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15 Avril.
- Enfin le moment du départ est là. Nous quittons Rome à une heure pour arriver à Naples à huit heures trois quarts, si le train n'est pas en retard, comme il l'est presque toujours. Aussitôt que les bonnes chaleurs commencent à Rome et qu'on espère se sentir rajeunir, on vous avertit de partir vite; vous n'êtes plus à Rome, mais à Harlem; la malaria vous menace, la ville éternelle est bâtie dans un marais pestilentiel.
Mais le climat de Naples, quel bonheur! Pas du tout. Naples, c'est le typhus. Fuyez bien vite, allez-vous établir à Castellamare, à Sorrente, où vous voudrez, mais Naples, c'est la mort. Quel charmant pays! Puis encore Naples sent très-mauvais, une odeur de canaille morte plane sur la ville. La vermine pullule dans les rues; gardez-vous d'y aller à pied! Puis la poussière, les tourbillons subits du sirocco. Allez voir si c'est vrai!
Quoiqu'il en soit, les feux du Vésuve nous attendent. Mais non! Grâce à une promptitude qui laissait bien peu à désirer, après un service inaccoutumé en Italie, nous arrivons à neuf heures, pour apprendre que les feux sont éteints. Il n'y a plus que le plumet de fumée ordinaire. Au moment du soleil couchant il y eut un spectacle très-beau. Le panorama de l'Apennin, les montagnes dont quelques-unes couvertes de neige, rangées
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artistement en demi-cercle, surgirent tout-à-coup. C'était l'Alpenglühen méridional. La terre carbonisée devint rousse, les images prirent une teinte rousse aussi, puis rouge, puis rose, puis tout s'éteignit. Mais le spectacle avait été splendide. Enfin plus rien qu'un effet de lune, l'horloge de Capoue qui sonne sept heures, puis le cri de Caserta.
Enfin nous tombons entre les griffes des faquins, c'est-à-dire des facchini. Quels cris, quel vacarme, quel orage, quel désordre, quelle confusion! Les Napolitains font l'effet d'outres remplies de vent qui lâchent leur contenu. Et puis l'inconnu, le gaz aveuglant, enfin l'obscurité. La voiture de l'hôtel était partie, disait-on, avec une autre famille. Elle n'avait jamais été là. Car ici on vogue sans cesse en plein mensonge, et le pauvre étranger est la nacelle sans gouvernail. Le calesino s'y lance étourdiment. Quelle odeur! C'était la ville. Nous partons. Arriverons-nous jamais? Nous commençons à en douter, lorsque nous entrons sous la porte cochère de l'hôtel des United States.
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16 Avril.
- Je suis sorti. Naples m'a embrassé, j'ai reçu cet irrésistible baiser. J'ai été emporté par cette extase que communique cette mer, cette position, ce soleil, cette couleur, ces lignes, ce fond de l'élégant Vésuve avec son plumet de fumée noire, menace terrible et perpétuelle, danger imminent autour duquel l'habitude se joue. J'ai mis le pied en Grèce; Naples après Rome c'est l'opéra après l'oratorio, les vacances après le cours, la plume après le plomb, la méringue après le pudding.
Enfouis dans la toge sombre, sale, étriquée qui leur reste de leurs aïeux, les Romains sont graves, leur noblesse leur pèse; les gens de Naples ont la grâce, la joie, la légèreté, ils n'ont pas un poids sur le coeur et ne se doutent pas même des chagrins, des dégoûts de la vie et du dégoût.... qu'inspire aux autres le parfum qu'ils répandent.
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Acteur sur la scène qui frappe et fascine mes yeux, portant dans le sang les chaleurs qui mûrissent les fruits du sol, le Napolitain chante, se délecte, trouve la terre douce et la vie bonne et meurt comme il a vécu, sans s'inquiéter beaucoup de ce qui sera. S'il y a un réveil, il en profitera; s'il n'y en a pas, à quoi bon se gâter et s'aigrir la vie de ce fantôme. Naples est une impression, une impression salutaire, qui rend la vie douce, chasse les pensées noires, écarte les frayeurs, rend l'âme légère, fait bon marché de l'avenir, prête des ailes aux chants du poète et fait surgir la note qui se marie aux voix des flots qui se brisent. C'est le pays de Léopold Robert et de Lamartine, de même que Tivoli et Ischia. Mais même si l'on retournait Naples sens dessus dessous il n'en tomberait pas un seul exemplaire des Méditations ou des Confidenees. Elle est elle-même la poésie et n'a pas besoin de celle des autres. Naples laisse en effet une impression enchanteresse, mais c'est avec elle comme avec les sucreries: on en a bientôt assez.
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18 Avril.
- Il fait froid, peu de soleil, de gros nuages. Le printemps ne trouve pas encore le moyen de percer. C'est toujours l'histoire du sirocco et de la tramontane. Aujourd'hui c'est le tour de celle-ci, et la poussière tourbillonne.
Le palais du roi est ce qu'il y a de plus froid, de plus solennel. Longues séries d'appartements où réside toujours le plus morne ennui contre lequel il n'y pas de Garibaldi. L'ameublement est ce qu'il y a de plus ‘empire’: tentures, canapés, tapis, soies, dorures, et tout cela très-défraîchi: genre fripier. Les nombreux et immenses lustres en cristal sont couverts de poussière et ont un ton grisâtre, peu en harmonie avec la matière. Outre quelques bons portraits il y en a plusieurs de peintres napolitains contemporains qu'on croirait exécutés par des artistes belges sous le règne de notre roi, Guillaume I: Navez,
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Odevaere, van Bree. Il y a de beaux gobelins, quelques-uns modernes, un entre autres est magnifique; il représente la mort de Coligny, probablement d'après quelque tableau d'il y a soixante ans. Mais ce n'est malheureusement pas le châtiment, c'est le triomphe de l'hérétique. L'artiste a traduit sur sa trame ces deux vers de la Henriade:
Et de ses assassins ce grand homme entouré
Semblait un roi puissant par son peuple adoré.
Singulier cadeau d'un roi catholique à un roi catholique et un roi catholique comme le roi de Naples! J'en fis la remarque au cicérone. Mais il croyait tout bonnement que les hérétiques étaient ceux qu'on voyait courbés aux genoux de l'amiral.
La terrasse pourrait être délicieuse, si les berceaux et les plates-bandes étaient convenablement soignées. Il y aurait de là une bien belle vue sur le golfe, mais le premier plan, occupé par l'arsenal, gâte tout. Du moins un pauvre humain comme moi juge ainsi. Mais peut-être que tous les instruments de destruction couchés à nos pieds ont plus de charmes et d'attraits aux yeux d'un potentat. Bella vista de prince!
Impossible de voir le château de Capo di Monte; il y avait tant de monde qu'il ne restait plus de conducteur disponible, mais nous fîmes un tour en voiture dans le parc qui est assez étendu et où l'herbe attend en vain la faux. Le moment de faire les foins n'est sans doute pas encore là. Nous vîmes des arbres, c'étaient les premiers depuis la villa Doria. L'Italien n'y tient pas, il les coupe même atrocement; ce ne sont que des monstres sans branches ni feuilles. Il n'aime que les palmiers-plumeaux et les choux-fleurs montés sur des manches à balai, autrement dits pins-parasols. Le parc a beaucoup d'analogie avec celui de Fredensborg.
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19 Avril.
- Nous sommes entrés au musée. Pour le style et la couleur rouge tendre avec des colonnes grises, il ressemble beaucoup, ainsi que le palais du roi, au Ritterholmshus à Stockholm, mais c'est infiniment plus grand. Les collections fort étendues ne sont pas encore définitivement rangées, les salles n'ont reçu ni leurs pavages ni leurs décorations. Plusieurs ne sont pas assez éclairées. Malgré le nombre d'années qu'il existe, le musée est toujours une création en fusion, peu organisée. Il y a des statues, la plupart gracieuses et élégantes: un Amour, un Antinoüs, la célèbre Vénus Calipyge, l'Aristide ou Aeschine, moins beau cependant par l'étroitesse de la toge que le Sophocle du Latran. Mais, comme au Vatican, pas de catalogue. Le groupe du Taureau est trop restauré et les différentes parties de la composition sont trop comprimées, puis les détails sur le piédestal sont puérils, on dirail l'enfance de l'art. Le fameux Hercule a l'air d'un boucher pris de vin. J'admets très-bien que devant une telle exagération de musculature Michel-Ange se soit enthousiasmé et ait ressenti une espèce de culte. Dans les statues impériales assises on reconnaît le type de Napoléon I.
Les peintures murales et les mosaïques, transportées de villes enfouies, sont très-curieuses et nous font jeter un coup-d'oeil sur les costumes, les moeurs, les habitudes des anciens. Mais ce qui donne mieux encore une idée de leur vie intime, ce sont les ustensiles de cuisine, ces grands pots pour conserver les provisions, ces rafraîchissoirs, cette batterie de cuisine, ces jouets d'enfants, ces enfants emmaillotés comme les nôtres jadis, enfin ces ex-voto, absolument comme on les voit de nos jours dans les églises catholiques. Nulle part on ne reçoit aussi vivement l'impression qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Il n'y a que le climat du nord qui tout en ajoutant quelques légers conforts a modifié un peu les usages.
