Oeuvres complètes. Tome XIX. Mécanique théorique et physique 1666-1695
(1937)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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II.
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Or, quoy qu'entre ces opinions il y ait une contrarieté manifeste; elles ont neantmoins cecy de commun qu'elles sont fondées seulement sur les pures pensées et immaginations de leur auteurs qui n'on aucun principe clair et euident; et par consequent ils n'ont aucune preuue certaine de ce qu'ils disent sur ce subjectGa naar voetnoot2). Le deux premieres opinions ont cet aduantage, que posant leur qualité elles s'expliquent sans peine. Mais la troisiesme, quoy qu'ayant posé son corps subtil, a encor bien de la peine a s'expliquer: Je n'en ay encor veüe aucune explication qui ne fust sujette a de grands reproches et qui pouuoient passer pour de bonnes refutations; elles pourront encor estre deduictes aux occasions. De ma part je n'ay rien trouué dans les auteurs, et je n'ay pu rien penser qui me contentast sur ce poinct. Je doubte sort que les hommes ne manquent des sens specifiques propres a connoistre ces objects, ainsy ils n'en peuvent juger, non plus que les aveugles nez des couleurs ou de la lumiere. Touchant les experiences je croy qu'on en pourroit faire sur le subject de la seconde opinion. Car si elle estoit vraye il s'ensuiuroit qu'un mesme corps peseroit moins proche du centre de la Terre, qu'en estant plus esloigné, et jusques a sa superficie que nous habitons, auquel lieu le corps peseroit le plus: et sa pesanteur diminueroit encor en montant au dessus de cette superficie, sur quelque montagne fort haute, principalement si elle se terminoit en pyramide, comme le Pico ou le Mont Olympe. Mais il faudroit un Ressort pour examiner les differentes pesanteurs [lisez plutôt: les différences des pesanteurs], s'il y en a. Il s'ensuiuroit encor qu'une montagne fort haute et fort espaisse, pourroit quelque peu destourner le plomb des architectes et le tirer a elle, lors qu'on bastiroit au pied ou sur ses cottés; mais cet examen seroit difficile; j'en laisse le jugement aux speculatifs. Cependant si on suppose des qualitez occultes; c'est a dire pour lesquelles nous n'auons point de sens propre et specifique, cette seconde opinion me semble la plus vray semblable des trois. Peut estre aussi que toutes les trois sont fausses, et que le vray nous est inconneu, tant en soy, dans sa propre existence, que dans les opinions que nous en auons. Pour conclusion je feray tousiours mon possible pour immiter Archimede, qui en cette occasion de la pesanteur pose pour principe ou pour postulat, le faict constant, | |
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et aueré dans tous les siecles passez, jusques a present, qu'il y a des corps pesants, qui ont les conditions dont il parle au commencement de son traicté sur ce subject; et sur ce fondement j'establiray comme il a faict, mes raisonnements pour la Mechanique, sans me mettre en peine de scauoir a fonds les principes et les causes de la pesanteur, me reservant a suiure la verité, si elle veult bien se monstrer un jour clairement et distinctement a mon esprit. C'est la maxime que je veux tousiours suiure dans les raisonnements incertains, si quelque necessité moralle ne m'oblige a prendre party. | |
B. Mémoires de Frenicle du 14 août 1669 et de Buot du 21 août 1669.Frenicle soutient que ‘la pesanteur n'est autre chose qu'une action par laquelle les parties de la Terre se tiennent toutes joinctes ensembles, et composent par cette union le grand Corps de la Terre et s'y rejoignent par quelque violence si elles en ont esté separées’. Il se montre également d'accord avec Roberval en ajoutant: ‘Ce que je dis de la terre se peut entendre aussi de tous les autres grands cors qui composent l'univers’. ‘Par l'attraction’, dit-il, ‘j'entends l'action que fait le moteur sur le mobile sans qu'il le touche. On la remarque particulierement dans l'aijmant qui attire le fer sans le toucher, encore mesme qu'il y ait quelque corps entre deux; dans l'ambre et autres matieres qui attirent les choses seches, qui ont peu de pesanteur, sans les toucher... Et on peut croire que c'est par cette mesme vertu que la Terre attire a soy ses parties quand elles en sont separées; ce qui faict la pesanteur’. Il parle aussi de l'attraction des gouttes (de mercure p.e.) et de leur tendance a s'arrondir. Il s'agit également d'attraction à son avis lorsqu'un fluide monte ‘si quelque corps moite, ou un morceau de pain tendre, ou autre corps semblable la touche’. ‘Toutes ces experiences font voir clairement qu'il n'y a pas lieu de doubter de cette vertu attractive, ou de ce desir d'union, qui oblige les corps de se tenir attachez les uns aux autresGa naar voetnoot1)’.
Buot n'est pas partisan de l'action à distance. ‘Pour l'opinion’, dit-il, ‘de ceux qui soustiennent que les parties semblables du monde ont une vertu si puissante et un si grand desir d'union que toutes s'attirent reciproquement les unes les autres, je veux bien advoüer aux personnes illustres qui la soustiennent que jusques icy ny moy ny possible bien d'autres n'ont point conceu la cause de tels desirs, et de telles affections dans les choses inanimées qui n'ont ny sentiment pour ce desir ny connoissance pour diriger leur mouvement a cette union’. Vers la fin de son discours il fait mention du | |
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‘mouvement circulaire ... que Mr Descartes appelle Tourbillon ou Vortex, encore qu'il prenne ce principe pour monstrer la cause des Comettes qu'il suppose beaucoup au delà de Saturne contre ce qui a esté obserué et que M. de Roberual a monstré qu'elles sont au dessous’. Il parle des experiences montrant la tendance centrifuge des corps tournants. ‘On a estably’, dit-il ensuite, ‘la cause de la pesanteur en ce que les parties etherées qui sont les plus fluides et les plus mobiles, reçoivent plus facilement l'impression, la force et la determination a s'en esloigner [savoir du centre]; et qui par consequent y doivent repousser les plus grossieres et les moins agitées, lors qu'elles en sont separées par quelque effort qui peut d'abord surmonter la resistence de celles qu'elles rencontrent, et qui les contrainct aussi de descendre au lieu qu'elles quictent’. | |
C. Mémoire de Huygens du 28 août 1669.Le Mercredy 28e Aout 1669 la Compagnie estant assemblée on a continué a traitter des Causes de la pesanteur, et Mr. Hugens a lû un memoire qu'il a faict touchant cette matiere en ces termes.
