Oeuvres complètes. Tome XX. Musique et mathématique
(1940)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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I. Théorie de la consonance. | |||||||||
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Avertissement.Dans les deux Pièces qui suivent, de la date desquelles nous parlerons tout à l'heure, Huygens traite le problème classique des intervalles consonants qui n'avait jamais cessé - depuis Pythagore peut-on dire, en admettant comme vrai ce que l'histoire ou plutôt la légende lui attribue - d'intéresser les musicologues. Acceptant comme exact que les consonances des intervalles correspondent aux rapports de petits nombres entiers (pouvant être interprétés tant comme rapports de longueurs de cordes que comme les rapports inverses des fréquences des vibrations de ces mêmes cordes), il cherche la cause du plaisir que nous donnent les intervalles consonants dans la coïncidence périodique fort fréquente des phases des deux mouvements vibratoires de l'air transmetteur du son, ce dernier pouvant d'ailleurs également provenir d'autres instruments de musique que de ceux à cordes. Plus précisément sa théorie de la consonance (Pièce I, A) revient à ce qui suit. Pour déterminer le degré de la consonance de deux tons dont les fréquences sont dans le rapport p : q (p < q), il faut considérer la série des rapports de fréquences
c.à.d. les rapports des ‘répliques’, ou octaves supérieures, du ton haut de l'intervalle considéré avec son ton bas; la consonance, suivant Huygens, dépend de la présence dans cette série de rapports pouvant être exprimés par des fractions à dénominateur 1 ou 2. La tierce majeure doit donc être considérée comme plus consonante que la quarte, puisque dans la série
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le deuxième et le troisième rapport peuvent s'écrire 5:2 et 5:1, de sorte qu'il se trouve dans cette série des dénominateurs plus petits que dans la série correspondante de la quarte
où toutes les fractions sont irréductibles. Il mérite d'être remarqué que dans cette Pièce Huygens fait preuve de connaître l'existence des harmoniques - déjà signalées par MersenneGa naar voetnoot1) - et qu'il établit même un certain lien entre ce phénomène et celui de la consonance. En effet, puisque les harmoniques qui forment avec le ton fondamental un intervalle d'un ou de plusieurs octaves, constituent précisément les répliques satisfaisant au critère de réductibilité sus-énoncé des rapports caractéristiques, elles contribuent à produire la consonance.
Huygens croit pouvoir constater - ici comme dans plusieurs autres Pièces - que les Anciens (‘chose asseze estrange’) n'ont généralementGa naar voetnoot2) reconnu comme intervalles consonants que l'octave, la quinte et la quarte, ainsi que ceux qui en résultent par l'addition d'une octave; mais non pas les tierces et les sixtes (‘lesquelles’, ajoute-t-il, ‘quoyque mesconnues n'ont paslaissè d'estre emploiees dans leur chant de sons consecutifs, aussi bien que dans celuy d'aujourdhuy’). Mersenne disait environ la même chose dans le ‘Liure Premier des Consonances’, faisant partie de l'‘Harmonie Universelle’; il écrit ce qui suit (Prop. XXIX): ‘Il semble que les Grecs n'ont nullement mis ces 2 Tierces, ny les Sextes au rang des Consonances, car tous depuis Aristoxene iusques à Ptolomee, Aristide, BryenniusGa naar voetnoot*, & plusieurs autres tant Grecs que Latins, ont seule- | |||||||||
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ment reconnu l'Octaue, la Quinte, la Quarte, & leurs repliques pour Consonances, comme l'on void dans les liures qu'ils nous ont laissé’. Apparemment l'opposition entre les points du vue des anciens grecs d'une part, et ceux de notre seizième et notre dix-septième siècle de l'autre, n'était pas si nette qu'elle le paraît dans les énoncés de Huygens. Il est certain, quoi qu'il dise, que dans l'antiquité l'on n'était pas absolument d'accord sur ce sujet: Ptolémée reproche aux pythagoriciens de ne pas ranger la tierce majeure dans la série d'intervalles (octave etc.) dont il a été question au début de l'alinéa précédent. Il ne suffit pas à notre avis, pour caractériser la pensée grecque, de ne considérer que les concepts consonance et dissonance. Ptolémée certes distingue plus finementGa naar voetnoot3): il oppose en premier lieu les intervalles emmèles, c.à.d. ceux dont les deux tons, entendus consécutivement, plaisent à l'ouïe, aux ecmèles qui ne jouissent pas de cette propriété; en second lieu les intervalles symphones, c.à.d. ceux dont les deux tons semblent se fondre, aux diaphones où ils conservent pour l'ouïe leur individualité. De ces quatre espèces les intervalles ecmèles semblent seuls mériter le nom de dissonances; or, chez Ptolémée les tierces, ainsi que le ton majeur et le ton mineur, n'en font pas partie. Dans une lettre à Mersenne de mars 1662Ga naar voetnoot4) J. Titelouze écrivait: ‘ceux qui estoient musiciens pithagoriciens, n'avoient et n'usoient que les consonances contenues dans le 4, et les disciples de Ptolomée se servoient de toutes celles qui se pouvoient trouver dans le 6 [voyez sur le senarius la p. 162 qui suit]’.
