Opuscules de jeunesse. Deel 1
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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En passant par Breda, j'étais allé voir M. Wap. Le peu de moments passés avec lui m'avaient procuré l'avantage de rendre mes devoirs à un littérateur d'agréables manières et d'une conversation facile. Il avait eu la bonté de me charger d'une lettre pour M. Lamartine. Peu de jours après j'étais à Paris et devant l'hôtel de l'illustre poète qui me reçut dans un salon spacieux, au milieu de sa famille et de plusieurs amis. Je pus apprécier alors avec quelle exactitude M. Wap vient de décrire dans son Voyage à Rome tout ce qui a rapport à la vie domestique de M. Lamartine. Je trouvai l'auteur des Harmonies dans l'enivrement des triomphes parlementaires. Toute la France exprimait hautement ses sympathies pour le noble langage du célěbre orateur, du grand citoyen, et sa demeure se peuplait chaque soir de ses nombreux admirateurs politiques et littéraires. Ainsi que madame Lamartine, il parut s'intéresser beaucoup à M. Wap et j'eus l'honneur de revenir le voir de temps en temps, étranger obscur, perdu dans la foule des sommitěs de toute espèce qui encombraient le foyer de l'homme auguste. Un soir, en revenant chez moi, dans ma rue Saint- | |
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Lazare, je trouve une lettre de la Hollande. Un de mes amis m'envoyait un article des Vaderlandsche LetteroefeningenGa naar voetnoot1), rempli d'invectives et de grossièretés contre M. Wap, M. Lamartine et sa femme. Raisonnons un peu à ce propos.
Malgré les grandes choses qu'elle n'a pas cessé d'accomplir en politique et en littérature, malgré la solidité de sa science, malgré les immenses services rendus par elle à la civilisation, malgré la série étonnante de ses hommes éminents, la Hollande, depuis trente ans, a été abreuvée d'injustices et de dédains de la part des étrangers. Ne demandons pas les causes de ceci, les causes sont innombrables; il suffit que le fait soit constaté. Comment se réhabiliter, dites-vous? En se faisant connaître, en se mêlant aux rieurs et aux dédaigneux, en se mettant en rapport avec les étrangers influents, en parlant, en agissant, en ayant du talent et de l'esprit à son tour! Voilà mon avis, c'est celui de M. Wap et de bien d'autres. | |
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Une Revue surannée qui compte soixante-dix et quelques années, les Vaderlandsche Letteroefeningen, poussée à bout, pendant sa longue carrière, à force de chicanes, de picoteries, d'égratignures, suit un chemin différent. Ah! ditelle, vous n'êtes pas convaincues que la Hollande est respectable, qu'elle est noble et belle, qu'elle est sublime, vous autres nations! Ah! vous vous donnez l'air d'oublier nos victoires! Ah! vous ne connaissez de notre pays que Broek! Ah! vous ignorez nos poètes! Ah! vous traitez notre langue de dure et de barbare! Eh bien! ce sera nous-mêmes alors qui dirons, non pas à vous, vous ne comprendriez pas, mais à nous-mêmes - espèce de quatuor ou septuor dans une salle vide - que la Hollande est une terre illustre, la plus illustre de toutes; illustre par ses grands hommes, illustre par ses victoires, illustre par son commerce! Nous-mêmes alors nous dirons - et toujours à nous-mêmes - que la Hollande a les plus gras paturages; qu'elle a la littérature la plus belle, la plus abondante, basée sur les meilleurs principes de morale et de religion; la poésie la plus énergique et la plus riche; la langue la plus sonore de l'Europe et qui a produit le plus de chefs-d'oeuvre! Vous autres qui nous injuriez, vous êtes tous des bêtes. Nous valons beaucoup mieux que tout le monde. Pour les principes, pour la probité, il n'y a que la Hollande. Ciel! que nous sommes vertueux, que nous sommes illustres! Ici le miroir! Oh! les chérubins de vertu que nous sommes! Et vive la Hollande! et vive nous-mêmes! | |
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Ces naïvetés ne sont pas très dignes, nous en faisons l'observation tous les mois. En vérité ces messieurs abusent du peu d'étendue de notre idiome! Et à quoi serviront tous ces grands cris? Les étrangers ne se doutent pas de toute cette écrivaillerie et je sais bien des personnes en Hollande qui s'en amusent. Ici, de quoi encore est-il question, je vous prie? M. Wap a dîné chez M. Lamartine. Madame Lamartine a pensé que les Hollandais étaient parcimonieux et M. Wap, qui paraît avoir été un peu de son avis, a reparti par une phrase d'homme de bonne compagnie. - Madame, a-t-il dit, vous parlez trop bien pour qu'on vous contredise. On voit qu'il a ěvité de mettre madame Lamartine dans le secret de sa pensée. A ce sujet ne voilà-t-il pas que mon bonhomme de Vaderlandsche Letteroefeningen trouve l'occasion de se mettre dans une grande colère! A coup sûr il a du temps de reste, il s'ennuie, il se fâche pour tuer son temps, comme un autre pěle des noix au dessert: seulement peler des noix serait moins inutile. Il est drôle avec sa: UNE madame Lamartine, qu'il traite d'une si haute façon. Je voudrais bien le voir debout devant le sopha de cette femme si douce et si grave, de cette noble Anglaise, douée si naturellement de cette urbanité exquise, de cette grâce imposante et indéfinissable, délicieuse parure des femmes du grand monde. Oh! j'aurais pitié de son chapeau, j'aurais pitié de ses gants..... s'il portait des gants. | |
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Je n'écris pas ceci pour défendre M. Wap. Sa propre plume - il n'aurait pour cela qu'à vouloir - le servirait mieux que la mienne. Mais il convient d'élever la voix - il n'importe qu'elle soit faible! - aussitôt qu'il s'agit de signaler à l'attention publique une erreur de notre presse périodique, notre presse périodique, qui est morcelée au lieu d'être homogène, qui est étroite et petite au lieu d'être large et loyale; qui est de mauvaise compagnie, pateline et brutale, au lieu d'être franche et polie; qui est follement et fanatiquement éprise du passé, - comme s'il n'y avait plus d'avenir! - des oeuvres des aïeux et des productions de sa langue, superstitieusement hostile à tout ce qui est étranger, au lieu d'être - qu'elle soit un jour tout cela! - libérale et cosmopolite!
Et maintenant, pardon! d'avoir mêlé votre nom respectable, Lamartine, votre nom qui rappelle tant de grandes et belles choses, aux paroles que je viens de prononcer!
1839. |
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