Oeuvres complètes. Tome VII. Correspondance 1670-1675
(1897)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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pardonnasse et que je n'usasse pas du droit de mon Privilege pour l'empescher de travailler. Mais qu'il ose demander ce que avec raison j'aurois pu luy refuser quand mesme il en auroit bien usè, scavoir de travailler à ces nouvelles montres sans estre tenu au privilege, c'est ce qui me semble eloignè de toute raison, et je me souviens que Mad. Colbert elle mesme lors qu'elle me fit la grace de m'ecouter la dessus me temoigna d'estre du mesme sentiment. Il n'est pas malaisè au reste de voir que le dessein de Thuret, en faisant cette demande, n'est pas tant d'eviter la charge du payement (car elle tombera plustost sur ceux qui acheteront de ces montres) que d'oster la pratique aux autres horlogeurs, et d'insulter a ceux d'entre eux qui m'ont esté affectionnez et qui se sont mis en devoir de refuter ses calomnies. Mais a moy plus qu'a personne, parce qu'il ne manqueroit pas de se vanter de m'avoir contraint par l'authoritè de puissances superieures de faire ce qu'il auroit voulu. Car encore que devant vous Monseigneur il paroisse soumis, et que peut estre il n'ose rien dire contre moy, je sçay qu'ailleurs il n'a pas cette mesme retenue et que il continue tousjours son imposture, se plaignant que je luy ay volè son invention; Et je pourrois nommer les personnes qui diront que je ne l'accuse pas a tort. Je vous supplie donc Monseigneur de vouloir considerer qu'il s'agit de defendre mon honneur contre les attaques et les machinations d'un homme a qui l'on ne peut point se fier, et que je n'ay point d'autre moyen pour cela que le pouvoir de mon Privilege. C'est là la raison pourquoy je l'ay souhaitè plus que pour autre chose, Et l'ayant obtenu par la bontè de Monseigneur Colbert malgrè tous les obstacles, j'espere qu'il me permettra de m'en servir pour une fin si juste. Ce n'est pas pour exclure Thuret du nombre de ceux qui travailleront a mon invention, mais pour l'empescher qu'il ne retourne a me faire des outrages. Que si on ne le trouve pas a propos, et que de plus l'on veuille m'obliger à m'en demettre d'une partie, pour gratifier un homme qui ne cherche qu'a me nuire et qu'a me fascher, je suis prest de remettre plustost le Privilege entre les mains de Monseigneur Colbert, et de le prier de laisser egalement la libertè à tous les ouvriers parce que cela me sera plus honorable et me delivrera de toute inquietude. Je me fie tant en la bontè que vous m'avez tousjours tesmoignee Monseigneur que je n'apprehende pas que vous trouviez mauvais que je vous escrive si librement mes raisons et mes sentimens. Je conteray pour grace singuliere si vous leur deferez quelque chose et quoy qu'il en arrive je seray tousjours avec beaucoup de respect et de passion
Monseigneur etc. |
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