Introduction.
Il en est de la vérité comme du bonheur: l'on peut considérer sa poursuite - plus ou moins heureuse - par l'individu, l'on peut aussi s'intéresser aux efforts collectifs de différents groupes. Il est même possible de se figurer en ces matières une solidarité idéale de l'humanité tout entière. Nous ne parlons pas ici, comme le fait Huygens, du bonheur des animauxGa naar voetnoot1) ni des aspirations des êtres raisonnables qui, peut-être, habitent d'autres planètesGa naar voetnoot2).
Or, quelle que soit, dans la recherche du bonheur et de la vérité, la tendance de l'homme à s'isoler, ou inversement à se mettre en rapport avec un grand nombre de ses semblables, il ne réussira jamais ni à être entièrement autonome ni à ne pas l'être du tout. L'ermite qui ne voit plus personne garde au moins le souvenir de ceux avec qui il fut jadis en contact. Pareil souvenir peut être fort vif. Rappelons-nous la sentence de Cicéron, bien connu à Huygens depuis sa jeunesse - où il n'est nullement question de la sensation de l'homme oriental ou profondément religieux qui se croit en contact avec un autre monde plein de vie -: ‘numquam se minus solum esse quam cum solus esset’Ga naar voetnoot3). Il est vrai que pour ceux qui se retirent, comme l'orateur et philosophe romain, non pas dans un ermitage où il est fait fi de toute science livresque, mais dans leur cabinet d'étude, ce n'est pas, la plupart du temps, la mémoire seule qui les met en rapport avec autrui, c'est aussi la lecture, ou du moins la vue, d'un nombre souvent considérable de livres, de lettres ou autres manuscrits, de portraits etc.
Mais le physicien dans son laboratoire, l'astronome dans son observatoire, le mathématicien chez lui - et l'on peut étendre cette liste - ne sera parfois en état de poursuivre la vérité qu'en oubliant momentanément tout autre être humain, en se sentant seul vis-à-vis de la nature, qu'il s'agisse de la nature visible et tangible, ou simplement visible, ou bien, dans le cas de certains mathématiciens ou philosophes, d'un monde intelligible abstrait.
Descartes parle à plusieurs reprises de la nécessité de s'isoler. Ce fut dans ce but qu'il se retira en Hollande.
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Parmi les nombreux correspondants de Huygens les membres de la famille occupent une place à part. Son père, lui-même, et ses frères Constantijn et LodewijkGa naar voetnoot11) forment un de ces groupes dont nous parlions au début. On les voit coöpérer parfois et toujours se réjouir des succès, grands ou petits, remportés par chacun d'eux. |
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voetnoot1)
- Voyez les p. 549 (Verisimilia de planetis), 725 et 731 (Cosmotheoros) du T. XXI.
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voetnoot3)
- De Republica I, 27 (la sentence citée, soit dit en passant, ne s'y applique pas à Cicéron luimême).
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voetnoot4)
- Descartes, peut-être officiellement marié, fit baptiser sa fille à Deventer en 1635. Voyez G. Cohen ‘Les écrivains français en Hollande’, Paris, E. Champion, 1920, p. 485. Il est fort possible, nous semble-t-il, que Huygens, écrivant une vie de Descartes, n'en aurait rien dit. Voyez ce qu'il écrit en 1693 (T. X, p. 403), en critiquant la biographie de Descartes par Baillet, sur la désirabilité de l'omission ‘des particularitez et des circonstances qui n'ont rien de grand ni de fort extraordinaire’.
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voetnoot6)
- Voyez ce mot laboratoire à la p. 354 du T. XVII, ainsi qu'à la p. 727 du T. X (lettre au frère Lodewijk de décembre 1666 où Huygens donne une description de ses appartements à Paris).
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voetnoot7)
- C. Busken Huet ‘Het land van Rembrand’, Haarlem, H.D. Tjeenk Willink, T. II, 1884, p. 42.
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voetnoot8)
- Elle occupe - abstraction faite du Supplément contenu dans le présent Tome - nos T. I-X, dont le premier parut en 1888 et le dernier en 1905. Busken Huet décéda en 1886.