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Les anciens s'entendaient peu à la perspective et à la composition; ils ne se préoccupaient nullement des ombres et de l'effet du sujet. La concentration leur était inconnue. On voit que leur peinture procédait de la statuaire dont elle était la soeur cadette et plus particulièrement du bas-relief. Mais on voit aussi comment l'art moderne s'est attribué les attitudes, les airs de tête et la musculature des bras, la chûte des plis et tout le caractère de l'antiquité, s'identifiant avec la pensée des anciens, et comment les grands maîtres fondant un principe qui, par une tradition de plus en plus affaiblie, a perdu toute originalité et a prêté à la raideur, à l'ennui, à la copie, car que de personnages, de groupes dans les tableaux italiens qui ne sont tout bonnement que des pastiches! On s'étonne que des peuples qui avaient atteint une si haute perfection dans la reproduction du corps de l'homme dans le marbre, le dessinaient si incorrectement. J'en trouve l'explication dans la supériorité des maîtres du ciseau, dont les ouvrages sont venus jusqu'à nous, tandis que les peintures murales ne sont que des productions d'artistes d'une petite ville de province dont le mérite n'a pas été de premier ordre. Le Musée contient entre autres de petits bas-reliefs adorables.
La nature italienne n'est pas intime. Le paysage est un tableau devant lequel on se pose et qu'on admire; on n'en devient jamais partie intégrante, on ne s'y mêle pas, on ne vit pas sur ces eaux, dans ces bosquets; pauvres bosquets, on ne flâne pas sous leur ombre, en rêvant le long de ces côteaux arides.... L'ombre en Italie n'existe pas. Jamais un arbre, si ce n'est défiguré par l'émondeur. Aussi faute de bois, la menuiserie et la charpenterie sont fort mauvaises et fort chères. Les portes même des palais sont d'un travail honteux. Ce sont tout simplement des planches juxtaposées, mal rabotées et couvertes grossièrement d'une couleur quelconque. C'est le pays de la pierre.
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Le dôme est gothique et peu beau. Je n'ai rien à en dire. Il y a dans la soi-disant ‘confession’, l'église basse, une figure agenouillée du fondateur de l'église, Carafa. Cette statue respire, si elle n'était pas en marbre on la prendrait pour une personne vivante. C'est l'unique chose qui m'y ait frappé.
Dans une des premières maisons de Naples un monsieur de la société m'a demandé fort sérieusement si Goethe était mort.
Je commence à m'apercevoir que l'Italie est financièrement fort diverse. A Naples on ne veut pas de papier de la banque pontificale, à Rome on ne veut pas de la banque de Naples ni de celle de Florence. Rome se venge de la situation et de l'amabilité de Naples, en disant que la ville est malsaine et qu'on y attrape le typhus. Puis le roi visite tour à tour ces capitales manquées, ressemblant à ces prédicateurs américains qui desservent plusieurs paroisses un même dimanche au moyen du chemin de fer.
Nous avons fait aujourd'hui une visite à une comtesse italienne dont nous avions fait connaissance en route, ce qui nous permit de jeter un coup-d'oeil dans un intérieur vraiment italien. Une servante sale qui, avant de déverrouiller la porte, s'informa d'abord, en ouvrant avec précaution un vasistas, qui nous étions et ce que nous voulions, nous conduisit par un corridor caverneux dans une antichambre passablement obscure. La comtesse, très-aimable, nous montra tout son appartement; elle portait un costume impossible, sans col ni manchettes, une sorte de robe de chambre bleu foncé, et cependant elle appartient à une des premières familles de Naples, elle est très-bigote, très-désolée de l'état actuel des choses et passablement bête. Le palais dont elle habite le troisième étage lui appartient; elle en loue les autres parties. C'est un grand palais sombre, les fenêtres ont des tringles en fer, une grande cour mal entretenue, des escaliers en pierre, si sales qu'on ne peut les descendre ni les monter qu'avec la plus grande précaution.
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Le parquet est en carrelages rouges, les meubles sont lourdement dorés, mais très-fanés, il y a beaucoup de peintures de saints. La comtesse nous montra jusqu'à sa chambre à coucher, nue et modeste. Elle regardait le Vésuve, voilà ce qu'il y avait de meilleur. Du reste des branches de buis, de l'eau bénite, des estampes qui n'avaient pas le sens commun, et ce qu'il y avait de plus curieux une sainte-vierge peinte à l'huile, tableau qui ne manquait pas de mérite; l'expression en était heureuse, et la comtesse nous assura que cette chère Madonne lui accordait toujours ce qu'elle lui demandait. Mais ne voilà-t-il pas qu'on avait affublé cette pauvre vierge d'une immense couronne en similor et qu'on avait parsemé sa robe de perles en verre. C'était tout-à-fait hideux et ces sortes de choses me font reculer d'épouvante. Et dire que ces images doivent servir à chasser les mauvais rêves, les cauchemars, les maladies et à prévenir les sortilèges par une incompréhensible erreur de jugement et de raisonnement qui confond toujours la personne avec le portrait, dont cependant l'origine est connue.
Je ne parle pas des différentes personnes qui m'ont accueilli avec plus ou moins de politesse pendant ce voyage. Il faut cependant que je fasse une exception pour le consul des Pays-Bas à Naples, M. Meuricoffre, parce que sa maison est devenue, et cela depuis longtemps, le grand centre des étrangers qui visitent la capitale du royaume de Naples. Il habite un très-joli palais, il y règne une propreté amsterdamoise. On y monte par un escalier en marbre blanc; deux laquais ouvrent les battants d'une élégante antichambre où d'autres laquais vous débarassent de vos châles et manteaux et ouvrent les portes d'un très-beau salon rempli de superbes fleurs, très-brillamment éclairé, meublé avec élégance, dont Madame Meuricoffre fait les honneurs avec une aisance aimable et distinguée et qui ressemble tout-à-fait à ces salons, dont je croyais la tradition
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perdue. En France même, une maîtresse de maison sait à peine ce que c'est que tenir un salon. Les affaires avant tout! Mais l'Italie est arriérée, que voulez-vous? Je vous assure que dans le salon de Mme Meuricoffre on cause avec esprit, avec charme, avec entrain. L'étranger récemment arrivé s'y trouve tout de suite chez lui et familiarisé avec tout ce monde qui lui fait passer une soirée instructive et charmante.
C'était leur soirée de réception; M. et Mme étaient venus nous voir et nous avaient engagés à venir prendre une tasse de thé tout-à-fait en famille, sans faire toilette. Mais nous trouvâmes chez eux une société très-élégante, les dames décolletées, la maîtresse de la maison elle-même en grande toilette.
La maison de commerce dont M. Auguste est le chef, fut fondée par un des frères de son grand-père, Suisse et natif de la Thurgovie, il y a plus d'un siècle. Comme Mr. Auguste n'a pas d'enfants, ce sera probablement M. Tell Meuricoffre, son neveu, qui lui succèdera, tandis que le frère de celui-ci, M. Oscar, pourra, si le roi des Pays-Bas veut le désigner à ces fonctions, lui succéder comme consul.
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19 Avril.
- Le Musée égyptien est fort restreint, c'est un gentil petit échantillon de cette grande civilisation, enfouie dans les pyramides. Ce qu'il y a de particulièrement intéressant c'est une statue de Sérapis, trouvée dans un temple, dédié à ce dieu à Puzzuoli et une autre d'Isis, trouvée dans son temple à Pompéï. Elles sont intéressantes en ce qu'elles présentent l'ancien type hiérarchique et invariable, ayant subi l'altération romaine, c'est-à-dire grecque, lorsque le grand carrefour humain de l'Italie offrait non-seulement sa grandiose hospitalité à toutes les nations, mais un culte aussi général, bien que sans foi, à tóus les dieux de l'univers. Il y a aussi une jolie
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statuette de prêtre en bazalte. Cette collection est la seule définitivement arrangée. Elle se trouve dans un sous-sol bas et mélancolique.
A ce Musée manque encore le grand fil conducteur, c'est-à-dire un catalogue, de sorte que le visiteur erre comme une âme en peine le long des statues et des vitrines, devinant, conjecturant, se désespérant. Il trouve cependant quelque secours dans la politesse des gardes dont quelques-uns sont des gens assez bien informés. J'avais espéré voir par exemple travailler les ingénieuses machines inventées par le père Piagri pour dérouler et déchiffrer les papyrus de Pompéï. Malheureusement elles chômaient et l'explication du custode était fort insuffisante.
Les salles des peintures murales de Pompéi reproduites par le dessin, ainsi que les verreries, les poteries, les terres cuites, les grains, les fruits, les aliments, les cordages sont extrêmement intéressantes à voir, surtout comme préparation à une visite des localités elles-mêmes.
L'inspection des fouilles de Cumes avec la nombreuse collection de vases étrusques mérite également qu'on s'y arrête. La collection des tableaux est très-inférieure à ce que l'on voit ailleurs. Il y a là un portrait d'empereur par Mengs et un grand tableau de Schidone, représentant un enfant, reproduit mille fois. Les deux salles où se trouvent les plus belles choses sont en réparation et par conséquent interdites au public. En général le Musée est peu visité. C'est un désert. Quelle différence avec Rome où le vaste espace du Vatican est toujours encombré!
