Opuscules de jeunesse. Deel 2
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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Imagination amie, transporte-moi au village sur le penchant de la colline, où j'ai coulé des jours si paisibles et où à chacun de mes pas s'attache un souvenir de plaisir et de regret, puisque nos plaisirs passés ne laissent après eux qu'une amère ressouvenance! Oh, si la mémoire peut s'enivrer encore à retracer ce tableau enchanteur, conduis ma pensée vers ce bien-aimé séjour, où je ne goûterai plus jamais ce doux plaisir, qui toujours était mon guide, lorsque je respirais l'air de ce lieu charmant! Elle obéit. Ma pensée, enlevée dans les bras de l'imagination, est déposée sur une colline qui domine le hameau. C'était l'heure du soir, le soleil se couchait, Phébé se levait derrière la montagne qui a donné son nom au village, la cloche du soir tintait et l'écho répétait ses sons plaintifs. Un seul chant s'élevait des prairies, s'exhalait des modestes chaumières. Puis le son de la cloche expira, les chants cessèrent, le soleil disparut, les ombres devinrent plus marquées, la lune commença de briller d'un nouvel éclat, le vent ne soufflait plus, pas | |
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même un zéphir ne vint effleurer ma chevelure. Après quelques instants d'un profond silence, j'entendis crier une porte sur ses gonds, c'était celle du vieux manoir. Je l'entendis se fermer avec fracas et tout rentra dans la tranquillité; pas le moindre bruit dans les feuilles du bocage, pas le moindre hibou qui hue, pas une seule chauve-souris, perturbatrice éternelle du repos nocturne, qui trouble l'air, tout est tranquille, tout dort.... Mais à travers le feuillage il me semble entendre une voix qui pousse des soupirs. Je m'approche, j'entr'ouvre le feuillage à l'endroit d'où la voix est partie. C'était un jeune homme qui, négligemment couché sur l'herbe, la main posée sous le menton, et dont les blonds cheveux épars et les yeux égarés attestaient le trouble de ses sens, n'avait auprès de lui qu'une fiole brisée. Je le regardai longtemps, me cachant à moi-même mon trouble et ma frayeur; enfin il leva les yeux vers moi et me dit d'un ton de pitié et d'abandon: - pourquoi troubler mes derniers instants? Jeune homme! répondis-je, rassure-toi! je ne le ferai pas souffrir. Ce misérable état, cette langueur, réponds-moi, d'où viennent-ils? Hélas! reprit-il, c'est la mort. Jeune homme, dis-je, ton malheur m'intéresse; rends-moi le confident de tes peines! Il inclina la tête et prit ma main dans la sienne. Hélas! je n'ai que vingt-deux ans, et l'églantier qui ombrage le toit de mon père et qui tout jeune fut planté dans l'enclos le même jour que naquit ma Jeanne en compterait aujourd'hui dix-neuf, s'il n'eùt pas été comme ma bien-aimée abattu avant le | |
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temps. Nous nous aimions si tendrement, notre amour était si pur, mais l'orgueil, mais l'amour des richesses a brisé nos liens. Jeanne m'aimait, tandis que sa main était à un autre, et ce lâche, porté par la jalousie!... Tu m'entends. Son corps repose près de ces lieux; la terre la couvre. Et moi, ce monastère s'offrit à ma vue, l'or acheta d'un bon moine de quoi mourir, et je vais rejoindre celle dont j'ai été si cruellement arraché. C'est lui.... mais je sens mes forces diminuer et ma vue s'affaiblir.... bientôt je ne parlerai plus; promets-moi seulement d'assister mes derniers instants et d'enterrer mon corps - hélas, un peu de terre est si facile à donner! - d'enterrer mon corps le plus près possible de cette place, car c'est ici que repose ma Jeanne!... Je le lui promis; son corps se glaça; et son âme.... son âme, où s'est-elle envolée?
Noorthey, 1829. |
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