Oeuvres complètes. Tome XXII. Supplément à la correspondance. Varia. Biographie. Catalogue de vente
(1950)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
[pagina 1]
| |
Supplément à la correspondance. | |
[pagina 3]
| |
Avertissement.Des Suppléments à la Correspondance qui occupe les dix premiers tomes de notre édition ont déjà été publiés dans chacun d'eux. Mais après 1905, date de l'apparition du T. X, d'autres lettres encore - au nombre de 83 - sont venues à notre connaissance, dont 31 de Huygens, 23 à Huygens, et 29 qui se rapportent à lui. Vu le caractère biographique du présent tome - il est vrai que chaque tome contient, peut-on dire, une partie de la biographie - nous croyons devoir pourvoir d'un Avertissement cette dernière, ou provisoirement dernière, collection de lettres. Nous disons provisoirement dernière, car qui sait si un jour les lettres échangées entre Christiaan et son père lorsque le premier se trouvait à ParisGa naar voetnoot1) - et peut-être d'autres lettres importantes - ne seront pas retrouvées? Ilnous semble probable que dans les siècles à venir bien des amateurs de l'histoire des sciences, ou de la civilisation en général, se trouvant en face des Oeuvres Complètes de Chr. Huygens, commenceront par consulter, outre le premier tome, le dernier où ils espéreront trouver un aperçu général des Oeuvres ainsi que de la vie de l'auteur, peut-être aussi un jugement compétent tant sur sa personne que sur l'ensemble de ses travaux, jugement qui les dispensera - car s'ils veulent se faire une idée de ce qu'était la civilisation européenne au dix-septième siècle ainsi que dans les siècles suivants, | |
[pagina 4]
| |
comment auront-ils le temps d'étudier à fond les écrits de tous les auteurs célèbres? - de se former eux-mêmes une opinion indépendamment de la nôtre. Or, il leur suffira de jeter les yeux sur le Catalogue de la bibliothèque du savant, telle qu'elle fut mise aux enchères quelques mois après sa mortGa naar voetnoot2), pour comprendre que nous aussi ne sommes nullement en état de parler de lui avec une entière connaissance. La même difficulté qui existe pour eux existe aussi dans une certaine mesure pour nous: comment se faire une idée adéquate de ses pensées sans avoir lu la grande majorité des livres de toute sorte qu'il possédait et dont le contenu, puisque nous constatons à tout pas qu'il lisait beaucoup, ne lui était sans doute généralement pas inconnu? La meilleure manière pour l'amateur nommé de faire connaissance avec Chr. Huygens sera, nous semble-t-il, de lire quelques-unes de ses lettres, et cela non seulement des lettres bien rédigées traitant de questions scientifiques, mais aussi des lettres ou billets adressés p.e. à des parents où il n'est question que de choses insignifiantes ou d'événements contemporains, ainsi que des lettres adressées à lui (ou se rapportant à lui), p.e. celles de sa soeur Susanne et de son beau-frère Doublet, époux de Susanne, lesquelles font connaître, ou du moins donnent une idée de la haute société de la Haye à laquelle il appartenait par sa naissance. Pour ce but il suffiraGa naar voetnoot3) de parcourir les lettres du présent volume. Qu'on considère d'abord le No. ???, lettre de Christiaan de janvier 1650, à son frère Constantijn, son aîné d'un an. Il avait en ce moment presque 21 ans; il venait de terminer ses études universitaires qu'il avait commencées à l'âge de 16 ans. Ce qu'on constate d'abord, c'est que les frères s'écrivent en français. Ce n'était pas la langue dans laquelle ils conversaient entre eux: ils n'avaient commencé l'étude systématique du français, longtemps après celle du latin, et même après celle du grec, que lorsque Christiaan avait 14 ansGa naar voetnoot4). Mais la langue française était dans la haute société de la Haye la seule dont on pût se servir avec sûreté, même entre proches parents, sans risquer de s'encanailler. À moins qu'on ne préférât le latin: voyez la lettre ???IV de 1658 de Huygens à Joh. de Witt. On ne trouvera donc que fort exceptionnellement dans les T. I-X des lettres néerlandaises (ou plutôt flamandes, comme ils disaient eux- | |
[pagina 5]
| |