Après le musée Bourbon nous montâmes à St Martino, ancien couvent de trappistes, sécularisé par Garibaldi et desservi maintenant par des soldats du fort St Elme, qui y touche immédiatement. Malheureusement le temps s'était couvert. Un grand brouillard dérobait le fond du paysage et la fumée du
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Vésuve courait comme un sacrifice non-propice le long des flancs verts de la montagne, au lieu de s'élever fièrement comme un plumet joyeux dans les airs. La ville seule était visible distinctement, et comme le soleil n'éclairait pas, le tableau était sans relief. Notre cicérone était un jeune garçon de douze ans, mais il paraissait en avoir au moins seize et parlait le français avec facilité. Sa prononciation était excellente, il causait très-bien et nous raconta qu'il n'apprenait cette langue que depuis six mois. Il exerçait ses fonctions avec conscience et infiniment d'aplomb et annonçait dans sa physionomie de bonne foi un grand sérieux et dans toute sa personne une intelligence peu commune.
Quant à la vue c'est toujours un panorama et il ne vaudrait pas la peine de faire une course pénible qui vous prend toujours pour le moins trois heures en voiture, si ce n'était l'église du couvent qui mérite d'être vue ainsi que la sacristie et le trésor. C'est laid à force d'être riche et surchargé, mais que voulez-vous? Bien que j'aie horreur de ce style qui ne m'inspire aucune idée religieuse, c'est toujours admirable comme matière travaillée et comme main-d'oeuvre, puis aussi comme témoignage d'un culte qui n'a rien à faire avec la religion et se trouve particulièrement en contradiction avec les cénobites qui ne parlent pas, mangent toujours seuls, si ce n'est aux jours fériés, vivent et meurent dans le même froc et ne travaillent qu'à leur fosse. C'est bien la mondanité et le paganisme côtoyant ce qu'il y a de plus contrit et de plus humble.
Il y a plusieurs beaux tableaux, le dernier de Guido Réni resté inachevé par sa mort; la Communion par l'Espagnolet et puis aussi une descente de croix du même qui passe pour son chef-d'oeuvre. Il y a aussi de belles incrustations en bois (marqueterie) mais tout cela est placé dans une telle obscurité qu'on y voit à peine. Dans des salles séparées on vient de placer une collection fort précieuse de verreries
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vénitiennes, achetées par l'Etat d'un particulier; il y a des lustres comme on en voit au palais Colonna à Rome avec des fleurs en verre de couleurs très-originales et deux cassettes dans le même genre qui d'après les armes et les chiffres en verre de couleur aussi doivent avoir appartenu à des rois de Naples. Il y a encore un magnifique fauteuil en bois doré, somptueusement ciselé, et un carosse de gala tout doré et d'une forme très-ancienne et très-lourde; il est aussi surabondamment ornementé, sculpté, ciselé et les roues ressemblent à celles des chars de triomphe romains. On s'y assied en rond au moyen d'estrapontins. L'intérieur forme un petit cabinet ou salon confortable, fermé à glaces, seulement on y est un peu trop secoué. Le carosse est très-bien conservé, la dorure est toute fraîche, il n'y manque rien.
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20 Avril.
- Sirocco! Toute la nuit la mer sous ma fenêtre a fait entendre un mugissement non interrompu et cela continue encore. La poussière pénètre partout avec d'autant plus de facilité que les fenêtres ne ferment pas. La vague écume, se succède pressée, ensuite se brise en colère contre le quai. Puis un ciel uniformément gris, aucune idée de soleil, avec cela une chaleur étouffante qui vous rend pusillanime et vous ôte tout courage. Les bras tombent comme engourdis, la tête ne pense pas, il y a fatigue morale qui paralyse le corps.
Continuons nos pérégrinations par le labyrinthe Bourbon! Que de belles choses! La coupe Farnèse qui a la forme d'une soupière est ornée à l'extérieur d'une tête de Méduse et à l'intérieur d'une espèce de chasse; plusieurs pierres taillées que notre âge aux abois de formes s'est pris à imiter. Puis encore des tableaux, des objets en verre, des cassettes en mosaïque relevée de Florence; fleurs et fruits; des ivoires taillés et des armoires sculptées. Tout cela exquis, mais on
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n'est pas venu pour cela. Un musée demande un principe, réclame l'unité; sans cela il devient un emmagasinage.
Vu ensuite la chapelle de St Severo, à côté du palais de la famille Sangre, dont elle est la chapelle ordinaire et le lieu d'enterrement. Les étrangers y viennent voir le nec plus ultra du faux goût italien. La chapelle fut reconstruite et surchargée de tous les ornements actuels par Raymond di Sangre, prince de St Severo, qui après la perte de sa femme rompit avec le monde et se fit religieux. Ce haut-fait est célébré par deux statues colossales: Monsieur qui, au moyen du génie de la religion, brise les mailles des filets, où le monde l'avait emprisonné jusqu'ici; Madame enveloppée de son linceuil comme les anciens représentaient les ombres chéries. Il y a encore dans une chapelle inférieure une seconde statue voilée; c'est celle d'un Christ au tombeau. Que de dextérité technique gaspillée et quelle déchéance de l'idéal! La statue de la femme est la meilleure et dans son genre vraiment un chef-d'oeuvre. L'homme qui se débarrasse de son filet ressemble à un vilain pêcheur, une espèce d'Hercule vulgaire qui s'est pris lui-même dedans.
Naples est le paradis des gamins. Comme ils portent gaîment leurs haillons! Toujours remuants et chantants. Peu de femmes dans les rues, grand nombre de jeunes mendiantes. Le lazaroni n'existe plus ou plutôt il erre incognito depuis qu'il s'est mis en habit bourgeois comme partout.
Naples ne prend pas fin, étranglée un peu entre la montagne et la mer, elle s'appelle Puzzuoli, Castellamare, Sorrente, mais c'est toujours la ville étendue mollement sur sa plage, où elle joue et rit et qu'on n'a qu'à suivre avec sa longue-vue pour se convaincre qu'elle ne cesse pas.
Elle ne regrette pas l'ancien régime. Quelques familles ont vu venir, mais dès que le roi a quitté Naples, où il s'était sauvé sous les jupons du pape, toutes l'ont abandonné pour
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se rallier à Victor Emmanuel, et on aime mieux payer les yeux de la tête que de mettre la main à une restauration.
C'est bien le cas de dire comme Delavigne à ces princes italiens, fondus comme la neige devant l'unification:
Tu régnerais encor si tu l'avais voulu
et s'ils n'avaient pas prêté l'oreille à des instigations stupides, à des influences rétrogrades.
Naples se console bien de n'être pas capitale, elle n'est aucunement jalouse de Rome, comme je le croyais. Lorsqu'il a été question de Milan, de Florence, de Rome, elle ne s'est même pas mise sur les rangs. C'est qu'elle est trop sûre de ne jamais déchoir. Elle a son commerce, son port, sa situation, la foule accourant sans cesse, de sorte que la cour n'apporte qu'un élément fort secondaire à sa considération. D'ailleurs la nouvelle cour s'y trouve souvent et s'y plaît beaucoup.
Naples est la ville la plus bruyante de l'univers, un tapage dans le vide, des cris à n'en pas finir, aussi vers le soir tout le monde est à bout de forces. Au reste le peuple y est profondément misérable. Pas un grain d'honneur, pas le sentiment de valeur personnelle, aucune notion de vérité. Puis comme partout en Italie, mais moins encore ici, nulle énergie. Il y a peut-être de temps en temps une intention, une velléité, mais jamais d'action sérieuse et persistante.
Le Napolitain est comme la fille de Mme Angot ‘fort en gueule.’ C'est bien ici que les deux parties, dupes et fripons, sont en face, qu'ils jouent au plus fin. Avec cela quels moyens, quels talents, quel esprit et quelle intelligence, quelle étoffe en un mot! Cette population pourra-t-elle jamais se relever? Se laissera-t-elle élever comme une mineure qu'elle est? Laissera-t-elle fructifier un jour pour l'humanité tous les talents qui ont encore si peu rapporté! Athènes était une Naples cultivée, Naples est une Athènes en friche.
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21 Avril.
- Le temps est splendide; vite, partons pour le Vésuve, revenons au clair de la lune et regardons le feu sortir de sa gueule béante! Quelle grâce indéfinissable dans les contours de cette montagne solitaire au double sommet qui se dessine mollement sur l'azur du ciel! Des prés d'un vert-céladon tendre la recouvrent et plus haut c'est la Thuringe avec ses forêts touffues de sapins. Puis comme elle porte coquettement son panache blanc sur sa toque de velours! En vérité c'est un jeune amant qui soupire sous le balcon de sa bien-aimée. Détrompez-vous! Le Vésuve est comme la lune. Pour le commun des hommes l'astre des nuits, Phoebé, Diane, qui se laisse glisser de son char vers le beau pâtre endormi, est l'astre des amoureux, le symbole des tendres soupirs, des sentiments vagues et doux, des rêveries perdues, et ses clartés sont celles du mystère et des voiles transparents. Mais pour celui qui le contemple par le télescope, le satellite de la terre change soudain d'aspect, la vérité se fait sur lui, il devient un monstre effroyable et terrible. La mort et la destruction règnent sur ses volcans de glace et ses plaines de neige, la solitude règne sur ce globe, où la créature, faute d'air respirable, ne peut vivre, et ses ombres sinistres et sa blême lumière réverbérante lui prêtent une figure de Méduse qui effraye et pétrifie. De même le Vésuve, vu de près, change d'aspect. Son joli plumet blanc est une grosse et grasse fumée, poussée lentement, péniblement par l'effet de je ne sais quelle horrible pression hors de cette espèce de haut fourneau qui s'appelle cratère. Sa verdure délicate, ce sont des vignobles peu pittoresques, croissant sur les anciennes laves et à côté des
laves plus récentes. Ses forêts de sapins sont d'immenses champs de bataille, noirs comme le charbon où la lave a versé ses torrents dévastateurs, son liquide enflammé, puis s'est figé pour l'éternité au contact des parois extérieures de la fournaise.
