Opuscules de jeunesse. Deel 2
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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C'était en Novembre 1830. Le moment était grave, l'avenir sombre. La Hollande et la Belgique avaient commencé à faire ménage à part, les provinces fraternelles venaient de rompre ensemble, Israël venait de se séparer de Juda. Les évènements se pressaient. Les pays, tout chauds encore des trois jours de Paris, se délassaient, en attendant la révolution polonaise, à regarder fumer notre volcan. Partout régnaient la consternation, l'inquiétude. On craignait une invasion subite des Belges, qui pouvait traîner après elle les suites les plus funestes, et les affaires prenaient de jour en jour un aspect plus sérieux, jusqu'à ce qu'enfin il fallut recourir à un moyen extrême et que le roi appela aux armes quiconque sentait son bras assez fort, assez jeune, pour servir et défendre la patrie en danger. Ce cri royal fut moins le signal de l'armement que celui du départ, car la haute intelligence du peuple avait compris, en même temps que son roi, que l'instant était venu de prendre les armes, de donner à la patrie des preuves immédiates de son amour. C'était principalement chez la jeunesse des universités que l'élan royal avait excité le plus d'enthousiasme. | |
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Tout ce qui est grand et beau trouve toujours de l'écho, de la sympathie, chez tout ce qui est jeune. Elle s'était réunie, cette jeunesse intrépide, et avait sollicité la grâce de servir la patrie et de former un corps à part, un corps d'élite. Cette faveur lui fut accordée. L'enthousiasme était dans tous les coeurs. Le moment du départ approchait. Le 13 Novembre se leva. Les voilà qu'ils allaient partir, riches citadins, soldats volontaires, confondus dans les rangs épais de l'armée, résolus à braver tous les tourments, toutes les privations, tous les dangers, pour maintenir l'intégrité du territoire. La cathédrale avait été choisie pour y recevoir le dernier adieu de leurs professeurs, et c'est vers ces lieux augustes que le corps s'acheminait, escorté d'une belle musique guerrière. La ville ce jour-là se sentait frappée au coeur; elle pleurait, tout en l'admirant, le courage, l'abnégation de cette jeunesse, qui était sa jeunesse à elle, sa gloire, son honneur. On parvient jusqu'à l'édifice sacré et l'on se range dans un demi cercle, en suivant la direction des colonnes du choeur. Le sénat académique allait paraître. Les fanfares se taisaient, tout était recueillement, et pendant ce morne silence tel assurément se rappelle ses parents, qui, à cette heure même, assis auprès de leur grand feu, bien loin, dans quelque petite ville de province, lisent et relisent sa dernière lettre et se regardent et versent des pleurs; il voit sa famille, ses frères, ses soeurs, qui se passent la | |
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lettre que chacun doit lire; celui qui l'a terminée la passe à son voisin, mais sans prononcer une seule parole, car son coeur est gros, il déborderait. Tel autre penche la tête sur la poitrine, et après quelques réflexions vagues et indécises, il entend tout-à-coup la voix de son père qui lui tinte dans les oreilles et qui dit: - grand Dieu, protège mon fils, protège-le! - et il lui semble voir un vieillard qui sanglote tout seul dans son cabinet et se couvre la figure de ses deux mains. Il y en a qui rêvent à leur heureuse enfance, à leurs jeux, à leurs premiers habits de garçon, et qui disent: - si je tombe, ces vêtements seront sacrés pour ma mère! Il y a certaines idées, si étroitement liées à certaines circonstances qu'elles seraient ridicules, si elles revenaient jamais. Il y en a dont les parents se trouvent aux bouts de la terre, en Amérique, à Batavia; il y en a qui sont fils uniques, qui n'ont plus qu'un père, ou bien, hélas! qu'une pauvre mère.... mais sans lutte pas de triomphe! Il y en a dont les parents habitent la même ville, qui n'ont jamais quitté la maison paternelle, et qui vont quitter la douce et paisible famille pour le bruit des camps, la vie du soldat et le choc des batailles. Parmi ces derniers il en est un qui laisse une mère paralytique et un père septuagenaire dont il était l'espoir, la consolation, l'unique appui. Pour la dernière fois il a reposé sous le toit paternel; il a baisé avec larmes les rideaux de sa couche et un vague pressentiment lui dit qu'il ne reviendra point. Cependant il faut partir: l'honneur, la patrie font retentir leur sainte voix au fond de son âme. | |
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Tout-à-coup la musique se fait entendre et le sénat académique s'avance lentement et se place vis-à-vis des étudiants-chasseurs. Quel moment! quelle assemblée! D'un côté tout ce que la Hollande a de plus illustre, de plus grand, de plus digne, de plus docte, de plus célèbre, d'un côté les hommes que la patrie appelle des noms les plus glorieux; de l'autre son espoir, ses fleurs les plus belles, les plus riches, les plus parfumées, exposées au grand jour pour la première fois, et qui de tendres plantes devenues tout d'un coup arbres pleins de vigueur, ont brisé la chaude et molle serre qui gênait leur élan; d'un côté le présent, de l'autre l'avenir; d'un côté les lauriers de la science, de l'autre les couronnes civiques; d'un côté le prestige des cheveux blancs et du mérite, de l'autre celui de la jeunesse et du devoir; des deux côtés les mêmes affections, le même coeur, le même esprit, la même âme. Un homme du milieu de ces longues toges traînantes s'avance jusqu'au milieu du choeur, digne centre d'un pareil cercle! C'est le recteur de l'université, qui au nom de tous va dire adieu à ces jeunes héros qui l'entourent. On le connaît, on sait quelle grâce antique, quel parfum exquis d'éloquence s'exhalent de sa bouche savante. Homme heureux, qui servis d'interprête à un tel cortège, dans un tel moment, élève la voix, nous t'écoutons avec admiration! - Vous avez satisfait à notre voeu, citoyens de l'université de Leyde, disciples chéris de maîtres qui vous | |
