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II.
Deux succès aussi importans obtenus en un jour, avaient exalté le moral et l'audace des assiégés d'une manière inexprimable. Toute crainte de l'ennemi avait cessé. Soldats, bourgeois, paysans, femmes, travaillaient aux retranchemens avec un courage et une gaîté qui témoignaient de leur confiance. On entendait du camp espagnol les chansons des travailleurs, qu'interrompaient de temps en temps quelques coups d'arquebuse adressés aux pionniers, quand ceux-ci avaient l'imprudence de se montrer à découvert.
Le duc de Parme avait trop profondément ressenti l'affront fait aux armes espagnoles, pour qu'il ne pressât pas les travaux du siége par tous les moyens qui se trouvaient en son pouvoir. Déjà deux fois le conseil de guerre s'était assemblé et François de Montesdocha, ancien gouverneur de Maestricht, qui connaissait parfaitement le côté faible de la place, avait fait prévaloir son avis, partagé du reste par Farnèse et Serbellon, qui consistait à prati- | |
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quer la brèche dans le bastion le plus rapproché de la Meuse, vers la porte de Bois-le-duc; toutefois Farnèse n'osa rien décider avant l'arrivée du grand-maître de l'artillerie, le comte de Berlaimont qui se trouvait à Namur où il pressait l'envoi de l'artillerie de brèche et des fascines nécessaires aux travaux d'un siége qu'on pressentait devoir être long et difficile.
L'opinion du comte de Berlaimont fut différente de celle de Montesdocha; il prouva qu'une attaque de ce côté pourrait coûter beaucoup de monde, tandis que du côté de la porte de Tongres, les chemins étant profonds, couvriraient le soldat pour le commencement de la tranchée; qu'il y avait à la porte de Tongres une vieille tour et un bastion saillant, facile à abattre et dont les débris seraient plus que suffisans pour combler le fossé.
- Comme ancien gouverneur de la place, messieurs, dit Montesdocha, je dois vous avertir qu'une attaque de ce côté vous coûtera cher.
- Et depuis quand avez-vous vu prendre une ville sans y monter par un marche-pied de cadavres! dit Berlaimont.
- Comte, ceci vous regarde! dit Farnèse, prouveznous par le succès que vous avez raison, mais soyons avares du sang de nos soldats, il y a des victoires plus douloureuses que des défaites.
- Que votre altesse se rassure, l'événement prouvera j'espère, que ce n'est pas sans de longues réflexions que je tiens à faire prévaloir, mon avis; du reste, ceux qui trouveront le chemin trop difficile, n'auront qu'à me suivre je leur montrerai la route.
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- Vous n'aurez pas le souci de me l'indiquer, à moi, comte! dit Montesdocha avec hauteur.
- La paix, messieurs! la paix! fit Alexandre avec un sourire, il y aura de la gloire pour tous; nous accédons au projet du comte de Berlaimónt, on commencera les batteries demain.
En effet, les travaux poussés avec vigueur sous les yeux du général espagnol étónnèrent les assiégés qui s'étaient attendus de voir commencer l'attaque à la porte de Bois-le-duc. En quelques jours les batteries furént achevées et le canon débarqué des bateaux y fut placé aux acclamations des troupes, impatientes du combat et des émotions sanglantes de l'assaut.
Le 25 mars on comraença donc à battre la ville avec quarante-six pièces de canon, dont la plus grande partie était pointée contre la tour et l'angle saillant de la porte de Tongres. Les boulets se succédaient sans relâche et bientôt une partie de la muraille combla le fossé, mais pas assez pour permettre l'assaut. Pendant ce temps, Tapin, calme et souriant, faisait achever à l'intérieur un retranchement et un fossé nouveaux que les Espagnols découvrirent après avoir inutilemént battu la muraille de 6000 coups de canon.