A voir toutes ces formes fantastiques, ces volutes, ces pinces,
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ces carapaces, ces cimeterres, ces casques, ces armures d'un autre monde et d'une époque qui n'est d'aucune histoire, toutes ces scories extravagantes et gigantesques, on se demande, si c'est ici que Jupiter foudroya les Titans. L'imagination se représente ces deux formidables reptiles, enlaçant Laocoon, et l'on se demande encore, si les redoutables et effrayants serpents dont on croit reconnaître les corps immobilisés, ces boas, ces affreux crustacés, ces ichthyosaures mystérieux furent enfants du Phlégéton, vomis par l'abîme incandescent contre la blanche Parthénope désarmée qui chantait à la brise de sa mer, mais que, son heure n'étant pas encore venue, une parole arrêta leur élan, un geste puissant les dessécha pour jamais. Si le Mont-Blanc manifeste le Seigneur dans les glaces et les frimas, le Vésuve l'annonce dans le feu et dans les terreurs de l'enfer.
On met deux heures et demie à arriver à l'Ermitage, misérable gargote, où l'on vous écorche comme partout et où l'on vous fait boire un détestable vin, sous prétexte de Lacryma Christi. Puis le séjour, comme partout et toujours en Italie, y est gâté par un essaim de mendiants, de vagabonds, de va-nu-pieds, de guides et d'autres industriels, dont les uns réclament l'aumône, les autres tâchent de vous vendre des échantillons de minéraux, d'autres encore vous pressent de vous faire conduire aux laves; les uns comme les autres d'une indiscrétion insupportable vous assaillent sans perdre courage et persistent si opiniâtrement qu'il n'y a nul moyen de s'en débarrasser. Nous nous serions peut-être rendus, si le beau temps eût continué, mais les brouillards qui survinrent nous cachèrent non-seulement une grande partie de la plaine et du golfe, mais aussi le sommet de la montagne, et le froid devint si vif et si désagréable, que c'est à peine, si nous pûmes nous résoudre à monter à l'Observatoire, contrôle officiel des symptômes et du travail intérieur du Vésuve, puis nous nous em- | |
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pressâmes de regagner la ville. En attendant le ciel se rasséréna et par un assez joli clair de lune nous revînmes à Naples. Sans doute pour nous faire enrager, le sommet du Vésuve se découvrit alors et nous pûmes observer à regret la flamme s'échappant du cratère.
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22 Avril.
- Dernière visite au musée: petits bronzes. Tout le monde connaît les formes pompéiennes. Les trépieds, les triclinium, les candélabres, les coffres-forts, les batteries de cuisine, les stylets et bien des objets élégants de formes et de proportions et d'un usage domestique et journalier sont intéressants à regarder, non pas dans des estampes, mais en réalité, et nous persuadent une fois de plus que notre société actuelle, et surtout la société napolitaine, bien que modifiée par le temps et les besoins, n'est que la continuation de l'antiquité.
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23 Avril.
- La route de Caserta est horriblement monotone et beaucoup trop longue en voiture (2½ heures). Mieux vaut prendre le chemin de fer. Caserta mérite une journée. C'est le Versailles du Sud, mais quoique plus grand que Versailles, il ne s'étend pas, pareil à un oiseau qui ouvre ses ailes. C'est un carré coupé ou quatre cours formant nécessairement un même carré. Les quatre tours dont il aurait dû être flanqué n'ont pas été exécutées et la moitié des appartements est restée inachevée. Ces appartements ressemblent à tous les appartements d'apparat. Mais ceux-ci sont magnifiques par rapport aux plafonds et surtout aux dorures, dont la plupart datent du temps de Murat et qui semblent d'hier.
Il y a particulièrement trois choses qui valent la peine d'être vues. C'est l'entrée, l'escalier vraiment royal et grandiose et le vestibule qui par ses proportions, l'éclat et la richesse de ses marbres et les perspectives fait un effet vraiment magique. La cascade, formant un point de vue derrière le milieu de la
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façade du château, s'avance vers elle, coupée par des groupes de fontaines et des tapis verts et finissant en une immense nappe d'eau.
Les jardins sont en charmilles symétriques, coupées et divisées dans le style français et étant mieux soignées seraient d'un meilleur effet. Le jardin anglais est d'une fraîcheur d'herbe et de verdure qu'on ne s'attendrait pas à trouver ici. Il y a de beaux arbres et des arbres rares. Des camélias et des daphnés énormes en pleine terre, puis une pièce d'eau et une grotte charmante. Voir tout cela prend trois heures; bien plus beau était néanmoins le lever de la lune se mirant dans le golfe au crépuscule.
Tout le monde nous déconseille la tournée à Paestum, si ce n'est dans un but scientifique. La contrée est laide et le plaisir est gâté par la crainte plus ou moins fondée des brigands. La Fontaine déjà n'aimait pas trop ces plaisirs-là. Depuis le nouvel ordre de choses, ainsi depuis dix ans, on compte qu'on en a fusillé cinq mille de ces bandits. Il n'en manquait donc pas sous les Bourbons. Un officier disait (historique): j'en ai fait fusiller dix-huit ce matin pour mon déjeûner. Puis ils étaient portés sur l'ordre du jour, comme tués dans la bataille, car on savait bien que si les tribunaux avaient à décider de leur sort, ils auraient été invariablement acquittés et pour cause. Ces bandits sont quelquefois des paysans, mais presque toujours des soldats licenciés et des forçats échappés ou bien des gens ayant commis quelque homicide qui, se trouvant sur le pavé ou au ban de la societé, n'ayant rien à perdre, jettent le manche après la cognée et se mettent, comme on dit, en campagne. L'argent qu'ils attrapent est expédié en partie à la famille afin de le garder et le faire rapporter, mais est ordinairement dépensé par elle, l'autre partie est gaspillée par les bandits eux-mêmes en beaux habits et en nourriture extravagante, en boissons et en toutes sortes d'excès. Ils ne se
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hasardent pas dans les villes, mais y ont leurs agents. Dans l'ancien temps on prétendait qu'ils avaient d'excellentes relations qui, à certaines conditions, faciles à comprendre, leur garantissaient l'impunité.
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24 Avril.
- Tout Naples est sur pied. Les badauds se collent aux parapets. Le Vésuve est en feu.
Déjà ce matin nous avions été frappés à la vue d'une traînée inaccoutumée de fumée, le long de la montagne. Ce soir cette fumée est flamboyante comme du fer rouge. C'est tout bonnement de la lave. On la voit avancer lentement, comme une masse compacte et visqueuse, et ses reflets, lorsqu'elle disparaît pour un moment derrière quelque obstacle imprévu, éclairent le ciel comme des lueurs d'incendie.
La montagne s'embrase de plus en plus. Si le ciel eût été couvert ou qu'il n'y eût pas eu de lune, sans doute l'intensité du feu aurait été plus frappante, mais non plus pittoresque.
Le Vésuve avec son sommet brûlant se mirait dans le golfe. Le ciel était profond, la nuit pleine de sérénité et de splendeur, les vapeurs bleues enveloppaient les îles dormantes, les silhouettes des grands vaisseaux se dessinaient dans les airs, et des barques d'où partaient de joyeuses interpellations et des coups de rames ruisselantes, se balançaient au milieu des étincelles, provoquées par leurs mouvements. C'était un spectacle rare, élevé, un aspect plein de paix, de douceur, de grâce et de quiétude. C'était la respiration du bien-être de la création, des hommes comme des végétaux et des vagues; cette lave même, terrible et menaçante, qui coulait et descendait si paisiblement, semblait le soulagement du volcan.
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25 Avril.
- Excursion aux champs phlégréens et à Baïes. Le temps est couvert, un lourd brouillard envahit la mer, les
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îles et les promontoires. Grand dommage. Tout est plat, ordinaire, c'est l'Ecosse ou plutôt la côte, un fiord de Norvége, mais moins beau.
Nous ne descendons pas pour nous prosterner au tombeau de Virgile. Il n'y a que la foi qui sauve et elle nous fait défaut ici.
Le tunnel de Pausilippe est très-remarquable. Pour éviter la montée de cet énorme rocher et établir une communication facile avec Puzzuoli il fut ouvert, comme on dit, dans les anciens temps, c'est-à-dire dans des temps immémoriaux et amélioré par plusieurs rois du pays. Depuis 1754 il se trouve dans son état actuel. Sénèque est, je crois, le premier qui en parle. Il est éclairé le jour comme la nuit. Au moyen-âge, la légende s'en étant mêlée, on prétendait que c'était Virgile, le magicien, qui avait fendu le rocher par un coup de sa baguette.
