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Coloprini.
Poeme.
I.
La joie règne dans Venise, et le doux soleil du matin égaie les vitraux et les blanches murailles de son antique cathédrale, aux portes déja ouvertes, mais silencieuse encore, parée déja pour la grande fête, d'or, d'argent, de festons, de cierges par milliers qui brillent..... mais comme de grands hommes qui ont survécu à leur gloire; car le soleil levant éteint leur splendeur!
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II.
Tantôt ce sera une foule, ce seront toilette, musique, fête; mais maintenant il n'y a pas de vie encore dans le gothique édifice; à cette heure rien encore qui se meuve, sinon l'ombre qui marche comme l'aiguille d'une horloge.... Cependant, comme d'une hirondelle, qui au haut des tours crénelées bâtit et suspend son nid, on entend bruire l'aile.........................................
Sur une pierre sépulcrale un jeune homme est agenouillé. La haine et les malheurs ont arraché de ses traits la joie, de ses joues les roses, de ses yeux la vivacité, et cependant il intéresse encore; oui, le jeune homme est beau, mais comme un masque de plâtre, mais comme un fantôme à la lune! Le velours, la soie
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noire ornent ses membres amaigris, et son léger bonnet pareillement noir est entre ses mains qu'il tient jointes, mais quoique son costume soit soigné, il n'a pas d'ornements qui le parent; sa mise est simple comme la prière qui s'exhale du fond de son coeur, car il prie l'inconnu, oui il prie, et sa voix inégale et entrecoupée qui se perd dans les arcades de la grande église, semble le vol d'un oiseau qui s'élance à travers les piliers gothiques et les voutes en ogive. Il prie et il pleure, l'ame fière, car il se croit seul, mais il se trompe. - Tout près, derrière lui, le pied sur la tombe de Candiano, père du Doge règnant, qui mourut en défendant sa patrie de la mort des braves, un homme l'épie, jeune et immobile comme lui. Quoique brulé par le soleil, malgré une grande mous- | |
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tache noire qui lui cache la lèvre, il n'en est pas moins beau; mais qu'il diffère du jeune homme qui prie et qui semble si faible! Son oeil étincelle, ses traits sont ceux d'un soldat et respirent le courage et la fierté. Son grand chapeau à larges bords, que cinq à six plumes blanches ombragent, git sur les dalles près de lui, et sa mère même ne le reconnaitrait pas, cachés que sont ses traits sous son grand manteau brun qui pend jusqu'à terre. Il s'avance vers le jeune homme, qui en ce moment paraît avoir fini sa prière, mais médite encore toujours à genoux sur le tombeau, et lui dit à l'oreille:
Ami! éveille-toi!
L'autre s'effraie, se lève, et sans regarder encore: Qui m'appelle?
Moi!
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Qui?
Un ami.
Dis-moi ton nom?
L'autre se penche vers le jeune Vénitien et lui dit tout bas: Coloprini!
A ce nom chéri mais terrible son jeune ami lui saute au cou, le comble de caresses, puis l'entraîne vers la tombe du Doge que la patrie révère, frappe la terre de son pied, et comme de vieux amis par un seul mot, par un souffle s'entendent, il lui demande en lui serrant la main qu'il a longtemps cherchée sous les larges plis de son manteau, avec un cri convulsif et d'un oeil où se peint la haine et la vengeance: Quand?
Aujourd'hui. Silence! l'église retentit, ses voûtes nous entendent! Puis après un moment de silence: Viens plutôt avec moi.
Ils sortent de l'église, ils traversent la
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ville, ils sont sur la place St. Marc, parée de guirlandes de fleurs mais déserte encore. Enfin Coloprini rompt le silence: Ton père est mort pauvre je le sais, le Doge a ses biens et les tiens je le sais, cette tombe où tu priais a son corps, Dieu a son ame je le sais, mais toi astu son coeur, sa haine?
Oui!
Je te reconnais, noble sang! Ta haine est donc vivace?
