Oeuvres complètes. Tome XXII. Supplément à la correspondance. Varia. Biographie. Catalogue de vente
(1950)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
[pagina 423]
| |
§ 7. L'influence de Mersenne.Dès 1636 Mersenne est nommé dans une lettre au père Constantyn, savoir celle de G. Wendelinus du 7 juillet de cette annéeGa naar voetnoot1) où il dit que, deux ans plus tôt, le savant français lui a posé une question sur la chute des corps et leur vitesse à chaque instantGa naar voetnoot2). À partir de février 1637 Mersenne et Descartes correspondent par son intermédiaireGa naar voetnoot3). En septembre 1637 Constantyn veut se procurer le livre de Mersenne de 1624 ‘La vérité des sciences contre les Sceptiques et les Pyrrhoniens’Ga naar voetnoot4). Dans la même année nous apprenons qu'il connaissait depuis longtemps son édition des ‘Mechaniques de Galilee’ de 1634Ga naar voetnoot5). En juin 1638 et plus tard nous voyons Mersenne correspondre avec J.A. Bannius par l'intermédiaire de ConstantynGa naar voetnoot6) sur des questions musicales. Constantyn le connut bientôt assez bienGa naar voetnoot7) pour savoir qu'il posait des questions à tout-le monde: ‘Ita ingenium est hominis, quem nisi plane fugis et abdicas, ferendum est varia multaque quaestione ad nauseam exerceriGa naar voetnoot8)’. Dans sa lettre à Mersenne d'août 1639 il critique une méthode proposée par ce dernier pour ‘faire monter l'eau morte’ et parle de ‘noz moulins’ dont il y en a ‘une diversité infinie’. C'est le commencement du commerce sur des questions physiques. Nous avons cité plus hautGa naar voetnoot9) la lettre de Constantyn de 1640 sur le fameux puits d'Amsterdam. Il y parle aussi des ‘aymans’ dont il en possède ‘quelques mediocres’ et ‘dont le miracle [le] touche’ plus que d'autres. En cette même année Constantyn se donne beaucoup de peine - | |
[pagina 424]
| |
la lettre n'a pas encore été publiée in extenso - pour satisfaire à une question de Mersenne ‘sur la practique de nos puits’ en faisant aussi mention, comme précédemment, de Stevin dont il possède des manuscrits. Il dit avoir entrepris cette recherche ‘par delices et comme pour me delasser de tant d'autres choses qui ne me chatouillent pas comme les contemplations physiques, et ce qui en dependGa naar voetnoot10)’. Toutefois il veut ‘faire fin, car cy apres nous ne nous parlerons plus de puits, s'il vous plaist’. On voit qu'il trouve le Minime importun, que néanmoins il ne peut s'empêcher de subir son influence, et que même il éprouve une certaine satisfaction à lui répondre d'une façon détaillée. En ce temps l'auteur des ‘Quaestiones celeberrimae in Genesim’ (de 1623), toujours occupé à combattre le scepticisme, considérait apparemment comme son devoir de livrer ce combat surtout sur le terrain de la science (théorique ou pratique; la théorie et la pratique marchent d'ailleurs de pair): n'est-il pas vrai qu'en raisonnant bien on peut arriver à posséder des connaissances dignes de ce nom? Il ne dira plus expressément que ‘nullus meliori ratione utitur quam ChristianusGa naar voetnoot11)’: souvent il se borne à approuver ou encourager l'emploi de la raison. Le mot ‘raison’, il convient de l'ajouter, a chez lui un sens large. En 1623 p.e. il croyait pouvoir dire (assez indistinctement) des ‘athei’ que ‘plurimi non obediant rationi, & veluti brutorum more viuant’ étant ‘cerebro tam debili ac malè feriatoGa naar voetnoot12)’. En 1641, apprenant que Mersenne a voulu aller à Rome, mais que, pour une raison ou une autre, ce projet ne fut pas exécuté, Constantyn écrit à propos de ‘l'entremetteur de la correspondence de tous les gens de bienGa naar voetnoot13)’: ‘C'est domage qu'en ces incertitudes quelque sçavant et discret amy ne luy tend la main, pour le mettre au chemin de la verité, dont je l'estime encor capableGa naar voetnoot14)’. On voit bien ici que Constantyn - qui pourtant apprécie en premier lieu les ‘gens de bien’ - est personnellement attaché à la cause protestante: ce n'est pas en homme d'état, nous semble-t-il, qu'il parle ici. Nous ne sommes nullement étonnés de constater que cette prédilection ne l'empêche pas de tirer parti pour l'homme de bien Descartes contre Voetius et de le faire savoir à Mersenne: ‘Par mes dernieres vous aurez receu la deffence de M. Descartes, soubs le nom de Regius contre Voetius...vous trouverez icy la censure de l'Academie d'Utrecht en grosse lettre, marquant la faiblesse dudit Voetius, et ensemble | |