1. Pour chercher une cause intelligible de la pesanteur il faut voir comment il se peut faire, en ne supposant dans la nature que des corps faicts d'une mesme matiere, dans lesquels on ne considere nulle qualité, ny inclination a s'approcher les uns des autres, mais seulement des differentes grandeurs, figures et mouvements; comment dis je il se peut faire que plusieurs pourtant de ces corps tendent directement vers un mesme centre, et s'y tiennent assemblez a l'entour, qui est le plus ordinaire et le principal phenomene de ce que nous appelons pesanteur. 2. La simplicité des principes que je viens de specifier ne laisse pas beaucoup de choix dans cette recherche, car l'on juge bien d'abord qu'il n'y a point d'apparence d'attribuer a la figure ny a la petitesse des corpuscules quelque effect semblable a celuy de la pesanteur, laquelle estant une tendance ou inclination au mouuement doibt vraysemblablement estre produite par un mouuement: De sorte qu'il ne reste qu'a chercher de quelle maniere il peut estre et de quels corps. 3. Nous voyons deux sortes de mouuements dans le monde, le droit et le circulaire, et nous scauons aucunement la nature du premier et les loix que gardent les corps dans la communication de leurs mouuements, lors qu'ils se rencontrent, mais tant que l'on ne considere que le mouuement droit et les reflexions qui en arriuent entre les parties de la matiere on ne trouue rien qui les determine vers un centre. Il faut donc venir necessairement aux proprietez du mouuement circulaire, et voir s'il y en a quelqu'une qui nous puisse seruir en cecy. L'on sçait que Mr Descartes a aussi taché dans la Physique d'expliquer la pesanteur par le mouuement de certaine matiere qui tourne autour de la terre. Mais l'on verra | |
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par les remarques que je feray dans la suitte de ce discours en quoy sa matiere est differente de celle que je vay proposer et aussi en quoy elle m'a semblé deffectueuse. Il a consideré comme moy l'effort que font les corps qui tournent circulairement a s'esloigner du centre dont l'experience ne nous permet pas de doubter. Car en tournant une pierre dans une fronde, l'on sent qu'elle nous tire la main, et cela d'autant plus fort que l'on tourne viste, jusques là mesme que la corde peut venir a se casser. J'ay faict voir cy deuant cette proprieté du mouuement circulaire sur une table ronde qui tournoit sur un pivot et j'ay trouué la determination de sa force et plusieurs theoremes qui la concernent que nous examinerons icy quelque jour. Par exemple je dis qu'un corps tournant horizontalement au bout d'une corde attachée a un centre, si cette corde a 9 pouces et 2 lignes de longueur qui est celle d'un pendule a demy secondes et que chaque tour se fasse en une seconde, la corde sera tirée justement auec autant de force que si elle soustenoit le mesme corps suspendu en l'air. 4. La tendence du centre est donc un effect constant du mouuement circulaire. Et quoy que cet effect semble directement oppofé a celuy de la grauité, et que l'on ayt objecté a Copernic que par le tournoyment de la terre en 24 heures les maisons et les nommes deuroient estre jettez dans l'air, je feray voir pourtant que ce mesme effort que font les corps tournant en rond a s'esloigner du centre est cause que d'autres corps concourent vers le mesme centre. [Fig. 260.]
5. Imaginons nous nous qu'alentour du centre D. [Fig. 260] il tourne de la matiere fluide contenue dans l'espace A. B. C. dont elle ne puisse point sortir a cause | |
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des autres corps qui l'enuironnent. Il est certain que toutes les parties de ce liquide font effort pour s'esloigner du centre D mais sans aucun effect, puisque celles qui deburoient succeder en la place des autres qui iroient vers la circonference ont tout autant d'inclination pour y aller de mesme. Mais si parmy les parties de cette matiere, il y en auoit quelqu'une comme E, qui ne suiuist pas le mouuement circulaire des autres ou qui allast moins vite qu'elles, je dis qu'elle sera poussée vers le centre parce que n'ayant point de tendance pour s'en esloigner ou en ayant moins que ses parties voisines du coté du centre, elle cedera a leur effort et leur fera place en s'approchant vers D. puisqu'elle ne sçauroit faire autrement. 6. L'on peut voir cet effect par une experience fort aisée mais qui est digne de remarque parce qu'elle nous faict voir a l'oeil quelque image de la pesanteur, car en faisant tourner de l'eau dans quelque vaisseau qui ait le fond plat apres y avoir mis dedans des petites parcelles de quelque matiere un peu plus pesante que l'eau, asin qu'elle puisse aller au fondGa naar voetnoot1), l'on verra qu'au commencement ces petits corps flottant dans l'eau a cause de son agitation et suivant son mouvement circulaire ne s'approcheront nullement vers le centre du vaisseau, mais aussy tost qu'ils commenceront a toucher au fond et que leur mouuement circulaire sera par la interrompu ou diminué ils s'amasseront tous alentour dudict centre y tendants par des lignes spirales parce que ils suivent encore en partie le mouuement de l'eau. Que si l'on y met un corps ajusté en sorte qu'il ne puisse point suiure du tout le mouuement de l'eau mais seulement s'approcher vers le centre il y sera poussé tout droit, comme si L. est une petite boule qui puisse rouler librement entre les filets A. B, G. K, et un troisiesme un peu plus eslevé F. H, tendus par le milieu du vaisseau pres du fonds, lesquels filets soient arrestez immobiles pendant que l'eau tourne (ce qui se peut faire en arretant subitement le vaisseau apres l'auoir fait tourner car l'eau continuera encore quelque temps le mouuement circulaire qu'elle a conceu) l'on verra qu'aussi tost cette boule s'en ira vers le centre D. et s'y tiendra arrestée. Et il faut noter que dans cette experience l'on peut rendre le corps L. de la mesme pesanteur que l'eau, et que mesme l'experience en succedera mieux, de sorte que sans aucune difference de pesanteur des corps qui sont dans le vaisseau le seul mouuement en produit icy l'effect. Ce qui n'est pas ainsy dans l'experience que Mr Descartes propose dans une de ses lettres impriméesGa naar voetnoot2), car il remplit le vaisseau A. B. C. de menue dragée de plomb et y mesle parmy quelques pieces de bois ou d'autre matiere plus legere que le plomb, | |