mêmesGa naar voetnoot5) en écrivant en français) adressées par un des Huygens à un frère. Il est vrai que Susanne dans sa jeunesse se montre sur ce sujet moins scrupuleuse. Et la lettre XLIV de Huygens à de Witt est également écrite dans la langue maternelle: de Witt était un homme d'état néerlandais, c'est ce dont il fallait tenir compte. En second lieu on remarquera que déjà à cet âge les frères observent entre eux, comme dans la correspondance avec des étrangers, les règles de la politesse: l'auteur de la lettre se dit non seulement le frère mais aussi le serviteur de son correspondant. Bien caractéristique de la conscience d'appartenir à une famille distinguée est aussi la remarque de Christiaan sur le nouveau cousin van Sonne ‘ayant deux frères à Rotterdam dont l'un est ministre [c.à.d. pasteur protestant] et l'autre orfevre...je ne scay quels cousins nous aurons encore a la fin.’ Ce serait en effet une grande erreur que de croire que puisque les Huygens - comme nous l'avons dit à la p. 661 du T. XXI - appartenaient au parti orthodoxe et qu'ils étaient donc des soutiens de l'église réformée telle qu'elle s'était constituée en Hollande, ils auraient eu personnellement un profond respect pour tous les ministres du culte; c'est bien plutôt à la Cour des Princes d' Orange, protecteurs de la religion, qu'ils se sentaient affiliés. Le rigorisme moral, professionnellement cher à une grande partie du clergé, et en honneur aussi, dans une certaine mesure, chez la famille Huygens, n'a jamais été du goût de la haute société en général; il ne pouvait être question p.e. pour les Huygens de ne pas aller au théâtre puisque tel pasteur qu'ils écoutaient à l'église fulminait contre lui; nous avons cité au T. XX la brochure de Constantijn Huygens père sur l'usage de l'orgue dans les églises que les rigoristes, ennemis de l'art, condamnaient comme trop mondain. Voyez aussi la lettre, ou plutôt la minute, LXXX de 1692 de Huygens à Matthijsse: le seigneur de Zuylichem (c'était le frère Constantijn puisqu'en 1687, après la mort de son père, Christiaan avait échangé Zuylichem contre Zeelhem) avait apparemment le droit de nommer un pasteur dans son diocèse. Ce pasteur n'était donc pas du même rang que lui. Autre grief contre van Sonne: ‘il n'a ny charge ny biens’. Quand on appartient à une famille opulente et que le père, bourgeois nobleGa naar voetnoot6), est secrétaire d'un stadhou- | |
[pagina 6]
| |
der, comment, lorsqu'on est jeune, ne pas se sentir élevé au-dessus d'autres familles dépourvues de ces avantages? La même lettre fait voir que les frères Huygens fréquentaient à la Haye les bals où venaient ‘les principales dames de la Haye’ ‘et mesme [le cas échéant] Son AltesseGa naar voetnoot7)’. Déjà Constantijn frère portait parfois une perruque; il est vrai que certaines dames semblent l'avoir considéré comme trop jeune pour s'en parer; mais on peut être assuré qu'en général Constantijn et Christiaan étaient pris au sérieux comme ils le méritaient. Ayant perdu leur mère en bas âge, ils ne connaissaient guère d'autre autorité - mais celle-ci était grande - que celle de leur père, à qui, soit dit en passant, Christiaan n'a survécu que de huit ans. Dans la lettre en question on voit Christiaan parler de son Journal (perdu) du voyage de Danemarc, qu'il n'aurait ‘jamais escrit au large..à moins que d'en estre pressé par [son] Pere.’ Habitué à noter lui-même de jour en jour les événements contemporains ainsi que ses propres occupations, conservant à peu près toutes les lettres qu'il recevait ainsi que beaucoup de copies de celles qu'il écrivait, le père Constantijn a légué à ses fils l'habitude de noter autant que possible tout ce qui pourrait plus tard être considéré comme de quelque importance. C'est indirectement à lui que nous devons la possibilité de publier la Correspondance et les Oeuvres Complètes de son célèbre fils que son éducation avait rendu tout aussi conservateur. On a parfois comparé Goethe à une de ces boules de verre qu'on trouve dans les parcs lesquelles réflètent tout leur entourage. L'on peut dire de même que dans les écrits conservés par la famille Huygens se mire une bonne partie du dix-septième siècle qui, suivant les historiens, fut pour nous le siècle d'or.
