Opuscules de jeunesse. Deel 2
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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Victime chaste et pure, te voilà prête et parée; l'autel t'attend, le voile nuptial couvre ton front, et le parfum des fleurs qui se balancent sur ta tête trahit l'approche de tes pas. Nouvelle Iphigénie, encore quelques instants, et le sacrifice est consommé, tu es immolée au Calchas de notre siècle, à l'argent, ce seul Dieu qu'il reconnait.
Tout m'a dit que tu ne l'aimais pas. Non, ce n'est pas ainsi que tu aurais aimé. Ce volcan qui brûlait dans ton jeune sein et dont tu étouffais en vain les feux sous une froideur, une insouciance apparente, se serait ouvert avec force aux bouillonnements de l'amour. Mais, hélas! ta démarche s'est ralentie, ton teint a pâli, tes yeux se sont éteints, ta tête s'est inclinée, tes traits se sont amaigris, comme si la mort avait marqué ton cou du signe fatal des brebis qu'on achète au marché, et la maladie est venue attacher à un lit de douleur la fille de vingt ans. | |
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Non! oh, non! tu ne l'aimais pas, car l'amour lève le front vers les cieux, l'amour rend frais et rose, l'amour guérit de tous les maux. Et pourtant on t'a entraînée vers le temple! On a égaré ta jeune tête, en te parlant d'amour, d'or et de bonheur; tu as fini, pauvre enfant, par y croire! On a fait résonner à ton oreille les mots de devoir, de famille!... Que n'aurais-tu pas fait à cette voix sacrée! Enfin tu as prononcé des serments sans retour, tu as contracté la plus sainte alliance. Maintenant ne la profane pas. Souffre désormais, mais souffre en silence; pleure, mais pleure loin du monde; cache aux indifférents, cache à ton époux les regrets qui te rongent. Fais semblant - tel est ton destin - fais semblant d'être heureuse; pare tes cheveux comme autrefois, fais comme si la musique et la danse pouvaient encore te séduire, et puisque le monde est indigne d'être le confident de tes peines, d'apercevoir les traces des larmes solitaires qui sillonnent tes joues, livre-lui ta gaieté feinte, tes grâces, la beauté.
Lui, tu ne l'aimais pas, non certes. Mais qui donc aimais-tu? Une étoile du ciel, le chant des oiseaux, la mélodie des vers, la nuit chargée de ses vagues bruits et de ses clartés indécises! Assise devant ta croisée avant de confier ta tête au soyeux oreiller, quand l'air | |
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de la nuit pénétrait sous les dentelles de ta robe et caressait ton beau col blanc découvert où se jouaient tes longs cheveux blonds, tu as senti plusieurs fois avec tes soupirs précipités s'échapper des larmes qui venaient rouler sur tes mains jointes. Tu avais pris en affection tel site, tel ruisseau, telle chaumière, tel vieillard à barbe blanche, que sais-je? Par besoin d'aimer tu aurais aimé tout l'univers, jusqu'à ce qu'à ton coeur se fût révélé un être sur lequel tout cet amour se fût concentré, sur lequel tu eusses rassemblé, comme en un seul foyer, tous ces rayons de feu céleste. Que cet homme eût été heureux! Mais qu'il ne vienne plus jamais maintenant, il serait trop tard.
Quand elle a paru devant l'autel et qu'elle a mis sa main dans la sienne, à cette heure, la plus auguste, la plus solennelle de sa vie, sait-on ce qui se passait dans cette âme sérieuse, de quelle manière la pensée agissait sur ce corps, faible tissu de fibres délicates? Elle jetait de toute l'élévation de son âme une ironie amère à son fiancé, elle se disait: - éphémère bonheur! le voilà devant moi, il m'adore, il se croit heureux, il fait des rêves d'or; l'avenir lui paraît chargé de miel, sa longue vie coule pour lui douce et belle, et il est fier de me posséder. Hélas! s'il savait que je sens en moi le germe | |
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de la maladie qui doit me porter au tombeau, que cette main que je lui tends sera bientôt glacée!... Mais il ne le soupçonne seulement pas, le malheureux! et il se crée un paradis avec moi!... - Pauvre femme! ce sinistre avenir sera encore une douce illusion pour elle! Elle ne se trompera pas. Regardez ses joues, ses yeux et son sein! Son corps se fond, sa beauté fait frémir, elle se spiritualise.
Maintenant suis ton époux, parcours la France, jeune femme dont le monde envie le bonheur si peu digne d'envie, guidée par l'homme... de ton choix; arrachetoi au foyer paternel, aux caresses de ta mère, à celles de tes soeurs et de tes frères; pars, et cherche à rattraper le bonheur effarouché. Pour moi tu t'es évanouie; tu as été pour moi un ange passant dans mes cieux, je ne t'ai pas même fait mes adieux suprêmes; quand tu as tendu les mains aux liens indissolubles j'étais loin de toi; de retour, je verrai ta place vide!... Ne dirait-on pas que nous nous évitions, ma belle?... En effet, c'est ce qui m'amuse et me fait rire. Ce n'est pas de joie pourtant!... Et si tu retournes?... Mais tu ne retourneras pas, il retournera seul. Va, je ne suis pas jaloux, monsieur!
Paris, 1834. |
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