Cependant Tapin disposait tout pour résister à l'assant; les compagnies de bourgeois armés jointes à la garnison et à cinq cents robustes paysans armés de fléaux ferrés, attendaient le signal derrière les remparts. Les femmes travaillaient aux brèches avec un courage et une activité qui ne pouvait faillir et faire des héros de tous les défenseurs de la cité. Martyns lui-même et ses acolytes prêtaient une main officieuse aux travailleurs pour mieux cacher
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leurs soutevraines menées. La journée du 26 se passa ainsi dans l'attente d'un assaut; tout ce qui pouvait porter une arme attendait le signal de paraître aux remparts. Mais la vigilance de Tapin découragea les assiégeans, qui apercevant à travers la brèche un nouveau rempart, plus formidable que le premier, s'élevèrent eu plaintes contre le grand-maître de l'artillerie qui avait rendu tant de travaux et d'efforts inutiles.
Voyant que l'ennemi découragé se disposait à abandonner la porte de Tongres pour attaquer celle de Bois-le-duc, Tapin et Melchior de Heerle firent une soudaine et impétueuse sortie sur l'ennemi, qui, cette fois, n'étant plus pris au dépourvu, résista mieux, encouragé par la présence d'Alexandre de Parme. Toutefois rien ne put empêcher les assiégés de combler et de détruire une partie de la tranchée ainsi qu'une mine préparée par Serbellon.
Pendant cette sortie dans laquelle les deux partis perdirent à peu près le même norabre d'hommes, le capitaine Blommaerts, s'étant tropengagé, fut fait prisonnier, Manzan cependant fut frappé de la facilité avec laquelle il rendit son épée et du soudain changement qui s'opéra dans les manières des Espagnols, aussitôt qu'il leur eût adressé quelques paroles qu'il ne put entendre, éloigné comme il l'était; cette circonstance le frappa vivement, il se résolut cependant de n'en rien dire avant de pouvoir trouver une base solide à ses soupçons.
En effet, Blommaerts ne s'était avancé au milieu des ennemis que pour pouvoir sans éveiller de soupçons, discuter les conditions de sa trahison. Attaqué par deux cavaliers espagnols, il jeta son épée et demanda qu'on le conduisit au duc de Parme.
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- Au duc de Parme! et pourquoi faire? te crois-tu trop grand seigneur pour ne pouvoir traiter de ta rançon qu'avec lui.
- A mort l'hérétique, dit l'autre soldat en armant un pistolet qu'il dirigea vers l'Allemand.
- Je veux parler au duc de Parme, mort diable! dit Blommaerts; le premier qui porte la main sur moi, s'y brûlera les doigts, j'ai des choses de la plus haute importance à communiquer à son altesse!
- C'est un déserteur qui vient vendre ses frères, fit le soldat en toisant le capitaine d'un regard de mépris.
- Gavacho! dit l'autre, j'ai bien envie de terminer son ambassade en lui mettant une balle dans la tête.
- Allons! en marche, huguenot, fit le premier soldat; malheur à toi, si tu nous en imposes, tu n'auras rien perdu pour attendre!
Alexandre se trouvait dans une des batteries couvertes, quand on lui amena le prisonnier; il avait auprès de lui Camille Capizucchi, Lopez de Figueroa, Serbellon et quelques autres chefs, avec lesquels il discutait l'importante question de l'assaut à donner.
A la vue du prisonnier un silence se fit, et Alexandre se tournant vers les soldats qui l'accompagnaient, leur demanda d'un air étonné:
- Quel est cet homme, Pedro?
- Un prisonnier, altesse, qui demande à vous parler: il nous a dit avoir des choses de la plus haute importance à vous apprendre; Manoël voulait le tuer, je m'y suis opposé.
- Que voulez-vous de moi, et qui êtes-vous? dit Far- | |
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nèse à Blommaerts qui supportait à grand' peine les regards inquisiteurs des témoius de cette scène.
- Je m'appelle le capitaine Blommaerts, vous connaissez naissez mon nom, et mon nom dira à votre altesse l'objet de ma mission.
- Ah! oui, je me souviens! fit Alexandre d'un ton méprisant, vous êtes l'homme de maître Martyns. Eh bien! où en êtes vous de votre projet, comptez-vous toujours nous livrer la ville.
