Oeuvres complètes. Tome XXI. Cosmologie
(1944)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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Discours de la cause de la pesanteur. | |
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Avertissement.Huygens avait-il oublié lorsqu'il publia en Hollande en janvier ou février 1690, pour la première fois, son Discours de la Cause de la Pesanteur, avoir envoyéGa naar voetnoot1) ce Discours à Paris en juin 1687 pour être placé dans les Divers Ouvrages des membres de l'Académie Royale (lesquels ne devaient paraître qu'en 1693Ga naar voetnoot2))? C'est ce qu'il écrit le 30 mars 1690 à de la HireGa naar voetnoot3). Quoi qu'il en soit, il est certain qu'après l'apparition, en juillet 1687, des ‘Principia’ de Newton, il ne pouvait guère être satisfait d'une publication de son DiscoursGa naar voetnoot4) tel, ou à peu près telGa naar voetnoot5), qu'il l'avait prononcé en 1669. De fait il avait déjà écrit à de la Hire le 1 mai 1687 avoir l'intention de joindre au Discours des ‘reflexions sur ce que Mr. Richer et autres ont observè, touchant la differente longueur des pendules en differents climats’. En envoyant le Discours à Paris le mois suivant il n'avait pas donné suite à ce projet; mais le fait qu'il avait fait mention de son intention avant juillet 1687 porte à croire qu'il a le droit de faire entendre à la fin de la Préface de l'édition de 1690 que ce qui est dit dans cette | |
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édition de l'‘alteration des Pendules par le mouvement de la Terre’ et ‘a esté adjouté plusieurs années apres [1669]’, date en substance d'avant la lecture des ‘Principia’, à laquelle la [deuxième] ‘Addition’ de l'édition de 1690 est postérieureGa naar voetnoot6). On a vu plus hautGa naar voetnoot7) que les premières remarques de Huygens sur la forme sphéroïdale de notre planète - du moins les premières qu'il ait mises par écrit - datent, quoique peu, d'avant l'apparition des ‘Principia’. Que la force centrifuge due à la rotation de la terre doit avoir pour effet de diminuer la pesanteur, notamment à l'équateur, c'est ce que Huygens avait déjà calculé en 1659Ga naar voetnoot8); et dans son Programme de 1666 à l'Académie Royale il avait parlé d'‘une belle experience a faire [avec les pendules] pour prouver que la Terre tourne’Ga naar voetnoot9). Dans les oeuvres imprimées de son vivant il n'a jamais dit avoir prévu la possibilité d'un raccourcissement du pendule à secondes, ou la marche plus lente d'un pendule de longueur invariable, lorsqu'on se rapproche de l'équateur. Il parle au contraire en plusieurs endroitsGa naar voetnoot10) comme si l'observation de Richer de 1672 à l'île de CaïenneGa naar voetnoot11), suivie d'autres observations du même genre - qui, il est vrai, ne s'accordaient pas toujours fort bien avec elleGa naar voetnoot12) - l'avaient amené, alors seulement, à chercher une explication de ce nouveau phénomène. Cette modestie nous semble provenir du fait que tout en ayant prévu la possibilité du phénomèneGa naar voetnoot13) il n'avait cependant pas osé affirmer son existenceGa naar voetnoot12). Il fut décidé en mars 1689 que la publication simultanée du Traité de la LumièreGa naar voetnoot14) et du Discours de la Cause de la Pesanteur auraient lieu chez vander Aa à LeidenGa naar voetnoot15). | |
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Nous croyons donc pouvoir admettre qu'en ce temps l'‘Addition’ aussi avait été rédigée, qu'elle est par conséquent antérieure - quoique Huygens puisse y avoir apporté des changements dans le cours de l'impression - à son séjour de juin-août 1689 en Angleterre pendant lequel il fit la connaissance personnelle de NewtonGa naar voetnoot16). On a vu plus hautGa naar voetnoot17) que les équations de cette Addition qui se rapportent à la forme non-sphérique de la terreGa naar voetnoot18) avaient été trouvées par Huygens en 1687. Outre les deux additions la Préface (sur laquelle nous revenons) était nouvelle. Le 23 décembre l'impression était presqu' achevéeGa naar voetnoot19). Le 6 février 1690 Huygens put envoyer quelques exemplaires à LondresGa naar voetnoot20).