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et faisant tout tourner ensemble, il dit que les pieces de bois seront chassées vers le milieu du vase, ce que je puis bien croire, mais c'est un effet de la differente pesanteur du bois et du plomb au lieu qu'il faut expliquer la pesanteur sans en supposer aucune et en considerant tous les corps comme faicts d'une mesme matiere. Il propose encore dans une autre lettre de jeter dans de l'eau tournante des petits morceaux de bois et dit qu'ils s'en iront vers le milieu de l'eau, auquel endroit s'il entend du bois qui nage sur l'eau, comme il y a apparence, il ne se fera point de concentration, mais s'il veut qu'il aille au fond, ce sera veritablement la mesme experience que j'ay proposée un peu auparauant, et le bois s'amassera au centre, mais ce sera a cause qu'en tombant au fond du vase son mouuement circulaire en sera retardé, de laquelle raison Mr Descartes n'a point parlé. Or ayant trouué dans la nature un effect semblable a celuy de la pesanteur et dont la cause est connue il reste a voir si l'on peut supposer qu'il arriue quelque chose de pareil à l'esgard de la terre, sçavoir quelque mouuement de matiere qui contraigne les corps a tendre au centre et qui convienne en mesme temps a tous les autres phoenomenes de la pesanteur. Le mouuement journalier de la terre estant supposé et que l'air et l'Ether qui l'environne ayent ce mesme mouuement, il n'y a encore rien en cela qui doiue produire la pesanteur, puisque suiuant la raison de notre experience, les corps terrestres deuroient ne point suiure ce mouuement circulaire de la matiere celeste, mais estre a son esgard comme en repos, s'il falloit qu'ils fussent poussez par elle vers le centre. Que si l'on supposoit que la matiere celeste tournast du mesme coté que la terre mais auec beaucoup plus de vitesse il s'ensuiuroit que ce mouuement rapide d'une matiere qui se meut toute vers un mesme coté se feroit sentir et qu'elle emporteroit avec elle les corps qui sont sur la terre de mesme que l'eau emporte la poudre de bois dans notre experience, ce qui pourtant ne se fait nullement, mais outre cela ce mouuement circulaire a l'entour de l'axe de la terre, ne pourroit en tout cas chasser les corps qui ne suiuent pas le mesme mouuement que vers ce mesme axe, de sorte que nous ne verrions pas tomber les corps pesants perpendiculairement vers l'horizon mais par des lignes perpendiculaires a l'axe du monde, ce qui est encor contre l'experience. 7. Pour parvenir donc a une cause possible de la pesanteur, je supposeray que dans l'espace spherique qui comprend la terre et les corps qui sont autour d'elle jusqu'a une grande estendue il y a une matiere fluide qui consiste en des parties tres petites et qui est diversement agitée en tous sens avec beaucoup de rapidité, laquelle matiere ne pouuant sortir de cet espace qui est entouré d'autres corps, je dis que son mouuement doibt deuenir en partie circulaire a l'entour du centre, non pas tellement pourtant qu'elle vienne a tourner toute d'un mesme sens, mais en sorte qua la plus part de ses mouuements differents se fassent dans des surfaces sphériques a l'entour du centre dudict espace, qui pour cela deuient aussi le centre de la terre. La raison de ce mouuement circulaire est que la matiere contenue dans quelque | |
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espace se meut plus aisement de cette maniere que par des mouuements droits les uns contraires aux autres, lesquels mesme en se reflechissant parce que la matiere ne peut pas sortir de l'espace qui l'enferme, viennent necessairement a se changer en circulaires. 8. L'on voit cet effect du mouuement, lors qu'on essaye de l'argent par la coupelle, car la petite boule de plomb ou l'argent est meslé dedans, ayant ses parties sortement agitées par la chaleur, elle tourne incessammant autour de son centre, tantost d'un costé tantost d'un autre, changeant a tous moments et si viste que l'oeil a de la peine a le discerner. Il arriue encore de mesme a une goutte de suif de chandelle lorsque la tenant suspendue a la pointe des mouchettes, on l'approche a la flamme car elle se met a tourner avec une tres grande vistesse. Il est vray que d'ordinaire cette goutte tourne toute d'un costé ou d'autre selon que la flamme de la chandelle vient à la toucher, mais dans la matiere celeste que j'ay supposée il n'en doibt pas arriver de mesme parce qu'ayant une fois du mouuement en tous sens, il fault qu'il en demeure tousiours, quoy qu'il soit changé en spherique, parce qu'il n'y a pas de raison pourquoy le mouuement d'une partie de la matiere l'emporteroit sur celuy des autres pour faire que toute la masse tournast vers un mesme centreGa naar voetnoot1). 9. Et quoy que ces mouuements circulaires en tant de sens diuers dans un mesme espace semblent se deuoir contrarier et empescher souuent, la grande mobilité toutesfois de la matiere causée par la petitesse de ses parties qui surpasse de beaucoup nostre imagination, faict qu'elle souffre assez facilement toutes ces differentes agitations. L'on void quand on a brouillé de l'eau dans une fiole de verre de combien de mouuements divers sont capables ses parties; et il se faut figurer la liquidité de la matiere celeste insiniment plus grande que celle que nous remarquons dans l'eau puisque celle cy estant composée de parties pesantes entassées les unes sur les autres cela la rend paresseuse au mouuement, au lieu que la matiere celeste se mouvant librement de tous costez prend tres facilement des impressions differentes par ses diuerses rencontres entre elle, ou par la moindre impulsion des autres corps, et si ce n'estoit ainsy l'air ne cederoit pas si facilement qu'il faict au mouuement de nos mains. De sorte qu'il fault considerer les mouuements circulaires de la matiere autour de la terre bien souuent interrompus et changez en d'autres, mais qu'il y en demeure pourtant tousiours plus que vers les autres costez ce qui suffit pour le present dessein. Il n'est pas difficile maintenant d'expliquer comment par ce mouuement la pesanteur est produicte, car si parmi la matiere fluide qui tourne dans l'espace que nous auons supposé il se trouue des parties beaucoup plus grosses que celle qui la com- | |