- Nous avons réfléchi, prince! Vingt mille écus d'or sont peu de chose pour tant de monde, et puis Maestricht vaut mieux que cette somme; les conjurés murmurent, et comme notre secret ne nous appartient plus, il y a lieu de craindre que l'appât d'une meilleure récompense ne le fasse manquer.
- Pardieu! voilà un effronté coquin! dit Serbellon, il traite d'utie trahison comme il marchanderait un pourpoint.
- Et vous voulez combien? dit Farnèse.
- Quelques mille ducats de plus ne ruineront pas votre altesse, et quoiqu'elle ne soit pas habituée à entrer dans les places par de tels moyens, il est à désirer que nous nous entendions; la place est forte, bien pourvue de gens de coeur, de munitions de toute espèce: votre altesse y entrera sans doute, mais mieux vaut, pour y arriver, un pont d'or qu'un pont de cadavres.
- Ça, maraud, en quel lieu as-tu fait tes études et pris tes degrés en la science de la trahison et de l'impudence| dit Figueroa.
- Faites brancher ce misérable au premier arbre venu, ajouta Serbellon, nos canons nous ouvriront les portes
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de Maestricht plus honorablement que ce reitre sans pudeur!
Alexandre sourit, et se tournant vers Serbellon, lui dit à mi-voix: Laissez-moi traiter cette affaire, mon père; nous avons, grâce à Dieu, assez prouvé que nous savons prendre des villes autrement que par de tels moyens. Il s'agit ici de ménager le sang de l'armée, et ma position de général m'impose d'autres devoirs qu'à vous, dont la loyauté s'indigne d'une aussi cynique bassesse.
Pendant ce court colloque, l'Allemand fourbissait la plaque de son ceinturon avec sori gant de buflle, de l'air le plus tranquille du monde.
- Vous aurez vos trente mille ducats, messire, dit Farnèse en se tournant vers le capitaine.
- Alors Maestricht est à vous, altesse.
- Et quand?
- Au premier assaut; faites-le nous connaître en allumant un feu la veille dans le fort qui regarde la porte de Tongres: donnez l'assaut au lever du soleil, vous trouverez les portes ouvertes et les sentinelles endormies.
- Mais si tu retournes vers les tiens, que leur diras-tu? Qui ouvrira les portes, endormira les sentinelles?
- Que votre altesse se rassure! tout sera fait comme je le dis; quant à moi, faites-moi poursuivre demain par quelques mousquetaires jusque sur le glacis, qu'on me tire même quelques coups de feu, innocens bien entendu! je serai censé m'être échappé et rapporter aux assiégés des renseignemens précieux sur vos forces, vos desseins et l'état de votre armée.
- Par ma foi! dit Farnèse stupéfait de cette immense
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impudence, qui me répond que tu ne négocies pas deux trahisons à la fois.
- Votre altesse me juge bien mal! Grâce à elle, il n'y a que des horions à gagner avec les Etats. On me doit deux montres, j'ai perdu au service des Etats deux chevaux et usé trois pourpoints, sans compter quelques coups de feu que j'ai reçus, or je veux me rattrapper de mes pertes.
- Qu'il en soit donc comme tu le veux, fit Alexandre en le congédiant du geste, et sois prêt au signal! car, pardieu, je te fais pendre comme un chien, si tu n'exécutes fidèlement tes promesses.
L'Allemand baissa la tête et sortit en saluant humblement les chefs qui le contemplaient avec mépris.
Le lendemain, au point du jour, les sentinelles signalèrent un homme qui fuyait vers la ville, poursuivi, d'assez loin, par quelques soldats espagnols qui lui tirèrent plusieurs coups de mousquet sans l'atteindre. Arrivé près des murs, on reconnut le capitaine Blommaerts qui faisait signe qu'on abattît le pont. On se hâta de le recevoir, tandis que les sentinelles faisaient feu sur les poursuivans pour les arrêter. Ce fut Lesly, capitaine des Ecossais, qui reçut le transfuge.