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aiment! Notre coeur éprouvait le besoin de vous voir tous rassemblés dans cette enceinte et de vous dire un dernier adieu, maintenant que vous partez vers les lieux où vous appellent l'honneur et le devoir. Voilà pourquoi le sénat vénérable, en procession solennelle, est venu au milieu de vous. Que sa présence soit la preuve de l'affection que nous vous portons, qu'elle mette le sceau de notre approbation à vos nobles desseins! La vue d'une troupe de jeunes gens, voués aux études pacifiques, armée et transformée en soldats, m'étonne autant qu'elle me touche. Qui donc, jeunes braves, éveilla cet enthousiasme en vos coeurs? qui donc vous inspira une résolution si intrépide? L'ordre du roi? Mais le plan était formé avant que le roi ne vous appelât. L'exemple, une imitation ambitieuse? Mais vous n'imitez pas, au contraire, c'est vous qui donnez l'exemple. Ou peut-être vous êtes-vous rendus à nos prières, à nos exhortations? Non, le langage de la persuasion s'efface devant la haute voix du devoir, elle, qui, pareille à une divinité, vous inspira. Elle ennoblit votre coeur, elle arma votre bras, elle vous soumit à la discipline militaire, elle vous apprit le rude métier des armes. Vous entendîtes ce cri: sauvez la Hollande et son roi! le Belge se lève, il s'unit à des brigands de France!Ga naar voetnoot1) et vous voici l'arme | |
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au bras, prêts à défendre en tout lieu le roi et la Hollande! Puis se tournant vers le capitaine: - Toi, le guide, le digne chef de cette jeunesse d'élite, toi dont l'aménité a gagné tous les coeurs, dont l'expérience inspire à tous un respect universel, reçois comme un trésor précieux que nous te confions, nos disciples chéris. Reçois-les avec faveur, traite-les avec bienveillance, mais sache maintenir l'ordre et la discipline, afin que leurs moeurs restent pures au milieu des séductions, afin que leur santé fleurisse au milieu des fatigues. Éternelle alors sera notre reconnaissance, grande ta propre satisfaction. Nous les connaissons, nous osons te le garantir: quand l'ennemi attaque la frontière que garde ta troupe, quand le cor retentit dans la plaine et que ta voix les appelle au combat, ces nourrissons des Muses te montreront qu'ils apprirent d'elles, qu'il est doux et glorieux de mourir pour la patrie! Tous les yeux étaient remplis de larmes, mais lorsque ensuite, s'étant retourné vers les chasseurs, l'orateur prononça les paroles suivantes, les sanglots éclatèrent de toutes parts. - Citoyens de l'université de notre Taciturne, vous avez entendu le témoignage que nous n'avons pas craint de donner de vous. Par votre Dieu, par votre roi, par votre pays, oh, nous vous en supplions, ne trompez pas notre attente! Alors il y eut un moment de profond silence. Puis | |
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l'orateur reprit son discours, mais il baissa les yeux, car il craignait que le spectacle touchant que son éloquence venait de susciter, n'altérât la sérénité de son organe. - Nous vous avons réunis en ce lieu plutôt qu'en tout autre. Jeunes gens, nous sommes dans la maison de Dieu; c'est ici que son nom est célébré; sous ces voûtes reposent des hommes dont la mémoire vit à jamais immortelle: près de vous s'élève la tombe de Kemper. Et il montra le monument du doigt; un soupir s'échappa de la multitude. L'orateur continua: - Mais ce ne sont plus mes paroles, ce sont les ordres sacrés des cieux qu'il faut écouter; ils vous disent: gardez en vos coeurs Dieu et sa loi divine! aimez-vous comme des frères! soyez pieux, soyez humbles! L'humilité chrétienne est le plus vif aiguillon du véritable héroïsme, et qui voudra perdre ainsi la vie, la sauvera. Partez donc maintenant, ô nos amis! partez, guidés par la Providence, bénis de vos parents, et tandis que vos maîtres adressent leurs prières au ciel pour votre salut, tandis que tous ceux qui sont fidèles à la patrie et au souverain applaudissent à votre belle conduite. Adieu! Profondément émus, le coeur navré, accablés de tristesse et de douleur, ces jeunes gens quittaient une ville, où ils avaient goûté tant de bonheur, bonheur de paix, d'étude, d'amitié, et dont ils emportaient de si doux souvenirs. Mais un an passa sur cette journée de larmes et l'on vit | |
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par un beau soleil de septembre entrer dans la ville une troupe de jeunes triomphateurs. Les cloches sonnaient, les drapeaux pavoisaient les rues, les fanfares sonnaient devant eux. C'étaient ces mêmes chasseurs. Jeunes héros, ils retournaient vers leurs foyers, couverts des lauriers de la victoire. Ils avaient affronté le feu de l'ennemi, et leur sang versé disait s'ils aimaient la patrie. Les chapeaux s'agitaient en l'air à leur approche, et partout où ils passaient, au milieu des chants d'allégresse, les parents se les montraient tour-à-tour avec orgueil et se disaient: - le voilà, mon fils, c'est là le mien! Quelques moments après, ces soldats de vingt ans s'abreuvaient de joie dans les bras de ceux dont ils faisaient la gloire. Ils étaient rendus à leur famille, aux études, à l'amitié, mais épurés par le feu des combats, ennoblis par la valeur guerrière, honorés de la patrie et de leurs concitoyens!
1834. |
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