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posent, ou des corps faicts d'un amas de petites parties accrochées ensemble et que ces corps ne suiuent pas le mouuement rapide de la dicte matiere, ils seront necessairement poussez vers le centre du mouuement, et y formeront le globe terrestre, s'il y en a assez pour cela, supposé que la terre ne fust pas encore, et la raison est la mesme avec celle qui dans l'experience cy dessus expliquée fait que la sciure de boys s'amasse dans le centre du vaisseau. Voila donc en quoy consisteGa naar voetnoot1) la pesanteur des corps, laquelle on peut dire que c'est l'action de la matiere fluide qui tourne circulairement autour du centre de la terre en tous sens par laquelle elle tend a s'en esloigner et pousser en sa place des corps qui ne suiuent pas ce mouuement. Or la raison pourquoy des corps qui sont grands à l'esgard de la matiere fluide ne suiuent pas son mouuement est assez manifeste parce qu'y ayant de ce mouuement vers tous les costez un mesme corps reçoit en ses differentes parties des impulsions contraires en mesme temps, et quand il n'en receuroit que d'un costé a la fois, elles se succedent si subitement les unes aux autres qu'il y intercede beaucoup moins de temps qu'il n'en faudroit au corps pour acquerir un mouuement sensibleGa naar voetnoot2). De sorte que par la premiere raison il doit perdre le mouuement lors qu'il en a et par toutes les deux il est empesché de le retrouuer quand il l'a perdu. Mais pour trouuer moins de difficulté en cecy il faut considerer d'auantage l'extreme petitesse des parties de la matiere fluide, et qu'il n'y a pas la moindre absurdité de les supposer mesme au delà de toute imagination, et enfin autant qu'on veut, car bien que nous ayons quelque preuention a juger que des petits corps à peine visibles, le sont presque autant qu'ils le peuuent estre, la raison pourtant nous dit que la mesme proportion qu'il y a d'une montaigne a un grain de sable, ce grain là peut auoir a un autre petit corps, et cettuy cy encore la mesme proportion a un autre plus petit, et cela autant de fois que l'on voudra; de sorte que si l'on voit qu'un petit atome de poussiere voltigeant dans l'air n'est point emporté par le mouuement de la matiere qui cause la pesanteur, il faut s'imaginer que ce petit corps visible est a l'esgard des parties deliées de cette matiere comme une grosse poutre a l'esgard des grains de sable des plus menus et mesme beaucoup d'auantage. 10. Cette extreme petitesse des parties se doibt encore supposer necessairement a cause d'un effect notable de la pesanteur et tres constant, qui est que des Corps pesants enfermez de tous costez dans un vaisseau de terre, de metail, ou de quelque autre matiere que ce soit se trouuent peser tousiours egalement; de sorte qu'il fault que la matiere que nous auons dit causer la pesanteur passe tres librement a trauers tous les corps que nous estimons les plus solides, et auec la mesme facilité qu'a travers de l'air. Ce qui ne doibt pas sembler estrange ny impossible puisque nous voyons que | |
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l'aymant agit sur le fer a trauers du verre et du metail auec justement la mesme liberté que quand il n'y a que de l'air entre deux. Il n'y a rien qui nous empesche de conceuoir tous les corps terrestres d'une texture sort peu compacte, et il fault de necessité que les uns l'ayent bien plus leger que les autres, veu la grande difference de poids qu'on y remarque, par exemple que l'or est 15. fois plus pesant que l'eau; Car c'est assurément la quantité de matiere qui est dans chaque corps qui en regle le poids, comme nous montrerons cy apres. Ainsy dans les Corps que nous appelions solides, estant composez d'un amas de particules, entre lesquels il y a des passages fort ouuerts a la matiere fluide, elle coule par dedans ces corps aussi viste qu'au dehors, ou elle est aussi bien empeschée quelque peu par les parties de l'air qui sont tres grandes a son egard et qui ont beaucoup moins de mouuement. 11. Il y a une autre proprieté tres remarquable de la pesanteur qui s'explique encore par ce mouuement libre de la matiere a trauers les espaces qui sont entre les parties des corps et qui malaisément le peut estre sans cela. C'est que toutes les parties du dedans d'un corps solide contribuent a sa pesanteur a proportion de leur grandeur; dequoy la raison est maintenant facile, quand on conçoit que la matiere fluide en passant librement par tous les endroicts de ce Corps agit par ce moyen sur toutes les petites parcelles qui le composent et les pousse vers le centre de la Terre, au lieu que si elle n'auoit pas la liberté de ce passage elle ne presseroit les corps que par la surface qui regarde vers en haut, ce qui feroit qu'un boule de verre par exemple qui seroit creuse en dedans, peseroit tout autant qu'une de pareille grosseur toute plaine & massive, parce que la matiere qui cause la pesanteur auroit autant de prise sur l'une que sur l'autre. Dans l'explication que Mr Descartes a donnée de la pesanteur je ne trouue pas qu'il ayt assez faict de reflexion sur cette action de la matiere fluide sur les parties du dedans des corps terrestres, et il semble mesme qu'il n'a point admis la liberté de son mouuement a trauers du composé de ces parties puis qu'il veult que par la rencontre de la terre elle soit empeschée de continuer ses