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voetnoot10)
- Si l'on voulait écrire une vie romancée de Huygens, les seules autres femmes dont on pourrait le
feindre amoureux après ‘les belles qui me charmoient si fort’, peutêtre à Bois-le-Duc en 1654, peut-être beaucoup plus tôt, dont il écrit à Lodewijk eu 1667 (T. VI, p. 133), seraient peut-être M.lle Perriquet, la belle savante - qui fut aussi amie, ou du moins connaissance, de Pascal et de Roberval, ainsi que de Valentin Conrart - déjà mentionnée dans la note 2 de la p. 41 du présent Tome (consultez de plus sur elle la p. 368 de notre T. I et plusieurs autres endroits) et plus tard sa cousine (c.à.d. cousine de H.) Suzette, la charmante fille de M.me Caron (consultez sur la famille Caron la p. 118 du T. I, la p. 396 du T. III et la p. 76 du T. VI), qui épousa en 1669, en faisant un choix entre plusieurs prétendants, le sieur de la Ferté (voyez e.a. la lettre du 5 juillet de cette année de Huygens à son frère Lodewijk, T. VI, p. 471; et consultez sur les sentiments de M.me la Ferté les p. 122 et 210 du T. VII). Suivant E. Haag, ‘La France protestante’, Paris, 1847 et 1879, cité par H.L. Brugmans dans son travail de 1935 ‘Le séjour de Chr. Huygens à Paris et ses relations avec les milieux scientifiques français, suivi de son Journal de Voyage à Paris et à Londres’, p. 82, elle refusa, après la révocation de l'édit de Nantes, d'abjurer à l'exemple de son mari et réussit, après bien des aventures, à gagner l'Angleterre, puis la Hollande, où Huygens la reçut fréquemment. Le début de ce récit est probablement inexact ou du moins incomplet: d'après les ‘Proceedings of the Hugenot Society of London’ VIII, p. 85, cités par J.H. Hora Siccama dans ses ‘Aanteekeningen en
verbeteringen op het in 1906 door het Historisch Genootschap uitgegeven Register op de Journalen van Constantijn Huygens den zoon’ (Amsterdam, J. Muller, 1915) p. 245, M.me la Ferté fut enfermée dans la Bastille pour cause de protestantisme en avril 1686 et mise en liberté en juillet de la même année après avoir abjuré sa foi. Dans son for intérieur, pensons-nous, elle n'abjura rien du tout. Quoi qu'il en soit, Huygens la reçut fréquemment. En septembre 1689 (T. IX, p. 337) il parle de son mari qu'il n'a pas encore vu et ‘qui peut estre m'evite’. Ces expressions font voir qu'il n'est apparemment pas vrai que de la Ferté resta constamment en France comme le dit la note 17 de la p. 76 du T. VI. Nous ignorons la date de sa mort; en 1698 M.me la Ferté est dite veuve. Dans son testament (présent Tome) Huygens lui légua une certaine somme dont, d'après les renseignements de Hora Siccama, et aussi d'après la note 17 nommée, elle avait bien besoin. En 1694, suivant le Journal déjà mentionné de Constantijn Jr., la femme de ce dernier lui écrivit que Christiaan ‘wederom Mad. la Ferté buyten bij hem hadde, en sijn hart met haer wel soude konnen ophaelen, want dat men seyde dat sij niet seer cruelle en was’. Hora Siccama, à la page citée, nous apprend que le 16 mai 1716 fut annoncé dans l'église réformée de Groningue le prochain mariage de Chr. F. de Bonaventure avec M.me Suzanne de Caron, veuve de M. Fr. de Civille, Chevalier Seigneur de la Ferté etc.; et il ajoute: ‘De indruk, dat daardoor een einde moest worden gemaakt aan eene onregelmatige verhouding, is...niet te verhelen’ (on ne saurait se défaire de l'impression que ce mariage était
le couronnement d'une liaison). - Mais pour notre part nous ne nous proposons pas d'écrire un roman-Huygens. Outre la présente note on ne trouvera donc dans notre biographie aucune allusion à des choses de ce genre. Nous sommes plus ou moins d'accord avec M.me A. Romein-Verschoor disant dans la courte et intéressante biographie à elle, citée par nous à la p. 533 du T. XXI, que l'on constate chez Huygens l'économie d'émotions de l'homme dont le génie fut plus grand que la vitalité (‘emotionele economie van den man, wiens genie grooter is dan zijn vitaliteit’). A la p. 15 qui précède nous avons déjà parlé de sa constitution frêle. Voyez cependant aussi la note 12 de la p. 8 sur le caractère sérieux de son père qui, lui, ne manquait certes pas de vitalité. Comparez aussi l'expression de P. Ducassé dans son ‘Essai sur les origines du positivisme’ (Paris, F. Alcan, 1939): ‘exercise [par Auguste Comte, fort différent, soit dit entre parenthèses, de Huygens] d'une véritable économie affective’ (p. 155, dans le Chapitre ‘Le véritable amour. Peuplement de la solitude’). On peut encore, si l'on veut, consulter sur Chr. Huygens et ses rapports avec le ‘sexe faible’ les l. 8-9 de la p. 600 qui suit (Journal de voyage) et les T. VII et VIII in voce Haasje Hooft (plus tard M.me van Bambeeck).
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