A Puzzuoli (d'où le mot porcelaine) on va voir la solfatare, ancien volcan éteint ou plutôt comblé par le cratère qui s'est fermé par ses propres cendres humides et par les sables détachés de ses bords, pendant l'éruption qui a déterminé l'étouffement. On marche dans le cratère même, trône de Pluton, et l'on sent qu'on foule un sol méchant, perfide et incertain, car les eaux et les feux souterrains ne se tiennent pas pour battus et auraient sans doute déjà triomphé, s'ils ne trouvaient pas une issue par le Vésuve avec lequel ils sont en communication. Partout à travers le sol suintent des filets de gaz méphitique; le plus grand trou lance une fumée plus chaude que l'épiderme n'en peut supporter et attache aux parois de jolis cristaux de souffre et d'arsenic. Comme en ce moment le Vésuve est en action, les fumeroles étaient tranquilles ou bien donnaient beaucoup moins de vapeurs que lorsque le Vésuve se reposait. Une pierre bondissant à terre faisait retentir le gouffre sur lequel nous marchions et
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que recouvre la craie, la pierre ponce d'un blanc éclatant qui fait mal aux yeux, les marrons et les gênets en fleur. Quelque jour le terrain s'écroulera, s'abîmera et formera un lac comme celui d'Agnano dans lequel les ruisseaux chargés d'alun s'écoulent entièrement, en engloutissant tout avec lui. Pour y parvenir il faut suivre l'ancienne grande route romaine qui aboutissait d'un côté à Rome, de l'autre à Brindes, en passant par Cumes et Baïes. La voie est encore en bon état surtout les grosses dalles qui servaient d'ornières pour les chars. Ce sont toujours les mêmes sur lesquelles a marché St Paul pour se rendre à Rome après avoir passé une semaine à Putéoli auprès des frères en J.C.
L'amphithéâtre de Puzzuoli est beaucoup plus petit que le Colisée, mais mieux conservé, car une éruption l'ayant enseveli sous les sables, c'est ainsi qu'il fut préservé des ravages de l'homme. Maintenant que le respect des ruines par lequel se maintient la tradition de l'art et de l'histoire s'est éveillé chez lui, l'amphithéâtre a osé reparaître au grand jour. Les rois de Naples ont fait faire des fouilles qui ont mis à découvert la moitié de la construction. Qui est-ce qui entreprendra de mener l'oeuvre à sa fin? Elle en vaut la peine, car la belle conservation où se trouve l'édifice permet de se rendre compte, bien mieux que partout ailleurs, des spectacles et de la mise en scène des anciens.
Toutes les belles choses tirées du temple de Sérapis se trouvent au musée de Naples. Ce temple servait au culte des nombreux négociants et marins égyptiens établis ou de passage à Putéoli, de même que l'on trouve aujourd'hui des temples protestants, construits ici pour le compte et l'usage de la colonie anglaise et allemande. C'était en même temps une maison de bains, mais ces émanations méphitiques étant une cause de malaria, cette source a été comblée. Il paraît que depuis sa construction le terrain a tour à tour considérablement baissé
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et haussé, de sorte que le temple se trouve en partie submergé, ce qui fait que les colonnes jusqu'à une certaine hauteur ont été perforées par des mollusques lithophages.
De là à Cumes on voit depuis la hauteur le Lucrin et l'Averne, on passe par une arche de vieil aqueduc baptisée arco-felice, et l'on arrive par un assez joli chemin fleuri, un peu sauvage, dans l'ancienne Cumes dont il ne reste que d'assez faibles vestiges honorés du titre de ruines.
Bientôt nous fûmes encore une fois sur la grande route romaine, toujours la voie appienne prolongée et pûmes nous imaginer être quelque écuyer romain se rendant avec sa dame aux bains de Baïes.
Pour atteindre ce but du voyage il faut franchir un long tunnel nommé la grotte de Pierre della Pace, oeuvre d'Agrippa où le guide précède la voiture avec des torches. On débouche sur l'Averne qu'on côtoie. Rien de saillant. C'est un petit lac dout Auguste avait fait un port, en le réunissant au lac Lucrin. Mais à la catastrophe qui a soulevé le Monte Nuovo en 1538 et qui engloutit quelques villages avec leurs habitants, la nature a défait l'oeuvre d'Auguste et séparé derechef les deux lacs en comblant en grande partie le lac Lucrin.
Qu'on se figure trois villages dévorés par l'abîme avec tout! tout! tout!....; quel évènement, quelle terreur, quelle incessante incertitude! la terre qui s'ouvre, les flammes qui vous attendent, l'enfer avant la mort et qui, impatient, vient vous surprendre dans la vie. Eh bien! on en parle tout à son aise. Ce que c'est que l'habitude!
Dans l'antiquité il courait toutes sortes de bruits sinistres sur ces environs qui alors peuvent avoir eu quelque chose de rebutant par leur solitude, par des forêts sauvages, des antres nombreux ou par des voleurs de grand chemin, par exemple comme Chamounix avant que Pococke n'eût risqué d'y pénétrer, et c'est sans doute aussi la raison pourquoi Vir- | |
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gile y a placé la scène de la descente d'Enée aux enfers. Il a fait visiblement usage de tous les bruits qui circulaient sur ce triste lac d'Averne qui n'en peut mais et qui n'en est pas plus noir que tout autre:
En un lieu sombre, où règne une morne tristesse,
Sous d'énormes rochers, un antre ténébreux
Ouvre une bouche immense; autour, des bois affreux,
Les eaux d'un lac noirâtre en défendent la route:
L'oeil plonge avec effroi dans sa profonde voûte.
De ce gouffre infernal l'impure exhalaison
Dans l'air atteint l'oiseau frappé de son poison,
Et de là par les Grecs il fut nommé l'Averne.
Nous aussi nous franchissons les domos Ditis vacuas et les inania regna sans trop de frissons.
Près de Cumes, entre le feuillage printanier, l'avare Achéron nous était apparu sous les traits du lac Fusaro. Sachant qu'il ne lâche pas sa proie, nous nous étions gardés d'en approcher:
‘Hinc via, Tartarei quae fert Acherontis ad undas’:
Le lac était entouré de tombeaux et Charon peut très-bien avoir existé dans l'apparence d'un vieillard morne et grincheux, sous celle peut-être, qui sait? d'un croque-mort, dont la poésie de Virgile a fait cette grande figure que le Dante a depuis chantée dans un langage plus concis.
L'antre de la Sybille aux bords de l'Averne est probablement une des grottes nombreuses auxquelles on a donné ce nom, afin que rien ne manquât à la décoration, et que la
Spelunca alta...., vastoque inmanis hiatu,
Scrupea, tuta lacu nigro nemorumque tenebris
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y fût de même que tout le reste. Comme on nous avait prévenus, nous n'y sommes pas descendus. Dans ce lieu ténébreux - contraste singulier - croît cet excellent Phalerne tant chanté par les connaisseurs.
Mais tous ces beaux vers appartiennent aux légendes, à l'imagination et ne servent qu'à donner un lustre immortel à un pays à travers tous les siècles et toutes les commotions de la nature et de la politique. Ces contes à propos de l'avenir de l'Achéron et de l'antre de la Sybille restèrent et resteront non sans doute comme des vérités réelles, mais comme un prestige unique et ineffaçable, même depuis que le positivisme de l'industrie fait entrer ces parages dans les nécessités de l'organisme de l'état.
Après avoir passé devant les bains de Néron et l'antre sulfureux, on arrive à Baïes, mais plus de villas, plus de luxe, plus de bains, presque plus de ruines et plus de vie, plus rien, si ce n'est un misérable hameau, puis un golfe avec quelques vaisseaux animant le tableau, et le château perché sur le haut d'un rocher.
Aussi le cocher ne se donne-t-il pas la peine de vous y conduire. Il retourne ses chevaux à un moment donné et vous reconduit chez vous par le nouveau chemin, c'est-à-dire non par la grotte de Pausilippe, mais par la montée du rocher de ce nom, où Virgile avait sa campagne, et le long de la Chiaia, promenade élégante de Naples.
Peu après je fis la découverte que le cocher nous avait trompés, en nous disant que le chemin qui se prolongeait devant nous prenait une autre direction et qu'il fallait louer une barque pour aller à Misène. Il n'en était rien, et c'était uniquement pour dépêcher plus vite sa besogne qu'il nous débitait ce mensonge qui nous priva du beau coup-d'oeil dont nous aurions sans doute joui sur ce promontoire classique.
Toute cette excursion est devenue une exploitation des
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voyageurs. Partout les ruines sont fermées et on ne les ouvre que si on fait l'offrande de dix sous. C'est comme cela que nous nous trouvions dans le sanctuaire de Sérapis. Nous nous préparions à partir et le gardien nous attendait pour recevoir ses cinquante centimes, lorsqu'une jeune fille qui ne pouvait être que la sienne, vint à nous et offrit une très-belle rose à ma femme. E molto bella, ajouta-t-elle avec un charmant sourire. Croyant naïvement que c'était une gentillesse de sa part pour réclamer l'entrée, je la lui donnai et sortis, mais le gardien de crier: Non sono pagato, et lorsque je lui fis remarquer que j'avais payé à la jeune fille, il ajouta d'un ton fort impertinent et bourru: E pagato la rosa, ma non l'entrata. On juge bien que je le laissai crier. Et voilà l'Italie!
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26 Avril.
- On vient nous annoncer qu'il est arrivé quelque chose de grave au Vésuve. Hier soir déjà la montagne était de plus en plus ardente, et M.M... ouvrant la croisée devant cet autel brûlant des hauts lieux, nous dit que beaucoup de monde était là. Vers minuit la conflagration était devenue tout-à-coup plus générale et plusieurs étrangers avaient péri. Un nouveau cratère s'était ouvert inopinément derrière eux et il n'y avait pas eu de retraite possible: cinquante blessés avaient été portés aux différents hôpitaux. Ce bruit n'était malheureusement que trop vrai. Des pierres avaient été lancées jusque dans les rues de Pompéi.
