vous seul. Quelques jours avant votre départ pour Paris, j'ai taché de vous parler. Vous ne pouviez pas me recevoir; je vous ai écrit, vous ne m'avez pas repondu; j'ai prié Mr. Hals de vous parler pour moi, personne ne m'a plus rien dit depuis. Ce matin j'ai essayé encore une fois de vous parler et on m'a dit que vous ne receviez pas, que vous aviez du monde, et que vous étiez malade et sorti à la fois. Enfin, je tâcherai de tout croire, les petits détails n'y font rien. - Seulement, je ne comprends pas pourquoi vous ne voulez pas me donner une réponse décissive. J'ai demandé à entrer dans une autre classe de chant. Est ce que ma demande n'est pas raisonnable? Je vous ai dit pourtant que je n'ai presque rien appris dans celle que j'ai quittée, et vous avez pu juger vous-même de la véritè de mes paroles le jour de l'examen, quand Mr. Cornélis a fait poser les sons et chanter de pauvres gammes, par des élèves qui avaient été une et deux années dans sa classe. Il faut avouer qu'on a raison de s'inquiéter un peu de sa carrière d'artiste, lorsqu'elle commence ainsi! Il est vrai qu'après ce temps d'attente on fait des progrès, des progrès rapides même, mais le triomphe n'en est pas moins triste, car bien souvent on perd sa voix en remportant son premier prix! Vous me pardonnerez j'espère, de ne pas aimer ces excès, mais j'ai peur de cinq ou six années d'étude et j'ai peur aussi d'une voix brisée. Vous concevez bien, Monsieur le Directeur, que ce n'est pas moins pour les autres élèves de la classe que pour moi-même, que je vous ai parlé de l'injustice de Mr. Cornélis, car une de mes années d'attente était passée, donc, si j'avais voulu agir dans mon intérêt seul, j'aurais pu trouver des moyens plus faciles et plus surs de parvenir. J'aurais pu parler à Mr. Cornélis et non pas à vous, et j'en suis convaincue, que j'aurais fait des progrès aux dépens des autres, comme les autres en ont faits à mes dépens. Mais je déteste les intrigues et, comme je me regardais comme la plus indèpendante de la classe, je l'ai cru de mon devoir, de me charger d'une tâche, qui ne pouvait que nuire à celle qui la remplirait. Il y a beaucoup de jeunes personnes au Conservatoire qui sont pauvres, qui seraient malheureuses si elles se voyaient obligé de quitter le Conservatoire, car elles perdraient leur gagne-pain, elles briseraient leur avenir. Elles ont raison de souffrir et de se taire. Quant à moi, c'est différent. Je ne suis pas riche non plus, mais mon avenir ne dépend pas des bonnes grâces d'un professeur. | |
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Vous pouvez me faire entrer dans la classe de Mr. Goossens, et vous me ferez un grand plaisir, vous m'obligerez infiniment. Vous pouvez me refuser ma prière et je ne vous importunerai plus. Je suivrai l'exemple de Mme la Marquise C. et en vous remerciant du fond du coeur, pour les bontés que vous avez eues pour nous, je me verrai obligée de vous dire, au nom de ma soeur, comme au mien, qu'avec l'autorisation de mon Père, nous nous sommes décidées, à commencer de cette année-ci, de ne plus profiter des leçons du Conservatoire. Seulement, retourner dans la classe que je viens de quitter, jamais! Je comprends fort bien, Monsieur le Directeur, que ce n'est pas vous qui cherchez à me contrarier, car cela ne saurait être un plaisir pour vous. Ce n'est pas Monsieur Goossens non plus, car il ne me connaît pas, peut-être ne sait-il pas même que j'existe. Ainsi, qui est-ce qui me reste encore? Monsieur Cornélis - Oui, je comprends que Mr. Cornélis ne me pardonnera pas facilement d'avoir autrement agi que ses autres élèves, qui restent, ou qui quittent le Conservatoire sans rien dire. Je comprends aussi qu'il pourrait avoir une certaine satisfaction à m'obliger de retourner dans sa classe. Mais je n'accepte pas le pouvoir d'un professeur sur une élève qui n'est pas la sienne, et je ne me soumets pas à la volonté d'un professeur qui n'est plus le mien. Le temps que j'ai été dans sa classe, je me suis conduite en élève et j'ai obéi en silence. Maintenant que je n'y suis plus, je m'applaudis de mon impatience, et fuyant le sort de Mlle Antonissen, qui attend depuis deux ans déjà, j'espère avoir fini ma vie d'auditeur, et commencer ou quitter celle d'artiste. Il me fâche d'avoir été obligée de rompre un silence qui peut-être aurait pu m'être favorable encore, mais l'incertitude me chagrine et le temps se perd en attendant. Ainsi je vous prie, Monsieur le Directeur, de vouloir bien avoir la bonté de donner un seul mot de réponse, avant dimanche prochain, soit à Monsieur HalsGa naar voetnoot1, soit à moi, car si avant lundi je n'aurai pas encore de réponse de vous, je regarderai votre silence comme un refus, et nous vous prions d'accepter nos remerciments les plus sincères pour toutes les bontés que vous avez eues, l'année passée, pour nous. Toutefois j'emporterai la conviction d'avoir été utile à plusieurs de mes compagnes de classe, et j'aurai la consolation d'apprendre un jour, j'espère, qu'il y aura moins d'auditeurs et plus d'élèves dans la classe de Monsieur Cornélis. Agréez, Monsieur le Directeur, etc. etc.
Mina Krüseman. |
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