Quant à la première partie, le discours de 1669 tel qu'il était devenu en 1687, il n'est guère surprenant que Huygens y a de nouveau apporté des modifications, dont beaucoup de détail. Nous signalons quelques-unes de ces dernières dans les notes, mais il nous a semblé inutile d'être complet. Huygens a apparemment eu sous les yeux tant la version de 1669 que celle de 1687, puisque parfois il se rallie à la première. Voici les changements qui nous semblent suffisamment importants pour en faire mention ici: 1. Là où l'on lit maintenant (p. 130; les pages citées ici sont celles de l'édition de 1690, indiquées en marge dans le présent Tome): ‘A regarder simplement les corps, sans cette qualité qu'on appelle pesanteur, leur mouvement est naturellement ou droit ou circulaire’, le texte de 1687 avait plus brièvement: ‘Nous voyons deux sortes de mouvemens dans le monde, le droit, & le circulaire’. Nous avons déjà attiré l'attention sur ce passage à la p. 240 du T. XVI. 2. En disant (même page) que Descartes a tâché ‘d'expliquer la pesanteur par le mouvement de certaine matiere qui tourne autour de la Terre’, Huygens ajoute maintenant: ‘& c'est beaucoup d'avoir eu le premier cette pensée’. Quoiqu'à présent il | |
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rejette avec Newton le vortex deferens, il continue à approuver - en admettant, autrement que Descartes, le vide; voyez la p. 473 - l'idée fondamentale que tout mouvement est dû à des chocs de particules. 3. En parlant de ses théorèmes sur la force centrifuge (même page), Huygens avait dit en 1669: ‘que nous examinerons icy quelque jour’. En 1687, quoique certain de ne pas pouvoir retourner à Paris, il avait oublié de corriger ces mots. Dans l'édition de 1690 il écrit: ‘que l'on peut voir à la fin du livre que j'ay escrit du Mouvement des Pendules’ [c.à.d. l'‘Horologium oscillatorium’ de 1673]. 4. A propos de son expérience de la Fig. 129 de la p. 132 - laquelle correspond à la Fig. 260 de la p. 632 du T. XIX - il dit maintenant que le vaisseau cylindrique était ‘d'environ 8 ou 10 pouces de diametre’ et que ‘le fond estoit blanc & uni’. Cela tient au fait que dans la Préface il a cité la Physique de Rohault, disant que son expérience y est mentionnée; or, Rohault donne ces détails. 5. Dans la critique de l'expérience antérieure du même genre de Descartes (deuxième alinéa de la p. 133) le texte de 1687 avait: ‘ce que je puis bien croire [savoir que les pièces de bois qui se trouvent dans de la dragée de plomb sont amenées au centre par la rotation], mais c'est l'effet de la differente pesanteur du bois et du plomb, considerant tous les corps comme faits d'une mesme matiere’; ce qui a été remplacé par: ‘ce que je puis bien croire ... Mais ce qui arrive icy n'est nullement propre à representer l'effet de la pesanteur; puis qu'on devroit conclure de cette experience, que les corps, qui contiennent le moins de matiere, sont ceux qui pesent le plus. ce qui est contraire à ce qui s'observe dans la veritable pesanteur’. Voilà bien le sentiment de Huygens. En 1668 îl était déjà d'avis que ‘chasque corps a de la pesanteur suivant la quantitè de la matiere qui le compose’Ga naar voetnoot21). Ce n'est qu'une curiositè, nous semble-t-il, que plus tard, en considérant les tourbillons magnétiques, et croyant voir que ceux-ci doivent avoir plus de prise sur de la matière d'un tissu plus rare, il se soit laissé aller un instant à soutenir ce qu'il rejette manifestement ici, savoir qu'il en est de même des tourbillons gravifiquesGa naar voetnoot22). 6. Comme nous l'avons dit à la p. 380 qui précède, un certain alinéa de 1686-1687 de cette page a été omis en 1690. C'est l'alinéa qui aurait précédé celui de la | |