Plus que jamais.
Bien. Tu sais manier le poignard?
A merveille.
Embrasse-moi, mon brave! - Puis avec un rire infernal sur les lèvres il ajoute, en approchant sa tête davantage de celle de son ami: Ecoute! il ne donnera plus le baiser du soir à sa fille!
L'autre recule étonné: Et ce sera donc
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toi, banni, qui oseras!.... Mais d'abord dis-moi, comment viens-tu ici, comment oses-tu te montrer à la fête, quel a été ton sort depuis que....?
Mon cher! il n'est pas temps encore. Je te dirai cela quand la tempête sera passée. Encore un coup, en montrant la tour de la cathédrale qu'il aperçoit dans le lointain; voilà le capitole du tyran qui nous opprime, ce mot doit te suffire.
Tout-à-coup l'autre s'en va en lui disant: à tantôt, adieu!
Que vas-tu faire?
Me gorger d'armes!
Bien. Mais sois prompt. Adieu!
Je te retrouverai?....
Dans notre basilique.
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III.
Les cloches sonnent. La foule accroît sans cesse. La fête sera plus brillante que jamais; Bianca la fille du Doge se marie, Candiano lui même y sera. Les deux amis se rencontrent enfin, mais l'autre ne montre plus son costume de velours et de soie; c'est un grand manteau qui lui couvre le corps, c'est un grand chapeau..... enfin tous les deux se ressemblent au point de tromper ceux qui les suivent. Ils se tiennent tout près l'un de l'autre mais ne se disent mot. Ils épient chaque parole, chaque syllabe, chaque geste. Ils sont là, comme un seul rocher à deux sommets, entourés et battus par la mer de peuple qui monte et recule autour d'eux. Le voilà, Coloprini, au sein même d'une patrie, d'une ville, d'un peuple qu'il hait et méprise, au milieu
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d'un peuple dont nul ne le connait plus, et dont le plus léger soupçon serait mortel pour lui, voilà son jeune ami environné du même air détesté de Venise, mais non menacé de tels dangers: Venise le croyait fidèle, elle s'était trompée.
Tout-à-coup la musique se fait entendre au dehors, les orgues lui répondent au dedans: l'église est pleine de sons, les ames d'allégresse.
Le cortège s'avance; il entre. C'est la veille de la fête de la purification, plusieurs jeunes citoyens distingués guident alors leurs fiancées à l'autel. Des prêtres précédés d'enfants de choeur qui chantent ouvrent la marche; viennent ensuite les jeunes couples, suivis d'enfants qui portent leur riche dot en des cassettes d'argent; les hommes marchent nu-tête, les femmes out un voile qui embellit
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mais qui ne couvre pas, tant il est transparent et léger. La fille du Doge marche à la tête des fiancées guidée par son futur; on la reconnait à l'or brodé sur son voile et au riche diadême qui relève la beauté de ses cheveux bruns. A cette vue éblouissante le jeune homme jette un regard furtif sur son ami, et voit une larme briller dans ses yeux; il croit se tromper et le regarde en face: pleures-tu? lui demande-t-il étonné.
Je pleure! répond l'autre avec un profond soupir.
De rage, n'est-ce pas?
Et d'amour!
D'amour! comment?
Silence! plus tard.
Ensuite paraissent les parents des fiancés. Tout ce que Venise a de noble, de riche, de grand, contemplez-le dans
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cette poignée d'hommes; à voir le luxe qu'ils étalent on dirait des rois.
A cette vue celui qui avait parlé le dernier s'écrie: O douleur! en frappant de son pied les larges pierres.
Qu'y a-t-il?
Le Doge!
Eh bien?
Stupide! qui demandes eh bien! Il n'y est pas. Toi, le vois-tu? Mais tout à coup: Imprudent! se dit-il, on me regarde. Remarquant toutefois que chacun est également désappointé, il reprend son sangfroid. Le peuple s'agite, tout le monde se parle à l'oreille et l'on voit bien que ce bourdonnement est celui d'un peuple qui murmure tout bas.