mouuements en ligne droitte, et que pour cela elle s'en esloigne autant qu'elle peut. En quoy il ne semble pas auoir pensé aux proprietez de la pesanteur que je viens de remarquer. Car si le mouuement de cette matiere est empesché par la terre, elle ne penetrera non plus librement les Corps des metaulx, ny du verre, donc il s'ensuiuroit que du plomb enfermé dans une phiole, perdroit son poids ou que du moins il seroit diminué comme aussi que les parties du dedans d'un corps solide ne contribueroient point a sa pesanteur, comme ne ressentant pas l'action de la matiere que les doibt pousser vers en bas; de plus en portant un corps pesant au fond d'un puit ou de quelque mine profonde, il y deuroit perdre sa pesanteur ce qui ne se trouue point par experience. Or pour monstrer que conformément a nostre theorie le poids de chaque corps suit precifement la quantité de la matiere qui entre dans sa composition c'est a dire de celle qui y demeure arrestée, je remarquerai icy ce qui arriue dans l'expulsion de deux corps quand ils se rencontrent d'un mouuement horizontal. Il est certain que la | |
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resistence que font les corps a estre meus horizontalement comme seroit une boule posée sur une table bien unie, n'est pas causée par leur poids vers embas, puis que le mouuement lateral ne tend pas a les esloigner plus de terre qu'ils n'estoient et partant n'est nullement contraire a l'action de la pesanteur qui les pousse vers la terre. Il n'y a donc rien que la quantité de la matiere attachée ensemble que chaque corps contient qui apporte cette resistence, de sorte que si deux corps en contiennent autant l'un que l'autre et qu'ils viennent a se choquer de vistesse egale, ils reflechiront egalement ou demeureront tous deux sans mouuement selon qu'ils seront durs ou mols. Or l'experience monstre que toutes les fois que deux corps se reflechissent ainsy egalement estants venus a la rencontre auec pareille vitesse, ces corps sont aussi d'egale pesanteur, donc il s'ensuit que ceux qui sont composez d'egale quantité de matiere sont aussi d'egale pesanteur. Ce qui estoit a prouuer. Mr Descartes est en cecy d'une autre opinion, du moins pour ce qui regarde les corps liquides disant que quoy que une masse d'or soit par exemple vingt fois plus pesante qu'une portion d'eau de la mesme grandeur, l'or peut neantmoins ne contenir que quatre ou 5 fois autant de matiere terrestre que l'eau. Premierement a cause qu'il fault deduire (il faut plustost dire adiouter) un poids egal a l'un et a l'autre, a raison de l'air dans lequel on les pese, et puis parce que l'eau et les autres liquides ont quelque legereté a l'esgard des corps durs d'autant que les parties des premiers sont en mouuement continuel, mais l'on peut respondre a ces deux raisons; a la premiere que la pesanteur de l'air n'estant a celle de l'eau qu'enuiron comme 1. à 900. ou à 1000. ce ne sera pas un poids considerable qu'il faudra adiouter egalement a celuy de l'or et de l'eau trouuée par la balance. Et pour l'autre raison si elle estoit bonne il faudroit que une mesme portion d'eau apres estre gelée pesast beaucoup d'auantage, qu'estant liquide, et de mesme les metaux en masse plus que quand ils sont fondus, ce qui est contre l'experience outtre que je ne vois comment il a conceu que le mouuement des parties des corps liquides leur donnerait de la legereté c'est a dire quelque tendance du centre puisque pour cela il faudroit que ce mouuement fust circulaire autour du centre de la Terre, ou qu'il fust plus fort vers en hault que vers en bas, ce qu'il n'a jamais dict mais bien au contraire que les parties des liqueurs se meuuent en tous sens indifferemment. Il ne semble pas non plus auoir consideré combien grande doibt estre la vistesse de la matiere fluide pour donner autant de pesanteur qu'elle en donne aux corps parce que autrement il auroit bien jugé que le mouuement que peuuent auoir les parties de l'eau et de semblables liquides n'est nullement comparable a celuy de cette matiere qui cause la pesanteur. Pour moy j'ay recherché soigneusement le degré de cette vitesse, et je croy pouuoir determiner a peu pres a combien elle doibt monter & puisque plusieurs autres effects naturels en peuuent dependre, il ne sera pas inutile de faire voir icy ce que produict mon calcul et sur quoy il est fondé. Reprenant donc la figure dont je me suis servy cy dessus puisque la pesanteur du | |
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corps E est justement egale a l'effort qu'a une portion aussi grande de la matiere fluide a s'esloigner du centre D, ou que c'est plustost la mesme chose; il fault dire qu'une liure de plomb par exemple icy sur terre pese autant vers le centre, qu'une masse de la matiere fluide de la grandeur de ce plomb pese vers en haut pour s'en esloigner par la vertu de son mouuement circulaire. Or puisque la matiere de plomb et la matiere fluide ne different en rien selon notre hypothese l'on peut dire que la liure de plomb, pese autant vers en bas qu'elle peseroit vers en hault si elle tournoit autour du centre de la terre et a la distance qu'elle en est auec autant de vitesse que faict la matiere fluide, mais je trouve par ma Theorie du mouuement circulaire qui s'accorde parfaictement auec l'experience qu'un corps tournant en cercle, si l'on veut que son effort a s'esloigner du centre egalle justement l'effort de sa simple pesanteur, il faut qu'il fasse chaque tour en autant de temps qu'un pendule de la longueur du demy diametre de ce cercle employe a faire deux vibrations. Il faut donc voir en combien de temps un pendule de la longueur du demy Diametre de la Terre feroit ces deux vibrations; ce qui est aisé par la proprieté connüe des pendules et par la longueur de celuy qui bat les secondes qui est de trois pieds 8 1/2 lignes. Et je trouue qu'il faudroit pour ces deux vibrations une heure 25 minutes en supposant suiuant la mesure de Snellius le demy Diametre de la terre de 19595154 piedsGa naar