Opuscules de jeunesse. Deel 1
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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- M. Janin? - Au premier, escalier à droite. Je monte. J'arrive à une petite porte vitrée et aussitôt dans une pièce, meublée fort simplement et ornée d'un petit nombre de tableaux. M. Janin cause très vivement avec un jeune homme d'un extérieur simple, bourgeois et provincial. Un ami du feuilletoniste, qu'ennuie un peu cette conversation, arpente la chambre dans tous les sens possibles. En me voyant entrer le roi des journalistes s'avance vers moi. Je lui dis: - Je ne sais, monsieur, si me présenter chez vous n'est pas une indiscrétion, mais nous nous connaissons déjà un peu. - Votre nom, monsieur? - Kneppelhout. - Mais nous nous connaissons beaucoup même, puisque vous m'avez envoyé vos livres. Il y a de la chaleur et du mouvement. Y a-t-il longtemps que vous êtes à Paris? - Trois jours. - Ah! trois jours seulement et vous venez déjà me voir! C'est fort bien. | |
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- Vous m'aviez répondu d'une manière si obligeante que je ne voulais pas.... - Moi, je réponds toujours. - Je m'en vais, dit le témoin silencieux de notre discours. - Adieu, cher enfant! M. Janin reprit: - C'est pour la première fois que vous venez à Paris? - Oui, monsieur. Et se tournant tout à coup vers son premier interlocuteur, jeune mélomane de Saint-Etienne qui venait de soumettre au jugement de M. Janin un opéra de sa composition et dont mon entrée avait interrompu la conversation: - Enfin, mon ami, lui dit-il, c'est mauvais, mais très mauvais. Il n'y a pas seulement une idée un peu bien travaillée. Il ouvrit le manuscrit. - D'abord il n'y a pas de choeurs. Comment, diable! voulez-vous faire un opéra sans choeurs? - Mais, voici pourtant.... - Cela, vous appelez cela un choeur? C'est tout bonnement un quatuor. De qui avez-vous appris la composition? - De personne, monsieur. - Alors je crois bien! Ah! vous croyez donc qu'il suffise d'avoir du génie? Ecoutez, ayez le génie le plus grand du monde, du moment que vous n'êtes pas savant, vous ne pourrez rien. Voyez tous ces grands maîtres de l'art, ce sont tous des gens extrêmement savants; Rossini, qui est sans contredit un des plus grands génies de l'épo- | |
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que, est en même temps un des hommes les plus savants qui soient au monde; Mozart, le sublime Mozart, était un des hommes les plus savants qui aient jamais été. Il faut étudier, étudier, étudier, et puis, quand vous aurez trente cinq ans, venez avec un opéra. De quel instrument jouez-vous? - Je ne joue d'aucun instrument. - Comment, vous ne jouez d'aucun instrument? Mais c'est absolument nécessaire. Vous ne touchez pas du piano? - Non, monsieur. - Mais il faut apprendre cela. Vous n'avez donc jamais pu essayer votre pièce? - Non, monsieur. - Alors, ma foi, je crois bien. Mais il doit y avoir des personnes qui touchent du piano et qui composent à Saint-Etienne. - Je ne crois pas, monsieur. - Ah! vous aviez cru que cela irait comme cela! Mais croyez-vous donc que M. Scribe peut se faire jouer, quand il veut? La composition est un des arts les plus difficiles, les plus compliqués, et ce n'est qu'à force d'études et de veilles que les grands artistes sont parvenus où nous les voyons; et puis comme ce n'est pas un art nécessaire pour vivre, il faut qu'il soit bon. On fait de mauvais habits, mais on ne peut faire de mauvaise musique. Non! voilà ce que je vous dis: vous êtes commençant et très commençant, et l'on ne commence pas par faire des opéras; est-ce qu'un poète commence par faire un poème épique? Faites des romances; il y a tant de jolies petites romances! | |
