Oeuvres complètes. Tome XXII. Supplément à la correspondance. Varia. Biographie. Catalogue de vente
(1950)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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§ 4. Le séjour dans le milieu universitaire de Leiden.Un des préceptes qui nous frappent le plus dans la ‘norma studiorum et vitae reliquae’ du père ConstantynGa naar voetnoot1), connaissant bien l'amitié en même temps que la rivalité de Constantyn et de Christiaan - il avait d'ailleurs constamment excité leur émulation - c'est le conseil de toujours se tenir compagnie, de se montrer ‘rarissimè soli’. C'est ensemble qu'ils suivront tant le cours de mathématique de F. Schootenius que celui de droit - consultez la lettre du 30 octobre 1645Ga naar voetnoot2) - de A. Vinnius qui, soit dit en passant, avait été opposant de Constantyn père lorsque celui-ci défendit à Leiden sa thèse pour le licenciatGa naar voetnoot3). Tout autre chose est d'étudier à deux que d'étudier seul. Les éditeurs du T. I ignoraient encore que Paravicinus ou ParaviciniGa naar voetnoot4) ‘qui cum Caesar non sit, Dictatorem tamen se ipse facere conatus estGa naar voetnoot5)’ n'était pas l'étudiant JacobusGa naar voetnoot6) qui aurait en vérité aspiré à un âge bien tendre à se rendre maître de l'opinion ou du gouvernement. Il s'agit ici de ParaviciniGa naar voetnoot7) italien chez qui les frères Huygens demeuraient au SteenschuurGa naar voetnoot8). Voici les règles de la maison que le ‘Dictateur’ proposait:
P. ParavicinoGa naar voetnoot4) à Const. Huygens (éd. Worp No. 3959). Di Leiden li 26 Maggio 1645. Trovando expediente et necessario di metter qualche ordine nella nostra casa, ho | |
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composte le incluse ordinanze le quali mando hora a V.S. Illma avante di produrle a questi Sig.ri per che le sottoscrivano....... 1. Quod inter nos nomen Dei colatur, et unusquisque sibi caveat a iuramento, quo Deus potest offendi. 2. Nemo ullas rixas moveat, et si per accidens id fiat, dominationes vestras rogo, ut ad me res deferatur, ut possim reconciliationem procurare. 3. Qui non erunt domi quadrante hora post meridiem, et hora septima cum dimidia, ad cenandum non erunt expectandi; et pene loco erunt contenti analectis, et iis cibis, qui domi habebuntur. 4. Nemo exeat domo post cenam, nisi prius indicatum sit suis ephorisGa naar voetnoot9) vel mihi, ut videam, an erit e re sua, et si quis aliter fecerit, ac infortunium ei contigerit, erga parentes a negligentia excusabor. 5. Post cenam quisque teneatur explicare aliquid ex Italica lingua in Gallicam, vel de Gallica in Italicam, quibus vero non est cordi tale exercitium, ne obsint alijs qui progressum facere cupiunt. 6. Unusquisque discat aliquam historiam, quam recitet in prandio vel in cena prout poterit, vel in una vel altera lingua, et si quis intermiserit hoc exercitium ad minus semel in die, teneatur solvere singulis vicibus stuferum pro pauperibus. 7. Die Domini post cenam habendum erit exercitium, legendo sacra cum reverentia et attentione, ut possimus sperare a Deo benedictionem.