Lorsque je sortis - car la plupart des hôtels de Naples n'ont pas vue sur le Vésuve - je me trouvai en face d'un phénomène qui me donna un vrai saisissement, une secousse indescriptible et sous l'impression de laquelle je me trouve encore. La montagne avait entièrement disparu dans une épaisse fumée. Depuis le Vésuve jusqu'à Sorrente, le ciel bleu, où ne voguait pas un nuage, était d'une couleur d'ardoise, rendue plus foncée encore
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par le soleil donnant dessus du côté opposé, et le joli plumet blanc avait pris, comme pendant les angoisses d'un cauchemar, des proportions gigantesques. Rien ne rend cela, si ce n'est la fantaisie de Victor Hugo. Mais je n'ai ni sa plume, ni son vocabulaire, ni son magasin d'images. On reste muet, on pâlit ou bien on s'écrie: Seigneur, que veux-tu de nous et que va-t-il nous advenir?
Représentez-vous une mêlée de dix orages, et puis songez aux horreurs de la montagne, leur berceau mystérieux, ensuite voyez la grande mer à ses pieds, enfin sentez le passé surgir dans la mémoire, l'histoire qui, terrible, sans pitié ni scrupule, vous avertit, et écoutez la grande voix de la montagne qui tonne et tremble elle-même du colossal mugissement qu'elle pousse. C'est là Sinaï: Jéhovah va parler. Puis je rentre et je vois le soleil resplendissant, le ciel immaculé, la lame bleue qui me console et plus loin le riant Pausilippe et quelques frêles bateaux qui dansent sur la vague et semblent ne pas se douter des terreurs de la terre. Mais que sera-ce, que se passera-t-il ce soir? L'orage souterrain s'approchera-t-il? Rien ne nous préserve de sa présence. Je m'attends à voir un madrépore immense, saturé de matière enflammée et cédant à une pression inconnue.
6 heures du soir. - Je suis sorti de nouveau. L'énorme nuage s'est encore agrandi, est monté davantage dans le haut du ciel. Un fouillis de marabouts très-blancs, plus larges là où ils retombent gracieusement; le nuage ressemblait mieux encore à un morceau de pierre ponce, ou bien aussi - je cherche et ne trouve ni l'image, ni les termes justes - à un vieux morceau d'albâtre poreux, attaqué par les acides de l'atmosphère ou perforé par des mollusques lithophages. Il se tient fièrement dans une position verticale et en apparence immobile. Puis beaucoup de relief. Reflets éclatants dans la mer tranquille. La montagne toujours absorbée par ses fumées. Mais à mesure que la nuit
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tombe le Vésuve commence à rougir. Plus tard ce sera une forge, une fournaise. Puis les roulements souterrains, les hurlements sans répit, les beuglements retentissants de l'abîme ne sont guère soutenables et surpassent la force de résistance humaine; l'énergie succombe, l'intelligence est bouleversée et devant Pluton en courroux la créature devient mesquine, faible et lâche.
Ah! vous m'avez cru joli, gentil, musqué; vous m'avez flanqué la toque sur l'oreille et le plumet au vent ainsi qu'à un page galant. Nenni, mon cher! La montagne s'en tient offensée et rugit. Vous en avez appelé à mes grâces. Osez les adorer et leur faire la cour! Vous m'avez cru une montagne de société, un mamelon pour rire. Ecoutez et voyez! Je fais les ténèbres, je remplis la ville et les champs de désespoir et de clameurs, je lance la foudre et je sème l'épouvante.
10 heures du soir. Ainsi que je m'y attendais, la montagne - pour les Napolitains le Vésuve c'est la montagne par excellence - est un brasier. Quel foyer énorme! Mais comme la lune n'est pas levée, tout est plat. Si on ne savait pas que c'est une chose réelle et sérieuse on dirait au premier aspect un feu de Bengale, un décor d'opéra, le cinquième acte de la Muette de Portici. Le cratère, au lieu de son plumet blanc, porte un panache ardent, d'où partent des lapilles et des étincelles, pluie d'or perpétuelle d'un feu d'artifice gigantesque. Les longs serpents de lave coulent partout le long des flancs de la montagne; à de nouvelles traînées s'ouvrent des passages inattendus; les villages brûlent, ils sont inondés de cette fonte invincible et impitoyable que l'on voit briller de loin comme une mare d'eau après une averse.
Tout le monde fuit. On rencontre de longues files de chariots, portant des déménagements subits et forcés.
Mais on dirait que le cratère commence à se reposer; les bruits souterrains s'apaisent, par contre il y a plus de fumée,
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et l'on croit distinguer encore d'autres courants. Celui-là est bien près de l'Observatoire. L'aurait-il emporté de même que l'Ermitage? Mais il restera debout, la nature respectera la science, son fidèle et respectueux interlocuteur. Celle-ci demande, celle-là répond; l'une analyse et scrute, l'autre se laisse faire; quelquefois la nature prend la parole et la science, humble et reconnaissante, découvre.
Mais on ne se rend plus un compte exact, ni des laves, ni des fumeroles, ni des crevasses; l'oeil s'égare et se perd dans les ouvertures et les laves des dernières heures, et lorsque peu après je quitte le lieu de la scène, la partie supérieure de la montagne disparaît complètement dans la masse des nuages de fumée. Quel incendie! Il y a foule dans les rues, beaucoup d'équipages arrêtés le long de la Marine, comme à une solennité publique, une course de chevaux, une revue ou un enterrement de prince. Les cochers de fiacre profitent de l'occasion pour créer des tarifs fantaisistes et vous mettre le couteau sur la gorge.
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27 Avril.
- La montagne dort, elle est fatiguée. Des vapeurs noires qui s'étendent à plusieurs lieues de distance l'enveloppent comme des rideaux pendant son assoupissement. Elle se cache soigneusement, comme si elle se sentait honteuse des désastres qu'elle vient de causer. Ces vapeurs sont pour la plus grande partie des laves fumantes. Les singuliers fantômes qui, hier au soir, se tenaient immobiles ainsi que des cerfs-volants dans les airs, pareils non pas précisément à des marabouts, comme je le disais, mais bien plutôt à de la graisse amoncelée. La nuit les absorba et il n'en restait plus nulle trace ce matin. Le pied seul du Vésuve est visible et laisse apercevoir à travers le brouillard les effluves de laves récentes, d'un noir qu'égalent seules les plus denses ténèbres.
Le village de San-Sebastiano n'existe plus. Portici et Resina,
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quoique très-menacés et abandonnés par leurs habitants, n'ont pas été atteints. Voici ce qu'on apprend sur le désastre de l'autre jour: les curieux s'étant aventurés un peu plus loin que l'Observatoire, ce qui pouvait se faire sans la moindre imprudence, suivaient leurs guides, en marchant sur les scories des laves de 1871, afin de s'approcher de celles qui venaient de se produire. Tout-à-coup - évènement imprévu et presque imprévoyable - le volcan se fendit soudain sous les pas des malheureux, ses flancs s'ouvrirent, et en moins de temps qu'il ne faut pour en faire le récit, une énorme masse de lave, précédée d'une fumée épaisse, se précipite avec violence. Il est impossible de dire ce qui se passa alors. Les guides donnèrent l'alarme et tâchèrent de fuir avec leurs sociétés. Mais comment fuir, aveuglés par la vapeur comme ils l'étaient et debout sur une pente qu'on ne réussit à descendre qu'à quatre pattes? Un cri part, un cri pompéien - l'adjectif est local et peint d'un trait la nature de ce désespoir exceptionnel. Sauve qui peut! Talonnés par les laves qui s'avancent sans cesse, ceux qui ne furent pas assez lestes, ni assez exercés, furent atteints, engloutis, dévorés comme par quelque engrenage mécanique. Un instant après il n'en restait plus même trace; ils seront tout simplement notés comme non revenus à leur hôtel. Quant aux blessés, la plupart sont morts à l'hôpital - l'homme ne vit pas sans épiderme.
En suivant l'énumération des fermes, des bâtiments publics etc. détruits aux endroits entamés, un journal ajoute que ces bâtiments ont été ensevelis sous des lapilles et d'autres matières combustibles, vomis par le volcan, à la hauteur d'un premier étage. On peut se faire ainsi une faible idée de l'épouvantable catastrophe. Je ne l'ai vue que de très-loin comme un spectacle et je frissonnais; qu'aurais-je éprouvé aux lieux mêmes, où tout fuyait, où tout brûlait comme pendant le sac d'une ville, où la lave sapait les propriétés, où une pluie de
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fragments, sortant des entrailles de la terre, écrasait les clochers, assommait les habitants!
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28 April.
- A sept heures j'avais poussé les volets et distinguais à peine le parapet du côté opposé au quai. Immanquablement un nouveau tour du Vésuve, car des brouillards, et des brouillards aussi bien conditionnés, aussi consistants que ceux-ci dans cette saison, sont inadmissibles. Aussi vient-on me prévenir qu'il a plu de la cendre pendant toute la nuit et que le pavé, les maisons en sont couvertes. Apparemment que le vent aura changé et que les noires vapeurs que nous vîmes s'étendre hier aux environs du Vésuve seront venues sur la ville.
Pour le moment l'immonde pluie a cessé. Vers huit heures je vais sur mon balcon. Ce n'est pas de la cendre, c'est un sable noir, de mauvaise odeur et sale. Peu à peu l'étouffante prison où nous sommes enfermés s'élargit; vers Pausilippe la côte commence à percer, la brûme se dissipe, et à dix heures il y a un petit jour qui ressemble à un rayon de soleil.
