Oeuvres complètes. Tome XXII. Supplément à la correspondance. Varia. Biographie. Catalogue de vente
(1950)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
[pagina 418]
| |
§ 6. Mon Archimède.‘Nosti, pater, ut mutet in horas illud capitulum’ écrivait Bruno à propos de Lodewijk enfant. Le père Constantyn, adulte, était-il libre de toute ‘mutatio in horas’? Sa devise ‘Constanter’ - dégénérée aussi en nom propre - indique qu'il voulait être, autant que possible, un homme d'une pièce, ferme et inébranlable. Il y réussissait en général: il maintenait sans broncher ses convictions politiques et religieuses. AilleursGa naar voetnoot1) nous avons cru pouvoir dire qu'à un âge avancé il était toujours maître de lui-mêmeGa naar voetnoot2). En lisant ses multiples boutades on n'a pas l'impression d'une remarquable constance. Une eau profonde et tranquille peut néanmoins être agitée à la surface. Nous l'avons entendu dire lui-mêmeGa naar voetnoot3) qu'on aurait tort de prendre ses ‘saillies’ trop au sérieux. Que penser p.e. des vers où il recommande à ses lecteurs de ne pas acheter de tableaux puisque la nature elle-même est plus belleGa naar voetnoot4)? H.J. EymaelGa naar voetnoot5) combat à bon droit, nous semble-t-ilGa naar voetnoot6), l'opinion de A.S. Kok disant qu'après tout Constantyn n'appréciait pas la peinture. Dans le ‘Discours imparfait’, déjà cité plus hautGa naar voetnoot7), il préconise - c'était vers 1620 - l'alliance avec l'Angleterre: ‘il semble qu'il n'y a que la mer qui nous empêche d'estre prinz pour un mesme peuple’ ce qu'il motive comme suit: ‘L'Angleterre est naturellement bigotte, et n'y a matiere si capable de l'esbransler que le faict de la Religion, la mesme profession de vérité nous combine avec elle...’; on croirait - en ne considérant que ce seul passageGa naar voetnoot8) - entendre un politicien machiavellique pour qui la religion n'est qu'un moyen pratique de se maintenir en formant un ‘corps bien unyGa naar voetnoot7)’. | |
[pagina 419]
| |
Nous ne songeons pas, bien entendu, à dénigrer le politicien voulant maintenir l'unité - en même temps que l'indépendance - des peuples civilisésGa naar voetnoot9). L'indépendance, il la cherchait non seulement dans notre langue et notre église nationales, mais aussi e.a. dans notre union, par la pensée, avec l'antiquité grecque et romaine. En 1654 il écrira à ConrartGa naar voetnoot10): ‘n'en déplaise à vostre illustre concileGa naar voetnoot11) c'est en ce stile là [il a été question de “la Muse latine”] que nous pretendons estre un peu exempts de sa judicature, et osons nous imaginer que le Païs bas en entend le genie autant que la France pour le moins’. Le latin, et le grec, constituaient à ses yeux des traits d'union entre les individus et les peuples de l'Europe; mais un peuple qui se respecte doit être en contact direct avec l'antiquité. Ce contact, il voulait aussi le maintenir - tout en louant, quoique sans pouvoir s'y adonner, la mathématique moderneGa naar voetnoot12) - par l'étude des mathématiciens grecs. Dans son autobiographie fragmentaire de 1629Ga naar voetnoot13) il écrit, en parlant d'optique: ‘Hic Franciscum Aguilonium Jesuitam primum praeceptorem agnoscoGa naar voetnoot14). Scripsit vir egregius Opticorum libros sex methodo exactâ, stilo florido ac demonstrationum genere quodam iucundiore quam in mathematicis usurpari solet, sapienter meo iudicio cum Archimede itemque et Archita et Eudoxo contra Platonem statuens, non omnia matheseos nomine indigna esse, quae a materia quam abstractissime seiuncta non sint, sed et machinalem artem et organicum demonstrandi modum, quaeque ex naturae recessibus aut experientia subinde rationes inseruntur, in pretio esse debere, cum usui sint et voluptati, quam in tetricis illis et sterilibus et exanguibus rarius reperias’. Il n'est, certes, pas un admirateur aveugle de tout auteur grec célèbre puisque, sans avoir, il est vrai approfondi les oeuvres d'Archimède, il se sent capable d'exprimer un jugement, ou du moins une préférence. Et ici nous n'avons pas affaire, nous semblet-il, à l'opinion d'un jour ou d'une heure. Ce ne sont pas, en premier lieu, les consi- | |
[pagina 420]
| |
dérations abstraites qui l'intéressent, c'est plutôt la physique et la géométrie qui se considère comme étroitement liée à la physique et à la connaissance et amélioration des instruments, c'est la science qui recherche tant l'utilité que le plaisir d'examiner et de comprendre la nature des choses visibles. En sa qualité d'homme d'état Constantyn - qui assistait aussi si souvent à des opérations militaires - était en contact avec bien des techniciens et des inventeursGa naar voetnoot15). Il ne pouvait oublier qu'Archimède avait pris part à la défense de Syracuse, qu'il avait été ingénieur autant que mathématicien, que dans ses considérations géométriques (quoique celles-ci ne se rapportent pas, comme le mot géométrie l'indique, à la mesure de la terre) il parle d'objets visibles, que ce soient des corps, des surfaces, des lignes ou même des points. Malgré les boutades dont il