Mon ami! demande-t-il à un homme du peuple, d'où vient que le Doge par son absence ternit l'éclat de cette fête?
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Venise l'ignore; et il devrait être ici, mais....
C'est vraiment dommage! Et à ces mots les deux amis percent la foule, entrent dans une chapelle inaperçus, car la foule comme la solitude n'observe, n'épie personne, et là derrière l'autel assis ils peuvent se parler enfin sans danger. L'un est sombre, l'autre silencieux peut-être inquiet par incertitude.
Il ne mourra donc pas, je suis bien malheureux!
Après un moment de silence, l'autre ajoute: il craint nos poignards.
Le misérable! A ces mots il pose la tête entre ses mains et se tient ainsi quelque temps, puis en découvrant tout-à-coup son front, il dit à l'autre qui l'a longtemps regardé avec attention, en lui frappant le genou, et avec le contentement
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de quelqu'un qui vient de vaincre une difficulté: Ami! à défaut du père je prends la fille.
Quoi! pour victime?
Y penses-tu? Jamais! Et en même temps il parcourt des yeux la chapelle entière. Je puis m'expliquer en ce lieu; apprends enfin mon sort. Je viens ici pour tuer celui que je hais, que nous haïssons, qui mourra de cette main, eh bien! je le sauve, oui; et dans son palais qu'il infecte, j'ai été face à face avec lui et avec sa fille charmante; l'amour me prit, je veux l'avoir, je l'aurai.
Et aurais-tu osé!.....
Non, sans doute,..... mais à présent écoute-moi. Je frappe un coup de maître; je l'enlève; je fais proclamer sa mort; je fais courir le bruit qu'elle est expirée entre les mains des plus cruels bourreaux,
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dans les plus affreux tourments; alors traînant une longue agonie le vieux mourra cent morts horribles, et puissiez vous alors, ombres de nos pères! le harceler jusque dans son sommeil, et vous réjouir de ses songes terribles! Mais.... il écoute, et entend des cris confus, puis se levant; il dit, avec une sorte d'enthousiasme: Estu prêt, le moment est venu!
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IV.
L'instant est solennel. Le temple se parfume, se réjouit de chants. Une douce musique pénètre les ames, comme une mère les premiers cris de son nouveau né!
Enfin le pontife se tourne vers les jeunes amants et leur donne la bénédiction
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Ces mains levées vers le ciel, cette longue barbe qui couvre la poitrine du respectable vieillard, cette chape pourpre avec ses larges plis retombants des bras augustes de l'homme saint, ces jeunes vierges, ces jeunes adolescens agenouillés, recueillis devant l'autel, voilà ce qui augmente encore la beauté du spectacle magnifique qu'offre tout un peuple rassemblé dans la demeure d'un Dieu, silencieux et immobile aux paroles de son serviteur; oui, ce spectable là, disje, relève encore la solennité de ces instants divins. La musique s'est tue, le silence est profond, rien qui remue de tant de mille ames, qui regardent, admirent, éblouies; c'est comme ce matin lorsque le soleil était rouge encore de jeunesse; seulement la voix ferme et sonore du vieillard sacré, dont les accents
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avec majesté roulent..... Mais tout-à-coup un cliquetis d'armes, des pas dérèglés, des cris tumultueux.,.. La foule encore paisible écoute, les coeurs commencent à battre à coups redoublés, les visages à pâlir; on écoute encore. Hélas! il n'est que trop vrai! Des cris perçants s'élèvent, les jeunes gens incertains, inquiets, soutiennent leurs amantes que la douleur égare, la parole expire dans la bouche de l'évêque, ses bras étendus vers le ciel tombent, sa gravité l'abandonne; les nobles Venitiens..... Soudain les battants des portes massives frappent les murs avec fracas, les cris sauvages sont distincts. En cet instant nos deux hommes sortent de leur réduit à pas précipités, comme s'ils voulaient fuir. Tout-à-coup au milieu de l'église se montre la bande, armée de la tête aux pieds, casque en tête, visière
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descendue, poignards à la ceinture, sabre au poing. La foule pousse un cri lamen table, l'évêque s'enfuit derrière l'autel, les femmes sont évanouies par terre, les enfants pleurent et se cachent de peur sous leurs mères renversées. Il y a désordre, on se défend à peine... Les deux jeunes gens parvenus près de la cohorte, se jettent dans ces rangs amis, foulent aux pieds leurs grands manteaux, et montrent une reluisante cuirasse, entourée comme d'une guirlande de dagues: soldats, dit Coloprini, leur chef, il n'y est pas! mais rien n'est perdu! En avant! je vous guide! Voilà de l'or, sachez le prendre! - A ces mots il leur montre les richesses des jeunes amants déposées près de l'autel. Il met l'épée à la main, et la bande forcenée renversant qui s'oppose, foulant aux pieds sièges, femmes,
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enfants, tout en un mot, parvient à l'autel sacré, et cette troupe effrênée ose regarder en face celui dont ils souillent le temple.