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p. 457 qui suit: ‘Il ne faut pas au reste trouver etranges ... etc.’ Or, la raison pour laquelle cet alinéa a été supprimé est évidente. Huygens y disait qu'il n'est nullement nécessaire de se figurer des particules d'éther ou de matière subtile qui se touchent; de même que celles de l'air, si compressible, ne se touchent apparemment pasGa naar voetnoot23). C'est en adoptant cette manière de voir que nous avons dit dans le T. XIXGa naar voetnoot24) que suivant Huygens l'éther luminifère, étant soumis à la pesanteur, doit être plus dense auprès de la terre (ou auprès d'une autre planète) que loin d'elleGa naar voetnoot25). Or, Newton avait fortement insisté sur l'absence presque totale de matière dans les immensités de l'espace, puisque les planètes et les comètes n'éprouvent apparemment aucune résistance appréciable de la part des corpuscules qu'elles rencontrent. Huygens, soutenant que la lumière doit être transmise sous forme d'ondes par un milieu matériel, et se voyant forcé de préciser cette pensée, en vient à dire dans l'Addition (p. 161) que toutes les particules de l'éther ‘se touchent, mais que le tissu de chacune [est] rare’Ga naar voetnoot26). D'ailleurs il n'avait pas toujours dit avant l'apparition des ‘Principia’ de Newton qu'il y a des intervalles entre les particules de l'éther; à la p. 573 du T. XIX, dans une Pièce sur le magnétisme datant, nous semble-t-il, de 1678, nous lisons tout aussi bien que dans le ‘Traité de la Lumière’, que ‘les particules de la matiere etheree se touchent’. 7. Le texte du dernier alinéa de la p. 139 a été modifié: comparez la note 14 de la p. 458 qui suit. C'est maintenant seulement qu'il est dit que ‘ce qui cause les diverses pelanteurs .. c'est que ceux de ces corps qui sont plus pesants, contiennent plus de .. particules, non en nombre mais en volume.’ Si nous comprenons bien cette phrase, les corps plus denses contiendraient dans un même volume autant de corpuscules que les corps plus légers, mais les particules y seraient plus grosses: la matière étant une, chez Huygens comme chez Newton, la densité de toutes les particules, infiniment duresGa naar voetnoot27), est et demeure uniforme. Nous ne voyons pas la raison pour | |
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laquelle Huygens introduit cette égalité du nombre des particules, ni comment elle est censée se maintenir dans les corps compressibles; il est vrai, nous l'avons dit aussi à la p. 319 du T. XIX, que les corps solides fortement compressibles et extensibles n'étaient pas encore connus au dix-septième siècle. Mais on pourrait peut-être soutenir que Huygens a voulu dire que les corps plus lourds contiennent plus de particules, non pas nécessairement en nombre, mais nécessairement en volume. 8. À la p. 143 la mesure de la terre par Picard est venue remplacer celle de Snellius. 9. À la p. 144 l'alinéa ‘Il y a au reste plusieurs effets naturels qui semblent demander une matiere extrêmement agitée ... etc.’ a été intercalé. En le comparant avec la petite Pièce de 1667 ‘Qu'il y a une matiere tres subtile ... etc.’, imprimée à la p. 553 du T. XIX, on constatera une grande analogie. On peut en outre comparer ce que Huygens dit ici sur la puissante action de la gelée, et sur la nécessité d'avoir ‘recours à une impulsion violente de quelque matiere, qui fasse etendre la glace, en y introduisant d'autres particules, ou les bulles qui s'y forment, en augmentant l'air qu'elles contiennent’ avec le passage de 1670, d'ailleurs biffé, de la p. 338 du T. XIX. Ici aussi nous avons affaire à l'idée fondamentale du No 2 ci-dessus, savoir que tout mouvement doit provenir de collisions de particules.