était question plus haut, nous croyons que J. BrosterhuysenGa naar voetnoot16) a raison d'écrire, en envoyant à Constantyn une vue dessinée par lui-même de la ville d'Amersfoort, qu'il pense que ce don lui sera agréable attendu qu'il préfère sans doute les peintres ou dessinateurs réalistes à ceux qui ne nous présentent que leurs rêves ou fantaisies. ‘Ick hoop, dat het U'Edt. aenghenaem sal syn. U'Edt., weet ick, maeckt gheen werck van dromen of grillen van schilders, maer houdt veel van 't gheen dat nae 't leeven, of 't wesen self gheteeckendt is’. Brosterhuysen, nous semblet-il, eût pu dire la même chose à propos des mathématiciensGa naar voetnoot17). La perspective d'ailleurs intéresse tant ceux-ci que les peintres et dessinateurs. En 1622 Constantyn écrivait d'Angleterre à ses parents à propos de la ‘Machina speculatoria, quâ rerum foris obiectarum species in occluso loco candidae tabellae inducuntur’ (Autobiographie): ‘J'ay chez moy l'autre instrument de DrebbelGa naar voetnoot18), qui certes fait des effets admirables en peinture de reflexion dans une chambre obscure; il ne m'est possible de vous en déclarer la beauté en paroles; toute peinture est morte au prix, car c'est icy la vie mesme, ou quelque chose de plus relevé, si la parole n'y manquoit’Ga naar voetnoot19). On sait - quoique le traité sur l'optique soit perdu - qu'Archimède lui aussi a été opticien. Est-ce à dire que Constantyn a pris l'habitude d'appeler son fils Christiaan ‘mon | |
[pagina 421]
| |
Archimède’ parce qu'il découvrait en lui la même préférence pour la géométrie et le concret en général? Ou puisqu'il voulait encourager cette tendance? On peut le supposer. Il convient cependant de ne pas oublier que la célébrité d'Archimède était telle que des mathématiciens éminents, quels qu'ils fussent, pouvaient être désignés par l'appellation honorifique ‘des Archimèdes’. C'est ce qu'on voit chez MersenneGa naar voetnoot20). En 1647 Mersenne écrit à Constantyn à propos de ChristiaanGa naar voetnoot21): ‘Je ne croy pas s'il continue, qu'il ne surpasse quelque jour Archimede, cousin du roi Gelon’. Nous ne voyons pas que Constantyn ait désigné Christiaan par les mots ‘mon Archimède’ avant cette date.
L'étude du droit fut pour Christiaan une tache imposée; mais celle de la géométrie et de ses applications et aussi l'exercice de la mécanique pratique (du moins dans sa jeunesse) un pur plaisir. C'étaient bien, en matière de géométrie, les travaux d'Archimède qui l'intéressaient. Il ne pouvait se contenter des auteurs modernes. Nous avons ici le contact direct avec l'antiquité dont nous parlions plus haut. Quoiqu'il ait l'habitude de citer Archimède en latin, il a aussi possédé les éditions gréco-latines. Dans le Catalogue de Vente de 1695 de ses livres nous trouvons l'édition de Bâle de 1544Ga naar voetnoot22) ainsi que celle de David Rivaltus de 1615Ga naar voetnoot23), outre l'édition latine de Federigo Commandino de 1558Ga naar voetnoot24), complétée en 1565 par les ‘De iis quae vehuntur in aqua libri duoGa naar voetnoot25). Le Catalogue de Vente de 1688 des livres de Constantyn père ne contient que l'édition de I. Barrow, 1675, d'Archimède, Apollonius etc.Ga naar voetnoot26) qui pour le moment ne nous intéresse pas. Il est vrai que la bibliothèque n'était plus complèteGa naar voetnoot27). La lettre de F. van Schooten de juin 1648 fait voir que Christiaan a possédé une | |
[pagina 422]
| |
édition gréco-latine depuis ce mois, c.à.d. plus d'un an avant la fin de son séjour à Breda. D'après la note de l'éditeur du T. I c'était celle de Rivaltus; la note 3 de la p. 274 du T. XI affirme qu'au contraire il faut y voir l'édition de Bâle de 1544, parce que van Schooten parle de ‘Grieks en Latijn’, ce qui s'applique davantage à l'édition de 1544 qu'à celle de 1615. Argument peu concluant, mais la chose n'a pas grand intérêt. Christiaan a d'ailleurs sans doute eu connaissance du texte grec déjà avant 1648 puisque l'édition latine de Commandin ne contient que les traités Circuli dimensio; De lineis spiralibus; Quadratura paraboles; De conoidibus & sphaeroidibus; De arenae numero et qu'il cite le ‘De sphaera et cylindro’ déjà en 1646Ga naar voetnoot28). Mais il formule les propositions à sa guise; p.e. ‘superficies sphaerae quadrupla est maximi in eâ circuliGa naar voetnoot29)’ tandis que Gechauff a ‘Cuiuslibet sphaerae superficies quadrupla est circuli, qui in ea maximus habetur’ et Rivaltus ‘Cuiuscumque sphaerae superficies quadrupla est maximi circuli eorum qui sunt in ipsaGa naar voetnoot30)’. Ce qui plaisait surtout à Christiaan - et ici nous avons affaire à une pensée qu'il ne devait pas à son père - c'est l'exactitude d'Archimède. En 1650 il écrit à van SchootenGa naar voetnoot31): ‘Methodum demonstrandi per indivisibilia posteaquam tibi eam probare video amplius non impugnabo; quamquam semper longe eam posthabiturus sum Archimedeis demonstrationibus, cum certitudine tum elegantia quoque; atque ita sum ut in Geometria minoris aliquanto aestimem inventa ipsa quam demonstrandi rationem evidentiamque’. |
|