En commençant par la lecture de la lettre XXX, nous avons considéré les frères Huygens (nous parlons toujours des deux aînés) tels qu'ils étaient en entrant dans la société de la Haye. Avant de partir en 1645 de la Haye pour Leiden (où l'on enseignait - est-il besoin de le dire? - en latin) pour y étudier le droit et les mathématiques, ils n'avaient fréquenté aucune école. Vu la position du père Constantijn, il n'aurait pas été convenable que les frères Huygens n'eussent pas été instruits par des gouverneurs privés, comme cela avait été le cas pour Constantijn lui-même, dont le | |
[pagina 7]
| |
père fut secrétaire de Guillaume I, dit le Taciturne (Willem de Zwijger). À moins que Constantijn ne les instruisît personnellement, ce que nous savons avoir été le cas pour les mathématiques et la cosmographieGa naar voetnoot8). On trouvera ici 22 lettres (et notre T. I en contient encore d'autres auxquelles nous renvoyons le lecteur) du gouverneur Bruno à Constantijn père, souvent absent de la Haye à cause de la guerre avec l'Espagne qui ne se termina qu'en 1648Ga naar voetnoot9). On voit dans ces lettres que l'étude des languesGa naar voetnoot10), la lecture d'auteurs classiques tels qu'Ovide, Virgile, Horace et HomèreGa naar voetnoot11) était, avec l'étude de la musique, la chose principale jusqu'à 1644 (en 1644 - voyez la note 1 de la p. 5 du T. I - commença l'instruction mathématique par Stampioen de Jonge). De l'étude des langues et de la lecture des auteurs fit d'ailleurs partie celle de la rhétorique (lettres I et II), celle de l'histoire ancienne (lettre III), celle de la géographie (lettre IV) et celle de la dialectique (lettre XII), de la logique (lettre XIV), de la ‘philosophia moralis’ (lettre XVII). Celui qui s'intéresse spécialement à cette instruction devra consulter les lettres elles-mêmes qui donnent beaucoup de détails. Dans la lettre VII on constatera l'influence de Comenius. Bruno, en tenant le père au courant, est tenu de toujours demander ses instructions ou du moins son approbation. Avec la lettre XXII on voit apparaître Descartes, résidant alors à Egmond et recommandant en décembre 1644 au père Constantijn ‘le Sieur Schooten’, plus tard | |
[pagina 8]
| |
professeur à l'Université de Leiden, ‘pour donner entrée en l'Algebre à ceux de Mrs vos enfants qui y auront le plus d'inclination’. Descartes n'était pas ami de Stampioen. La réponse (XXIII) de Constantijn fait voir qu'il reconnaissait l'éminence de la mathématique cartésienne. Il avait en vérité déjà été question de Descartes dans la lettre du premier août 1644 de Bruno (XVII). Il n'y est pas nommé, mais ce ne peut être que lui ‘qui novatorem fecit Aristotelem et cujus Physica [Principia Philosophiae] jam diu sub praelo est.’ Voyez d'ailleurs la lettre XVIII. En ce moment Constantijn (d'après la lettre XIX) donna cependant la préférence à la Physica de Burgersdicius, professeur à l'Université de Leiden, recommandé ‘inter Aristotelicos’ par Wendelinus; cet ouvrage lui avait été envoyé par Bruno avec celui de Descartes au mois d'octobre. Mais nous savons (voyez la p. 403 du T. X) que Christiaan lut en même temps, ou immédiatement après, l'oeuvre de Descartes. Dans une lettre de 1646, également adressée à Constantijn père (XXV), Descartes fait preuve de connaître les grandes aptitudes de Christiaan, âgé alors de 17 ans, pour la musique et spécialement pour la musicologie (voyez sur ce sujet le T. XX): il demande son opinion sur une question sur laquelle diverses manières de voir lui semblent possibles. Et en effet, cette grande aptitude, jointe à une grande application, ressort aussi des lettres de Bruno (II et IV). Un instant, déjà en 1640, il y avait eu une certaine révolte des jeunes Huygens contre leur instituteur: voyez la lettre X où Bruno se plaint amèrement de leur conduite. Grief principal du gouverneur: ils se moquent de lui en l'appelant versificateur. C'est en effet à composer des vers latins qu'il excellait. Nous pouvons être assurés que le père Constantijn a tancé ses fils, comme Bruno le lui demandait, puisqu'il joignait lui-même à ses grandes qualités celle d'être un poète, un versificateur infatigable, tant en latin qu'en ‘flamand’Ga naar voetnoot12). Chris- | |
[pagina 9]
| |
tiaan - consultez cependant la p. 315 du T. XXI - n'a jamais eu de goût pour cet exercice: voyez déjà la lettre IV. Mais en 1657 (voyez la lettre XXXII) il est tenu de demander de Bruno un poème latin pour être placé dans les ‘Koren-bloemen’, recueil de poèmes flamands de son père. Ce qu'il faisait volontiers, c'est dessiner et peindre: voyez la lettre XXXIII où il est question de son portrait de Constantijn également destiné aux ‘Koren-bloemen’. Si Christiaan s'intéresse médiocrement à la versification telle qu'elle fut pratiquée au dix-septième siècleGa naar voetnoot13), il a d'autre part de l'intérêt pour l'étude des langues orientales: voyez la lettre XXVIII de 1649 où le père Constantijn vante sa connaissance, non seulement du français, du latin et du grec, mais encore de l'hébreu, du syriaque et du chaldaïque. Nous savons en effet (T.I, p. 102) qu'à Breda, où il avait étudié après son sejour à Leiden - son père étant curateur de l'Académie de Breda - Christiaan avait suivi un cours d'hébreu et y était dit en 1648 ‘desja bien avancé’; mais il nous est difficile, pour ne pas dire impossible, d'admettre, puisque nous n'en trouvons aucune preuve, qu'il ait vraiment excellé dans l'étude de cette langue, pour ne rien dire du syriaque et du chaldaïque. Ce qui est vrai c'est qu'il compare volontiers (T. VIII, p. 298-299, T. XXI, p. 533) la recherche de la vérité en physique, basée sur quelques observations ou expériences, avec le déchiffrement d'une page écrite dans une langue dont les lettres ou signes sont imparfaitement connus.