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Faites de cette musique-là, et quand vous aurez écrit une romance bien grâcieuse et surtout bien simple, venez chez moi et nous verrons. - Allons, je vois bien qu'il me faudra relourner à mes souliers. Il paraît que le bonhomme était cordonnier. - Mais non, mais non! reprit vivement M. Janin, je vous dis: votre pièce, comme elle est là, est mauvaise; pourquoi? parce que vous n'avez jamais eu de guide, parce que vous avez été abandonné à vous-même. Vous ne savez peut-être pas ce que c'est qu'une école musicale, autrement je vous dirais que vous mêlez toutes les écoles et tous les siècles; vous courez d'un bout de l'Europe à l'autre, vous êtes tantôt au quinzième, tantôt au dix-neuviěme siècle; mais si vous voulez travailler, je ne dis pas que vous ne puissiez devenir quelque chose. Voilà mon opinion bien franche, bien loyale, bien sincère. Allons, donnez-moi votre opěra, vous viendrez dîner chez moi et je ferai jouer votre pièce par un compositeur; vous entendrez ce qu'il vous dira. - Mais.... - Que diable! vous ne risquez rien. Allons, allons, donnez! et venez dîner ici dimanche prochain. Le musicien fut congédié; M. Janin et moi, nous restâmes seuls. L'aspect de l'auteur du manifeste de la jeune littérature est très gai, quelque peu goguenard. Il parle extrêmement vite. Tout ce qu'il fait est soudain, brusque, par bonds, par jets, par saillies, mais toujours grâcieux. Il portait des pantoufles en maroquin, une vieille robe de | |
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chambre et un magnifique casque à mèche d'où s'échappaient de longs cheveux noirs. Nous savons tous combien c'est un écrivain étonnant, un esprit toujours prêt et sous les armes. - Eh bien, monsieur, lui dis-je, comment avez-vous trouvé mes livres? Y a-t-il des fautes de langue? - Oui, il y a par-ci par-là quelque petite chose, cela n'est rien pourtant, mais vous avez fait de la prose poétique et je dois vous dire que je ne comprends pas cela; ensuite il n'y a aucune individualité. J'aurais voulu que le Hollandais eût percé; au lieu de cela, vous vous êtes feit Français à plaisir et vos livres n'ont aucun intérêt pour nous. Au reste, comme je vous l'ai dit, j'y ai trouvé de la chaleur, du mouvement, une grande facilité du langage français, mais c'est toujours l'ouvrage d'un étranger. Restez-vous longtemps à Paris? - Deux mois, je pense. - Il faut rester plus longtemps. Il ne faut pas commencer là-bas, il faut commencer à Paris; faites vos vers à Paris, faites tout ce que vous ferez à Paris.... Ah ça! êtes-vous allé voir M. Hugo? - Non, monsieur, je n'ose pas. Il ne me connaît pas du tout. - Ah bah! il vous recevra bien. Vous lui direz: je vous ai écrit dans le temps, vous ne m'avez pas répondu, je viens chercher ma réponse. M. Hugo est un homme excellent. Je ne crois pas qu'il soit à Paris à cette heure, il est encore à la campagne, mais il ne tardera pas à revenir. - Ne comptez-vous pas venir en Hollande quelque jour? - Je ne sais, mais voilà un de mes amis qui en revient; | |
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il dit que le climat y est humide et l'eau mauvaise, ensuite on y dîne mal; il est vrai qu'on y boit de bon vin, mais, grand Dieu! s'il faut y mettre de la mauvaise eau!... La seule chose qu'on ait gratis en votre pays ce sont les pipes; il n'y a que les pommes de terre qui y soient excellentes. Entre en ce moment un des actionnaires d'un journal des modes. Il prie M. Janin de lui faire un prospectus. M. Janin dit qu'il n'a pas le temps. Il le presse de fixer un prix. - Cent francs. L'autre veut en rabattre. - Faites un prospectus vous-même. Comment, diable! feriez-vous si je n'étais plus là? Vous êtes vraiment bien heureux, vous autres, qu'il y ait un homme, ayant fait ses études et sachant l'orthographe, qui veuille se charger de tout cela. Cela vous est bien commode. Faites un prospectus vous-même. Les choses s'arrangent. Le journal fera lui-même le prospectus et M. Janin promet de le corriger. Après cela ils causent d'un certain recueil qu'on augmenterait par la suite d'une feuille de politique. - Ah, diantre! dit M. Janin, se tournant vers moi, ces gens ont une furieuse démangeaison de se faire timbrer. Il semble que l'homme n'ait été créé et mis au monde que pour payer du timbre. Peu d'instants après je le salue et prends congé de lui. - Adieu, monsieur, toutes les fois que vous voudrez venir vous serez le bienvenu, la maison vous est ouverte. 1834. |
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