Les auteurs anciens ou modernes cités dans le Discours sont au nombre de 11; voyez sur les citations en général l'opinion de Huygens exprimée dans le § 5 de la p. 187 du présent Tome. Dans la Préface Démocrite, Descartes, Rohault; dans le Discours Descartes, Copernic, Picard, Galilée, Richer; dans l'Addition Newton, Descartes, Kepler, Römer, Grégoire de St. Vincent; comme on a pu le constater aussi dans les Nos 2 et 9 qui précèdent, c'est toujours l'influence de Descartes qui prédomine. Vu cependant que les idées de Huygens sur les particules sont plutôt celles de GassendiGa naar voetnoot28) et que d'autre part on rencontre déjà des tourbillons dans l'antiquitéGa naar voetnoot29), on peut non moins bien parler de l'influence de Démocrite sur lui ou plutôt de celle | |
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du triumvirat Démocrite, Epicure. Lucrèce. Ce qu'il reproche dans la Préface à Démocrite, et ce qu'il aurait pu reprocher de même à Epicure et à Lucrèce - voyez sur ce dernier la note 49 de la p. 364 - c'est d'avoir considéré la pesanteur comme ‘attachée aux corps terrestres, & aux Atomes mesmes’. Qualité inhérente, donc théorie à rejeter! Déjà avant de recevoir l'oeuvre de Newton Huygens écrivait à FatioGa naar voetnoot30): ‘Je veux bien que [Newton] ne soit pas Cartesien pourveu qu'il ne nous fasse pas des suppositions comme celle de l'attraction’, et dans l'Addition (p. 163): ‘c'est à quoy je ne crois pas que Mr. Newton consente’ savoir à supposer ‘que la pesanteur fust une qualité inherente de la matiere corporelle’. C'est ce dont il s'est sans doute entretenu avec Newton lui-même en 1689 et ce qu'il a dû aussi dire clairement dans le discours, d'ailleurs inconnu, qu'il prononça en cette année à Londres sur la pesanteurGa naar voetnoot31). De fait, Newton déclarera - nous ne citons que ce seul passage - dans la troisième édition de 1726 des PrincipiaGa naar voetnoot32): ‘Attamen gravitatem corporibus essentialem esse minimè affirmo. Per vim insitam intelligo solam vim inertiae. Haec immutabilis est. Gravitas recedendo à terrâ, diminuitur’. Mais dans la bouche de Newton pareille remarque ne signifie pas qu'il faille nécessairement réduire tout phénomène, et en particulier celui de la gravitation générale, à des collisions de particules. Dans les ‘Pensees meslees’ nous avons entendu Huygens se déclarer ‘contre Lucrèce’. Cela signifie d'une part qu'il n'accepte pas les idées de Lucrèce ou de ces prédéceffeurs fur la genèse fortuiteGa naar voetnoot33) - et c'était surtout, d'après le contexte, en ce sens-là qu'il fallait interpréter l'exclamation de Huygens dans les ‘Pensees meslees’ | |
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- mais d'autre part, comme la présente Préface le fait voir, qu'il faut être plus conséquent que Lucrèce et ne point admettre du tout, même dans les êtres vivants, d'autres causes du mouvement que les ‘plagae’, les chocs des particulesGa naar voetnoot34). On remarquera encore plusieurs fois dans la suite de ce TomeGa naar voetnoot35) la séparation nette qui existe suivant Huygens entre la période miraculeuseGa naar voetnoot36) de la création - ou plutôt d'une création -, où il songe surtoutGa naar voetnoot37) à celle d'êtres vivants - car il n'y a rien de miraculeux, semble-t-il, dans la genèse de la terre dont il parle à la p. 152, savoir qu'elle aurait ‘estè assemblée par l'effect de la pesanteur’ -, et le cours ordinaire, mécanique, des choses. Le ‘Traité de Physique de Rohault’, cité dans la PréfaceGa naar voetnoot38), peut être appelé cartésien, mais comme dans beaucoup d'ouvrages didactiques et peu originaux on y sent l'effort de l'auteur pour concilier les opinions autant et plus que possibleGa naar voetnoot39): ‘Au reste, on ne trouvera pas que dans tout ce Traité j'aye eu beaucoup de pensées opposées à celles d'Aristote; mais il s'en trouvera plus que je ne voudrois, de contraires à celles de la