Opuscules de jeunesse. Deel 2
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
[pagina 161]
| |
[pagina 163]
| |
Triste voyageur, où vais-je donc? Ici sur la colline je ne distingue que la forêt d'où je sors, dont chaque arbre me faisait l'effet d'un brigand, et devant moi la plaine. Elle est grise à la lune, mais verte au soleil, grise comme le firmament, qui au soleil ressemble à l'oeil de ma bien-aimée! Il faut qu'il soit tard! Deux heures!... Mais l'ombre que la lune jette sur la porcelaine de ma montre me trompe, la cloche de l'hôtel-de-ville n'aura donné encore qu'un seul coup après minuit. J'ai marché longtemps, mes pas chancellent. Jetons les yeux autour de nous! Il me semble, c'est peut-être un rêve, car la nuit nos yeux voient tout ce qui nous vient à l'esprit, que lâ-bas dans la plaine une lumière scintille, une étoile qui se lève ou bien un de ces feux trompeurs qui attirent les voyageurs, sans se laisser toucher jamais. Pauvre égaré! que m'importe de quel côté je me tourne? Suivons donc la lumière si elle s'éloigne; si elle reste, approchons-nous. Je marche par la plaine silencieuse, et me dis: s'il faisait jour, je ferais des vers sur tout ce qui s'offrirait | |
[pagina 164]
| |
à ma vue, mais maintenant je ne vois rien qui puisse charmer, rien que la forêt à moitié disparue, la clairière qui se tait, la flamme qui ne m'a point trompé, car elle garde sa place, déjà même elle a grandi. S'il faisait jour, et que le gazon ne fût pas mouillé de rosée, je me jetterais dessus, et peut-être une fleur, une hirondelle, une jeune paysanne aux pieds nus, passant près de moi, seraient les sujets de mes chants. Quand je vois le ciel, ou un vieux chêne, ou bien une colombe, une violette, je m'écrie: ô firmament! ta beauté est un rayon de la gloire du Tout-Puissant, ton bleu est pur comme ton Créateur, cette immensité que j'ai devant les yeux quand je te regarde, c'est l'image de l'éternité de celui qui t'a formé. Quand, fatigué d'une course, par une brûlante matinée d'été, je m'appuie contre un arbre centenaire, je me dis: aucun des hommes qui vécurent avec celui qui a planté cet arbre n'existe plus; les bras robustes de celui qui l'a mis ici ne sont plus que de la poussière; il n'a jamais vu ses branches chargées de toutes ces feuilles, il n'a jamais vu un malheureux voyageur, cueillant à son ombre quelques paisibles et frais moments. Quand au crépuscule du soir une colombe traverse l'air au-dessus de ma tête, je pense: tu appartiens sans doute à une jeune fille jolie, car tu es belle et blanche comme l'âme d'une fille de quinze ans. Et lorsque je regarde la pensée, je murmure: ta couleur, humble fleur, ne sied pas à ton état, le lis royal devrait avoir la pourpre, mais la tendre pensée devrait être blanche comme la main d'un | |
[pagina 165]
| |
entant. Et je dirais tout cela en vers, car la nature est la poésie de l'homme, comme Dieu est celle des anges! Me voici devant un mur, et ma lumière a disparu; ainsi disparaît l'âge du plaisir, qui de loin nous attire, quand nous sommes près d'y toucher. Je fais la ronde de la muraille; elle est vieille, elle est haute, elle est longue; n'y aurait-il pas d'entrée? Pas encore! Enfin je la vois. Une grande porte entr'ouverte. Pénétrons dans l'enclos. Charme et mystère! Des tombeaux, des arbres, du gazon, et là-bas.... Une prison? Je ne me trompe pas, c'est un cloître. Dans l'une on vous emprisonne de par le roi, dans l'autre de par Dieu. Et là, à cette petite fenêtre, là tout haut, voilà ma lumière, du moins je le présume, mais toutes se ressemblent comme des enfants nouveau-nés! Regardons le lieu où je suis. Sans doute c'est ici le cimetière, car là-bas est une urne qu'un saule ombrage, et au côté opposé, voilà une pierre sculptée que cachent des peupliers. Je voudrais lire les épitaphes, mais l'ombre des arbres couvre les deux inscriptions à demi effacées, abbesse est le seul mot déchiffrable sur le premier tombeau, 57 sur l'autre. Ces tombes paraissent anciennes. Je porte envie aux âmes des corps qui sont couchés là, elles sont heureuses depuis longtemps. Cette pierre-ci est pareillement vieille, elle est couverte de mousse, mais le nom d'Amélie y est lisible ainsi que son âge. Elle touche à une tombe sur laquelle on a mis l'image d'un papillon, poétique emblème, qui vaut bien | |
[pagina 166]
| |
celui de ce serpent, gravé comme symbole d'éternité sur la tombe de celle qui dort là de l'autre côté. Un peu à droite, voici une pierre de marbre sans inscription, toute unie, toute neuve ce me semble. Y doit-on encore graver le nom de la défunte, ou aurait-elle été si vertueuse qu'on se souvienne toujours d'elle, ou bien trop criminelle pour que sa mémoire soit digne de conservation? Une rose flétrie et brisée à la tige orne cette autre tombe. C'est une image employée souvent et à laquelle les hommes sont devenus insensibles comme à toute chose ordinaire; ainsi les hommes nomment la mort, sans y songer seulement, et ne pensent pas, quand ils prononcent ce mot terrible, qu'ils seront un jour aussi couchés dans une bière, enveloppés d'un suaire, portés dans une voiture noire et triste.... Mais qu'entends-je? Une fenêtre s'ouvre. Je regarde. Elle s'est déjà refermée. Mais, que vois-je? un morceau de satin! Ramassons-le et regardons! J'y vois des lettres, gravées, mon Dieu! avec quoi? Étonnement! gravées avec la rouille d'un clou. Ce ne sont que des mots détachés. Pars, par la grande porte, puis à gauche. Ton amante, moi. Enlevée. En prison. Demain! Et puis une goutte de sang. Du sang, mon Dieu! Demain tu serais morte! Et par quelle main criminelle? J'ignore. N'importe aussi; tu seras sauvée, je le jure par les corps sur lesquels je marche. Je m'en vais; à gauche! voilà ce que j'ai lu sur le satin sali. Je m'en vais, et l'aurore apportera la vengeance! Noorthey, 1830. |
|