Là ils trouvent la céleste Bianca, pâle, sans connaissance, la tête sur les genoux de celui qu'elle venait d'épouser: le malheureux jeune homme était décidé à mourir s'il fallait avec ou pour elle.
Rends-la! lui crie d'une voix arrogante le banni qui marche à la tête de la bande.
Jamais! lui répond aussitôt le jeune et fier Vénitien, qui est allé se placer l'épée nue devant le corps de son épouse. Il veut arrêter les ravisseurs, mais le coup d'une hache assassine le frappe.... Arrête! c'est un fils unique!.... Il n'est plus temps, hélas! Son sang rougit la robe de celle qu'il aime, et qui rêve
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peut-être qu'il la défend, tandis que là bas déja, loin des yeux des hommes, il prie pour ses jours.
Lâche! crie à cette vue le chef, lâche! meurs! et en même temps il plonge son épée dans le coeur de celui qui venait de fendre le crâne au jeune Vénitien. Compagnons! ajoute-t-il en se tournant vers la troupe, apprenez par cet exemple qu'on ne tue jamais la noblesse par derrière! Puis prenant la fille évanouie entre ses bras, il crie: Victoire! elle est à nous! A cette vue les nobles, parmi lesquels se trouvent les parents du jeune homme massacré, aidés d'une assez grande quantité de bourgeois, revenus de leur première stupeur, fondent avec une force inouie sur la bande cruelle, lui opposent une barrière de leur courage et y font un carnage horrible, mais vaincus
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enfin par la multitude, et ayant dû céder au nombre et aux armes, ils se regardent tristement, les glaives leur tombent des mains, et c'est sur des cadavres qu'ils roulent!
Cette attaque tout imprévue avait été l'affaire d'un moment. Les pirates s'étant ouvert un passage, quittent le temple. Grande était leur perte; de trois cents qu'ils avaient été la moitié ne retournait pas avec leur proïe. Le jeune homme aussi entraîné dans cette horrible boucherie tomba, frappé par une main chérie - - o haine! que tes effets sont terribles! Ils courent vers leurs vaisseaux en criant avec phrénésie: à nos galères! à nos galères! et à ceux qui les gardent en leur montrant l'immense butin et la jeune fille toujours évanouïe entre les bras du sanguinaire Coloprini: Victoire! Victoire!
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V.
Il est nuit, tout est sombre. Bien loin, là bas, sur l'Adriatique, quelques flambeaux seulement brillent, disparaissant et reparaissant tour-à-tour: on dirait des feux follets. - C'est là que sont les galères des pirates, c'est là qu'au fond d'un de leurs navires le trésor du vieillard de Venise dort: une coupe lui a apporté le sommeil, elle repose malgré le bruit et les chansons des ravisseurs, répétés mollement par les échos.
