Opuscules de jeunesse. Deel 2
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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Comme j'étais à la rivière
Pour laver le linge à son bord,
J'entendis près de la bruyère
Soupirer l'oiseau de la mort.
‘Tina, qui laves assidue,’
Dit-il, ‘ton linge dans ces flots,
Ne sais-tu pas qu'on t'a vendue
Au vieux baron de Janioz?’
‘Mère, hélas!’ dit-elle éperdue,
‘Qu'ai-je entendu dans les rameaux?
Est-il vrai que je sois vendue
Au vieux baron de Janioz?’
‘Je n'en ai rien appris, ma chère!
Mais ton père vient à propos.’
‘M'a-t-on vendue, ô dis, mon père!
Au vieux baron de Janioz?’
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‘De cette sinistre nouvelle
Ton frère sera l'inventeur.’
‘Lanieck! serait-il vrai?’ dit-elle,
‘Suis-je vendue au vieux Seigneur?’
‘Il est vrai que je t'ai vendue
Au baron cent écus d'argent,
Cette somme ne m'est plus due
Et tu vas partir à l'instant.’
‘Mère, mettrai-je du dimanche
Mon corsage à vive couleur
Et la jupe de laine blanche
Que m'a faite Hélène, ma soeur?’
‘Garde tes habits, il n'importe!’
M'a crié Lanieck durement;
‘Un cheval attend à la porte
Que la nuit s'ouvre au firmament;
Un cheval noir de sombre race,
Un cheval reconvert de noir,
Qui t'emporte en sa rude audace
Vers le solitaire manoir.’
Encore près de son village,
Elle entend la cloche tinter,
Des pleurs sillonnent son visage:
‘Sol natal, il faut te quitter!
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Adieu, clocher de ma paroisse!
Humble toit aux charmants abords!’
En passant le lac de l'angoisse,
Tina voit des groupes de morts.
Elle voit de morts plusieurs groupes,
Qui, des draps autour de leurs flancs,
Se balancent en des chaloupes,
Agitant leurs vêtements blancs.
Puis, en traversant dans sa fuite
Le noir vallon de sang, les morts
S'élancent tous à sa poursuite;
Son coursier méprise le mors.
Ses dents claquent, elle frissonne,
Sa tète tombe sur son sein,
Mais elle invoque sa patronne,
En songeant au vieux châtelain.
A Tina, prise dans le piège,
Le baron, l'oeil sur ses appas,
Dit: ‘approchez, prenez un siège,
Attendez l'heure du repas.’
Le baron était près de l'âtre,
Aussi noir qu'un corbeau de mer,
Le menton blanc comme l'albâtre,
Les yeux brûlants comme le fer.
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‘Voici donc cetle jeune fille
Que je demande si longtemps!
Tina, venez voir l'or qui brille
Aux salons où je vous attends.
Et de chambre en chambre, ma chère,
Comptons les trésors de ce lieu.’
‘J'aimais mieux compter chez ma mére
Les copeaux à jeter au feu.’
‘Descendons au cellier, ma mie,
Goûter de mon vin le plus doux.’
‘J'aimais mieux boire à la prairie
L'eau qui coule sur les cailloux.’
‘Pour choisir un manteau de fête,
Venez, visitons les marchands.’
‘J'aime mieux, quand ma soeur l'a faite,
Porter ma casaque des champs.’
‘De joyaux voyez la richesse!
J'en veux charger votre bonheur.’
‘J'aimais bien mieux la simple tresse
Que me brodait ma bonne soeur.’
‘Si j'en juge par votre bouche,
J'ai peur que vous ne m'aimiez pas....
Ne soyez donc plus si farouche,
Quand Janioz vous tend les bras.
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Quand de vous obtenir, petite,
J'eus, hélas! le triste succès,
Empêchant la vente subite,
Que n'eus-je à la langue un abcès!’
‘Bons petits oiseaux, je vous prie,
O vous, qui délaissez ces bois
Pour le grain de la métairie,
Écoutez, écoutez ma voix!
Allez, sans que rien vous résiste,
Au hameau! Je n'y viendrai plus!
Vous êtes joyeux, je suis triste:
On m'a vendue à beaux écus!
A ma pauvre mère éplorée,
A mon père dans sa douleur,
Au prêtre qui m'a consacrée
Par le baptême à mon Seigneur;
A mon Hélène, à tout le monde
Chantez mes adieux, car mon front
Penche et de pleurs mon coeur s'inonde;
A Lanieck portez mon pardon!’
Deux grands mois après, la famille
De Tina dormait vers minuit:
Dans les airs, ni dans la charmille,
Ni sous le toit le moindre bruit.
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Tranquillement et sous l'escorte
Des songes elle reposait,
Quand on entendit à la porte
Une voix douce qui disait:
‘O, fais prier pour moi, ma mère!
Mes bons parents, prenez le deuil!
Car votre fille est dans sa bière,
Car Tina gît dans son cercueil!’
1843.
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