Constantyn y répondit comme suit: Sin adesso à pena ho potuto trovar il tempo da far risposta à la sua, mandatami su'l partir di S. Alta dalla Haya, hora che vò respirando vengo à dirle in quanto alle sue leggi domestiche propostemi, che veramente ne trovo la sostanza buona assai et importante ma per quelli miei giovani, che ne anco in casa mia si viddero mai astretti ad ordinanze cosi regolate e precise, non havendo io, la dio gratia, havuto bisogno di governargli con rigore, anzi havendogli condotti sempre con dolcezza et ammonitioni paterne, mi pare ch'il caricargli d'un giogo nuovo senza necessità, sarebbe render loro la liberta honesta che pretendono possedere emancipati, men' grata e più simile della soggettione fanciullesca dalla quale horamai sono usciti. Oltreche havendo io occupato le loro hore e momenti con ordini e regole di studiare in varie scienze gravi e difficili, non stimo che sia à proposito di prescrivergliene più di quello che ho già con temperamento [mot illisible]. | |
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Nondimeno, Sig.ito mio, haverò gusto singolare che tal hora fra' compagni e commensali siano indutti discretamente ad essercitarsi nella lingua Italiana. Il che facilmente si può per occasione di discorsi di tavola overo dopò cena, col produrgli qualche libro piacevole e che contenga più tosto materie da videre che nissuna altra di più consideratione. La Sig.ita sua consorte potrebbe ajutarne assai, se le tornasse à commodo, come spero. Dal uscir di casa versola notte mi sarà piacere V.S. di divertirne i miei con termini raggionevoli, che più gli persuaderanno d'ogni altra legge obligatoria. Finalmente glieli raccommando caramente, aspettando che, se gli trova colpevoli di cosa ch'importi di correggere, vorra darsi il fastidio d'avvertirmene à tempo, che sono di pienissimo affetto di V.S.rie ambedue....Dal campo à Selzaten, 1 di Luglio 1645.
Quant aux cours universitaires, nous ne voyons pas que les frères en aient suivi d'autres que ceux de Vinnen et van SchootenGa naar voetnoot10), mais ils connaissaient personnellement plusieurs professeurs et magistrats, e.a. l'orientaliste et mathématicien GoliusGa naar voetnoot11) qui jadis avait attiré l'attention de Descartes sur le problème de Pappus par lequel débute la ‘Géométrie’ dont van Schooten s'inspirait tout en ne négligeant pas d'autres auteurs. On a vuGa naar voetnoot12) que plusieurs années avant 1645 Bruno était en rapport avec divers professeurs de Leiden, et il ne faut pas oublier que le père Constantyn connaissait tout-le-monde. Nous saisissons cette occasion pour corriger une erreur du T. XIX: nous y parlionsGa naar voetnoot13) du manuscrit arabe d'Apollonius apporté de l'Orient par Golius. Il est vrai que Golius rapportait des manuscrits de ses voyages en Orient; mais ce manuscrit-ci lui avait été donnéGa naar voetnoot14) par l'oncle de Christiaan, le Leu de Wilhem, également grand voyageur. Conformément à l'instruction paternelle Christiaan continua aussi à s'appliquer aux arts: dans la première lettre de lui que nous possédions, celle du 29 juin 1645 au frère Lodewijk, - l'inscription à l'Université datait du 11 mai - il nous apprend avoir copié un tableau - le portrait d'un vieillard - de Rembrandt. Constantyn père était grand admirateur de Rembrandt, dont il fut un des premiers, peut-être le premier de tous, à comprendre le génie qu'il juge supérieur à tout ce que l'antiquité a produit ainsi qu'à ‘Italia omnis’Ga naar voetnoot15). Ceci nous amène à dire quelques mots sur la | |
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famille Huygens en tant qu'artistes. Il est impossible de soutenir, nous semble-t-il, que Constantyn ait été un artiste véritablement grand. On peut même dire qu'il ne veut pas l'être. Il a beau être admirateur de grands peintres, d'architectes etc., être compositeur, poète, et un peu peintre lui-même, il est bien décidé à ne pas se laisser entraîner par sa Muse à des hauteurs dangereuses. Voyez comme il se rappelle à l'ordre lorsque, craignant le sort d'Icare, il a l'impression de s'être momentanément aventuré trop haut: Hoe heb ick 't waerde CatsGa naar voetnoot16), hoe raeck ick hier om hoogh?
