Opuscules de jeunesse. Deel 2
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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Compagnon, écoute cette voix qu'un orgue accompagne! La malheureuse chante. Oh! pour elle la rose de la vie n'a eu que des épines, et sa beauté et sa fraîcheur n'ont été que trop promptement fanées!
Jadis, combien ce temps fut court! d'entre les plaisirs elle n'avait qu'à choisir; belle, elle était adorée; les fleurs naissaient sous ses pas et les jeunes gens rêvaient d'elle. Alors de ses anneaux irrésistibles l'étreignit un serpent aux vives couleurs, puis le reptile odieux abandonna celle qui dans sa pensée lui avait donné une âme belle comme son corps brillant.
La malheureuse eut une fille et vint s'établir dans ce hameau: la beauté flétrie vint habiter la beauté cachée. | |
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Sa fille était l'unique objet de ses soins; elle seule l'éleva, elle versa dans son âme tout ce qu'une mère sait y verser: vertu, amour. Vivant toutes deux dans la solitude, ces deux femmes se suffisaient, s'épuraient. Mais, hélas! à peine la beauté de Clémence se fut-elle épanouie avec ses seize ans, pareille au bouton de la rose qui s'ouvre aux rayons du soleil, que la mort la para de ses fatales fleurs.
Oh! s'il était possible de peindre le désespoir d'une mère qui se voit ravir son unique enfant, son soutien, sa consolation, tandis que, après l'avoir formée à tout ce qui est beau, noble et sublime, elle la voit enfin prête à répondre à son attente, alors je te dirais ce qu'éprouva cette mère auprès du cercueil de sa fille, quand, pleurant des nuits entières auprès des restes de Clémence, la malheureuse faisait des efforts inutiles pour douter encore de sa mort; je te dirais les songes déchirants, enfants d'une âme en délire, dans lesquels elle voyait sa fille, couronnée de lis et entourée d'une sainte clarté, ouvrir les rideaux de son lit, et, sans proférer une parole, lui faire signe du doigt pour qu'elle la suivît; enfin je te peindrais cette âme fortement trempée se jetant à genoux devant la croix du Sauveur, étendant vers lui ses mains suppliantes, et, le sein gonflé de soupirs, lui criant avec une dévotion sublime, une soumission filiale et un profond sentiment de son malheur et de la douce miséri- | |
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corde de son Dieu: - ô Jésus! maintenant je n'ai plus que toi, tiens-moi lieu de ce qui me fut cher! et quand enfin pour moi tout sera accompli ici-bas - et, ce jour, qu'il vienne! - quand j'aurai versé assez de larmes, expié assez de péchés, alors prends-moi, prends-moi vers toi, mon Dieu! et que je revoie ma Clémence!
Depuis ce temps elle est toute à la piété. Jésus lui tient lieu de Clémence, Jésus lui tient lieu d'époux, Jésus lui tient lieu de tout ce qu'elle a aimé; ce nom la console, ce nom la fortifie, ce nom la ravit; à cet Être divin, qui remplit tout son être, dont le nom se confond sans cesse avec celui de Clémence, elle a recours à toute heure; par sa douce influence elle peuple sa solitude de tout ce qui fut jamais aimé par sa fille, et le soir, quand, les yeux remplis de pleurs, pleurs d'une piété, d'une soumission, d'un amour sublimes, elle s'est endormie, en rêvant à son Sauveur et à sa Clémence, sa fille, ange des cieux, vient la protéger dans son sommeil, étend ses aîles sur le front de sa mère et verse un baume salutaire dans cette âme profondément blessée. | |
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Compagnon! cette voix que tu entends, c'est la voix de la malheureuse. Elle chante, en s'accompagnant de son orgue. Vois! le soleil disparaîtra bientôt derrière l'église qui s'élève vis-à-vis de sa demeure; elle le salue par un psaume, et quand son oeil obscurci de larmes qui regarde les cieux se baisse sur le cimetière qui entoure le temple, elle tient son regard fixé sur une pierre sépulcrale et cette pierre couvre Clémence.
1832. |
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