Oeuvres complètes. Tome VII. Correspondance 1670-1675
(1897)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo 1944.
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Vous dites que ce qu'on peut attribuer a la pesanteur de l'air pourroit venir de telle ou telle proportion de grosseur de tuyau. mais cela paroit au contraire parce qu'on trouve tousjours la mesme hauteur avec toute sorte de grosseur et matiere de tuyau. Et pour faire voir qu'il en est de mesme icy qu'au dechiffrement d'une lettre, c'est qu'apres avoir supposè le principe de la pesanteur de l'air pour cause de l'élevation limitée de l'eau dans les pompes, on s'est allè imaginer en suite d'autres consequences de cette hypothese et des experiences pour voir si elles se trouveroient conformes aux conclusions qu'on avoit formées, comme icy l'on a dit si c'est la pesanteur de l'air qui soustient l'eau a la hauteur de 31 pieds, cette mesme pesanteur de l'air ne pourra donc soustenir que 27½ pouces de mercure puisque cette hauteur de mercure pese autant que 31 pieds d'eau dans des cylindres de mesme diametre. L'on en a fait l'experience et l'on a trouvè justement que la chose reussissoit de la sorte. L'on a preveu de mesme que supposè ce poids de l'air quelle force seroit requise pour tirer un piston du fond d'un tuyau fermè par en bas et l'on a trouvè justement qu'il faloit un poids pour cela qui égaloit la pesanteur d'un cylindre d'eau de 31 pieds qui fut de la mesme grosseur que celle du tuyau. L'on a raisonnè encore, devant que faire l'experience, que montant sur quelque haute montagne et mesme sur des clochers la pesanteur de l'air y devoit estre moindre qu'au pied de l'un et de l'autre, et que par consequent cette pesanteur ne pourroit equilibrer une hauteur de mercure de 27½ pouces, mais qu'elle devoit estre moindre et cela s'est encore trouuè estre véritable par l'essay qu'on en a fait, et que je fais quand je veux avec le baromètre dernier de ma faconGa naar voetnoot3) en le portant seulement de ma chambre jusqu'en bas. Et enfin l'on a trouuè le poids de l'air par la balance, en pesant une mesme phiole tantost pleine d'air et tantost vuide, et l'on a vu qu'un pied cube d'air pese environ une once, quoyque cela varie un peu suivant la chaleur du temps et les differentes pressions que marque le barometre. Apres toutes ces experiences et une insinitè d'autres qui conviennent toutes a l'hypothese, il est raisonnable de tenir qu'elle est dans un haut degrè de vraisemblance. Car comment pourra-t-on encore nier, qu'apres avoir trouvè par la balance que l'air a de la pesanteur qu'il ne presse par ce poids les corps sur les quels il appuie. Il est vray que les experiences que je fis il y a quelque temps, du siphon qui fait son effect dans le vaisseau vuide d'airGa naar voetnoot4), et de placques qui y demeurent attachées ensemble, vous fournissent une objection tres considerable contre l'effect que nous attribuons à la pression de l'air mais quand on ne scauroit rendre d'autre raison de ce phenomene, ce n'est pas a dire que la premiere hypothese soit fausse pour cela. Car cela peut venir de notre peu d'intelligence que nous ne scachions pas encore cette autre cause. Et il me semble qu'il est en cecy de mesme, que si dans la lettre a dechiffrer l'on trouvait quelque ligne qu'on ne pourroit point expliquer par l'alpha- | |
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bet qu'on se seroit formè, et qui satisferoit a tout le reste de la lettre. car cela ne nous feroit par rejetter nostre alphabet supposè, comme faux, mais nous induiroit plustost a croire qu'il y auroit encore un chiffre particulier pour cette ligne non entendue, que l'on pourroit trouver peut estre en faisant encore de nouvelles suppositions. J'ai fait ainsi en effect en ce qui regarde la difficultè de ces phenomenes, et je me suis imaginè de causes pour cela qui me satisfont assez bien sans qu'elles detruisent aucunement celle qui depend de la pression de l'air. Qu'en matiere de physique il n'y a pas de demonstrations certaines, et qu'on ne peut scavoir les causes que par les effects en faisant des suppositions fondees sur quelques experiences ou phenomenes connus, et essayant ensuite si d'autres effects s'accordent avec ces mesmes suppositions. Et quand mesme on rencontre des effects qu'on ne scait point deduire de la, pourveu qu'ils n'y repugnent point evidemment, on n'a point raison de rejetter l'hypothese qu'on s'est formee. Mais d'autant plus qu'on trouvera de