Wat heeft mij dus vervoert uyt aller ooghen oogh,
Daer d'oogen schemeren, daer wasch en wiecken smelten?
Of loert mij weer ter hand, of kort my dese stelten;
Ick struyckel op het land, wat maeck ick in de lucht?
Het kruypen is my konst, wat maeck ick in de vlucht?
c.à.d. ‘Que m'arrive-t-il, cher Cats, comment puis-je ainsi m'élever? Qu'est-ce qui m'a emporté de la sorte hors de la vue de l'oeil le plus perçant, là où les regards deviennent incertains, où se fondent la cire et les aîles? Ou bien faites moi revenir à la portée de la main par la force de vos regards, ou bien raccourcissez-moi ces échasses. Sur terre déjà je trébuche, que fais-je en l'air? Ramper est déjà un art pour moi, comment pourrais-je voler?’ | |
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Il connaît ses limites. Or, chez Christiaan, fort intelligent, d'une santé débile, d'une humeur douce, le désir de garder l'équilibre est encore plus prononcé; ce n'est pas pour lui une qualité acquise, c'est sa nature même. Nous ne constatons chez lui aucun grave conflit intérieur. Ce qui sans doute n'empêche pas d'apprécier et de copier RembrandtGa naar voetnoot17). Christiaan a conscience de son devoir, ou plutôt il a plaisir à se développer en homme de science et en même temps en homme de bon goût. Les temps de crise pour lui ne sont, nous semble-t-il, que ceux des maladies ou graves indispositions qui le rendent fortement mélancolique et l'amènent peut-être à se demander s'il est bien vrai qu'il y a dans l'âme, si dépendante du corps, quelque chose d'immatérielGa naar voetnoot18). En musique aussi, malgré ses grandes connaissances théoriques et la finesse de son oreille, il n'est pas artiste créateur. Dans une pièce non datéeGa naar voetnoot19) il écrira, après avoir parlé du ‘plaisir des consonances’: ‘Et je croy que ce seroit en vain de vouloir chercher la cause de ces plaisirs plus loin’. Ce n'est pas lui qui aurait écrit, comme le fait Ch. Adam dans sa biographie de Descartes: ‘crise de mysticisme, condition peut-être de toute grande découverteGa naar voetnoot20)’. On peut être assuré qu'à Leiden il se montrait, sans aucun mysticisme, ‘leergierich ende eergierigh ten hoogsteGa naar voetnoot21)’ d'après la qualification de son père parlant de lui lorsqu'il était encore enfant. Vinnius appelle les frères ϰαλῶς τρέχονταςGa naar voetnoot22) et dit qu'ils prennent part aux disputes avec zèle et succès. Le cours de droit était peut-être préféré par ConstantynGa naar voetnoot23). Pour Christiaan nous n'hésitons pas à dire que celui de van Schooten était le principal. La question des anciens et des modernes - nous avons parlé un peu plus haut de Ramus et d'Arminius, uniquement pour dire que nous n'avons pu constater aucune | |
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influence de ces penseurs sur ChristiaanGa naar voetnoot24) - était à Leiden, en 1645 et 1646, intimement liée au nom Descartes. La grande influence de Descartes sur Christiaan est trop connue pour qu'il soit nécessaire d'y insister ici. Ce n'est nullement par van Schooten qu'il apprit à le connaître: il avait lu les ‘Principia Philosophiae’ déjà à la HayeGa naar voetnoot25). Nous croyons pouvoir admettre qu'il connaissait également, avant d'arriver à Leiden, ‘la Géométrie’: ‘het bouck van de CartesGa naar voetnoot26)’ - il est question d'optique - est mentionné dans la liste de StampioenGa naar voetnoot27). Connaissait-il aussi Descartes personnellement? C'est incertain. Dans l'Avertissement de la p. 3 du T. XVI nous lisons: ‘On connaît la grande amitié qui liait le père de Christiaan Huygens à Descartes et l'admiration profonde que celui-ci lui inspiraitGa naar voetnoot28). Cette admiration fut partagée par le | |