voetnoot1). La vitesse donc de la matiere fluide a l'endroit de la surface de la Terre doibt estre egale a celle d'un corps qui feroit le tour de la Terre dans ledict temps d'une heure 25. minutes, laquelle vistesse est a peu pres 17. fois plus grande que celle d'un poinct de la Terre scitué soubs l'Equateur qui faict le mesme tour en 24. heures, comme il paroist par la proportion entre 24. heures et une heure 25. minutes. Je scay que la rapidité de ce mouuement doibt sembler estrange a qui la voudra comparer auec ceux que se voient icy sur terre, mais si en regardant un globe terrestre comme on en faict pour l'usage de la Geographie, on s'imagine sur ce globe un mouuement qui n'auance que d'un degré de l'Équateur en 14. secondes ou battements de pouls, qui est la vitesse de la matiere que je viens de dire, l'on trouuera ce mouuement tres mediocre a l'esgard de la grandeur de la Terre et mesme il peut sembler estre lent. Au reste la grande vitesse de la matiere non seulement ne repugne point a la raison mais elle aide encor a satisfaire a d'autres phenomenes de la pesanteur puisque par elle on conçoit facilement comment les corps pesants en tombant accelerent tousiours leur mouuement quand mesme ils l'ont desia acquis tres grand. Car celuy de la matiere qui faict la pesanteur surpassant encore de beaucoup la vitesse d'un boulet de Canon par exemple qui retombe de l'air apres y auoir esté tiré perpendiculairement; ce boulet jusqu'a la fin de sa cheute ressent presque tousiours la mesme pression de cette matiere et partant sa vitesse en est continuellement augmentée. Que si elle n'a- | |
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uoit que peu de mouuement la balle apres en auoir acquis autant n'accelereroit plus sa cheute parce que autrement elle seroit obligée de pousser la matiere fluide a succeder dans sa place auec plus de vitesse qu'elle n'en auroit de son propre mouuement. Enfin la mesme vistesse de cette matiere jointe a la maniere dont nous auons dict qu'elle agit sur les corps qu'elle rend pesants faict voir la raison du principe que Galilée a pris pour demonstrer la proportion de l'acceleration des corps qui tombent qui est que leur vitesse s'augmente également en des temps egaux. Car ces Corps estant poussez successiuement par les parties de la matiere voisine, qui tachent de monter en leur place et dont le mouuement est tousiours infiniment plus viste que celuy qu'ils peuuent auoir acquis par des cheutes qui tombent soubs notre experience, cela fait que l'action de la matiere qui les presse peut estre considerée tousiours aussi forte que lors quelle les trouue au repos, d'ou l'on conclud ensuitte assez facilement l'accroissement des vitesses proportionné a celuy des temps. Ayant donc monstré que nostre hypothese ne contient rien d'impossible et que par elle on peut expliquer tous les phoenomenes de la pesanteur; scauoir pourquoy les corps terrestres tendent vers son centre, pourquoy l'action de la grauité ne peut estre empeschée par l'interposition d'aucun corps de ceux que nous connoissons, pourquoy les parties de dedans de chaque corps contribuent toutes a sa pesanteur, et pourquoy enfin les corps pesants en tombant augmentent continuellement leur vitesse et cela suivant la proportion des temps de leur descente, il n'y a rien qui empesche qu'elle ne soit veritable tant qu'on ne trouuera pas d'autres phoenomenes de la nature quy luy soient contraires. | |
D. Remarques de Roberval et Mariotte sur le mémoire de Huygens.Le Mercredy 4e Septembre 1669. La Compagnie estant assemblée M. de Roberual qu'on auoit nommé auec Mr. Mariotte pour examiner ensemble l'ecrit touchant les causes de la pesanteur lû par Mr. Hugens dans la derniere assemblée, en a faict son rapport a la Compagnie et a lû le memoire qui suit:
Il y a plusieurs choses dans l'escrit de Mr Hugens qui nous ont semblé auoir besoing d'eclaircissement ou de preuue. 1. D'abord il exclud de la nature sans preuue les qualitez attractiues et expulsiues et il veut introduire sans fondement les seules grandeurs, les figures et le mouuement. Ce postulat que rien n'oblige de luy accorder est de grande consequence comme l'on verra dans la suitte. 2. Dans l'article cotté 2. il veut qu'un mouuement soit causé par un autre mouuement, il faut donc venir a un premier qui est autant ou plus difficile a comprendre que les qualitez. Ne pouuant arriuer a un premier mouuement par le mouuement | |
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mesme il en fault venir aux qualitez ou a une autre cause equiualente, et les mouuements qui en dependront ne peuuent estre les siens comme il se verra, cy apres. 3. Dans l'article cotté 3. il suppose un mouuement circulaire. Cependant il y en a beaucoup qui pretendent que le mouuement circulaire de soy n'est point naturel, mais le droict seulement qui aux occasions cause le circulaire, que mesme de mouuement circulaire ne peut estre circulaire par le seul mouuement, et qu'il y faut de plus des qualitez ou quelque chose d'equiualent. Dans le mesme article il parle de centre, et il n'en a pas encore. 4. La consequence qu'il tire dans l'article cotté 4, ne semble pas necessaire, et c'est ce qu'on cherche. Les experiences qu'il apporte pour la confirmer sont sujettes a reproche, et en tout cas il n'en peut tirer sa conclusion comme on verra dans la suitte. Il fault tousiours remarquer qu'il n'a point encore de Centre. 5. Dans l'article cotté 5. il y a beaucoup de choses a discuter. Entr'autres la partie E. [Fig. 260] estant continuellement choquée n'est pas pourtant forcée vers le centre a cause de la differente disposition des surfaces de ses parties, comme on verra dans la suitte. 6. L'effect de la machine dont il est parlé dans l'article cotté 6. se peut expliquer par la pesanteur de l'eau aidée du mouuement du vaisseau au commencement et retardée par son repos a la fin, car par le mouuement et repos alternatifs il se fait une double circulation de l'eau contraire l'un a l'autre dans le mesme vaisseau, parce que dans le mouuement du vaisseau l'eau est portée par le bas du centre a la circonference, d'ou elle monte le long du vaisseau et ainsy il se fait un vortex vers l'axe par lequel elle redescend et dans le repos du vaisseau le contraire arriue. 