pluspart de ses Commentateurs’. On comprend que Huygens, malgré le fait que sa théorie est ‘raportée presque entiere’ par Rohault, ait tenu à la publier lui-même. Car enfin, la qualité interne et inhérente faisant tendre les corps en bas - qualité combattue tant par Descartes que par Huygens - n'est pas des commentateurs d'Aristote, mais d'Aristote lui-même. Il faut noter à ce propos que Huygens ne fait qu'une distinction grossière entre divers penseurs grecs en parlant brièvement de la qualité interne faisant tendre les corps en bas & vers le centre de la Terre, ou à un appetit des parties à s'unir au tout’ ce qui sont non pas deux, mais trois opinions différentesGa naar voetnoot40). À son avis, parler | |
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plus longuement d'opinions si erronées ne siérait guère à un auteur épris non d'éruditionGa naar voetnoot41) mais de la recherche de la véritéGa naar voetnoot42). Il est egalement bref au sujet des ‘restaurateurs modernes de la Philosophie’ antérieurs à Descartes qui à son avis ‘ne sont allez guere plus loinGa naar voetnoot43)’.
Quoique Huygens soit parsaitement clair il aurait peut-être trouvé plus d'adhérents à sa nouvelle théorie de la pesanteur s'il l'avait débitée dans des termes plus courts et plus marqués de l'empreinte de la conviction. La ligne ‘Tourbillons detruits par Newton. Tourbillons de mouvement spherique a la place’ de la f. 122 des ‘Chartae astronomicae’ exprime sa volte-face ou demi-volte-face en une sentence propre à se graver dans la mémoire. Les tourbillons sont morts; vivent les tourbillons! Dans le présent Traité au contraire on ne remarque pas nettement la suite historique de ses idées. Il parle (p. 134-135) de la nécessité de ne pas admettre avec Descartes ‘une matiere [celle du tourbillon] qui se mouvroit continuellement & toute d'un mesme costé’, puisqu'elle chasserait tous les corps vers l'axe et non pas vers le centre de la terre; il faut au contraire que la ‘matiere fluide’ soit ‘diversement agitée en tous sens’ de sorte que les mouvements ‘se fassent dans des surfaces spheriques [“en tous sens”] à l'entour du centre’; ensuite, beaucoup plus loin, il parle (p. 160) des ‘Tourbillons de Mr. des Cartes, qui m'avoient autrefois paru fort vraisemblables, & que j'avois encore dans l'esprit’ et en même temps du fait qu'il n'avait, lui, ‘point etendu [comme Newton] l'action de la pesanteur à de si grandes distances [savoir de la terre à la lune et du soleil aux planètes et aux comètes]’. En lisant ces considérations, mêlées à d'autres, il n'est guère possible de se rendre nettement compte de l'évolution des idées de Huygens qui avait été, pouvons-nous dire, la suivante. En lisant à l'âge de 15 ou 16 ans les Principes de Descartes, il avait ajouté foi à son systàme, c.à.d. il avait admis les tourbillons unilatéraux et contigus autour du soleil et des autres étoiles. Nous avons dit plus hautGa naar voetnoot44) que Rembrantsz. van Nierop, dans sa ‘Nederduytsche Astronomia’ de 1653, admet lui aussi ces tourbillons unilatéraux et contigus. Ils servaient, dans le cas du soleil, à mouvoir les planètes. La terre possédait également | |
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suivant cette manière de voir, un tourbillon unilatéral menant la lune, sans que ce tourbillon-là ou les tourbillons analogues des autres planètes fussent bornés (comme les grands tourbillons que nous avons appelés ‘contigus’) par d'autres tourbillons du même genre. Chacun des tourbillons nommés, charriant des planètes ou satellites ou capable d'en charrier, peut être appelé un vortex deferens. Les comètes n'avaient point de tourbillons. Quant à la pesanteur que nous observons, elle était également dite par Descartes être produite par un tourbillon unilatéral autour de l'axe de la terre. Plus tard, peut-être bientôt, Huygens remarqua que ce dernier tourbillon ne satisfait pas, qu'il fallait le remplacer pas