[pagina 425]
| |
son pouvoir parmi les collegues, induits par sa seule autorité de publier une censure si impertinenteGa naar voetnoot15)’. Observons aussi que Constantyn n'a aucunement peur de donner dans le matérialisme en reconnaissant la grande influence de la matière sur l'esprit: envoyant du thé à Mersenne il écrit ‘qu'un homme qui a prins du té vaut doublement sa valeur ordinaire, en gaignant la conception prompte, fertille, aysée et, qui plus est, infatigable...Ga naar voetnoot16)’. La correspondance ultérieure, de 1644 jusqu'à 1648, ayant été publiée dans nos Tomes I et II - à quelques lettres près - nous ne croyons pas devoir en donner ici des détailsGa naar voetnoot17). Nous nous contentons de noter en passant (le Minime n'a rien à y voir) que dans la dernière lettre de Constantyn qui ne se trouve que chez Worp - celle du 14 août 1648 - l'auteur écrit avoir appris de l'organiste parisien de la Barre que celui-ci avait inventé ‘un certain clavier d'espinette mouvant...à faire changer le ton’: Christiaan, qui visitera de la Barre en 1655Ga naar voetnoot18), s'est aussi occupé plus tard de claviers mobiles.
Connaissant Mersenne, tout-le-monde aurait pu prédire qu'il finirait, ayant appris de son père les grandes qualités de Christiaan, par s'adresser aussi directement à ce dernier, tant pour lui recommander la lecture de quelques livresGa naar voetnoot19) que pour lui poser des questions ou attirer son attention sur certaines courbes, parmi lesquelles la cycloïdeGa naar voetnoot20). L'influence que ces lettres exercèrent sur Christiaan nous semble fort grande. Laissant de côté ce qui l'intéressait moinsGa naar voetnoot21) ou lui semblait peut-être trop facileGa naar voetnoot22) | |
[pagina 426]
| |
il s'intéressa notamment à la question du centre d'oscillation, peut-être identique avec le centre de percussion; pour ne pas nous répéter nous croyons pouvoir renvoyer le lecteur sur ce sujet aux p. 349-353 du T. XVI et 52-55 du T. XVIIIGa naar voetnoot23). Autre question insoluble pour le moment: pourquoi une corde doit-elle être tendue quatre fois plus fortement pour faire monter le son à l'octave?Ga naar voetnoot24) Déjà dans sa première lettre à ChristiaanGa naar voetnoot25) Mersenne - continuant la conversation avec le père Constantyn - parle de la chute des corps graves, disant trouver les principes de Galilée ‘guere fermes’. Il pense notamment que la chute ne commence pas avec une vitesse nulleGa naar voetnoot26). Même après la réponse de Christiaan il croit, assez naïvement, que la théorie ne s'accorde pas avec l'expérience: ‘voyez qu'au mesme moment que nous laschons une pierre en bas elle va viste’Ga naar voetnoot27). Puis il y avait la grande question de la quadrature du cercle, intimement liée au calcul de la place exacte de certains centres de gravité: déjà avant l'apparition de l'‘Opus geometricum’ de Gregorius a Sancto Vincentio qui se faisait fort de résoudre la question Mersenne écrit: ‘ie brusle d'en scauoir vostre iugement si tost que vous aurez examiné son memoireGa naar voetnoot28)’. Dès que Christiaan, en avril 1648, eut l'occasion de regarder le livre à loisir, il donna une réponse qui cependant, vu la difficulté des calculs, ne pouvait être que provisoireGa naar voetnoot29): ‘quant à la Quadrature, je vous asseure qu'à peine je me puis imaginer que l'Auteur mesme croye l'avoir trouuée’. Mersenne (qui n'avait plus que quelques mois à vivre) lui apprend qu'il est ‘un des premiers qui a osé donner son aduis sur le gros livre’ et a encore l'occasion d'attirer son attention, à propos de la question de la quadrature, sur les logarithmes qui n'avaient pas fait partie du cours de van Schooten et dont Christiaan ne nous semble pas s'être occupé auparavantGa naar voetnoot30); le raisonnement bref et énigmatique de MersenneGa naar voetnoot31) ne fait d'ailleurs pas bien voir pourquoi en somme, à son avis, - ou à l'avis d'un ami dont il reproduit les propos - Gregorius ‘ne demonstre rien’. | |