Outre Descartes, Mersenne s'intéressa à Chr. Huygens. Malgré sa jeunesse il fut à bon droit pris fort au sérieux par le Minime (voyez la lettre XXVI), cette fois en sa | |
[pagina 10]
| |
qualité de mathématicien et de physicien. La correspondance ne dura que quelques années puisque Mersenne décéda en 1648. Les lettres à de Witt font connaître Huygens en sa qualité d'inventeur de l'horloge simple à pendule (XXXIV de 1658) et de celle à remontoir (XLIV de 1664), devant sérvir l'une et l'autre à la détermination de la longitude en mer, question dont aucun politicien de quelqu' importance ne pouvait se désintéresser. Il est vrai que l'horloge simple à pendule était aussi destinée aux astronomes, mais en écrivant au célèbre homme d'état Huygens parle uniquement de la question des longitudes. Dans la minute de la lettre XXXV Huygens mentionne son ‘invention (théoriquement fort importante, non pas pratiquement comme il le pensait) de la cycloide a l'horologe’, rendant isochrones les oscillations d'amplitudes différentes. Les années 1660 et 1661 voient Huygens à Paris, et ensuite à Londres. La lettre XXXVI montre que ses parents profitèrent de son séjour à Paris pour faire des emplettes. Ce qui est plus important, c'est que d'après la lettre XXXV il est en correspondance avec le prince Leopoldo de Medicis et d'autres personnes en Italie, et que l'on peut aussi constater qu'il ne perd pas son temps à Paris: il est question de visites à Petit, à Pascal, à Clersillier, ainsi que de l'académie-Monmort, et des expériences de Rohault. Ce fut à Paris que Huygens reçut la lettre XXXVII du prince Leopoldo où il parle tant de l'édition de certains livres d'Apollonius Pergaeus, nouvellement traduits de l'arabe - et nous savons d'ailleursGa naar voetnoot14) que, comme cela se conçoit, Huygens ne s'intéressait pas seulement à Euclide et à Archimède mais aussi à Apollonius - que de la dispute de Huygens avec Eustachio Divini, ou plutôt avec le père Fabri (mentionné dans la lettre XXXV) au sujet de la planète Saturne: Huygens avait publié en 1659 son Systema Saturnium (dédié au prince Leopoldo) contenant la découverte de l'anneau, énigme enfin déchiffré, mais dont le déchiffrement fut encore contesté en ce temps par les observateurs italiens. C'est aussi de Saturne que, de retour à la Haye, Huygens traite dans la lettre XXXVIII à Moray, secrétaire de la Royal Society à Londres qui l'avait admis comme membre. Il y fait mention d'autres amis français, Frenicle, Chapelain, Boulliau, ainsi que d'anglais, Brouncker, Oldenburg (né allemand), Boyle. En marchant sur les | |
[pagina 11]
| |
traces de ce dernier, il fait en ce moment construire à la Haye une machine pour faire le vide. Lorsqu'il sera établi à Paris en 1666 comme membre de l'Académie des Sciences fondée en cette année, il y fera bien des expériences avec ses appareils pneumatiques, d'abord seul, ensuite avec Papin. - Dans une lettre (XLI) également écrite peu après son retour en Hollande, donc en 1661, il dit avoir appris, évidement en approuvant cette évolution, que dans l'académie-Monmort ‘on commencait a s'appliquer plus qu'auparavantGa naar voetnoot15) aux experiences’, ce qui, comme notre note le fait voir, était dû à l'exemple des Anglais et à ce que Huygens lui-même en avait mandé. À la Haye, entre 1661 et 1666, Christiaan et Constantijn frère continuèrent à s'appliquer à la taille des lentilles: l'objectif planconvexe qui avait servi à Christiaan pour découvrir un nouveau satellite de Saturne et ensuite son anneau avait lui aussi été taillé par eux. Une lettre du prince Leopoldo de 1664 (XLIII) rappelle la concurrence avec les faiseurs de lunettes italiens qui était résultée de ces découvertes. En 1665 (lettre XLV) Huygens décrit clairement pour le père de Challes ou Deschales - mais probablement sans que la lettre ait été expédiée - le procédé pour tailler les lentilles (les ‘verres’, comme il dit) tel qu'il était alors en usage chez luiGa naar voetnoot16). Les recherches théoriques de dioptrique en ces années furent également importantes. Il en est fait mention dans la lettre XLVII de 1665.