des mouvements tourbillonnaires en tous sens suivant des grands cercles autour du centre de la terre; mais il continua à croire au vortex deferens unilatéral menant la luneGa naar voetnoot45) ainsi qu'aux grands tourbillons unilatéraux autour du soleil et des autres étoiles. Seulement ces derniers ne lui paraissaient plus contigus. C'est ce qu'il dit en 1669 dans la discussion qui suivit son discours de la cause de la pesanteur. C'est là un point important sur lequel nous l'avons entendu insister dans ses ‘Pensees meslees’ de 1686. Dans le Discours publié en 1690 il n'en dit rien, c'est pourquoi son exposé succinct de la suite de ses idées est bien incomplet. Les comètes, se mouvant encore d'après son sentiment de 1686 à peu près suivant des lignes droites, comme elles l'avaient fait pour Kepler, restaient toujours dépourvus de tout tourbillon, et leur passage au travers des tourbillons étrangers, sans qu'ils fussent emportés par ceux-ci, était un phénomène bien remarquable, à peine explicable. Or, après la lecture des ‘Principia’ de Newton Huygens perdit entièrement sa foi aux vortices deferentes. Il comprit que le mouvement - du moins le mouvement visible - des comètes est du même genre que celui des planètes, que ces dernières ont donc aussi peu besoin d'un vortex deferens que les premières: le mouvement acquis et la pesanteur vers le soleil, inversement proportionnelle au carré de la distance à cet astre, suffisent pour expliquer la forme des orbites, qui est une forme elliptique non seulement pour les planètes mais aussi, malgré Kepler, pour les comètes. Cependant l'idée fondamentale adoptée par Descartes - disons plutôt par Gas- | |
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sendi, puisque Huygens, comme lui, admet le vide et les atomes infiniment durs - que tout mouvement provient d'un autre mouvement, que tout phénomène physique est donc dû à des collisions de petites particules, continua à trouver pleine créance auprès de Huygens. L'attraction apparente ne pouvait par conséquent être expliquée, à son avis, que par des courants matériels. Or, comme Newton avait démontré que la pesanteur terrestre s'étend jusqu'à la lune, il crut devoir interpréter ce fait en étendant au moins jusqu'à la hauteur de la lune ses mouvements tourbillonnaires en tous sens suivant des grands cercles possédant tous le même centre que la terre. Pour que le soleil menât, ou plutôt pût sembler mener, les planètes, comme la terre semble mener la lune, il fallait aussi supposer autour de lui, et sans doute autour des autres étoiles fixes, des mouvements tourbillonnaires en tous sens. Huygens ne discute pas la question, impossible à résoudre, de savoir jusqu'ou ces mouvements s'étendent - on a vu, Pensees meslees § 39, qu'il juge possible l'existence de planètes au delà de Saturne -Ga naar voetnoot46), mais vu sa connaissance de la grande distance des étoiles entr'elles, nous pouvons être assurés - ou plutôt: nous savons certainement - que ses nouveaux tourbillons multilatéraux étaient à son avis tout aussi peu contigus que ses anciens vortices deferentes, qu'ils étaient au contraire aussi isolés l'un de l'autre que ceux [unilatéraux] qu'on voit parfois dans des courants d'eau ou des étangsGa naar voetnoot47). Cette croyance aux tourbillons multilatéraux ou sphériques en tous sens était bien la seule possible pour Huygens à moins que d'abandonner entièrement sa conviction du mécanisme universel (‘les voies dont je me suis servi’, p. 161), autrement dit celle de l'importance fondamentale des chocs des particules. Aussi la Correspondance nous apprend-elle qu'il est resté dans cette opinion depuis 1687 jusqu'à sa mort. Le 24 août 1694Ga naar voetnoot48) il déclare dans une lettre à Leibniz ne pas voir ‘qu'on ait encore apportè de difficultè considerable contre la cause [de la pesanteur] que j'ay expliquée dans mon discours’. Il s'ensuivait qu'il ne pouvait être convaincu de l'exactitude de toutes les conséquences tirées par Newton de l'hypothèse (‘point explicable par aucun principe de | |