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eune ChristiaanGa naar voetnoot29) qui, sans doute, a rencontré plus d'une fois le philosophe français dans la maison paternelle, et subi l'ascendant de cette puissante personnalité’. H. Brugmans s'exprime comme suit: ‘Descartes, séjournant soit à Leyde, à Endegeest, à Egmond, faisait dans ce cercle gai et distingué [à la maison du Plein] des apparitions espacéesGa naar voetnoot30). Quoique les lettres de Chr. Huygens ne parlent pas d'une entrevue avec le philosophe, il est vraisemblable cependant que celui-ci ait entrevu, à cette époque, les fils de son hôteGa naar voetnoot31)’. Un peu plus loin le même auteur ajoute: ‘Il y eut d'ailleurs, fort probablement, [à propos de questions musicales, voyez la p. 53 qui précède] des échanges directs de lettres entre Descartes et son jeune ami’. Nous sommes d'avis que si de pareilles lettres avaient existé elles auraient été conservées, comme celles de Mersenne. Nous ne pouvons donc croire à cette correspondance, et nous sommes enclins à reléguer les entrevues personnellesGa naar voetnoot32) également dans le domaine des fables. Dans son article de 1909 ‘Een-en-ander over de Huygens-uitgave en over den invloed van Descartes op Chr. HuygensGa naar voetnoot33) D.J. Korteweg allègue comme argument décisif en faveur de la connaissance personnelle le fait que le père Constantyn écrit à propos de Christiaan à la princesse Elisabeth de Bohème: ‘lequel feu Monsr. Descartes disoit estre de son sang, le cherissant d'une affection tres ardente’; mais il ne faut pas oublier 1o. que le père C. vante toujours son fils autant qu'il le peut (comparez la p. 57 qui précède), 2o. qu'il ne paraît pas que suivant lui Descartes aurait dit autre chose sinon que Christiaan était de son sang, 3o. que Constantyn peut avoir indiqué par le reste de sa phrase le fait que Descartes exprime son admiration pour une solu- | |
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tion ou tentative de solution d'une question difficile par Christiaan dont il avait eu connaissance: Christiaan lui avait fait voir (T. X, p. 217), par l'intermédiaire de van Schooten, ce qu'il avait calculé en 1646 sur la pression ‘qui tendoit une chorde selon la ligne parabolique’. Ploeg dit à bon droit: ‘nergens blijkt dat Christiaan den grooten wijsgeer ook maar éénmaal heeft ontmoetGa naar voetnoot34)’. Quoi qu'il en soit, c'est surtout à Leiden, nous semble-t-il, que Christiaan s'appliqua à la mathématique cartésienne. Mais il serait bien faux de croire que jamais son admiration pour Descartes l'aurait empêché d'étudier les mathématiciens grecs. Voyez ses citations d'Archimède dans la lettre du 3 sept. 1646 au frère ConstantynGa naar voetnoot35), dans celle du 23 décembre 1646 à MersenneGa naar voetnoot36) et dans les oeuvres de jeunesse de ce temps que nous avons publiées dans le T. XII. Apollonius faisait partie du cours de van Schooten, Euclide et Archimède n'en faisaient pas partieGa naar voetnoot37). Même remarque pour la liste de Stampioen. Christiaan prenait son bien où il le trouvait. Son admiration pour ArchimèdeGa naar voetnoot38) l'a toujours empêché de décerner la palme uniquement aux modernes.
Christiaan quitta Leiden en mars 1947. Constantyn abandonna les études déjà plus tôt; dès août 1646 son frère put lui adresser des lettres en sa qualité de secrétaire du prince d'Orange, associé de son pèreGa naar voetnoot39). Ni Christiaan ni ses frères n'ont jamais dû se soumettre à aucun examen, ni dans leur enfance, ni à l'entrée ou à la sortie d'une universitéGa naar voetnoot40). |
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