Dans la dite lettre XLVII, qui est d'Oldenburg à Moray, nous voyons apparaître un personnage célèbre auquel il est fort possible que le lecteur du présent tome s'intéresse: c'est le philosophe Spinoza qui y dit avoir visité Huygens. C'est pourquoi il convient de dire quelques mots sur les relations de Spinoza avec Huygens, quoique nous ne possédions que peu de documents sur ce sujet. Parmi les noms des fort nombreuses personnes mentionnées dans la correspondance du père Constantijn nous ne trouvons pas celui de Spinoza; ce sont exclusivement ses fils Constantijn et Christiaan qui parlent de lui et cela rarement. Plus jeune que Christiaan Huygens de quelques | |
[pagina 12]
| |
années seulement, Spinoza († 1677) se fixa en 1664 à Voorburg près de la HayeGa naar voetnoot17) où se trouvait la maison de campagne Hofwijck des Huygens. En mai 1665, dans une lettre à OldenburgGa naar voetnoot18), il parle de Huygens comme d'une connaissance: Huygens lui a donné des nouvelles sur la santé d'Oldenburg, leur commun amiGa naar voetnoot17), et ils se sont entretenus sur certains livres scientifiques ainsi que sur les microscopes et télescopes. Quant à la présente lettre d'Oldenburg à Moray du 7 octobre 1665, c'est celle, mentionnée dans notre note 2 de la p. 507 du T.V, dont parlait Oldenburg dans une lettre à Boyle du 10 octobre suivant; il y cite une grande partie d'une lettre de Spinoza à lui-même à laquelle il répondit par sa lettre du 22 octobre, également dans notre T.V. La lettre du 20 novembre 1665 de Spinoza à Oldenburg (T.V, 535) montre qu'il avait de nouveau visité les Huygens et vu leur ‘fabricam..satis nitidam’ pour polir les lentilles, tout en étant d'avis qu'il vaut mieux polir à la main (voyez en effet ce que Huygens écrit sur ce sujet à la p. 304 du T. XVII et remarquez que dans la lettre XLV à Deschales il n'est question que de polir à la main; une bonne machine pour polir ne fut construite par les frères Huygens qu'en 1683; consultez làdessus le T. XXI). Puisque Chr. Huygens partit pour Paris déjà au printemps de 1666, le frère Constantijn, resté en Hollande, a apparemment conversé plus que lui avec le philosophe-opticien, mais sans que cette conversationoucelle, antérieure, avec Christiaan ait jamais roulé, semble-t-il, sur l'éthique ou la théorie de la connaissance. Les lettres de Constantijn frère où il rapporte ses conversations avec Spinoza sur des sujets d'optique sont perdues, mais Christiaan le mentionne dans ses réponses et l'on voit qu'il le prend fort au sérieux et loue certaines de ses productionsGa naar voetnoot19). | |
[pagina 13]
| |
De la lettre XLVII il appert que Huygens et Spinoza s'étaient aussi entretenus en 1665 sur les règles de Descartes sur le choc des corps durs. C'était là un sujet sur lequel Spinoza n'avait apparemment pas médité avec succèsGa naar voetnoot20): il n'admet pas ‘regulas..Cartesii falsas fere omnes esse’ et dit à tort que Huygens lui aussi s'est trompé: ‘judico autem, in regula motus, Cartesio sexta, eum [Hugenium] et Cartesium plane errare’. Lorsque, dans sa lettre du 22 octobre suivant, Oldenburg lui demanda de préciser ses assertions, Spinoza, dans sa réponse du 20 novembre, ne produisit aucun nouvel argumentGa naar voetnoot21). En février 1676 un certain Baert écrit à Huygens avoir entendu discourir avec éloges sur ses mérites (ceux de H.) ‘in de konsten der philosophieGa naar voetnoot22) en mathematique’ tant Spinoza que Hudde et de VolderGa naar voetnoot23). Notre note 2 de la p. 236 du T. VIII fait voir qu'en 1675 Tschirnhaus s'était présenté à Huygens, toujours à Paris, avec une recommandation de Spinoza et que Huygens est dit avoir reçu de ce dernier le ‘Tractatus Theologico-Politicus’ de 1670. Lequel cependant ne se trouvait pas dans sa bibliothèque en 1695 d'après le Catalogue de Vente. Elle contenait en revanche ‘Spinoza in Ren. Descartes Principia Philosophica Amst. 1663’ (Libri Miscellanei in Quarto, 207). Les ‘Opera Posthuma’ de 1677Ga naar voetnoot24) ne s'y trouvaient pas. | |
[pagina 14]
| |
