Oeuvres complètes. Tome V. Correspondance 1664-1665

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N^o 1253.
Christiaan Huygens à [R. Moray].
29 août 1664.

La lettre se trouve à Londres, Royal Society.
Elle est la réponse au No. 1252. R. Moray y répondit par les Nos. 1255, 1256.

A la Haye ce 19 Aoust 1664.

Monsieur

Il y a 8 jours qu'on m'apporta en mon hermitage¹⁾ a une lieue d'icy deux livres de vostre part et une lettre du 5^e de ce mois. Je vous rends graces tres humbles. Pour celuy du mouuement du muscle je l'avois veu icy, comme je vous ay escrit²⁾, en plus petite forme, et trouuè le raisonnement fort bon selon ma capacitè en ces matieres, desirant seulement qu'on fit les experiences necessaires pour verifier l'hypothese, comme de lier tantost une artere, tantost une veine qui se rendent dans le muscle pour veoir quel changement y arriveroit.

Je n'ay pas encore regardè attentivement le livre des Epoches³⁾ du Roy Indien, en ayant estè detournè par le livre des Couleurs de Monsieur Boile, que je receus en meme temps. Comme je l'avois attendu avec impatience, je n'ay pu differer de le lire aussi tost d'un bout a l'autre. Tout est excellent, plein de nouuelles descouuertes et de subtiles reflexions, toutefois devant que de pouuoir obtenir la veritable hypothese des couleurs, il faudra avoir celle de la lumiere et des refractions qui me semblent de mesme qu'a Monsieur Boile extremement mal aisées a penetrer. A ce qu'il a remarquè de la couleur que fait paroitre l'eau quand elle est extremement mince, comme dans les bulles que font les enfans, il y a à adjouter une experience dont je croy vous avoir parlè, qui est de deux petits morceaux de verre d'un miroir plat, qui estant fortement pressez l'un contre l'autre soit qu'il y ait de l'eau entre deux ou rien que l'air, font veoir toutes les couleurs de l'Iris.

Cet organiste aveugle⁴⁾ de qui il fait mention, a estè autrefois icy a la Haye, et je me souuiens bien que nous descouvrismes toutes ses fourberies tant au jeu des Cartes, qu'il marquoit toutes avec un plis differant, qu'au discernement des couleurs au quelles il ne connoissoit rien quand un certain frere qu'il menoit avec luy n'estoit pas present. Je voudrois bien que Monsieur Boile interrogeast son autheur⁵⁾ touchant cette particularitè, a scavoir s'il estoit luy seul avec l'aveugle lors

1) Hofwijk près de Voorburg, la campagne de Constantyn Huygens, père. Il s'y était réfugié à cause de la peste. Consultez la Lettre N^o. 1254.

2) Voir la Lettre N^o. 1250.

3) Voir, sur cet ouvrage d'Oulugh Beg, la Lettre N^o. 1244.

4) Johannes Vermaasen naquit à Maastricht en 1628; en 1664 il était organiste à Utrecht. Ayant perdu la vue à l'âge de deux ans à la suite de la petite vérole, il prétendait reconnaître les couleurs par l'attouchement.

5) Sir John Finch, fils de Sir Heneage Finch et de Frances Bell, naquit en 1626 et mourut le 18 novembre 1682 à Londres. En 1647 il devint B.A. à Oxford, en 1649 M.S. à Cambridge et en 1650 M.D. à Padoue, où il fut consul anglais; ensuite, le Grand-duc de Toscane le nomma professeur de mathématiques à Pisa. En 1661 il retourna en Angleterre, où il reçut beaucoup d'honneurs. Depuis 1665 il fut ambassadeur à Florence et en 1672 à Constantinople. Il possédait une large fortune et le palais de Kensington; c'est en revenant de l'Italie en Angleterre, qu'il examina la prétendue faculté de cet aveugle de distinguer les couleurs par l'attouchement.

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qu'il manioit ces rubans, car je ne voy pas que cela est exprimè dans sa relation.

Au reste j'ay estè bien aise de veoir a la fin du livre l'histoire du diamant⁶⁾, augmentée, et je me sens honnorè de la façon qu'il y est parlè de moy.

Quant a nos horologes, je ne comprens pas comment vos horologers oseroient en demander le privilege a l'insceu des inventeurs, et comment ils pourroient l'obtenir sans que vous en eussiez connoissance qui estes tousjours a la Cour. toutes fois si vous croiez qu'il y ait du danger, et que Monsieur le Comte de Cincardin en soit d'avis je croy qu'il sera bon de prevenir ces gens la en demandant le Privilege au nom de nous deux.