- D'où diable venez-vous ainsi! capitaine, dit Lesly, chacun vous croyait mort, pendu ou fusillé!
- Mortdiable! je l'ai échappé belle; pour m'évader j'ai étranglé un Wallon, sauté par-dessus le fort, et grâces à mes jambes et à mon patron, me voilà! mais j'ai hâte de revoir le commandant Tapin, afin de lui faire part des observations que j'ai faites pendant ma courte captivité.
- Quand on est destiné à être pendu, on ne se noie
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jamais, murmura Lesly, c'est un proverbe écossais qui dit cela.
- Vous avez la langue mieux fourbie que l'épée, capitaine, et quelque jour vous me rendrez raison de cette insolence.
- Ma foi! quand vous voudrez, messire, dit Lesly en portant la main à son épée. Mais voici le commandant Tapin lui-même, ce ne sera donc que partie remise.
Blommaerts fit à Tapin le roman qu'il avait préparé, il raconta que l'assaut se donnerait sans faute à la porte de Tongres, que l'armée espagnole était démoralisée, que les Allemands de Fuggher murmuraient hautement de ne pas recevoir trois mois de solde qui leur était dûe, que la camisade nocturne donnée par Tapin, avait jeté entre les Wallons et les Espagnols une sourde défiance, que la discorde s'était mise entre les chefs. Tapin l'écouta jusqu'au bout, puis lui mettant la main sur l'épaule, lui dit avec gaîlé:
- Continuez ainsi, capitaine, et vous ne pouvez faillir de trouver un de ces jours la récompense de vos bons et loyaux services! Et maintenant allez reprendre le commandement de votre compagnie, qui sera aise de vous voir!
L'Allemand s'inclina et parlit. Resté seul avec Lesly, Tapin l'interrogea sur les circonstances du retour de Blommaerts qui lui paraissait quelque peu louche. L'Ecossais lui raconta franchement ce qu'il avait vu.
- Capitaine Lesly, ayez l'oeil sur cet homme, dit Tapin, et au moindre signe, au plus léger mouvement qui vous paraîtra suspect, brûlez-lui la cervelle! Un mot
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encore, il court des bruits fàcheux sur la fidélité de quelques-uns de vos collègues, qu'en pensez-vous?
- Mille tonnerres! je pense commandant, que je voudrais tenir au bout de mon épée un de ces lâcbes calomniateurs, pour lui clouer son infâme calomnie au fond du ventre!
- Bien! mon brave Lesly, dit Tapin en secouant la main de l'Ecossais, oublions cela et ne songeons qu'à nous bien tenir aujourd'hui, il fera chaud si je ne me trompe, l'attaque de la porte de Tongres ne sera qu'une fausse alerte, tous les efforts de l'ennemi se concentreront à la porte de Bois-le-duc! Tenez voici la conversation qui commence!
En effet, Tapin avait deviné en partie le projet du prince de Parme qui s'était réservé la conduite de l'attaque de la porte de Tongres et avait remis celle de la porte de Bois-le-duc au comte de Mansfelt. La canonnade venait de s'allumer sur toute la ligne. Du côté de Wyck, Mondragon poussait vigoureusement les choses et des attaques partielles s'établissaient partout pour mieux diviser les forces des assiégés. A la porte de Bois-le-duc le camp espagnol offrait tout le mouvement qui précède un combat sérieux. Les compagnies se formaient à l'abri de la tranchée, on achevait de placer le canon sur les plates-formes des batteries à peine terminées, le clairon sonnait partout et l'n voyait les drapeaux s'agiter parmi les lances comme d'immenses pavots sanglans au milieu des épis. Un magnifique soleil de printemps répandait ses fraîches splendeurs sur uu tableau sévère et pompeux tont à la fois. Aulour de la ville, on voyait s'étendre la tran chée qui serpentait comme un long reptile, dressant
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contre la cité ses mille têtes de bronze lançant des flammes et des boulets. Par-ci par-la, flottait le panache pourpre de quelque chef, parcourant à cheval les travaux et animant les pionniers cet les artilleurs. Le coup-d'oeil du còté des assiégés n'était pas moins animé. La bourgeoisie, les corps de métier, la garnison, les paysans armés de leurs fléaux ferrés se tenaient en haie compacte depuis la porte de Tongres jusque celle de Bois-le-duc, prêts à se porter où l'attaque serait la plus furieuse. Melchior de Heerle et Tapin se promenaient ensemble se communiquant leurs observations; arrivés à la porte de Tongres où commandait Manzan, les deux chefs s'arrêtèrent.
