Prose et vers
(1838)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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Mrs. Trollope et M. Victor HugoGa naar voetnoot*)... nought I did in hate, but all in honour. | |
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Je ne prétends pas défendre M. Victor Hugo, mais il est évident que la mauvaise foi dirige la plume acariâtre de Mrs. Trollope dans le chapitre qu'elle lui consacre dans son livre sur Paris et les Parisiens. D'abord elle se laisse guider par des oui-dire. ‘Je viens d'entendre,’ ce sont ses premiers mots. Maintefois il lui est arrivé de demander ce que l'on pensait de telle ou de telle des pièces de M. Hugo, et la réponse qu'on lui a faite a toujours été: - Je vous assure que je n'en sais rien; je ne l'ai jamais vu jouer. Pauvres gens auxquelles elle s'est adressée, qui n'avaient jamais assisté à une seule des 53 représentations d'Hernani qu'on va reprendre! Ensuite ‘une personne lui a dit un jour... -’ ‘Le roman de Notre-Dame de Paris est toujours cité comme le meilleur ouvrage de Victor Hugo, mais dans des cercles elle l'a entendu tourner ridicule;’ etc. Puis elle n'examine que la partie la plus faible, la plus exigue, des productions de M. Victor Hugo. N'osant les attaquer du côté de l'art, elle fond sur elles du côté de la morale. Elle applique en passant un soufflet sacri- | |
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lège sur la joue de Notre-Dame de Paris et se jette après cela sur les drames, et de préférence sur le Roi s'amuse qu'elle a pris particulièrement en grippe et qu'elle persiffle à outrance; - prenez garde, Mrs. Trollope, le persifflage est une arme bien déloyale quand on juge un auteur sérieux! - mais en même temps elle glisse sur ‘quelques pièces lyriques, quelques morceaux de poésie légère qu'on dit écrits avec beaucoup de pureté et de goût,’ et dont elle avone ne rien connaître; - tant pis pour elle, car c'est ce qu'à notre avis M. Victor Hugo a fait de mieux; - elle dénalure le caractère charmant de la Esméralda; elle oublie de parler des Orientales et des feuilles d'automne; elle se refuse à avouer que pour chanter Napoléon M. Victor Hugo a trouvé avec Béranger les accents les plus sonores et les plus énergiques, elle se garde bien, en opposant ses créations féminines à celles de Shakespeare, de nommer dona Sol, Ethel, Juana du dernier jour d'un condamné, et de signaler ces gracieuses et naïves figures qui ombragent le chemin de sa poésie de leurs aîles protectrices: la Captive; Sara la baigneuse blanche
Qui se penche,
Qui se penche pour se voir;
Lazzara, à qui les oiseaux
Pour ses pieds donneraient leurs ailes,
la fille d'Otaïti; puis Une surtout: - un ange, une jeune Espagnole! -
Blanches mains, sein gonflé de soupirs innocents;
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Un oeil noir, où luisaient des regards de créole,
Et ce charme inconnu, cette fraîche auréole,
Qui couronne un front de quinze ans!
et enfin cette enfant blanche aux yeux noirs, ‘jeune et déja pensive,’ à qui le poète dit si suavement: Lorsque pour moi vers Dieu ta voix s'est envolée,
Je suis comme l'esclave, assis dans la vallée,
Qui dépose sa charge aux bornes du chemin;
Je me sens plus léger; car ce fardeau de peine,
De fautes et d'erreurs qu'en gémissant je traîne,
Ta prière en chantant l'emporte dans sa main!
Enfant! quand tu t'endors, tu ris! L'essaim des songes
Tourbillonne, joyeux, dans l'ombre où tu te plonges,
S'effarouche à ton souffle, et puis revient encor
Et tu rouvres enfin tes yeux divins que j'aime,
En même temps que l'aube, oeil céleste elle-même,
Entr'ouvre à l'horizon sa paupière aux cils d'or!
Pourtant cela n'aurait été que juste: quand on dit tout le mal, on est tenu de dire tout le bien. Mais je crois comprendre ce qui a si fort emporté Mrs. Trollope. Un critique anglais a eu la maladresse, de dire que M. Victor Hugo, ‘a soulevé le terrain sous les pieds de Racine;’ cette sottise a fâché la voyageuse et le poète doit pâtir des folies de ses prôneurs, quoique à la rigueur il ne semblerait pas responsable de toutes les bêtises qui se débitent sur son compte. Mrs. Trollope paraît d'un avis contraire. ‘Je ne crois pas, ‘dit-elle,’ que, dans tout ce qu'il a écrit, on rencontre une seule pensée honnête, innocente et sainte..’ Nous allons voir, et d'avance je puis lui dire qu'elle se trompe. Ouvrons les ouvrages de M. Victor Hugo. | |
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Voici les feuilles d'automne. Quand l'aïeul disparaît du sein de la famille,
Tout le groupe orphelin, mère, enfant, jeune fille,
Se rallie inquiet autour du père seul
Que ne dépasse plus le front blanc de l'aïeul.
C'est son tour maintenant. Du soleil, de la pluie,
On s'abrite à son ombre, à sa tige on s'appuie.
C'est à lui de veiller, d'enseigner, de souffrir,
De travailler pour tous, d'agir et de mourir!