Voici comment je me figure d'où cette pluie de sable fin provient. Ce que rejette le Vésuve consiste en une espèce de limon. Quand la colonne de vapeurs qui en est chargée se décompose dans certaines conditions de l'atmosphère, le sable ne trouve plus d'élément qui le soutienne et, transporté dans la direction du vent, retombe sec et dégoûtant sur le sol ou est déposé sur les objets qu'il rencontre.
Mais sauvons-nous à Sorrente, allons y chercher un air pur! Naples n'est vraiment plus tenable. Elle est brûlante. L'aspiration des molécules Vésuviennes, entrées dans le poumon, vous fait tousser, elles vous suffoqueraient au besoin et je vais me soustraire à temps au destin de Pline. Sauvons-nous et fuyons vers les brises embaumées, que nous apporteront la mer et les orangers en fleur!
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Nous partons pour Castellamare par le train d'une heure et nous nous dérobons à la chaleur brûlante de la ville. Arrivés au lieu de notre destination nous éprouvons tout de suite un grand soulagement, surtout lorsque nous sommes arrivés à Quisisana, nom de bon augure, petite bicoque royale avec un joli jardin et entourée de bosquets ombragés de châtaigniers. L'air y était frais et parfumé et doit être en effet fort salubre. Mais c'est surtout à son exposition sur un rocher au-dessus de la ville et à la terrasse devant le château que Quisisana doit sa réputation. Malheureusement la direction actuelle du vent gâtait totalement le beau panorama qui s'étend autour du spectateur. Il n'y avait partout que brume noire, triste, impénétrable, et du cratère de la montagne sortait toujours lentement, péniblement, le même plumet blanc s'élargissant par en haut que nous vîmes déjà la veille. Il se tenait fièrement dans une position verticale, en apparence immobile, et ressemblait à un vieux morceau d'albâtre très-poreux, attaqué par les acides de l'atmosphère.
Il n'y a presque plus de cendres ici, mais beaucoup plus à Salerne. Sur la terrasse à Castellamare nous avons entendu distinctement des grondements sourds et interrompus de la montagne, un dernier hoquet, et voyons des filets blancs sortir des nouveaux cratères.
Nous quittons Castellamare à cinq heures. Nos trois chevaux brûlent la route, large, sinueuse, longeant toujours les rochers. Cette route est un grand spectacle et domine un espace fort étendu. D'un côté la mer où se mire admirablement le pâle soleil du soir. La côte est pittoresquement festonnée par des rochers peu élevés, mais à pic, où les flots se brisent harmonieusement; c'est bien une côte sonore, comme dit Lamartine. Juchées sur les montagnes plus distantes le pays est couvert de jolies villas et de quelques centaines de maisons éparpillées entre des vergers interminables d'oliviers, de citron- | |
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niers, d'orangers, dont les parfums remplissent l'atmosphère, ce qui fait grand plaisir d'abord, mais ne tarde pas à devenir ennuyeux, gênant et même désagréable. La vue du petit endroit de Meta, au loin dans la plaine, mais toujours sur le roc, là où la route commence à descendre ayant la mer à ses pieds, est vraiment surprenante. Dommage que l'horizon se cachait dans les brouillards du Vésuve; Ischia était à peine visible, de sorte que le fond était complètement perdu et que le Vésuve n'était qu'une tache noire et parfaitement informe. Là-bas tout était vapeur. Du reste quelque beau que soit le paysage étendu d'un tapis vert d'oliviers, émaillé d'habitations blanches, ce n'est qu'un spectacle, une décoration, mais il ne dit rien à l'âme; il parle aux sens, point au coeur. C'est bientôt vu. L'impression est toute superficielle. Là, pas de mystère, pas de rêverie.
A Meta je vis une horloge sans aiguilles, j'entendis néanmoins son tictac. C'était bien l'image des Italiens, toujours braillants, peu de besogne.
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29 Avril.
- Toute la nuit le Vésuve a rugi, on voyait distinctement couler encore un peu de lave. Avant-hier et hier nous eûmes un sirocco bien constitué. L'air était étouffant, les nuages de poussière s'élevaient plus haut que les maisons, les flots grisâtres de la mer se brisaient avec fracas contre le quai sous mes fenêtres, un ciel sombre planait au-dessus de l'eau et la monotonie du pays ne laissait rien à envier à quelques lugubres journées que je passai autrefois à Scheveningen. Heureusement le vent se calma hier soir, il plut à verse toute la nuit, et dans cet instant je vois le bleu pur du ciel se mariant à celui de la mer et se perdant à l'horizon, tandis que la baie s'épanouit aux doux rayons du soleil jusqu'à Puzzuoli.
Quelques heures plus tard, encore de la pluie. Le Vésuve est caché par de gros nuages. Je vais voir une fabrique
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de marqueterie, l'industrie spéciale de l'endroit, ainsi que celle des écharpes, des bas, beaucoup moins bien travaillés qu'à Rome. Il y a plusieurs de ces fabriques. Les ruelles ont une odeur d'atelier de menuisier. Mais il n'y a que la fabrique royale, qui occupe deux-cents bras, où le travail est véritablement supérieur et qui laisse à grande distance les productions des autres fabriques, particulièrement sous le rapport de la mosaïque neuve, soi-disant Romaine. Les compositions ressemblent à ce qu'on voit à Nice, mais c'est plus parfait, mieux dessiné et plus subtilement travaillé; nulle part on ne remarque le passage de la scie, et on a profité de toutes les nuances de la couleur du bois pour les parties claires et obscures.
La mosaïque romaine que l'on ne connaît pas à Nice et dont on se sert pour les bordures et les encadrements, ne se fait pas à la main, mais par une mécanique ingénieuse. On colle ensemble plusieurs planches de couleurs différentes, puis on scie ces planches par bandes très-minces, qu'on colle encore une fois les unes après les autres, selon le patron qu'on désire obtenir. C'est très-ingénieux. J'ai trouvé les ouvriers, la plupart des jeunes garçons, intelligents et éveillés. On emploie de préférence des enfants, à cause de la finesse de leurs doigts et parce qu'ils ont plus d'application. Je pense que c'est par la raison que cet ouvrage les amuse. C'est une espèce de méthode qui prouve l'excellence du système. C'est dommage que les objets qu'on vend soient si grossièrement montés, sans goût, ni soin!
Vers le soir le vent s'élève et dans la nuit il y a du tonnerre.
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30 Avril.
- Le matin donne quelque espérance d'un temps passable, mais plus tard il y a encore du tonnerre et beaucoup de pluie pendant toute la journée. Pas un indice de soleil. Impossible de se procurer la moindre distraction. On ne voit absolument rien.
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1 Mai.
- Fait une excursion à Massa, petit trou voisin, où se trouve une maison d'invalides. La route serpente au milieu de forêts de citronniers et d'oliviers. Les vues sur Capri, le Vésuve et les côtes doivent être belles. Par malheur tout cela était caché par des nuages. La route est ravissante, surtout en revenant vers Sorrente. Au détour d'un zigzag elle apparaît tout-à-coup, assise paisiblement sur son rocher aplati, dans ses bois parfumés avec tous ses sites et points de vue. Aujourd'hui cependant cela n'avait pas de couleur. Un avantage ici, c'est que le brouillard italien est d'un bleu transparent tandis que notre brouillard à nous est gris et opaque.
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2 Mai.
- Le temps est toujours à la pluie, il faut partir forcément et au lieu de nous morfondre plus longtemps nous prenons le bateau à quatre heures.
En ce moment le ciel se couvrit, il devint menaçant et un orage nous prit pendant la traversée qui dure une heure et demie. En revenant à Naples l'averse avait cessé, mais le mélange de l'eau avec le sable noir et salissant qui était tombé sur la ville pendant notre absence, rendait les rues impraticables. C'était un gâchis dont on ne se fait pas une idée.
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3 Mai.
- On nous avait recommandé de visiter Pompéi vers le soir, à cause de la chaleur, mais aussi parce que les effets de lumière sont bien plus beaux vers cette partie du jour. La grande question était de savoir quand Pompéi fermait, et à Naples pas un seul Napolitain qui put nous renseigner, car dans l'univers il n'existe pas de gens moins informés que les habitants du royaume de Naples, ignorance et mauvaise foi en même temps. L'oeil napolitain darde le mensonge, l'astuce, la dissimulation.
Nous partîmes donc pour Pompéi par le train de trois heures et demie. Mais au moment de quitter notre hôtel nous vîmes un
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second orage, pareil à celui de la veille, qui se préparait à fondre sur nous. Il éclata lorsque nous descendîmes au lieu de notre destination. Le ciel était d'un bleu noir, derrière Pompéi des nuages d'un blanc cru et des crevasses qui laissaient apercevoir un bleu très-clair, puis le Vésuve, aride, pelé, tout arrosé de laves comme des glaciers sombres et funèbres. Tout cet ensemble faisait un paysage d'une grande originalité, mais un temps pareil - il faut bien l'avouer - n'est guère fait pour jouir de Pompéi et en observer à loisir tous les détails. Le tonnerre retentissait et la pluie recommençait à tomber, lorsque je mis le pied sur les dalles de la ville enfouie. Nous nous sauvâmes au petit musée où se trouve une collection peu intéressante d'amphores et de lampes qui sont d'une uniformité désespérante. Ce qui console de ce désappointement c'est qu'on y voit également les cadavres conservés dans les cendres qu'on a trouvées et qui ont assez bien gardé les formes humaines. La mère et la fille - comme on appelle ces objets, vraies fritures humaines, la fille portant encore la bague à son doigt - ont vraiment gardé une certaine élégance, bien que tous ces monstres gris ressemblent un peu à des crapauds ou à des figures ouatées.