- Capitaine, dit Tapin, la journée sera rude, mais ne nous en effrayons pas, vous voyez qu'il nous suffit de quelques femmes pour réparer tout le mal que l'ennemi a pu nous faire en un jour!
L'Espagnol sourit sans rien répondre, ses yeux étaient fixés sur le camp ennemi avec une pertinacité fiévreuse. Tout-à-coup un cri étouffé sortit de sa poitrine, il s'élança vers un arquebusier qui attendait le signal du combat avec un flegme admirable, le repoussa de la main et saisissant la formidable arquebuse posée sur un pivot comme les fusils de rempart, montra à Tapin du geste, quatre cavaliers espagnols debout sur la crête de la tranchée.
- Pardieu! dit Tapin, je reconnais bien là Alexandre, s'exposant comme le moindre soldat. Berlaimont et Capizucchi sont auprès de lui et semblent s'engager à se retireer de cet endroit dangereux. Voyons, seigneur Manzan! tirons-en pied ou aile. Visez haut, le coup baissera.
La recommandation était inutile; Manzan courbé sur
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son arme, semblait être coulé en bronze tant son immobilité était compléte. Son oeil seul rayonnait d'une joie haineuse. Tout-à-coup, il abaissa vivement la mèche de l'arquebuse et le coup partit.
Le groupe ennemi s'agita un moment. - Bien visé! Mortdieu! fit Tapin en lui frappant sur l'épaule, la balle lui a emporté....
- Quoi? demanda Manzan avec anxiété.
- Le panache de son casque! deux pouces plus bas, Maestricht était délivré du duc de Parme. Ah! voici qu'on nous renvoie la réponse à votre message, capitaine!
En effet un boulet vint frapper un pied au dessous des crénaux où se tenaient les chefs assiégés. - Il leur a fallu deux jours de canonnade pour nous ébrècher l'angle d'un bastion. Nous en avons pour deux mois avant d'avoir une brèche respectable. Cela promet d'être un vrai siége espagnol, long, cérémonieux, ennuyeux! des trous à boucher, des fossés à creuser, des mines à éventer, un vrai métier de maçon, nous pouvons pendre l'épée au croc pour quelque temps encore, pour le moment il ne s'agit que de reprendre les mailles rompues de notre filet....
- Commandant, dit un mineur qui depuis quelques instans venait d'arriver sur le rempart, le capitaine Chuentes demande à vous voir, on entend les coups de pioche des mineurs ennemis, nous n'en sommes plus séparés que par quelques pieds de rocher.
- A bientôt, messieurs, dit Tapin, soyez vigilans, je vais voir ce dont il s'agit. Et il suivit le pionnier.
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Pour mieux tromper les assiégés sur ses desseins, Alexandre Farnèse avait en même temps qu'il faisait tout disposer pour l'attaque de la porte de Bois-le-duc, fait pousser vigoureusement la tranchée à la porte de Tongres où un commencement de brèche avait déjà été pratiquée, mais les mines des assiégés étaient vernies à plusieurs reprises ruiner leurs ouvrages et leur tuer un grand nombre d'hommes. Les Espagnols firent donc aussi une mine qu'ils poussèrent dans la direction du bastion de la porte de Tongres, mais leur dessein ayant été connu, Tapin fit contreminer dans le même sens; l'ouvrage était presque terminé lorsqu'il arriva dans la sombre galerie où quelques intrépides pionniers travaillaient à la faible lueur de deux lampes.