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Mechanique’, p. 159) de l'attraction universelle des petites parties. Il ne voyait donc pas de raison pour admettre qu'au dedans de la terre la pesanteur décroîtroit proportionnellement à la distance. On a déjà vu plus haut (p. 386) qu'une pesanteur constante dans l'intérieur de la terre lui semblait plus probable. Aux p. 166 et 167 du Discours Huygens s'élève contre l'idée qu'il existerait, en vertu de la non-sphéricité de la terre, une deuxième inégalité des pendules, provenant de la loi newtonienne, inégalité agissant dans le même sens que la première qui était celle due à la force centrifuge. Seulement ce qui est considéré ici comme ‘la loi newtonienne’, ou plutôt ce que nous avons nous-même pour un instant désigné par ce terme, c'est l'idée que pour un sphéroïde les pesanteurs aux poles et à l'équateur, ainsi qu'ailleurs, seraient inversement proportionnelles aux carrés des distances du centre. Huygens calcule que par cette deuxième inégalité, jointe à la première, un pendule de longueur donnée ‘iroit plus lentement sous l'Equateur que sous le Pole, du double de ce qu'elle retardoit par le mouvement [tournant] de la Terre’; il ‘doute fort que l'experience confirme cette grande variation’. Ce qu'il réfute ici, ou du moins ce qu'il dit considérer comme bien peu probable, ne correspond pas précisément au résultat du calcul de Newton suivant lequelGa naar voetnoot49) la pesanteur aux poles d'un sphéroïde (de densité constante) dépourvu de rotation est sans doute plus grande que celle à l'équateur, mais non pas suivant la proportion inverse des carrés des dislances au centre. Il est vrai qu'on peut dire que le rapport des dites pesanteurs est chez Newton du même ordre de grandeur, quoique plus petit, que celui supposé ici par Huygens.
Les p. 167-168 sont occupées par des considérations sur la grandeur de la pesanteur auprès de la surface de Jupiter et du Soleil et sur les dimensions du système planétaire (voyez les p. 409-412 qui précèdent). Huygens y attribue la chaleur du soleil au fait que ses particules ‘frappent contre les particules de l'EtherGa naar voetnoot50) [en | |
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mouvement rapide] qui les environne’, apparemment sans se soucier de l'épuisement ou du moins la diminution du mouvement de rotation qui, dirait-on, pourrait en résulter.
L'Addition se termine par des considérations mathématiques, se rattachant aux calculs et constructions de Huygens de 1668 ainsi qu'à ceux de Newton, sur le mouvement d'un corps punctiforme dans un milieu dont la résistance est proportionnelle soit à la première soit à la deuxième puissance de la vitesse, et sur les propriétés de la ligne logarithmique employée dans les dites constructions. Dans l'édition des oeuvres de Huygens par 's GravesandeGa naar voetnoot51) celui-ci a fait imprimer les démonstrations des théorèmes de Huygens sur la logarithmique telles qu'elles avaient été données en 1701 par Guido Grandi dans l'ouvrage ‘Geometrica demonstratio theorematum Hugenianorum circa logisticam etc.’ dont nous avons donné le titre complet à la p. 473 du T. XIV. Nous nous contentons ici d'indiquer dans des notes les endroits où l'on peut trouver les démonstrations de Huygens lui-même lesquelles étaient inconnues tant à 's Gravesande qu'à Grandi. Apparemment Huygens a tenu à conclure son Discours de la même façon qu'il avait terminél'‘Horologium oscillatorium’ et le ‘Traité de la Lumière’, savoir par une série de théorèmes incontestablement exacts.
Nous avons déjà mentionné à la p. 402 du T. XIX une réimpressionGa naar voetnoot52) du Discours de 1885 par W. Burckhardt. Une traduction allemande par R. Mewes a paru à Berlin en 1893Ga naar voetnoot53). |
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