Dans le § 3 de la Pièce A Huygens prend partie contre Stevin qui dans ses ‘Hypomnemata mathematica’ de 1608 (pour ne mentionner que l'édition latine de cette année) avait osé soutenir que les grecs s'étaient trompés en considérant le rapport 3:2 comme exprimant avec précision la quinte agréable à l'oreille; ce qui s'explique par le fait que Stevin voulait que tous les douze demitons de la gamme fussent caractérisés par un rapport unique. Il est connu que pratiquement cette ‘gamme tempérée’ a triomphé à la longue dans la construction des instruments; ce qui ne veut pas dire que Stevin avait théoriquement raison. Nous revenons dans la note 9 de la p. 32 - où il est question e.a. d'un manuscrit de Stevin - sur cette question déjà effleurée dans | |||||||||
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la note 3 de la p. 17 et dont s'occupe e.a. Mersenne dans ses ‘Questions théologiques, physiques, morales et mathématiques’ de 1634, ainsi que dans son ‘Harmonie Universelle’ de 1636 et ailleurs. Voyez aussi notre Avertissement sur le Cycle Harmonique, où nous discutons de nouveau l'influence que l'exemple donné par Stevin peut avoir eue sur Huygens. D'ailleurs, l'influence du manuscrit mentionné se révèle, pensons-nous, en un endroit déjà publié de la présente Pièce I, A (qui forme un tout avec la Pièce II sur le son publiée en 1937 laquelle occupe les p. 361-365 du T. XIX); ceci (ou plutôt ce que Huygens dit erronément, que cette erreur soit due à l'influence de Stevin ou non) nous rend possible de fixer avec une certaine probabilité la date de la Pièce. Le dernier alinéa de la note 3 de la p. 362 du T. XIX faisait déjà voir qu'elle est fort probablement antérieure à l'année 1672, dans laquelle Huygens parle d'une ‘règle des fondeurs’ contraire à celle qu'il croyait pouvoir énoncer dans la Pièce en parlant de l'histoire des marteaux de Pythagore. Nous avons dit dans la note nommée ne pas comprendre comment dans la Pièce Huygens, malgré MersenneGa naar voetnoot5), soutient avec l'auteur de cette histoire, ‘qu'il est vray que de deux pièces de metal semblables celle qui est double de poids de l'autre luy consonne de l'octave plus bas’. Nous croyons le comprendre maintenant: c'est que Stevin dans son manuscrit connu à Huygens raconte l'histoire des marteaux sans la critiquerGa naar voetnoot6); il dit, ce qui semble montrer qu'il croit en effet à sa réalité ou du moins à sa possibilité: ‘Dergelijcke voorder besoeckende op speeltuygens gespannen snaren bevant daerin het selve regel te houden’, c.à.d. ‘Examinant ensuite [c.à.d. après avoir pesé les marteaux] des effets semblables sur les cordes tendues des instruments de musique, il [Pythagore] constata qu'on y observe la même règle etc.’ Or, quels sont les ‘fondeurs’ qui ont détrompé Huygens? Sans doute les srères Hemony, ou plutôt l'un deux, avec qui Huygens eut une longue | |||||||||
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conversation déjà en 1662Ga naar voetnoot7). Par conséquent, la Pièce I, A nous paraît être antérieure à cette conversation. Elle est peut-être de 1661 comme la Division du Monochorde: voyez l'Avertissement suivant où il est également question des Hemony. - Nous ne disons rien de la Pièce I, B qui peut dater de plus tard.
En terminant, nous relevons expressément ce à quoi nous avons déjà fait allusion au début du présent Avertissement, savoir la proposition de HuygensGa naar voetnoot8) de considérer désormais les rapports correspondant aux différents intervalles non pas comme des rapports de longueurs de cordes (de même nature et également tendues), mais comme des rapports de fréquences de vibrations, attendu qu'il avait été établi au dix-septième siècle que ces rapports sont l'inverse l'un de l'autreGa naar voetnoot9). Il est d'ailleurs possible que cette relation ait été entrevue longtemps auparavant: en lisant les oeuvres des théoriciens grecs on est souvent porté à se demander si dans leur pensée c'est le plus petit nombre du rapport qui correspond au ton le plus élevé ou bien plutôt (malgré la considération des longueurs des cordes) le plus grand des deux nombres. |
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