Le chef se courba, posa son oreille contre le sol qui résonnait sourdement sous les coups de pioche des Espagnols.
- Combattre ici serait folie et danger saus profit, dit Tapin après avoir passé la main sur son front. Nous allons rôtir les renards dans leur terrier.
Trois immenses chaudières furent donc apportées par son ordre à l'entrée de la mine et remplies de matières brûlantes, de poix, d'huile, etc., la mine fut bouchée par un immense et fort panneau de bois contre lequel on adapta des tuyaux correspondans aux chaudières sous lesquelles on alluma un feu ardent. Deux heures après, les pionniers ennemis étaient parvenus au panneau qu'ils rompirent comme le dernier obstacle qui les séparait de la victoire.
Tout-à-coup un fleuve de feu innonde la mine, les Espagnols surpris par ce torrent, poussent des cris de rage
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et de douleur, auxquels les ennemis répondent par des cris de joie et de triomphe. A travers l'obscurité lés coups d'arquebuse viennent achever la défaite des assiégeans qui se retirent, laissant dans la mine une vingtaine de morts sans compter une centaine de blessés qui restèrent pendant long-temps incapables db reprendre les armes.
Aussitôt que cette nouvelle parvint à Alexandre déjà exaspéré par les succès partiels des assiégés, il commanda à Gaspar Ortiz et à Alphonse Pérea, d'envoyer dans la mine quelques soldats de leur compagnie, qu'il pourvut d'épais boucliers à crénaux à l'abri desquels ils pouvaient impunémerit tirer sur l'ennemi Les assiégés qui avaient rempli la mine de fumée, qu'ils chassaient devant eux au moyen des soufflets des orgues des églisés, furent obligés de céder cette fois le terrain aux Espagnols qui couverts par leurs boucliers, faisaient sur eux un feu continuel et sûr. Cependant avant de quitter la place, ils rendirent tous les travaux de l'ennemi inutiles en bouchant les galeries dans quelques endroits et en les éventant en d'autres.
Tandis que tout ceci se passait, Jean-Baptiste Plato, savant ingénieur italien, avait commencé en un autre endroit une mine, dont les premiers travaux s'étaient faits dans le plus grand secret et toujours à la faveur de la nuit. La galerie de cette mine passait sous le fossé de la place et remontait ensuite en droite ligne jusque sous le bastion. Cet ouvrage avait été exécuté avec le plus grand talent au moyen de la boussole et du niveau. Arrivé sous le bastion, on y creusa la chambre qu'on étançonna parfaitement, puis après y avoir placé quelques barils de poudre bien cerclés et fait la traînée,
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les mineurs se retirèrent jusqu'à l'entrée de la galerie où se trouvait la mèche à laquelle il ne manquait plus qu'une étincelle.
Toutes ceschoses étant disposées, on en avertit Alexandre qui fit assembler quelques compagnies d'Espagnols vers la porte de Tongres et ordonna qu'on mît le feu à la traînée. (3 avril.)
Une secousse pareille à celle d'un tremblement de terre se fit ressentir sur toute la surface du rempart, puis une sourde détonnation suivit et l'on vit l'angle saillant du bastion brisé par une puissance incroyable combler le fossé de ses ruines. Une centaine d'Espagnols commandés par le capitaine Trancose s'élancèrent sur les ruines au milieu de la fumée pour s'emparer du rempart.
- Saint-Jacques! ville gagnée! à l'assaut enfans! cria Trancose en sautant sur les décombres fumans, l'épée au poing, croyant déjà tenir la victoire.
- Tirez à bout portant! cria une voix de l'intérieur, ne vous pressez pas, mortdieu, il n'y a que quelques briques endommagées!