Qu'ils sont charmants les chants le soir sur l'onde!
Prête une oreille attentive, entends ces voix sauvages, non cultivées, ces airs libertins, ces cris de joie effrénée et d'impure volupté; ces sons rapides se précipitent, l'ivresse, écoute ces élans! les chasse dans l'air; de près on reculerait
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à ce hideux sabbat. Mais que ce désordre de musique, que ces sons qui se croisent comme des lances qui combattent, traversent l'eau, l'onde les cadence et leur rend l'harmonie, elle semble retenir la marche rapide de ces chants de victoire et de liberté, ces voix dures s'adoucissent, en un mot l'eau filtre ces notes en désordre, cette musique bruyante; il ne nous en parvient que l'essence pure et délicieuse, et apportée à notre oreille par le Zéphire qui la mêle à ses roses, c'est comme si elle a reçu une partie de leurs parfums et de leur douceur!
Oh! que c'est ravissant que les chansons la nuit sur l'onde!
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Chef! cent cinquante environ. Les morts..
Il suffit. Que mes soldats chantent et rient, verse-leur le vin, vive l'ivresse! Dis-leur que je suis content d'eux, Ainsi parle Coloprini, assis sur le tillac au milieu des principaux de la bande.
Tu as bien fait, dit il à l'un d'eux, auquel il avait confié le commandement pendant son absence; tu as bien fait, ami, je te remercie, tu les a conduits à merveille; que le monstre n'y était pas, ce n'était pas ta faute mais la mienne, j'aurais dû tout prévoir. Reçois cette dague en récompense, elle me sert depuis quatre ans, elle n'a jamais porté à faux; vois! il y a encore du précieux sang Vénitien. Oh! que n'a-t-elle en le bonheur d'ouvrir le ventre au Duc maudit! Pierre Candiano! j'y aurais plongé ma tête et tout ton sang n'aurait pas assouvi ma
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haine. Ces dents auraient déchiré tes entrailles, comme l'ont été celles du traître Obelerio, tu as des entrailles de fer, je le sais, mais cette bouche renferme une scie de diamant!
Les lèvres reconnaissantes de celui qui reçoit l'arme touchent la main prodigue qui la donne.
Mais, dis-nous, mon chef, que t'est il arrivé depuis ton départ, raconte-nous, n'as tu pas éveillé des soupcons, les dangers ne t'ont-ils pas menacé,... et puis, que veux-tu de cette fille? Tu vas en faire ta maitresse?
Je l'aime; elle est à moi, ainsi vous tous respectez sa pudeur. Jamais, aussi longtemps qu'il respire, le vieux. Doge ne la reverra, et si un jour il avait l'audace de me poursuivre, si la fortune me devenait contraire, si je ne pouvais la garder,
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alors ce poignard, (tandis qu'il en tire un second tout neuf de dessous sa ceinture), ce poignard, vierge encore et innocent, doit frapper une vierge innocente: mais, je le jure par ma patrie, si j'en ai une, je ne lui survivrai pas! A ces mots ses yeux noirs jettent des éclairs terribles, et la lune jette son pâle éclat sur l'acier du poignard qu'il agite. - Après quelques moments de silence il ajoute:.......................................................................... C'était une nuit, belle comme la présente. Je marchais le long du grand Canal, près du pont de Rialto. Tout-à-coup j'entends un cri, je me retourne, je vois à peu de distance derrière moi un homme qui se débat sous le fer assassin.. Silence un moment vous tous! Ecoutez crier la petite. Ce sont encore là des
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peurs de jeune fille, mais elle changera sous peu, je vous en réponds! Qu'elle chante à son aise, elle en sera plus docile après. - L'épée à la main je m'approche, et reconnais un vieillard. Vous le savez, mes amis! j'honore les cheveux argentés autant que nos saintes reliques, je m'élance donc sur les sicaires, les lâches s'enfuient. J'aide le vieillard à se relever, je lui donne mon bras. Il était blessé à l'épaule mais la blessure n'était pas grave. N'aviez-vous pas de garde? lui demandai-je. Hélas! répondit-il, c'était elle même qui à l'instant..... Il ne put en dire davantage: ses propres serviteurs avaient voulu le massacrer.