Il ne répondit rien au passage suivant de la lettre du 10 décembre 1677 de Leibniz: ‘Je voudrois sçavoir aussi, si vous avés leu avec attention le livre de feu M. Spinosa. Il me semble que ses demonstrations pretendues ne sont pas des plus exactes par exemple lorsqu'il dit que Dieu seul est une substance, et que les autres choses sont des modes de la nature divine, il me semble qu'il n'explique pas ce que c'est que substance’. En 1682 Galloys attira lui aussi son attention sur les ‘Opera Posthuma’ puisqu'il lui demanda de les envoyer de la Haye à Paris avec le ‘Tractatus theologico-politicus’Ga naar voetnoot25) ce que Huygens promit de faire au plus tôtGa naar voetnoot26), non sans ajouter: ‘Je souhaiterois qu'il y eust quelque chose de plus considerable ou je fusse capable de vous faire plaisir’. Huygens a sans doute pu jeter les yeux sur l'Ethique; à la p. 252 du Manuscrit E se trouve la note: ‘M. Auzout. Opera posthuma de Spinosa’. On pourrait donc se figurer - puisque le début de l'Appendice de l'Ethique est ainsi conçu: ‘His Dei naturam ejusque proprietates explicui’ - que ce n'est pas seulement au dogmatisme engénéral, mais aussi (entre autres) à celui de SpinozaGa naar voetnoot27) qu'il s'oppose en écrivant, en 1686 ou 1687 (T. XXI, p. 341): ‘..les philosophes..que pouvaient-ils faire..? Avouer qu'il surpasse de bien loin l'homme d'avoir une idée de Dieu’. Après 1682 il n'est plus jamais question de Spinoza dans la Correspondance. En somme, nous voyons en Huygens et Spinoza deux hommes bien décidés - quoiqu'à l'occasion ils se louent l'un l'autre - à poursuivre séparément et indépendamment leurs recherches, leur travail manuel, et leurs raisonnements.
La lettre LI, traitant exclusivement de questions métaphysiques, adressée à Huygens par le jeune duc de Chevreuse, dont le père vécut dans l'intimité des solitaires de Port-Royal, resta, semble-t-il, sans réponse, tout aussi bien que celle de Leibniz mentionnée plus haut, pour autant que cette dernière se rapportait à la question (consi- | |
[pagina 15]
| |
dérée, après Aristote et Descartes, tant par Spinoza que par le philosophe allemand) des substances et des modes. Évidemment le duc de Chevreuse veut que Dieu ne soit pas seulement créateur mais aussi conservateur, les choses créées, à son avis, ne subsistant pas d'elles-mêmes: comparez sur ce sujet dans le T. XXI notre Appendice IV au Cosmotheoros, où l'on voit que Huygens ne croit guère à un ‘concursus ordinarius’ (Descartes) de la divinité; du moins il relègue la ‘cooperation’Ga naar voetnoot28) divine à la période de la création, laquelle selon lui est close, du moins pour notre planète.
Lorsque Huygens vint à Paris en 1666 la République des Provinces-Unies était en excellents termes avec la France. La faveur royale ressort bien de la lettre L de cette année où il est question d'un portrait orné de diamants offert par Louis XIV à Constantijn Huygens père par l'intermédiaire de son fils Christiaan. Voyez aussi làdessus la lettre LV. Les hautes relations de la famille Huygens eurent naturellement pour effet de rendre Christiaan le bienvenu à la Cour du Roi-Soleil. Il resta le bienvenu à Paris même pendant la guerre de 1672 et des années suivantes, quoique (comme le montre la lettre LIX) il s'intéressât énormément, tout aussi bien que son père, aux victoires navales de 1673 de l'amiral de Ruyter - c'était l'année même où il publia son ‘Horologium oscillatorium’ avec une dédicace à Louis XIV, protecteur des arts et des sciences - victoires qui prévinrent la déconfiture de notre patrie envahie par les troupes françaises. La dite lettre est adressée au secrétaire de l'ambassade néerlandaise, médecin-diplomate, qu'on voit aussi s'intéresser à la santé de Huygens: il avait une constitution frêle. D'autre part, la lettre LX fait voir les relations de Huygens, non seulement avec l'ambassade, mais aussi avec l'église protestante en France. Le billet LXII ne porte pas de date. Nous ignorons donc si c'est à bon droit que nous l'avons colloqué entre 1673 et novembre 1675. D'ailleurs c'est aussi bien pour un ami français que pour un hollandais (il nous semble pourtant qu'il s'agit plutôt d'un membre de la famille) que Huygens a pu acheter un je-ne-sais-quoi pouvant mettre ses ‘moustaches a couvert’. Ce qui nous intéresse uniquement, c'est la façon | |
[pagina 16]
| |
plaisante, mais nullement moqueuse, dont il parle ici de la foi, qui suivant l'Ecriture transporte les montagnes, mais sans laquelle, comme l'enseigne l'expérience, les plus petites choses peuvent parfois ne pas réussir.
