Oeuvres complètes. Tome II. Correspondance 1657-1659

N^o 600.
Ism. Boulliau à Christiaan Huygens.
14 mars 1659.

La lettre se trouve à Leiden, coll. Huygens.
Elle est la réponse au No. 593. Chr. Huygens y répondit par le No. 603.

A Paris le 14 Mars 1659.

Monsieur

Je vous suis obligé si estroictement pour la faueur que vous m'auez faicte de metre entre les mains de Monsieur l'Abbé Brunetti les verres de Lunettes de longue veüe dont vous me faictes present, que je ne peux vous tesmoigner comme je le voudrois les sentimens de gratitude que j'en ay; si l'expression me manque pour vous les declarer, vous excuserez encores plus facilement, comme je l'espere, mon impuissance de pouuoir par aucun seruice ou office vous rendre vn tesmoignage reel, proportionné au don pretieux & exquis que vous me faites. Le souuenir & la recognoissance que j'en conserueray toute ma vie, & la passion que j'auray tousjours de vous seruir, seront les marques infallibles que vous ne vous serez point trompé en me gratifiant d'vn tel bienfaict, et j'euiteray aussi le blasme que les ingrats encourrent justement.

Lors que Monsieur l'Abbé Brunetti sera arriué a Paris¹⁾, & qu'il m'aura rendu

1) Cela eut lieu le 30 mars. Voir la Lettre N^o. 605.

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les verres je ne manqueray pas aussi tost de vous en donner aduis, & de prattiquer les preceptes que vous me donnez pour la construction du tuyau, & pour l'vsage de la Lunette; La description de toutes les parties est si exacte, que je comprens fort bien comme il faut faire.

Les six exemplaires²⁾ que j'ay pour vous enuoyer selon l'aduis³⁾ que je vous en ay donné, ne peuuent pas aller si tost par la voye du marchand⁴⁾ dont je vous ay parlé, pource qu'il s'en va a Geneue pour des affaires domestiques, & il n'en sera pas si tost de retour. & ainsi je chercheray quelque autre voye plus prompte.

Mercredi⁵⁾ pendant que j'estois hors du logis, il vint vn homme pour m'aduertir qu'il estoit venu des monstres de Hollande de vostre inuention, mais le portier n'eut pas l'esprit de luy demander le lieu de sa demeure, & ainsi je ne scay ou le prendre, ny s'il reuiendra me trouuer. Ce qui me met fort en peine. Je feray ce qui me sera possible pour le descouurir.

Je n'ay pas encores eu le loisir de bien estudier le liure de Monsieur Paschal²⁾, ayant eu des visites a faire pour choses necessaires & importantes aupres de quelques personnes de la Court.

Il est suruenu vne grande diuision⁶⁾ dans l'Academie Françoise, deux partis s'y estant formez pour l'admission ou inclusion⁷⁾ de Monsieur Boileau⁸⁾. Je suis fasché que cela ayt esté cause de la rupture entre Messieurs Chapelain & Menage. celluyla porte le Sicur Boileau, & celluyci sollicite contre luy, pour ce qu'il en a esté mal traicté en des escrits imprimez⁹⁾. Monsieur Pelisson¹⁰⁾ est le chef de part contre Boileau, poussé par Mademoiselle de Scuderi¹¹⁾, pour ce que Boileau a faict vne

2) Les Lettres de A. Dettonville. Voir la Lettre N^o. 560, note 32.

3) Voir la Lettre N^o. 595.

4) Flournoi. Voir la Lettre N^o. 601.

5) C'était le 12 mars.

2) Les Lettres de A. Dettonville. Voir la Lettre N^o. 560, note 32.

6) La lutte qui eut lieu à l'occasion de la place vacante par la mort de M. Colletet dans l'Académie Française fut à la fin décidée en faveur de Gilles Boileau.

7) Lisez: exclusion.

8) Gilles Boileau, fils aîné du père de même nom et de Anne de Nielle, naquit le 22 octobre 1631 à Paris, où il mourut le 10 mars 1669. Il fut avocat au Parlement de Paris, puis contrôleur de l'Argenterie du Roi.

9) Voir la Lettre N^o. 605, note 12.