[pagina 427]
| |
Parlant des corrections à apporter à ses traités, Mersenne attire e.a. l'attention de Christiaan sur les expériences sur la vitesse du son - il en avait pris lui-même - qu'il dit être de 230 toises par secondeGa naar voetnoot32); et en même temps sur la vitesse des projectiles. La question du vide et de la vessie qui s'y enfle avait été proposée par Mersenne dans une lettre à Constantyn; Christiaan donne son opinion sur la dilatation de l'air, cause du gonflement, dans sa lettre d'avril 1648Ga naar voetnoot33). Mersenne y revient encore en maiGa naar voetnoot34) disant que ‘la rarefaction n'est pas intelligible comme vous scauez que Mr. des Cartes l'a abandonée a cause de cela’; il fait appel à la clarté de l'esprit de Christiaan pour remédier a cette ‘affaire [momentanément, à son avis] insoluble’. On voit que Mersenne a toujours grand respect pour les opinions de Descartes. Ce qui ne veut pas dire qu'il ait jamais été ‘cartesien’: dans les questions fondamentales de la vie un penseur plus âgé ne peut guère se mettre à la remorque d'un ami plus jeuneGa naar voetnoot35). - En outre Mersenne parle dans la lettre considérée de l' ‘essay du CanonGa naar voetnoot36)’. Dans ses deux dernières lettres, du 15 et 22 mai 1648, il traite encore e.a. du problème de la duplication du cube, loue PascalGa naar voetnoot37) et dit se proposer d'envoyer un modèle de la machine volante polonaise; modèle qu'il ne possédait d'ailleurs pas encore lui-même. Christiaan n'a peut-être pas su en ce temps ce qu'il fallait penser de cette machine quoique son père en eût apparemment entendu parler ou en avait lu quelque chose indépendamment de MersenneGa naar voetnoot38). C'était une construction de Tito Livio BurattiniGa naar voetnoot39), il l'apprit en 1661 (T. III, p. 270).
Mais la correspondance ne roule pas exclusivement sur les questions et autres propos du Minime: Christiaan prend lui aussi l'initiative. Nous avons dit plus haut que la discussion sur la chute des corps était déjà entamée avant la première lettre à Christiaan. Plus exactement: Christiaan avait donné à son père une pièce sur la chute des corps que ce dernier avait envoyée à Mersenne, apparemment sans avoir consulté | |
[pagina 428]
| |
son fils, et c'est par la critique de Mersenne de ce papier que commence la correspondanceGa naar voetnoot40). C'était, nous semble-t-il, la lettre, ou du moins le dernier paragraphe de la lettre, du 3 septembre 1646Ga naar voetnoot41) au frère Constantyn qui a le post-scriptum; ‘Vous pouvez monstrer cecij a mon Pere’. Il y manque une ‘demonstration’ que Mersenne demande de lui communiquer. Sa critique repose, peut-on dire, sur des idées préconçues. Il parle de l'impetus, qualité qui s'imprime facilement mais se perd vite, de sorte qu'il n'est pas croyable qu'un missile (‘l'air n'estant point considéré’) fasse une parabole, ce que Christiaan avait soutenu l'ayant trouvé, dit-il ailleurs, indépendamment de GaliléeGa naar voetnoot42). Nous constatons que Mersenne n'est pas convaincu de la loi de la nature - dans sa réponseGa naar voetnoot43) Christiaan parle des loix de la nature - remarquée, dit Christiaan, par Descartes ‘à scavoir que toute chose continue son mouvement de la mesme vistesse qui luy a estè donnèe une fois si quelque autre chose ne l'empesche’. Avant d'écrire la lettre du 3 septembre 1646 Christiaan avait d'ailleurs peut-être fait connaissance avec les ‘Discorsi’ de Galilée: on le diraitGa naar voetnoot44) en considérant la Pièce ‘De Motu naturaliter accelerato’ dont la première partie au moins est antérieure à la lettre: elle est en substance empruntée à la dite partieGa