Il m'admet dans sa gondole. Nous descendons le grand canal. Je ne pouvais toutefois satisfaire mon extrême curiosité, ses traits étant cachés sous son manteau,
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son costume sous l'obscurité! Enfin il me dit après un long silence: Me suivras-tu dans ma demeure? - Si vous le permettez; puis-je savoir si elle est encore loin d'ici? - A ces mots les gondoliers cessent de conduire, la barque cesse de fendre les flots. J'aperçois que nous y sommes, car le seigneur sort du bâtiment. Je le suis. Alors: C'est ici, me dit-il, et d'une main amaigrie il me montre, affreux moment! le palais Ducal. J'étais sur la place St. Marc. Oui, compagnons! c'était lui, je l'avais sauvé celui que j'aurais pu que j'aurais dû fouler aux pieds. Et j'ai suivi ses pas par les sombres corridors, par les larges salles de son palais, j'ai touché ses lambris dorés, je l'ai vu assis sur un sopha le vieillard, la poitrine découverte, qu'un jour si Dieu ne me fait pas mourir je percerai, j'ai
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vu un médecin bander sa plaie que j'aurais voulu remplir d'un venin incurable, j'ai vu une horde de flatteurs vils, empressés à adoucir ses souffrances, mais alors aussi, mes braves! j'ai vu s'approcher sa fille, éloignant cette foule, se jetant au cou de son père, partageant, d'une main douce et enfantine les soins du médecin. Oh! qu'elle était jolie! Oublié, inaperçu, je pouvais à loisir la contempler; elle était en costume de nuit, sans voile, que dis je, les bras nus, ses longs cheveux bruns ondoyaient mollement derrière elle sur sa robe blanche, et moi, silencieux, la haine, la rage dans l'ame, près de cette jeune fille, belle, éclatante sous ses pleurs, qu'un amour filial lui fit verser...... Duc maudit, pensais-je, peut-être un jour cette fille te sera du poison, ce sera ta mort, mon triomphe!....
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Aux armes! Nous sommes perdus! crie tout-à-coup comme un forcené et au milieu de la narration celui qui était assis vis-à-vis de Coloprini. Tous s'élancent du vaisseau, prennent leur poste, éveillent les soldats plongés dans les plaisirs, étourdis par le vin. Un cri se fait entendre sur le golfe: les Vénitiens! les Vénitiens! La flotte s'était approchée inaperçue par les ombres de la nuit et par l'insouciance et le désordre des troupes des pirates, puis, lorsqu'ils étaient aussi près que possible des ennemis, toutes les forces Vénitiennes s'étaient montrées comme en un clin d'oeil sur leurs navires, et le cri de St. Marc et Venise! tonnait, mille fois répété, le long de l'Adriatique!...................................................... Mais c'est en vain que les chefs cherchent à rallier les soldats étendus sur la rive....
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Tout est perdu. Une partie des Vénitiens, descendue à terre, massacre tout. Ce qui était encore en état de combattre s'était groupé autour de Coloprini tant pour le défendre, que pour lâcher de conserver la fille enfermée dans les flancs du vaisseau. Mais tout-à-coup Coloprini jette un cri affreux: le voilà! le voilà!
Qui?
Candiano! Et l'équipage frémissant répète ce nom abhorré!
Il se montre en effet à la tête de ses troupes le glaive au poing, la fureur sur le front. - Des deux côtés on combat comme des tigres; mais enfin malgré une vaillante résistance, l'accablement, la fatigue et le nombre font reculer les pirates, et un instant après..... Ah! résistez! résistez encore!.... C'est en vain, les Vénitiens abordent la galère fatale!