Dans la lettre XLVII d'Oldenburg, ou plutôt de Spinoza, il était question du traité, non encore publié, des parhélies de Huygens (notre T. XVII); c'est à ce phénomène que se rapporte le No. LXIII de 1675: Huygens continuait à rassembler des données. Les Nos LIV, LXIV et LXV font voir les relations existant entre Huygens et les rédacteurs, d'abord Galloys, ensuite de la Roque, du Journal des Sçavans né en 1665, donc presque simultanément avec l'Académie Royale des Sciences. Incidemment on on y voit aussi qu'en 1678 il fut déjà question - du moins sur papier - de ‘uoler en l'air’ au moyen d'un ballon; il s'agit ici d'un ballon rigide vide ou à peu près vide d'air. Le no LXVI, pièce purement mathématique, comme les Nos antérieurs LIII et LVI et le no suivant LXXII, est la seule pièce de la présente collection provenant d'un collègue, savoir Ph. de la Hire, membre de l'Académie depuis 1678. Le lecteur qui s'intéresse soit aux équations des sections coniques soit uniquement à la personne de de la Hire et ses relations avec Huygens pourra consulter les T. XX et XXI. C'est surtout, semble-t-il, après son départ définitif de Paris en 1681 que Huygens, à l'instar de Descartes, s'occupa de la théorie du magnétisme; c'est pourquoi nous avons, par simple hypothèse, assigné la date 1679, antérieure de peu à 1681, aux pièces LXVII et LXVIII, correspondance de Huygens avec Chamard, personnage qui nous est inconnu. Notre note à la lettre LXVIII fait voir que la date 1679 est plus probable que 1680. La ‘matiere magnetique’ beaucoup plus fine que l'air - voyez le T. XIX - mais capable, suivant l'opinion adoptée par Huygens en 1680, de chasser ce dernier - ou plutôt une matière plus subtile que l'air - d'entre deux aimants d'où résulte leur attraction apparente, n'est qu'une des matières fines adoptées par lui: outre le T. XIX on peut aussi consulter sur ces matières subtiles le T. XXI. Pour Huygens comme pour ceux qui pensent comme lui (et comme Gassendi avant lui; nous disons Gassendi et non pas Descartes, puisque ce dernier n'admet pas le vide ni les atomes - de Démocrite et d'Épicure - infiniment durs) toute partie du monde, telle qu'elle existe actuellement après la période de sa création, est une espèce de grand billard idéal tridimensionnel, sans joueurs, et dépourvu de bandes | |
[pagina 17]
| |
fixes. Il est vrai que, lorsqu'il avance en âge, la rigueur de cette conviction est atténuée par le fait qu'en physique, nous dit-il, nous n'atteignons pas le certain mais seulement le vraisemblableGa naar voetnoot29). Et voyez aussi la note 11 de la p. 4 du T. XIX sur la cohésion.
Les lettres LXIX et LXX font voir qu'à Paris comme ailleurs - consultez aussi le billet LXXXIII de 1694, écrit six mois avant sa mort - Huygens ne pouvait pas, tout aussi peu que sa famille, se désintéresser des dessins, tailles douces etc. qu'on y offrait en vente.