Regardons le drame que notre tourist traite avec tant d'acharnement. J'avais droit d'être par vous traité
Comme une majesté par une majesté.
Vous êtes roi, moi père, et l'âge vaut le trône.
Nous avons tous les deux au front une couronne
Où nul ne doit lever de regards insolents,
Vous, de fleurs-de-lis d'or, et moi, de cheveux blancs.
Roi, quand un sacrílège ose insulter la vôtre
C'est vous qui la vengez; c'est Dieu qui venge l'autre!
Mrs. Trollope doit connaître ce passage, à moins qu'elle n'ait sauté le premier acte, ce que l'on présumerait d'après la manière tronquée dont elle rend compte de l'intention de l'auteur qu'il est impossible de saisir sans connaître l'exposition. Mais citons plutôt un morceau de la prose de M.Victor Hugo. ‘Quant à celui qui écrit ces lignes, tout poète qui commence lui est sacré. Si peu de place qu'il tienne personnellement en littérature, il se rangera toujours pour laisser passer le début d'un jeune homme. Qui sait si ce pauvre étudiant que vous coudoyez ne sera pas Schiller un jour? Pour nous, tout écolier qui fait des ronds | |
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et des barres sur le mur, c'est, peut-être Pascal; tout enfant qui ébauche un profil sur le sable, c'est peutêtre Giotto.’ Passons aux Orientales. Si j'étais la feuille que roule
L'aile tournoyante du vent,
Qui flotte sur l'eau qui s'écoule,
Et qu'on suit de l'oeil en rêvant;
J'irais chez la fille du prêtre,
Chez la blanche fille à l'oeil noir,
Qui le jour chante à sa fenêtre,
Et joue à sa porte le soir.
Enfin, pauvre feuille envolée,
Je viendrais, au gré de mes voeux,
Me poser sur son front, mêlée
Aux boucles de ses blonds cheveux;
Et là, sur sa tête qui penche,
Je serais, fut-ce peu d'instants,
Plus fière que l'aigrette blanche
Au front étoilé des sultans.
Parcourons encore une fois les feuilles d'automne. Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers!
Seigneur! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur! l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants!
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Vous qui ètes mère, Mrs. Trollope, ce morceau doit vous faire plaisir, ce me semble. Mais voilà déja trop de citations pour démontrer victorieusement que Mrs. Trollope a tort. Encore n'ai-je pas touché aux deux volumes d'Odes qu'elle avoue ne pas avoir lus. ‘Le péché est la muse qu'il invoque,’ poursuitelle. ‘Il voudrait arracher les roses du front de l'innocence pour y coller l'ulcèreGa naar voetnoot*) . L'horreur accompagne ses pas; des milliers de monstres lui servent de cortège et lui fournissent les originaux des portraits dégoûtants qu'il passe sa vie à tracer.’ Je le demande, estce ainsi qu'il convient d'écrire à une femme; est-ce en des termes aussi durs, aussi tranchants, aussi acerbes, aussi haineux, que doit s'exprimer la plus douce, la plus caressante des créatures? ‘La colère me prend,’ dit-elle en finissant, ou tout bonnement: ‘je me fâche (I get angry) de ce que je sens mon impuissance à exprimer tout ce que j'éprouve sur ce sujet. Oh! que si je possédais pour une heure seulement la plume qui écrivit la Dunciade! je la prendrais avec joie, puis je conclûrais par dire: Rentre dans le néant dont je t'ai fait sortir.’
Comme si c'est Mrs. Trollope qui a fait sortir M. Victor Hugo du néant! Malheureusement pour elle il n'en est pas ainsi et nous la surprenons en flagrant délit de | |
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vanterie. Mais coupons court à ce badinage, car je doute qu'il soit du goût de notre pudique tourist qui s'échaufferait encore davantage, et nous venons de voir que ce n'est pas un spectacle bien attrayant qu'une femme qui s'irrite, qui montre les poings et dont l'emportement trouve la langue en défaut. On sent que c'est moins pour défendre M. Victor Hugo contre les sorties de Mrs. Trollope que je viens de tracer ce peu de lignes, que pour faire voir qu'une prévention affligeante et la volonté manifeste de trouver mauvais ont dirigé la plume de la voyageuse anglaise. Je déplore que Mrs. Trollope se laisse entraîner ainsi par ses antipathies littéraires, et que, sans égard pour son sexe, elle attaque d'une façon aussi malhonnête et déhontée un homme qu'elle ne connaît qu'imparfaitement et qui, pour le moins, offre une des physionomies les plus originales du siècle. J'aime à la suivre quand elle m'introduit dans les salons de la capitale, qu'elle me rappelle par des traits si délicats et si vrais le talent enchanteur de la première comédienne de la France, qu'elle me trace l'aimable portrait de madame Récamier au milieu de son petit cercle intime de célébrités qui l'entoure, mais quand elle s'en prend à l'auteur des feuilles d'automne, que sa fureur épuisée manque d'haleine et d'imprécations, et qu'elle voudrait écraser son ennemi sous ses pieds en des transports de rage pour le refouler dans le néant, alors je la déteste, car elle salit sa plume et déshonore son sexe.
Aout 1836. |
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