Opuscules de jeunesse. Deel 2
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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Comme une coquette qui change de parure selon son goût ou celui des temps, et jette avec dédain les bijoux de la veille, la reine des mers s'arrache souvent ses plus chers ornements, laisse à la merci du hasard ses plus précieuses pierreries. Elle a foulé aux pieds sa riche ceinture de la Méditerranée, de tous les joyaux qui y étincelaient ne gardant que Marseille; elle a perdu Tyr et Sidon, et l'on se demande où fut Carthage. Longtemps elle a vanté Venise, cet ardent rubis qui brillait sur son front; mais lorsqu'elle en fut lasse, elle en fit une charité à la Misère qui en est belle encore, et se para d'Anvers et d'Amsterdam. C'est ainsi que cette capricieuse fée vogue sur les flots dans sa conque d'azur, ramasse sur la rive les bijoux qui lui plaisent,, jusqu'à ce qu'elle n'en veut plus et les rejette avec mépris sur le sable du même rivage.
Jadis brillait à sa robe un diamant merveilleux qu'elle avait aperçu un jour au bord d'un lac. Elle ordonna aux | |
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vents de souffler, la tempête chassa la mer dans les eaux douces; la reine en agrandit ses états et ramassa le trésor du rivage. Mais, hélas! ce favori est déchu de son rang à son tour, et à cette heure il gît oublié au bord de son onde, et s'affaisse et disparaît insensiblement, en s'enfonçant dans le sable de sa rive natale.
Pauvre vieille ville délaissée, tes beaux ports sont sans vaisseaux, tes quais sans demeures, tes rues sans habitants; ton commerce est passé, ta richesse emportée, tu n'as plus rien; plus rien que l'herbe qui couvre les pavés de tes rues et l'ordure qui corrompt l'eau de tes canaux et entrave l'entrée de tes ports; plus rien que les brebis qui bêlent, que les boeufs qui mugissent, en paissant sur tes places publiques, que les maisons désertes, qui, délabrées, chargées d'ans et de caducité, semblent implorer de chaque passant un dernier coup pour en finir et ne plus montrer leur figure hideuse et décrépite.
O toi, poète ou philosophe qui erres en pélerin par le monde, en chantant et en méditant, assieds-toi en silence parmi les ruines muettes d'Enkhuizen et vois ce qu'engloutit la lave du temps; contemple cette vieille reine à l'agonie, observe les soins inquiets de ses derniers cour- | |
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tisans et leurs efforts inutiles pour dérober ses plaies aux yeux du monde; regarde ses tours qui chancellent, ses maisons qui croulent, ses rues qui s'effacent, ses portes antiques qui ne sont plus qu'une triste et lugubre ironie; salue avec respect, avec admiration, l'étroite place où ses citoyens se sont retirés, pour opposer un faible et vain rempart à la faux implacable du temps; donne alors, assis sur sa grève solitaire et désolée, donne une larme et un chant suprêmes à cette ville fameuse que tu vois s'éteindre et s'évanouir; dis-toi que tout ici-bas passe et périt, que les villes puissantes, comme les empires, comme les hommes, comme tout ce qui nous environne, tombent devant d'autres villes, d'autres empires, d'autres hommes qui les remplacent, jeunes étoiles qui paraissent brillantes à l'horizon; fais un triste retour sur toi-même; songe à l'avenir, frissonne!... Non! fais mieux! espère, et lève les yeux vers le ciel!
1834. |
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