Opuscules de jeunesse. Deel 2
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
[pagina 231]
| |
[pagina 233]
| |
Pourquoi, saluant en un seul jour des peuples si divers, pourquoi, nuages infidèles, poursuivre ainsi votre course impétueuse? Arrêtez, arrêtez! ralentissez votre ardeur! Soyez les messagers de l'Exilé! emportez mes douloureux soupirs, mes voeux pour la France! portez-lui mon salut royal!
Ah! l'homme n'aime point comme vous à errer sans relâche. Il lui est dur d'être privé de la terre chérie que le sort lui donna d'habiter aux jours de son enfance. Que le soleil darde sur lui des rayons obliques ou verticaux, là seulement où ils tombent dans la même direction que sur son berceau, là seulement leur éclat lui semble doux.
La cicogne et l'hirondelle, poussées par quelque vague inquiétude vers des régions inconnues, accompagnent le fugitif; l'aigle royal garde son aire: jamais il n'abandonne le roc où s'élève son trône. Sur un sol étranger fleuris- | |
[pagina 234]
| |
sent des arbustes plus modestes, le chêne s'attache aux lieux où il domine.
Et moi, on m'arrache à mon empire héréditaire! Chassé, j'ai dû fuir le sol paternel et m'embarquer pour des rivages étrangers. Comme une vile ivraie on jette le lis royal par-dessus les murs du jardin. On m'interdit le tombeau de mon père, et le sang des rois qui coule en mes veines cause ma ruine, à moi, qui ne suis qu'un enfant qui n'a point fait de mal.
Est-ce donc un malheur, une malédiction que d'être né prince? Le sort, réservé à Reichstadt, à Bordeaux, est-il le fruit amer du pouvoir? Le pays ne rejette-t-il de son sein que ceux qui ont porté sa couronne? Cherchez ici, cherchez ailleurs, cherchez partout les princes de la France, seulement ne les cherchez pas dans la France elle-même!
Misérable que je suis! Quelle multitude de chagrins et de douleurs, depuis qu'au premier matin de ma vie la fortune contraire m'enveloppa dans un voile de deuil! Mes larmes d'enfant furent des pleurs de détresse, et mon premier pas, celui qui porte l'enfant sur le coeur de son père, fut vers la tombe de l'auteur de mes jours. | |
[pagina 235]
| |
Ces coups, l'amour d'un peuple les eût guéris plus tard; mais, hélas! avant les jours de la défiance je fus poursuivi par l'opprobre et la calomnie. Un autre n'a qu'à s'accuser lui seul des hostilités qu'il soulève; prince, on est maudit dans la tombe, maudit dans le berceau.
La couronne qui ceignit ma jeune tête fut-elle donc pour moi, trompeuse en son apparence dorée, le signe funeste qui devait me désigner à l'exécration? Le nom du quatrième Henri se mariant au mien ne fut-il donc qu'un nom de blasphème, horreur du peuple français? Était-ce donc un forfait que d'être né Bourbon?
Que je suis bien puni de cette couronne qui naguère me souriait! On a donné mon habit de fête à Orléans, pour ne me laisser que la robe du pélerin; on m'a chassé loin de la France vers des bords inhospitaliers, et l'on force le lis des rives de la Seine à languir dans un désert.
Oh, l'exil est cruel! Toute la terre devient une prison. Il s'appelle une grâce et pèse plus lourdement sous le masque de cette feinte liberté. Le zéphir soufflant dans le feuillage devient un siroc, alors qu'il gémit le | |
[pagina 236]
| |
long de bords étrangers. Au pays de l'exil le plus faible soupir de la bise se change en tempêtes, telles qu'on les entend mugir pendant les nuits d'hiver.
Loin de leurs tombes, l'exilé doute de ses ancêtres. L'exil nous désennoblit; d'hommes, libres par le sang de nos pères, il nous rend esclaves; il nous force à mendier un asile, à trahir notre langue et notre religion, à mourir empoisonné par une atmosphère étrangère.
Et ce devait être là mon sort, malgré les cendres de cinquante aïeux, malgré le sang de leurs veines, répandu sur tous les champs de bataille, mes droits à la royauté! Le peuple respecte une ruine, un monument, et sa témérité ose porter la main sur la colonne de la monarchie, dont l'antiquité remonte aux origines de l'État.
On m'appelle fils de France, moi, orphelin de toute la terre! Hélas! de ma couronne étincelante et perlée il ne me reste que cette cicatrice au front. Je n'ai que ces pleurs qui me fassent souvenir d'être un roi, et de mon large empire et de l'enivrement trompeur des cours il ne me reste que les douleurs. | |
[pagina 237]
| |
Pourtant je ne te maudis pas, ô ma France! Vers tes rives j'étends chaque soir mes mains qui te bénissent: mon amour pour toi ne s'affaiblira point. Qu'un autre, quittant une chaumière pour une autre chaumière, oublie sa première demeure! celui qui doit quitter l'éclat d'un trône pour l'obscurité de l'exil se rappelle toujours les droits que sa patrie ne cesse jamais d'avoir sur son coeur.
Adieu, ma France! j'attends ici mon heure suprême. Il ne me reste plus qu'un seul voeu, celui qu'un jour plus propice me ramène au milieu de mes sujets, non à la tête d'une armée, mais comme un messager de paix. Si mon pied ne doit jamais fouler ton sol, ô France, n'interdis pas à ma cendre les caveaux de Saint-Denis!
(Traduit du hollandais de hasebroek.) |
|