Opuscules de jeunesse. Deel 2
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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L'autre soir je passai devant une grande maison. Je m'arrêtai; je crus distinguer les sons d'un piano, parfois il me semblait entendre chanter. Je ne me trompais pas. Il y avait là dans cette maison, dans cet appartement aux croisées ouvertes, où j'eus pénétré si volontiers, une jeune fille de dix-huit ans, vive, gentille, jolie, brillante de santé, dont le cou transparent ressemblait à la fleur du pommier aux premiers jours d'Avril et dont les doigts aîlés frappaient les touches d'un piano avec la vivacité de l'éclair. Quand ses doigts se taisaient, sa voix commençait à chanter, voix naturelle, tendre et douce, qui transportait, sans s'en douter, ceux qui avaient le bonheur de l'entendre. Quelquefois des applaudissements et des gazouillements de causeries formaient les intermèdes de cette ravissante musique.
En continuant mon chemin, je vins à passer devant une porte entr'ouverte. Un cri me réveille, un cri de | |
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douleur. Il y avait là une vieille femme, en proie à une horrible maladie; un cancer déchirait son sein, reptile immonde et cruel qui ronge toujours plus avant et dévore lentement sa proie. On croyait la femme moribonde, car le médecin avait prononcé une parole consolante. Voici son dernier soleil, avait-il dit, mais, hélas! il s'était trompé. Déjà elle gisait sans connaissance sur son lit de douleur, hideuse à voir, livide, décharnée. Mais quelquefois son serpent se plaisait à la réveiller par une plus profonde morsure; elle se tordait alors sur sa couche, roulait des yeux furieux que le mal faisait sortir de leur orbite, et d'une bouche qui faisait voir des dents calcinées qu'elle grinçait, elle proférait un cri d'angoisse cent fois plus affreux que celui de l'homme qui se réveille dans la fosse.
Et cette femme mourante qui n'avait plus un jour entier à vivre survécut, à la jeune fille joyeuse, et quand la martyre monta au ciel, rendant grâces au Seigneur de ses douleurs finies, la jeune vierge, mille fois plus belle que la terre ne l'avait contemplée, la conduisit vers les portiques saints au son de sa harpe, et la vieille posa ses lèvres encore tremblantes sur son jeune front, paré et parfumé des lis éternels. 1832. |
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