phenomenes conformes a l'hypothese, d'autant plus vraisemblable la doit on tenir. Se souvenant pourtant tousjours qu'on n'a point de demonstration de sa veritè, et qu'il peut s'offrir tel autre phenomene qui estant incompatible avec nostre supposè principe le detruise absolument. Cependant ce manque de demonstration dans les choses de physique ne doit pas nous faire conclure que tout y est egalement incertain, mais il faut avoir egard au degrè de vraisemblance qu'on y trouve selon le nombre des experiences qui conspirent a nous confirmer dans ce que nous avons supposè. Car a quoy sert autrement la recherche de ces choses, ou quelle satisfaction peut elle nous donner, si nous demeurons tousjours egalement incertains de tout? Mais en examinant et pesant bien ce degrè de vraisemblance que l'on a trouvè dans quelque chose, l'on peut en tirer grande utilitè, parce qu'on prevoit par les choses connues les effects qui raisonnablement doivent suivre, lorsqu'on appliquera certaines matieres d'une maniere nouvelle, ou que l'on fera telle chose pour obtenir tel efsect. Comme l'exemple que vous m'avez dit des......Ga naar voetnoot5) fait veoir, qui pour une supposition touchant l'origine des fontaines assez conforme à la vostre, acheterent une quarriere proche de leur couvent pour la pouvoir boucher, a fin de restablir leur fontaines qui estoient dessechees. Il faut aussi dans l'incertitude des causes quand on fait des suppositions pour les découvrir faire quelque distinction, parce qu'il y en a qui d'abord paroissent bien plus raisonnables les uns que les autres. Ainsi je ne voudrais pas comparer dans cet examen de l'eau qui monte dans les pompes et dans les siphons l'hypothese de la crainte du vuide a celle de la pesanteur de l'air. Parce qu'outre que cette crainte est elle mesme une chose qui n'est aucunement intelligible ni proportionnée a nostre entendement, l'on reconnoit d'abord qu'elle repugne aux experiences, | |
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puisqu'a la fin ce vuide se fait, et qu'il n'est pas convenable a la nature d'avoir cette crainte jusqu'a un certain degrè. Je ne vois pas aussi qu'il y ait lieu icy de douter beaucoup si outre la pression de l'air il n'y a pas encore d'autres causes qui concourent a elever l'eau dans les pompes et dans les pistonsGa naar voetnoot6) jusques a certaine hauteur, puisque cette seule de la pression ou pesanteur de l'air y satisfait si pleinement. Et ce que vous dites icy du foible temoignage des sens ne me semble pas leur estre justement imputè, parce qu'il n'ont pas d'autre part en cecy que de vous faire voir que les choses arrivent de telle façon scavoir que l'eau monte jusqu'a la hauteur de 32 pieds et non plus avant, de quoy je ne crois pas qu'on puisse douter. Pour ce qui est de la diversitè du succes des experiences en grand et en petit, elle est tres souvent veritable, mais icy l'experience fait voir qu'il n'y en a aucune, parce qu'elle reussit de mesme facon dans les grands et petits tuyaux. Dans la comparaison de la sarbacane par laquelle les enfans poussent des pois avec le canon qui par la force de la poudre pousse le boulet [il] n[y] a rien qui ne soit aisè a comprendre ni mesme qui soit dissemblable. Car il n'est nullement estrange que le souffle d'un enfant ne peut chasser fortement le pois par une canne fort longue, parce que cette quantitè d'air que l'enfant produit en une fois n'a plus de force apres qu'elle aura pris une certaine extension dans la sarbacane. Et de mesme la flame que produit la poudre dans un canon, apres une certaine estendue, n'a plus tant de force a se dilater, de sorte que si le canon est plus long qu'une certaine mesure le frottement du boulet contre le dedans du canon l'empesche plus que la poudre n'aide a accelerer le mouvement qu'elle luy a desià conferè. Vostre exemple du tuyau d'orgue tend encore a faire voir que d'une experience faite, avec de certaine grandeur du corps on ne peut pas bien conclure ce qui doit arriver quand on la fera en plus grande ou en plus petite forme. ce que j'accorde volontiers, mais cela ne fait rien contre l'experience qui establit la pesanteur de l'air pour cause de l'elevation de l'eau dans les pompes et dans les siphons, parce qu'icy c'est une des plus fortes convictions que soit qu'on fasse l'experience en grand ou en petit on trouve tousjours un mesme effect, scavoir une mesme hauteur d'eau dans les tuyaux larges ou estroits. |
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