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L'inconnu.
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L'inconnu.
Imagination amie! compagne charmante! tu te souviens encore, n'est-ce pas? des sites de la G......, tu te souviens encore, que là, au penchant d'une colline, est un village où j'ai coulé bien des jours paisibles, et où à chacun des pas dont j'ai empreint le sol, s'attache un souvenir mêlé de plaisir et de douleur, car sans doute il est vrai que nos plaisirs passés ne laissent après eux qu'une amère ressouvenance!... Eh bien, si tant est, que la mémoire peut se charmer en- | |
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core par ce tableau ravissant, daigne alors conduire ma pensée vers ce bien-aimé séjour, où je ne gouterai jamais plus ce doux plaisir, qui toujours était mon guide lorsque je respirai l'air suave de ce lieu charmant!
Elle obéit. Ma pensée enlevée dans les bras de l'imagination est déposée sur une colline qui domine le hameau.
Ami! dont l'oreille reçoit ces sons, laissemoi te décrire cet endroit délicieux, où jadis mes pas se sont portés tant de fois. Écoute! je te dirai ce que j'y vis et puisses-tu pleurer alors!
C'était l'heure du soir, le soleil se couchait, Phébé se levait déjà derrière la montagne qui a reçu son nom de celui du village, la cloche du soir tintait, et un double écho répétait ses sons plaintifs. Un seul chant s'élevait des prairies, s'ex- | |
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halait des modestes demeures, c'étaient des chansons produites il est vrai par des voix non cultivées, mais qui ne lassaient jamais. Enfin le son de la cloche cessa, les chants expirèrent, le soleil disparut, les ombres devenaient de plus en plus marquées par la lune qui commençait à briller d'un nouvel éclat. Le vent ne soufflait plus, pas même un Zéphir ne vint effleurer ma chevelure. Après quelques instants d'un profond silence, j'entendis crier des gonds avec force, c'étaient ceux sur lesquels tournait la porte antique du vieux manoir. Je l'entendis fermer avec fracas et tout rentra dans la tranquillité; pas le moindre bruit dans les feuilles du bocage, dont je me trouvai tout près, pas le moindre hibou qui hue, pas une seule chauve-souris, perturbatrice éternelle du repos du soir, qui
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agite l'air, tout est tranquille, tout dort.... Mais non, à travers le feuillage il me semble avoir entendu une voix, qui ne disait rien, mais qui poussait des soupirs. Alors je m'approchai, j'entr'ouvris le feuillage à la place d'où partait la voix, et que vis-je? Ah! conçois ma frayeur! Un pâle visage! C'était un jeune homme qui négligemment couché sur l'herbe, la main posée sous le menton, et dont les blonds cheveux épars et les yeux égarés attestaient du trouble de ses sens, n'avait auprès de lui, triste compagne! qu'une fiole brisée. Cependant son corps se tenait immobile, mais des soupirs s'échappaient péniblement du fond de son coeur. Je le regardai long-temps, cachant à moi-même mon trouble et ma frayeur, enfin je vis qu'il levait les yeux vers moi, et sans terreur aucune, il me dit d'un ton de
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pitié et d'abandon. ‘O toi, qui m'apparais! pourquoi troubles tu mes derniers instants?’ ‘Jeune homme!’ répondis-je, ‘rassure-toi! je ne te ferai pas souffrir. Ce misérable état, cette langueur, répondsmoi, d'où viennent-ils?’ ‘Hélas!’ reprit-il, ‘la mort en est cause; la sueur de la mort, je la sens déja qu'elle me mouille, comme la rosée mouille la fleur des champs!’ ‘Jeune homme,’ dis-je, ‘ton malheur m'intéresse; voudrais tu me rendre le confident de les peines?’ Il inclina la tête, prit ma main dans la sienne, et commença ainsi: ‘Hélas! je n'ai que vingt-deux ans et l'églantier qui ombrageait le toit de mon père et qui tout jeune fut planté là le même jour que naquit ma Jeanne en compterait aujourd'hui dix-neuf, s'il n'eût pas été comme ma bien-aimée abattu avant le temps. Nous nous aimions
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si tendrement, notre amour était si pur, mais l'orgueil, mais l'amour des richesses a brisé nos liens. Jeanne m'aimait, tandis que sa main était à un autre, et ce lâche porté par la jalousie!.... Tu m'entends. Son corps est près d'ici. Elle repose déjà; la terre la couvre. Et moi? Ce monastère s'offrit à ma vue, l'or acheta d'un bon moine de quoi mourir, et c'est par ce moine que j'irai bientôt rejoindre celle, dont j'ai été si cruellement arraché. C'est lui.... mais je sens mes forces diminuer et ma vue s'affaiblir.... bientôt je ne parlerai plus; promets-moi seulement de soigner mes derniers instants et d'enterrer mon corps, hélas, un peu de terre est si facile à donner! d'enterrer mon corps le plus près possible de cette place, car c'est ici que repose ma Jeanne!... Je le lui promis; son corps
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se glaça; et son ame... son ame, où s'est-elle envolée!
Oct. 1829.
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Post-Scriptum.
Quand je composais cette pièce, je n'avais pas encore le bonheur de connaître Byron, et je fus tout étonné, il y a quelque temps, de rencontrer chez lui deux fois ma pensée; d'abord dans le Island;
The rest was nothing save a life misspent,
And soul,.... but who shall answer where it went.
et ensuite dans Manfred:
He 's gone -his soul has ta'en its earthly flight -
Whither? I dread to think-but he is gone.
Je cite ces vers pour ne pas ressembler à ce geai paré des plumes du paon.
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