Une décharge d'artillerie suivit ces paroles et les Espagnols s'airêtèrent tout étonnés devant un nouveau fossé pourvu d'un rempart armé de poutres ferrées. Trancose considéra un moment ce nouvel obstacle de l'air d'un chien qui tourne autour d'un sanglier acculé, puis remarquant un endroit où le rempart intérieur paraissait plus faible, il s'y jeta suivi de quelques soldats; un combat acharné s'établit, les assiégés à couverts de leurs retranchemens fusillaient à brûle-pourpoint les Espagnols qui s'acharnaient avec un courage inutile sur le formidable rempart dont ils s'efforçaient d'arracher les pieux férrés
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au milieu d'un feu meurtrier. Enfin, après des efforts surhumains et arrêtés par les ordres du duc de Parme qui leur ordonnait de conserver leur conquête et de ne pas se faire tuer inutilement, ils se retirèrent à l'abri des décombres dans le fossé qu'ils voulaient conserver, lorsque tout-à-coup, Chuentes et Manzan débouchèrent par une fausse porte donnant sur le glacis et recommencèrent le combat avec un avantage si marqué qu'ils chassèrent les ennemis du fossé.
L'un des chefs espagnols, Pierre Mendoza y fut lué et Sanchez Beltramo, quoique blessé par Manzan, soutint le combat jusqu'à ce que de nouveaux renforts permissent enfin aux Espagnols de reprendre le fossé dont ils venaient d'être chassés. Au fort du combat, Alexandre Cavalca l'un des officiers de Farnèse, s'attacha à Manzan qui, armé d'un fléau ferré faisait un épouvantable carnage des Castillans qu'il abattait comme des épis en accompagnant chaque coup d'un blasphême ou d'une imprécation.
- Cent ducats d'or! pour la tête de ce traître, s'écria Cavalca en s'élançant l'épée haute vers Manzan qui, le pied assuré sur un pan de mur écroulé, traçait autour de lui un cercle mortel à tout ce qui le franchissait. Cent ducats d'or! Muchachos! pour le transfuge Manzan!
Au moment où Cavalca allait pouvoir altaquer Manzan de près, son pied heurta les débris de la muraille et il tomba sur le visage, Manzan fit tournoyer son fléau autour de lui et allait l'abattre sur Cavalca, lorsque celui ci se sentit pris à la gorge par l'écossais Lesly qui lui mettant un pistolet sur la figure, lui dit ton goguenard:
- Deux cents ducats pour votre rançon! ou par Saint-Dunstan je vous brûle la moustache, capitaine!
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- A moi ce prisonnier dit Manzan, je vous paie sa rançon!
- Qui parle de rançon! pas de quartier aux ennemis! dit Melchior de Heerle qui ordonnait la retraite en ce moment-main basse sur tout!
Soixante prisonniers espagnols parmi lesquels Alexandre Cavalca, étaient jetés une heure après dans la Meuse avec une pierre au cou, aux acclamations du peuple. (7 avril.)
L'avantage de la journée était resté aux assiégeans quis'étaient fortifiés dans le fossé, malgré tous les efforts qu'on avait pu faire pour les en déloger. Tapin qui s'attendait à une attaque générale pour le lendemain avait fait ajouter de nouvelles fortifications partout. Les brèches de la porte de Tongres étaient plus que réparées par le second rempart qu'il y avait fait élever. La plus grande animation régnait dans la ville. Chacun désirait le moment de l'assaut pour montrer à l'ennemi à quels hommes il aurait affaire. L'amour du sol enfantait des prodiges d'héroïsme et de, courage. Pendant deux jours et deux nuits, deux cents femmes n'avaient pas quitté d'un instant les remparts; la pioche ou l'arquebuse à la main, leur exemple électrisait les moins hardis et nul n'eût osé parler d'une transaction avec l'ennemi, tandis que de faibles et blanches mains se hâlaient au feu des mousquets et se noircissaient de poudre.
La nuit arriva sans qu'on put forcer l'ennemi à abandonner un poste qu'il avait chèrement acheté du reste. Les assiégés se contentèrent d'ajouter de nouveaux moyens de défense au bastion ruiné et augmentèrent l'artillerie de la porte de Bois-le-duc qu'on pressentait devoir être le point génóral de l'attaque du lendemain.
