Opuscules de jeunesse. Deel 2
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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Jadis pour Israël descendit du haut des airs le fruit céleste, jadis au peuple errant Dieu envoya la manne nourrissante; sur nous, riches habitants de villes somptueuses, sur nous, sybarites aveuglés, descend un poison qui frappe et qui tue. O mes jeunes amis, l'ange invisible est à nos portes, il commence la moisson, il lève sa faucille, et nos jours tomberont avec les épis de nos champs! Que de vies tranchées, que de gerbes d'hommes, récoltées par le Dieu tout-puissant, rassemblées dans les réceptacles de la mort, ces granges du Seigneur, jusqu'à l'heure mystérieuse où sur le bon grain le fils de l'homme prononcera la bénédiction divine, où le mauvais sera balayé dans les horreurs des abîmes éternels!
Mes chers amis, c'est en ces mauvais temps surtout que la vie est éphémère! L'arbre est vert encore et sa sève est fraîche et limpide, mais demain peut-être le | |
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simoum l'aura brûlé, et vous chercherez en vain la place de l'arbre dont le feuillage vous a si souvent ombragés. Le mystère de l'heure de la mort s'est dévoilé à nos yeux, punition amère de l'homme qui a voulu cueillir le fruit de l'arbre de la science, et nous frémissons; il nous semble quelquefois entendre la mort qui frappe, sentir le poison qui ouvre nos entrailles et déchire notre sein. Ainsi donc, à cette heure précaire, quelques paroles, quelques souhaits à ceux que je chéris!
Ce n'est pas de mourir que j'ai peur. Oh, non! comme Socrate nous devons tous un coq à Esculape quand il nous guérit bien de la vie, quand nous en sortons purs et sans tache, conduits au sacrifice, blancs comme des taureaux offerts à Jupiter. Mon unique regret, mes jeunes amis, est de vous quitter et de laisser inachevée l'oeuvre de ma vie! Assis dans la même nacelle, combien nous aurions descendu paisiblement le fleuve de la vie! Arrivés en cheveux blancs au grand lac de la mort, nous nous y serions plongés avec joie, contents de quitter une terre où tout passe et disparaît; mais à peine partis du rivage se briser contre les rochers, oh! c'est affreux, c'est affreux! Avec toi, mon ami, j'aurais erré sous les frais ombrages où la IIaye chaque jour répand son luxe et | |
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ses beautés, et nous nous serions laissés aller en de longues causeries sur l'avenir, en attendant que l'âge fût venu de causer du passé. Avec toi, mon jeune ami au doux regard, j'aurais parcouru les rangs de notre vaillante armée, et tu m'aurais montré ceux qu'aime le plus le prince et la patrie, ceux qui défendent le mieux nos droits, ceux dont la poitrine porte le plus de couronnes. Avec toi, j'aurais gravi les rochers dont le Rhin caresse les pieds, et nous aurions, pleins d'une douce extase et les bras entrelacés, vu l'astre de la nuit se lever derrière la tour gothique de quelque vieux manoir ruiné et répéter dans l'eau du fleuve sa pâle et languissante lumière. Quant à toi, mon petit, je t'aurais emporté vers la molle Italie, où le ciel est si bleu, où la terre est si belle et où l'air n'est point empoisonné. A Venise, glissant le long du Rialto dans la noire gondole, les chants du Tasse nous auraient enivrés et à Rome nous aurions pleuré près des restes du Colisée. Mais, hélas, je suis condamné à mourir, et l'heure fatale approche où cette main qui écrit frappera ce front qui pense! O mes amis, je crains! Ne m'en blâmez pas: la crainte, c'est un pressentiment. | |
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Il est une mort lente et facile, dont on ne se sent pas mourir, qui farde nos joues pâles et qui nous fait expirer comme si nous nous endormions. C'est de cette mort que j'aurais voulu mourir. Je vous aurais tous appelés autour de moi, je vous aurais adressé mes adieux suprêmes; mille doux souvenirs se seraient offerts à mon esprit affaibli, l'enfance joyeuse, nos innocents plaisirs, nos beaux projets, vaine fumée, hélas! et je vous aurais bénis; j'aurais vu des larmes couler le long de vos joues, et quand vous auriez été partis, j'aurais dit au Seigneur: - appelle-moi maintenant vers toi, ô mon Dieu! je t'appartiens, les liens sont rompus qui m'attachaient à la terre! Mais mourir tout d'un coup, mourir d'une maladie comme d'un coup de poignard, être surpris par la mort au milieu de la jeunesse et de la félicité, se tordre sur un lit de douleur, expirer meurtri, souillé, défiguré!... Horreur! horreur! Ne sais-tu donc pas, ô mort impitoyable, qu'on a mille choses à dire au jour de l'agonie et que l'heure dernière amène mille tendresses?
Adieu, mes jeunes amis, il faut vous quitter, je le sens! Ma vie se brise, mes projets s'évanouissent. Il faut mourir, l'esprit gros de pensées et de poésie qui ne | |
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viendront jamais jusqu'à vous. Le flambeau de ma vie est brûlant, il est à peine allumé, mais, hélas! ce soir la mort l'aura éteint de son souffle empesté. Cependant, mes amis, pour être loin de vous, ne croyez pas que je vous oublie. Esprit pur, invisible, je suivrai sans cesse vos pas, je présiderai à vos actions, je vous guiderai par les chemins difficiles, et mes prières pour votre bonheur ne finiront jamais de monter vers le trône de Dieu. Songez-y donc, songez que celui qui vous a aimés si tendrement et que vous croyez perdu, est auprès de vous, vous surveille et vous protège!
1833. |
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