7. Il semble qu'il y a un cercle de logique dans l'article cotté 7. Car qui sont les Corps qui arrestent et sont arrestez et comment? et qui determine les surfaces spheriques? Ce mouuement se deuroit reflechir comme la lumiere, il faudroit que les corps qui doiuent estre arrestez fussent grossiers et il les faict subtils a passer partout. Dans ce mesme article il establit un centre pour preuuer le mesme centre. 8. L'effect de la coupelle dont il est parlé dans l'article 8. se peut expliquer autrement, comme aussi celuy du suif et encor celuy de la fronde cy deuant. 9. On ne demeure pas d'accord de plusieurs choses qu'il auance dans l'article cotté 9. Car si les mouuements circulaires s'acheuent, il faudroit ou que ce fust a l'entour d'un mesme centre desia faict et alors on supposeroit ce que l'on cherche. Ou si ce sont des centres differents il y aura mille absurditez, et entre autres les parties poussées iront les unes d'un costé les autres de l'autre, et une mesme tantost d'un costé tantost de l'autre, sans pouuoir faire un centre determiné. Or en supposant un espace spherique, on suppose un centre, et c'est pourtant ce que l'on cherche. Deplus les parties en se choquant changeroient le mouuement circulaire en mouuement droit suivant les tangentes par les regles de la reflexion. Et generalement les mouuements circulaires dans des corpuscules vagues ne se peuuent maintenir et d'eux mesmes se changeroient en droits. Il est a remarquer qu'il y a tousiours un cercle de logique dans ce raisonnement. | |
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10. On ne demeure pas non plus d'accord de ce qu'il suppose dans l'article cotté 10. Car ces grands Corps s'ils sont choquez n'ayant d'eux mesmes aucune determination pourront estre poussez deça ou dela suiuant la direction de leur surface differente. Les corpuscules qu'ils choqueront feront leur reflexion en mouuements droits, et les mouuements circulaires, ou n'auront peû se faire ou periront. Il n'importe que la reflexion soit perpendiculaire ou oblique. Deplus il semble se contredire. Car tantost il supposoit un chocq conte les grandes parties, maintenant il n'en veut plus. L'exemple de l'aymant ne faict qu'augmenter la difficulté. 11. Il continue a supposer dans l'article cotté 11. que la matiere fluide passe au travers des grands corps sans les choquer. Cependant il semble que cette matiere passant au travers des grands corps les deuroit chocquer interieurement tantost vers un costé tantost vers un autre, suiuant la direction des pores ou passages tournez indifferemment vers toutes les parties de l'univers et suiuant la disposition des surfaces des corpuscules assemblez ou accrochez ensemble pour composer les grands corps. Dans ces labyrintes la matiere subtile ou fluide seroit ou arrestée ou reflechie de toutes parts en lignes droittes en non plus circulaires ou si elle passoit sans rien rencontrer elle ne feroit aucun effect. Si le grand corps estoit tourné tantost d'un costé tantost d'un autre comme la Terre dans son mouuement journalier; considerez combien le choc de la matiere fluide seroit diuersifié, combien la direction de ce corps seroit changée, et la pretendue pesanteur toute inegale et interrompue dans sa direction, puisque de soy le Corps est indeterminé et indifferent a l'esgard de toutes les parties du monde, suiuant l'hypothese de l'autheur. | |
E. Réplique de Huygens du 23 octobre 1669 aux observations de Roberval et Mariotte.Le Mercredy 23e iour d'octobre 1669. La Compagnie estant assemblée M. Hugens pour respondre aux obiections proposées par M. de Roberual dans l'assemblée du 4e Septembre dernier a lû le memoire suiuant.
A la premiere obiection ie respond que i'exclus de la nature les qualitez attractiues et expulsiues parce que ie cherche une cause intelligible de la pefanteur, car il me semble que ce seroit dire autant que rien que d'attribuer la cause pourquoy les corps pesants descendent vers la terre, a quelque qualité attractiue de la terre ou de ces corps mesmes, mais pour le mouuement la figure et les grandeurs des corps ie ne vois pas comment on peut dire que ie les introduicts sans fondement puisque les sens nous font connoistre que ces choses sont dans la nature. | |
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A la seconde obiection ie responds que nous sçauons certainement que des Corps qui sont en mouuement en peuuent mouuoir d'autres, et ie ne veux que cela, sans chercher icy par quelle cause le premier mouuement a esté introduict. A la troisiesme obiection ie responds que ie n'ay pas dict que le mouuement circulaire soit naturel mais qu'il y en a dans le monde, ce qui ne peut pas estre contredict. A la quatriesme obiection ie responds qu'ayant monstré par l'effect de la fronde et par celuy de la table tournante que le mouuement circulaire cause aux corps la tendence du centre, ie croy la consequence tres certaine. A la cinquiesme obiection ie responds que la raison pour laquelle i'ay dict que le corps E. est poussé vers le centre est tres manifeste et l'on n'en apporte aucune pour fondement de l'opposition. A la sixiesme obiection ie responds que pour faire voir que l'effect de l'experience n'est pas cause de la maniere qu'il est dict dans cette remarque, on n'a qu'a mesler dans l'eau quelques morceaux d'une matiere d'egale pesanteur auec elle qui en suiuant le mouuement de l'eau deuroient manifester la circulation pretendue; mais l'experience fait voir qu'il n'en est rien. A la septiesme obiection ie responds que les corps qui empeschent ceux qui se meuuent dans l'espace spherique d'en sortir sont ceux qui sont a l'entour de cet espace par dehors, de mesme qu'en faisant un petit tourbillon dans l'eau d'un estang, cette eau tournoyante est