A cause de mon absence de la Haye je n'ay pas pu faire avancer la fabrique de ma nouvelle horologe autant que j'aurois souhaitè, mais pourtant elle est toute



achevée maintenant et je m'en vais la prendre tout a cet heure pour la porter avec moy a la campagne ou je la compareray avec ma grande pendule, et vous rendray compte de ce que j'auray trouuè de son exactitude. Le maistre⁷⁾ tousjours en rend tres bon temoignage l'ayant vu marcher 3 ou 4 jours durant, et desire fort que je demande aussi le privilege icy. comme j'ay dessein. Si je voulois vous expliquer toute cette invention je ne le pourrois pas qu'avec beaucoup de peine et en faisant une figure ou il n'y a pas peu de facon. Cependant je vous diray bien que le secret consiste en ce que le contrepoids qui fait aller la roue de rencontre est pendu sur la roue mesme et est remontè chaque demie minute par la force du grand contrepoids. de la vous voiez bien qu'il y a tousjours justement la mesme force pour continuer le bransle du pendule, et qu'ainsi faisant ses vibrations egales grandes, il faut bien qu'elles soient aussi de temps egaux.

J'attens tousjours la description de la machine de Monsieur Hook, et cependant il m'en est venu une en la fantaisie pour le mesme usage, dont voicy la figure. ABCDEFGS est une planche dont la partie DEFG est coupée. le pendule est HK que je pren-

6) Consultez la pièce N^o. 1193.

7) Severijn Oosterwijk.

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dray fort petit environ d'un pouce pour marquer les ⅙ d'une seconde. le plomb de ce pendule H est trauersée d'un stile ou eguille. ML est une raye de papier ou parchemin qu'il faut concevoir longue de 3 ou 4 pieds et a la quelle est attachee en bas la cheville MP, qui passe librement a travers du plomb O, et en bas aboutit a un petit plomb P. On lache en mesme temps le plomb O, et celuy du pendule H, en coupant un filet attachè a tous les deux, et lors que O est tombè jusqu'en P, que l'on met si bas qu'on veut, il attire vers en bas la raye du papier ML; qui en passant recevra d'un costè ou d'autre une marque de l'eguille qui perce le pendule H, la quelle il faut noircir pour cela. Et ainsi l'on scaura precisement par combien d'espace aura descendu le plomb O dans un certain temps, connu par le nombre de vibrations du pendule HK. Je me suis expliquè si à la haste et si mal que je croy qu'il y aura un peu a deviner pour comprendre ce que je veux dire. J'ay encore une autre maniere pour mesurer exactement en combien de temps le plomb descend par un espace donnè, mais il y a un peu plus de façon, c'est pourquoy je n'entreprendray pas presentement a le descrire, pour ne vous pas rompre la teste d'avantage.

J'ay receu il y a quelque jours une lettre de Rome⁸⁾ avec un petit liuret⁹⁾ qu'a mis au jour le frere¹⁰⁾ de celuy¹¹⁾ qui me l'envoie. Ils s'appellent Montani¹²⁾



et le livre contient une observation nouuelle de Saturne qu'ils ont observè ce dernier printemps de la facon que marque cette figure a scavoir que le cercle de Saturne couure du costè d'en haut une partie de sa sphere et en est couuert par en bas avec mesme un peu d'ombre sur le cercle en bas et sur la sphere en haut. Il se vante d'une nouuelle maniere de faire les verres par le moien d'un Tour, et sans autrement se servir de forme.



Je ne scay ce que ce peut estre, mais tous jours il cite des tesmoins pour faire veoir que ses lunettes excellent beaucoup par dessus celles de Divini. au reste l'obseruation confirme tout a fait mon systeme, et mesme il m'a semblè depuis en considerant ces jours attentivement Sa-

8) Voir la Lettre N^o. 1248.

9) Il s'agit de l'ouvrage décrit dans la Lettre N^o. 732, note 10.

10) Guiseppi Campani.

11) Matteo Campani.

12) D'après la Lettre N. 1258, il est bien certain que Chr. Huygens parle ici des frères ‘Campani.’

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turne que je voy un peu d'ombre sur le cercle vers A, la figure estant tournèe icy comme je la voy, c'est a dire renversee.

Voicy ce que l'on me mande de Paris touchant l'affaire des chaises roulantes Je vous envoie toute la lettre¹³⁾ de Monsieur le Marquis de Crenan¹⁴⁾ n'ayant pas le temps d'en faire un extrait. Vous aurez la bontè de la montrer aussi a Monsieur Silvius¹⁵⁾ a fin que s'il le trouve a propos il escrive a Monsieur le Marquis ainsi qu'il semble le souhaiter.

Je vous prie de luy faire mes baisemains et de croire que je suis parfaitement

Monsieur

Votre tres humble et tres obeissant seruiteur Chr. Hugens de Zulichem.

13) Voir la Lettre N^o. 1246.

14) C'est par là que nous avons pu déterminer l'auteur de la Lettre N^o. 1246.
Pierre Perrier, marquis de Crenan, issu d'une ancienne familie de Bretagne, mourut le 10 février 1702, à la suite d'une blessure reçue le 1^er février. Entré en 1668 au régiment du Roi, il devint gouverneur de Casal en 1687, maréchal de camp en 1688, lieutenant-général en 1693, et directeur-général de l'infanterie en 1699.

15) Silvius s'était déjà depuis longtemps occupé de ces chaises Roanesques.