À la p. 13 qui précède nous avons dit qu'en 1675 Tschirnhaus se présenta à Huygens avec une recommandation de Spinoza. Plus précisément: Spinoza lui avait donné le conseil de visiter Huygens lorsqu'il irait à Paris. En y arrivant Tschirnhaus venait d'Angleterre et c'est de là, suivant la p. 483 du T. XX, qu'il apporta des recommandations d'Oldenburg et de Papin tant pour Huygens que pour Leibniz. Plus tard Huygens resta en relation avec lui quoique moins étroitement que Leibniz; on peut, outre les Oeuvres Complètes, consulter sur ce sujet notre article de 1940 ‘Deux pages consécutives du Manuscrit G de Huygens’Ga naar voetnoot30). On voit bien ici (Pièce LXXII) que Tschirnhaus, comme nous le disons dans cet article, était un mathématicien de talent qui cependant n'obtenait pas toujours réellement les résultats qu'il annonçait. Au moment qu'il écrivait cette Pièce - ce doit avoir été en 1680 - il n'était pas encore membre de l'Académie Royale des Sciences; il le devint en 1682; mais alors, depuis un an, Huygens avait pratiquement cessé d'en faire partie. En 1683 (no. LXXIII) Huygens fit connaissance avec B. Fullenius auquel il devait confier, en 1695, le soin de publier avec B. de Volder, ce qu'ils ont appelé ses, ‘Opuscula posthuma’, de 1703, contenant entre autres la dioptrique - que Huygens avait voulu publier comme une suite de son Traité de la lumière de 1690 -, le traité de la force centrisuge, et la description du planétaire de 1682. C'est ici seulement que, dans la présente collection de lettres, nous rencontrons le nom de Kepler qui, déjà | |
[pagina 18]
| |
avant 1682, exerça une si grande influence sur Huygens, surtout en sa qualité d'astronome: voyez le T. XXI. La longue lettre suivante LXXIV est d'octobre 1687. Après Kepler, voici Newton, autre savant dont les travaux, comme cela se conçoit, eurent beaucoup d'influence sur Huygens. Newton - consultez notre T. XXI -, tout en croyant aux corpuscules durs, et en éprouvant le même besoin que Huygens de préciser les choses, n'admettait pas le monde-billard, tout aussi peu que Kepler. L'auteur de la lettre, le jeune mathématicien suisse Fatio de Duillier, écrit de Londres à Huygens lui avoir envoyé sans délai les ‘Principia mathematica philosophiae naturalis’ de Newton publiés en juillet de cette année. Il y est en outre question de la critique - bien fondée et approuvée par Huygens - par Fatio d'une partie de la ‘Medicina Mentis’ de Tschirnhaus, savoir de sa construction de tangentes à un certain genre de courbes. Fatio avait de plus trouvé et publié la construction véritable et il avait visité Huygens à la Haye et discouru avec lui sur ce sujet avant de passer en Angleterre, sachant que Huygens s'intéressait lui aussi à la question des tangentes: il en avait traité à Paris à l'Académie des Sciences déjà en 1667 (notre T. XX). Constatant que les mathématiciens anglais, Newton surtout, peu enclin en ce moment à publier ses méthodes, s'intéressaient également à la dite question et généralement aux méthodes infinitésimales et y avaient fait de grands progrès, Fatio continua à s'exercer à la construction de tangentes et développa une méthode à lui qu'il expose dans la présente lettre. Comme on peut le voir dans notre T. XX, Fatio visita Huygens de nouveau en 1691; en cette année ils travaillèrent ensemble au perfectionnement de la méthode susdite, ce qui amena une certaine concurrence avec Leibniz, lequel avait déjà exposé, mais assez obscurément, sa méthode infinitésimale à lui dans les Acta Eruditorum de 1684. Puisque Huygens décéda en 1695 nous n'avons - heureusement - pas à nous occuper de la célèbre dispute du commencement du siècle suivant sur les mérites respectifs de Newton et de Leibniz, ou de Leibniz et de Newton, dispute à laquelle Fatio ne fut pas étranger. - Huygens a apporté quelques petites corrections autographes à la présente lettre. La lettre, ou plutôt la minute, LXXVI de 1690 fait voir que Huygens, vieillissant, mais disposant encore d'une grande force de tête, était aussi en correspondance avec Leibniz sur des problèmes géométriques pouvant difficilement être résolus, mais pouvant cependant l'être, sans l'aide du calcul différentiel et intégral proprement dit; elle commence par les mots: ‘J'ay entendu a la fin son calcul. Le mien equivalent pourquoy je le crois’. | |
[pagina 19]
| |
À quelques billets près dont nous ne disons rien ici (les nos LXXX et LXXXIII ont d'ailleurs été mentionnés plus haut) le présent Supplément à la Correspondance se termine par deux lettres de Huygens à Fatio (LXXVII, 1691 et LXXVIII, 1692) et deux de Fatio à lui (LXXIX et LXXXII, 1692 et 1694). Huygens, après avoir parlé d'astronomie et critiqué, non sans raison, quelques remarques historiques de Newton, dit attendre avec impatience un traité des lignes courbes de ce dernier où pourront se trouver des règles générales. Il mentionne aussi le philosophe anglais Locke dont il avait lu avec plaisir, en 1690, l' ‘Essay concerning the human understanding’ de cette année. Fatio, lui, parle e.a. de ce que Huygens avait récemment écrit contre l'ingénieur français Renaud ou Renau au sujet de l'influence du vent sur les vaisseaux à voile; c'est ce dont il est encore question plus loin dans le présent tome. |
|