En sortant je n'osai pas hasarder une promenade de crainte d'une averse, et quand même je me serais livré à mon conducteur, je n'aurais pu parcourir une partie suffisante de la ville, car il était cinq heures et à six heures on ferme et le conducteur vous mène de façon à ce qu'il vous tire sa révérence à la porte d'entrée, juste à l'heure sonnante. Qu'on se le tienne pour dit! Et c'est comme quoi le tonnerre de concert avec l'heure auront fait que je partirai de Naples sans avoir vu comme il le faudrait les ruines de Pompéi.
Ce que j'ai observé c'est que déjà les abords modernes offrent une symétrie, une nudité, une sobriété qui prépare bien au style et à l'esprit de ce que l'on va voir. Le petit
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débarcadère fait pendant à l'hôtel Diomède. Ces deux bâtiments sont reliés par une allée sans arbres et derrière l'hôtel s'élèvent des espèces de bastions, de hautes digues produites sans doute par les laves et les cendres rejetées, ce qui donne à Pompéi avec les guérites, placées au haut des retranchements, l'air d'une ville fortifiée. Les soldats sont placés là en observation des curieux, et pour prévenir toute soustraction, ils ont ordre de tirer sur les voleurs, et il n'en manque pas.
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4 Mai.
- Nous n'avons pu nous dispenser d'aller sur les lieux mêmes à Crocelli et à St. Sébastien examiner les traces du fléau de la semaine passée. A Resina on prend à gauche par le grand village de St Georges, et nous ne nous plaignons ni des douleurs que nous éprouvons en marchant ni de l'inconcevable spectacle qui se présente à nos yeux.
Pour se faire quelque idée de ce qu'est un courant de lave, il faut l'avoir vu de très-près, il faut l'avoir tâté, pressé, senti, avoir assisté à son lent travail de refroidissement.
Figurez-vous une masse noire, infecte et fumante, un peu plus haut que les plus hautes digues de nos fleuves, vingt mètres. Nous l'avons traversée; une promenade sur une lave de scories, qui coule vite et roule toutes sortes d'horreurs pierreuses en opposition avec la lave pure qui n'est que de la fonte et marche lentement et solennellement et crée en se consolidant ces formes étranges dont nous avons parlé et qui éveillent l'imagination.
C'était fort pénible. Nos pauvres chaussures s'abîmaient sur ces fragments pointus et douloureux, et nous comprenions mieux que personne comment il avait été impossible aux victimes surprises par la fumée de se sauver dans cette nuit d'horreurs et d'épouvante. Le sol était encore si chaud que nos pieds cuisaient et la fumée qui sortait des profondes crevasses de ce glacier brûlant était suffocante et répandait une odeur comme celle
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de l'établi d'un forgeron, quand le travail est en train. Partout des monceaux de cendres, puis alternativement des cendres et des lapilles le long de la route. Les moutards se vautrent dans ces ordures avec une joie qui compense pour eux les anxiétés de la semaine passée. On dirait des pourceaux.
Plus loin c'est Crocelli. Mais là les laves nous empêchent d'aller plus loin, et déjà une troupe d'industriels les uns plus dégoûtants que les autres vous guettent avidement et comme des sauvages de l'Océanie convoitent vos gros sous en échange de leurs petites industries métallurgiques. Un guide s'empare de vous, et suivant un sentier tortueux et mouvant nous marchions entourés de cheminées naturelles comme sur un toit pendant, provenant des laves au fond encore rouges et incandescentes. Pour monter et descendre cette gigantesque traînée on avait pratiqué des espèces de marches. L'ouvrage avait été dur et méritait bien quelques sous.
Le fleuve de feu avait envahi une partie de la grande route et l'avait prise à angle droit, en épargnant le village. Il n'en avait pas été de même pour le pauvre hameau de St Sébastien où nous nous rendîmes ensuite, en continuant la chaussée interceptée et où nous arrivâmes après une demi-heure de promenade. Là les laves s'étaient montrées encore plus formidables et avaient emporté une quarantaine d'habitations, des villas, et aussi des maisons de journaliers, de petits bourgeois. La masse était moins éteinte et moins solidifiée ici qu'à Cériola; l'ébullition, les fumées, la lave rouge du fond, la chaleur, la mauvaise odeur, l'air suffoquant était encore plus intense et intolérable.
On voyait comment la matière s'était jetée sur les habitations sans qu'il en restât vestige; on se faisait une juste idée de son élévation, en comparant le niveau où nous nous trouvions avec la rue coupée par laquelle nous avions débouché et nous reconnûmes sur le fait la façon dont Herculanum avait dû succomber, en voyant comment la lave était venue frapper à
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la porte, l'enfoncer, briser les carreaux et pénétrer d'un bond dans l'appartement, grimper sur le lit et surprendre les époux endormis et les étreindre tous les deux de son infernal et mortel embrassement, pour laisser aux siècles à venir le moule informe de son baiser jaloux.
Mais ce qui était plus affreux, plus désolant que ce récent passé, sur lequel il fallait prendre son parti, c'étaient toutes ces campagnes brûlées, ravagées, ces vignes noircies, ces espérances détruites, ces hectares où la destruction avait soufflé. Un mauvais ange était sorti des entrailles de la terre et dans sa soif, son délire de nuire et de mal faire, de semer les larmes, la faim, le dénuement et le désespoir; dans sa rage contre la beauté et la fécondité, il avait fait pleuvoir sur ces plantations en fleurs, renaissant aux brises printanières, des cendres et des lapilles brûlantes et avait sur le paysage fait descendre la mort et l'indigence. Un suaire lugubre couvrait les champs d'une couleur de feuilles mortes et pour cette année du moins il faudrait renoncer à tout espoir de récolte. Mais la charité publique et privée interviennent.
Le coeur serré nous reprîmes la route que nous venions de faire, retraversâmes les deux Phlégétons fumants et stériles, d'où la vie est bannie et dont les émanations tuent les petits oiseaux éperdus. Puis arrivés sur la grande route..... Mais ceci nous mettrait sur un autre chapitre.
Demain nous repartons pour Rome et allons y retrouver un peu de calme après tant de jours de surexcitation. Un mot pourtant avant de dire adieu à ce portique de la Grèce!
Ces jours de conflagration générale de sa montagne ont bien prouvé que Naples avait son héros, le professeur Palmieri, héros de la science et dont le champ de bataille était le sol perfide qui vomissait la flamme, qui se fondait, s'écroulait, se dérobait, se transformait en gouffre. Il était là à son Obser- | |
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vatoire tranquille observateur des effroyables et grandes choses qui se passaient autour de lui, calme au milieu des vagues enflammées, fidèle à son poste d'honneur, bien qu'ignorant s'il ne serait pas emporté avec sa tour dans quelque cataclisme universel et rendant ses oracles qui devaient tranquilliser les populations effrayées et tremblantes devant un avenir prochain qu'elles se retraçaient sous les couleurs les plus noires.
Si le courage civil a quelque valeur, nous ne pouvons qu'exprimer notre étonnement de ce que le pays dans un élan d'enthousiasme ou quelque fonctionnaire qui le représente n'ait pas encore décerné au professeur Palmieri quelque honneur exceptionnel et digne du pays qu'il honore. Les journaux lui ont prodigué les épithètes les plus flatteuses et l'Institut de France s'est empressé de rendre justice à son mérite.
Il n'est personne qui n'apprécie Rome à sa juste valeur, qui n'en reconnaisse la haute signification et qui en arrivant de Naples ne s'écrie: Je t'aime! j'ai appris à t'aimer là-bas sans m'en apercevoir d'un amour couvé sous les cendres du Vésuve! Bienvenus me soient ta sérénité, ton sérieux, ton repos, ton apaisement après la poussière, le vacarme et le vide de Parthénope, qui après tout n'est qu'un tableau. Tenezvous en à la première impression qui est délicieuse, passez deux jours au Musée, gardez- en un pour Pompéi, un pour le Vésuve, un pour les champs phlégréens, puis sauvez-vous à Sorrente et ne revenez que pour repartir!
Naples d'ailleurs ne gagne pas à être connue, observée, regardée de près; Naples est la patrie de la mauvaise foi, l'homme y tient du singe, je ne parle pas des gens comme il faut qui, cosmopolites, sont partout les mêmes. Oh, comme on s'y fait du mauvais sang, comme on s'y entend à merveille à vous gâter les agréments du voyage! Et Caserta et Baïes et Sorrente et Pompéi en pourraient porter témoignage. Le guide
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du Vésuve m'engagea même à tromper de concert avec lui ses collègues.
Personne à Naples ne regarde son prochain comme honnête. Je recommande un marchand à M.V. en ajoutant: cela ne se rencontre pas tous les jours à Naples. Réponse: quel est son nom? car si le coquin allait vous manquer de parole je pourrais le relancer. - Puis les horribles gueux qui sont à vos trousses du matin au soir, ne se laissant pas décourager par quoi que ce soit et pour qui l'étranger n'est qu'un facile et mercantile amusement par les duperies qu'ils lui infligent! En un mot le genre humain est là, laid de figure, de regard, de taille, traduction fidèle de leur âme.
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