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Toules ces dispositions prises, Melchior de Heerle et Tapin se retirèrent après avoir recommandé aux chefs de poste la plus grande surveillance.
Le ciel était sombre et humide, d'épaisses ténèbres constelléès ça et là par le feu des bivouacs, des tranchées et des forts, couvraient toute la campagne d'où s'élevaient par intervalles le qui vive! des sentinelles. Lesly et le capitaine Manzan enveloppés dans leurs capes, parcouraient à pas lents le rempart de la porte de Bois-le-duc lorsqu'ils entendirent auprès d'eux comme des chuchotteméns et des paroles mystérieuses qu'on craignait de prononcer à haute voix. Ils se blottirent dans l'angle d'un bastion et attendirent. Quelques instans se passèrent ainsi. Enfin, les voix se rapprochèrent et devinrentjplus distinctes.
- C'est la voix du capitaine Blommaerts, murmura Lesly, je gagerais ma part de paradis qu'il manigance quelque trahison. Ecoutons!
- Le signal de l'assaut général sera un bûcher allumé dans le fort Farnèse, dit Blommaerts.
- Tous nos hommes sont prêts, dit l'autre voix que Manzan reconnut pour être celle de Jan Martyns. La mine de la porte de Bois-le-duc est préparée, les clefs sont entre mes mains, au plus fort de l'assaut les portes seront ouvertes et alors ma foi! vive la messe! et au diable les huguenots!
- J'attends le signal pour ce soir cependant, dit Blommaerts, les batteries du comte de Mansfelt sont terminées, rien ne peut donc les empêcher de donner l'assaut pour demain.
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- Et Tapin, Manzan et de Heerle, que ferez-vous de cette trinité du diable?
- Cette nuit, au conseil de défense on parlera sans doute beaucoup; or, quand on parle, on boit, et j'ai là de quoi, dit-il en frappant sur son pourpoint, de quoi les faire dormir plus tard que de coutume.
- Bonne idéé! ma foi! bonne idée.
- J'ai bien envie de lui passer mon épée à travers la poitrine, murmura Lesly à l'oreille de Manzan.
- Chut! fit l'Espagnol, écoutons jusqu'au bout.
- En l'absence des chefs, il ne peut manquer d'arriver un peu de désordre et alors......
- Ah! et le moyen de partager à nous deux seulement les vingt mille ducats, le tenez-vous toujours.
- Une traînee de poudre sous la mèche, nous délivre des collègues de la porte de Bois-le-duc, la mine emportera la muraille et les imbécilles tout-à-la fois! Mais voici le signal! voyez-vous la flamme qui s'élève au-dessus du fort Farnèse, ce sera pour demain! dix mille ducats d'or! c'est plus que je n'aurai gagué à me faire découper pièce a pièce au service de ces gueux d'Etats qui battent monnaie de la langue et vous baillent des paroles dorées en guise d'écus. Maintenant confrère, séparons-nous, descendez par ce sentier, une sentinelle pourrait vous envoyer avec son: qui vive! une balle dans le ventre, et vous comprenez mon cher, qu'il me serait pénible d'emporter à moi seul les ducats. Là ce sentier! à demain!..
L'orfèvre s'éloigna en murmurant quelques paroles que l'Allemand ne put entendre, puis celui-ci après avoir contemplé pendant quelque temps encore les reflets du
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bûcher qui s'éteignait graduellement, se frotta les mains et disparut dans l'ombre en fredonnant un air guerrier.
- Je veux bien que Lucifer me peigue la moustache de ses griffes! si j'ai jamais rencontré un plus outrecuidé et impudent coquin, dit Lesly avec un profond soupir d'indignation. La main me démangeait de ne pouvoir lui planter mon poignard dans la gorge!
- Un fieffé ruffien! sur mon âme! dit Manzan! allons au conseil, nous y jouirons un peu de la forfanterie de ce maraud avant de le faire accrocher demain à la herse de la porte de Bois-le-duc; mais auparavant allez y changer la garde, remplacez les Allemands par vos Ecossais et rejoignez-nous au conseil!
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