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Mais en ces moments terribles où est le chef? Comme la foudre il avait disparu. Un autre, son digne ami le remplace. Fidèle à son serment, Coloprini porte ses pas vers la fille du Doge. Il la trouve couchée à terre sur son visage. Il la relève. Sa jeune tête est pénible à voir, tant les larmes l'ont défigurée; dans son désespoir elle s'est arrachê son diadème et son voile nuptial et les a foulés aux pieds. Ses cheveux en désordre pendent derrière et devant elle et ses bras sont rouges de sang, tant elle les a meurtris. Elle était plongée dans une espéce de léthargie, contre-coup ordinaire des émotions violentes, quand Coloprini entrait; mais s'étant aperçue qu'il y a quelqu'un elle ouvre enfin les yeux, écarte ses cheveux de devant sa face avec un mouvement consulsif, et ne les lâchant pas elle
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les tient si ferme des deux côtés de la tête, qu'on craindrait qu'elle ne se les arrachât. En cette attitude elle regarde Coloprini immobile devant elle; le monstre n'avait pas encore pitié.
Jeune fille! dit-il, viens, tu dois mourir!
Elle tressaille à ce son de voix.
Traître! crie-t-elle tout-à-coup en s'élançant au devant de lui, où est mon Francesco, mon amant! Et puis lui montrant sa robe teinte de sang, elle ajoute: Vois ce sang, c'est tout ce qui me reste de lui, tu me l'a pris, monstre! Cela crie vengeance, oui, vengeance!..... Elle s'arrête.
Cette voix qui naguère encore était douce comme le chant des rossignols pendant les nuits printanières, était devenue maintenant par les efforts et les cris affreux
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de la jeune fille désespérée, tantôt rauque tour-à-tour et aigue, tantôt grave et sombre, comme un corbeau qui croasse durant la tempête.
Puis elle reprend: rends le moi! rends moi mon père au moins, que j'ai aimé avant mon Francesco! Rends le moi....
Elle n'avait pas encore fait beaucoup d'attention au bruit affreux qui se faisait au dessus d'elle; elle s'y était accoutumée; tout le jour elle n'avait entendu autre chose, et quoique la voix de Candiano avait déja résonné plusieurs fois, chose incroyable! elle n'y avait pas pris garde; Coloprini s'en faisait un plaisir cruel. Enfin cependant le Doge crie d'une voix sonore et éclatante: Ils sont a nous! Victoire! - Bianca entend ces mots, elle jette un cri; Coloprini tressaille de colère, sa haine se réveille plus terrible: il
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faut en finir! dit-il, d'une voix forte en se précipitant vers la malheureuse vierge. L'enfer dans l'ame il l'enleve, la serre entre ses bras, s'avance sur le tillac avec la jeune fille qui doute encore de son sort affreux, et agite dans l'air la jeune Bianca qui tend ses mains vers le Doge en criant d'une voix éteinte: Sauve-moi, sauve-moi! pareille à un drapeau qui lui est confié.
A la vue de sa fille unique le vieux Doge tombe, comme un tigre qui voit du sang, avec ses fidèles Vénitiens sur celui qui enlace sa fille des bras; ses troupes moissonnent ce qui reste des pirates. Tout périt; tout tombe. Le vieux père lui-même s'èlance sur le ravisseur, mais.... son épée ne rencontre que les airs. Comme une ombre, Coloprini a disparu avec la jeune fille. Le vieillard s'écrie, il s'avance
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vers le bord du vaisseau, il regarde!... Oh! l'horrible spectacle! Son ennemi féroce s'est plongé dans les flots; il nage avec sa proie, et voyant le vieux Doge qui pleure, il lui montre en riant sa fille qui lui tend pour la dernière fois ses bras suppliants, en la tenant élevée audessus de l'onde, puis il s'enfonce sous les flots en entraînant la jeune Vénitienne.... et tous les deux n'ont jamais reparu.
Malheureux père! tu penses avoir remporté la victoire et c'est le brigand qui triomphe!
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