naar voetnoot45). Cette réponse ne contient aucune critique de Galilée comme la deuxième partie de la Pièce: dans la lettre de Mersenne il n'était question que de la chute libre, sans résistance: il suffisait donc de corroborer la loi de la chute libre. Christiaan réussit en effet à faire voir qu'une progression géométrique des espaces parcourus en des temps successifs égaux est impossible, et que, parmi les progressions arithmétiques, une seule satisfait. La vitesse initiale, suivant cette loi, ne peut être que nulle. Nous avons déjà dit que Mersenne continua à en douter, tout en ne faisant aucune objection logique. On peut, sans doute, faire une objection logique, quoique celle-ci ne se rapporte pas à la vitesse initiale. Une loi de chute indépendante, comme le veut Christiaan, du choix des unités, peut (a priori) être autre que celle qui s'exprime par une simple progression arithmétiqueGa naar voetnoot46). Il est vrai qu'en combinant le principe de l'indépendance | |
[pagina 429]
| |
des unités avec celui de la relativité pour les mouvements uniformes on aboutit logiquement à une progression arithmétique; c'est ce que Christiaan dira plus tardGa naar voetnoot47). Nous n'oserions certes conclure qu'en 1646 il songe déjà - comme il le fera quelques années après - à un principe de relativité pour les mouvements uniformes lorsque dans la lettre à Mersenne il s'exprime comme suit: ‘Et ie ne trouve point d'autres progressions qui ayent quelque regularité, et la proprieté requise, que cellecy’. Cette considération de Christiaan s'applique, comme il le dit, à un lieu où il y a ‘seulement une uniforme attraction d'en bas’. C'est le mot ‘uniforme’ qui importe; le mot ‘attraction’, nous semble-t-il, n'a pas de sens physique. Un deuxième sujet, également important, mis par Christiaan à l'ordre du jour, déjà dans sa première lettre, c'est ‘la démonstration de ce qu'une corde ou chaine pendue ne faict point une parabole, et quelle doit estre la pression sur une corde mathematique ou sans gravitè pour en faire une’. Un résumé de la correspondance sur ce sujet - à laquelle appartient la Pièce ‘De Catena pendente’ des p. 37-44 du T. XI - a été donné dans les notes 2 de la p. 37 et 4 de la p. 40 de ce Tome. Il y est dit à bon droit, nous semble-t-il, que les remarques critiques de Mersenne ont fait une grande impression sur Christiaan. Dans la lettre du 24 janvier 1647 le Minime lui donne le conseil de commencer par ‘le corollaire de la deuxième proposition’. La ‘Propositio 2’ de la p. 44 du T. I ne correspond pas avec celle envoyée à MersenneGa naar voetnoot48): elle n'a pas de corollaire proprement dit. Mais comme elle se termine par la remarque que si une certaine condition n'était pas satisfaite ‘omnium virgularum centrum gravitatis ultro ascenderet quod est absurdum’ il semble bien que ce soit là l'hypothèse - capable de généralisation- que Mersenne lui conseilla de mettre en avant conformément au (sans doute nouvel) Axioma 2: ‘Duae vel plures gravitates...alligatae chordae, quae tenetur in punctis [fixis] non possunt nisi unico situ quiescere: idque tali ut centrum gravitatis eorum...quantum potest descendat et plano terraeGa naar voetnoot49) admoveatur’. Comme nous l'avons dit dans la note 4 de la p. 40 du T. XI, le traité envoyé à | |
[pagina 430]
| |
Mersenne doit avoir été autre que la Pièce ‘De Catena pendente’ puisque dans cette dernière aussi la remarque ‘in eo situ [pondera] non manerent, nisi eorum centrum gravitatis tunc centro terraeGa naar voetnoot50) quam proxime potest admotum esset’ n'a pas la forme d'un corollaireGa naar voetnoot51). Nous observons qu'en commençant par énoncer les hypothèses qui lui paraissent suffisantes et les meilleures - ce qui n'avait pas encore été fait dans le traité ‘de Catena pendente’ - Christiaan se conforme à certains traités d'Euclide et d'Archimède. Il est possible qu'il en soit plus ou moins redevable à Mersenne. Bientôt il dira expressément: nisi principium ponatur, nihil demonstrari potestGa naar voetnoot52). |
|