contenue et arrestée dans sa place par le reste de l'eau de l'estang. A la huictiesme obiection, ie reponds que pour parler avec certitude du mouuement du metail dans la coupelle il en faudroit faire l'experience, mais il ne s'en ensuiuroit pas que la cause que i'en donne ne fust veritable quand on l'auroit expliqué par une autre maniere. A la neufuiesme obiection ie responds que ce que l'on cherche n'est pas un centre, mais la raison pourquoy des certains corps se meuuent vers un mesme centre. En supposant un espace spherique, l'on suppose un centre en mesme temps et cette supposition n'a aucune difficulté pour estre contestée. Et pour ce qui est adiouté que les parties de la matiere en se choquant changeroient le mouuement circulaire en mouuement droict suiuant les tangentes, ie dis qu'il est vray qu'elles le feroient non pas seulement par le chocq mais aussi par le seul mouuement circulaire, mais ne trouuant pas de place ou se mettre si ce n'est qu'en mesme temps d'autres parties s'approchent vers le centre, ce mouuement droit ne peut auoir effect que lors qu'il y a des parties qui n'ont point de tendence du centre faute d'auoir de mouuement circulaire lesquelles alors cedent sans difficulté a celles qui l'ont, et c'est en quoy i'ai dict que consiste la pesanteur. Il n'est pas necessaire au reste que toutes les parties de la matiere fluide ayent le mouuement circulaire mais seulement qu'il y en ayt plus de celuy cy qu'en d'autres sens. A la dixiesme obiection ie responds que i'ay allegué une raison tres claire pourquoy ces grands corps ne sont pas poussez d'un costé ny d'autre, et puisque la matiere fluide est supposée si subtile qu'elle passe par les intervalles qui sont entre les parties | |
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des grands Corps aussi facilement que par l'air, il paroist que la direction ou position des surfaces de ces corps ne fait rien du tout a la determination de leur mouuement vers un tel ou tel costé et que la reflexion aussi de la matiere fluide contre ces surfaces ne se fait pas de la façon que l'opposant la conçoit. Quant à la difficulté qu'il apporte ensuitte sur le passage de la matiere fluide a trauers des corps pesants elle sera ostée si on s'imagine qu'elle y passe de mesme que faict l'eau d'une riuiere a trauers des roseaux ou des filets laquelle conserue son cours selon toute sa masse, non-obstant que plusieurs de ses parties choquent contre ces corps qu'elles trouuent dans leur chemin parce que leur reflexion ne sçauroit les écarter ny empescher qu'elles ne soient entraisnées par la quantité des parties de l'eau qui succedent. Cette consideration satisfaict aussi a ce qui est dict dans la 4e obiection.
La Compagnie ayant opiné sur cet escrit a conclu que les obiections de Mr. de Roberual et les responses de M. Hugens seront mises entre les mains de Mr. Picard pour les examiner plus particulierement et pour en faire rapport dans la premiere assemblée.
Nous n'avons pas trouvé de rapport de Picard sur ce sujet. | |
F. Mémoires de du Hamel du 6 novembre, de Mariotte du 13 novembre et de Cl. Perrault du 20 novembre 1669.Du Hamel est d'avis qu' ‘une grande partie de la confusion de nos idées et de nos faux jugements vient de ce que nous attribuons au corps ce qui ne peut convenir qu'a l'esprit, comme la connoissance, le choix, l'inclination, le desir et cent autres mouuements de l'esprit’, mais qu' ‘il se peut faire neantmoins qu'il y ait des affections ou proprietez si generalles qu'elles soient communes aux corps et aux esprits, comme le mouuement local ou l'inclination a se mouuoir et a rechercher sa perfection’. Il lui est ‘difficile de croire ... qu'un arc bandé ne fait pas effort pour se redresser, et qu'une matiere subtile qui tasche de se faire passage par les pores estraicis de la superficie concaue, produict ce mouuement de ressortGa naar voetnoot1)’. ‘Et de cette maniere l'opinion | |
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commune qui veut que la pesanteur soit un principe interne du mouvement vers le Centre de la Terre peut avoir sa probabilité’. Il dit cependant que c'est vers la Terre que les corps tombent et non pas vers ‘un point imaginaire que l'on appelle centre et qui n'est point different des autres’; de même les corps séparés de la lune tombent vers cette dernière. Il ‘ne nie point que l'opinion de Mr des Cartes touchant la pesanteur des Corps ne se puisse deffendre de la maniere que Mess. Hugens et Buhot [sic] ont expliqué’. Même l'expérience de Huygens (p. 632 qui précède) ‘donne beaucoup de jour à l'opinion de Mr des Cartes’ et ‘il semble que jusqu'a present on n'a rien trouué de plus vraysemblable que l'opinion de Mr des Cartes’Ga naar voetnoot2).
Mariotte dit qu' ‘on peut concevoir’ que les corps ‘ont une disposition ou une vertu a se mouvoir vers les autres corps qui leur est naturelle et adherente’.
Cl. Perrault, parlant de la ‘propension [hypothétique] dans les corps, a se ioindre les uns aux autres’ dit qu'il y a ‘des marques apparentes que cela ne peut estre: car il faudroit qu'une grosse pierre pendue en un lieu esloigné de la Terre attirast un petit grain de poussiere qui seroit bien proche, et l'empeschaft de tomber vers la Terre, qui en seroit fort esloignée’. En effet, les aimants font voir que les choses qui s'attirent ‘le font avec plus de force plus elles sont proches l'une de l'autre’. Mieux vaut donc admettre la théorie des tourbillons. Outre le ‘tourbillon du corps aetheré d'occident en orient’, Perrault en suppose un autre ‘qui va du midi au septentrion’.
Sur la lutte ultérieure entre la théorie des tourbillons et celle de l'attraction universelle on peut consulter P. Brunet ‘L'introduction des théories de Newton en France au XVIIIe siècle’ (Paris, A. Blanchard, 1931). Le sujet y est traité jusqu'en 1738, année dans le cours de laquelle parurent les ‘Éléments de la philosophie de Newton, mis à la portée de tout le monde’ par Voltaire. |
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