10) Paul Pellisson, fils du Conseiller Jean-Jacques Pellisson et de Jeanne de Fontanier, tous deux protestants, naquit le 30 octobre 1624 à Béziers et mourut le 7 février 1693 à Paris. Il devint historiographe du Roi Louis XIV et, en 1670, se fit catholique. Il était très-lié avec Mademoiselle de Scudery. Il fut mêlé dans le procès contre Fouquet (voir la note 7 de la Lettre N^o. 605), et resta enfermé à la Bastille du 5 septembre 1661 jusqu'en 1666.

11) Madeleine de Scudery, soeur du poète extravagant George de Scudery (1601-14 mai 1667), naquit au Havre en 1607 et mourut à Paris le 2 juin 1701. D'abord une des étoiles de l'Hôtel Rambouillet, elle institua, après les troubles de la Fronde, ses ‘Samedis’, où se rassemblait le monde littéraire.

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Satyre contre Sappho & Herminius, qui dans la Clelie sont Mademoiselle de Scuderi & Monsieur Pelisson; Je trouue a redire que cette Damoizelle ayt appellé son ami, Herminius, au lieu de l'auoir nommé Phaon. Les grands de la Court prenent parti dans cette querele, & ils s'en meslent. Monsieur le Chancellier¹²⁾ quoi que chef de l'Academie, a declaré quil ne s'y vouloit point trouuer lundi prochain¹³⁾ que l'on doibt remettre cette affaire sur le tapis, l'Abbé de Boisrobert¹⁴⁾ l'auoit prié jnstamment de s'y trouuer, Monsieur Menage a fait des sollicitations contraires, & declaré a tous ceux qui seroient pour Boileau qu'ils perdroient son amitié. Ceux de ma portee qui rampent contre terre voyent du pied du Parnasse les foudres & les tempestes que ces beaux esprits y forment. Ces esclairs qui en viennent les esblouissent. Comme cette discorde donnera lieu a vne cruelle guerre, qui fera qu'vn parti chassera l'autre, Nous verrons voler en l'air les poetes & les prosateurs lanceant en terre Satyres, apologies & autres pots a feu qui noirciront les malheureux sur qui ils tomberont; Quel fracas, & tintamarre l'on entendra de toutes parts, Dieu veuille oster de leur route tout baston & arme a feu, pource que je preuoy qu'ils en viendront aux mains, mesme qu'ils en viendront aux coups de poing s'ils manquent d'autres armes. Cependant je seray bien aise que nous puissions voir vostre Systeme de Saturne, ou les Oyseaux de l'Academie ne scauroient voler ny atteindre; Ils n'ont eu dans leur premiere jnstitution de leur fondateur & Psaphon¹⁵⁾ le Cardinal de Richelieu¹⁶⁾, que de chanter par tout qu'il estoit Dieu. Je suis veritablement & de tout mon coeur.

Monsieur

Vostre treshumble & tresobeissant seruiteur Boulliau.

Monsieur Hugens de Zulichem

12) Pierre Seguier. Voir la Lettre N^o. 492.

13) Le 17 mars.

14) François le Metel de Boisrobert naquit à Caen en 1592 et mourut le 30 mars 1662 à Paris. D'abord avocat, il entra dans l'Eglise; il devint abbé, puis aumônier du Roi et conseiller d'état. Il coopéra à l'établissement de l'Académie Française, fut protégé de Richelieu, mais était souvent en disgrâce à cause de sa conduite déréglée. Ses relations avec le comédien Mondori lui firent donner le surnom de ‘Abbé Mondori’.

15) Psaphon, habitant de Lybie (nommé aussi Apsephas), ayant appris à plusieurs perroquets à crier les mots μέγας θεὸς Ψάφων. (Psaphon est un grand Dieu), les lâcha dans les forêts: ces oiseaux répétèrent si souvent cette phrase, que d'autres en firent de même. Les Lybiens, croyant à un miracle, admirent Psaphon parmi leurs Dieux.

16) Armand Jean du Plessis, Duc de Richelieu, troisième fils du capitaine et diplomate François du Plessis Richelieu et de Suzanne de la Porte, naquit le 5 septembre 1585 à Paris, où il mourut le 4 décembre 1642. D'abord Evêque de Luçon depuis 1607, il entra en 1615 au conseil d'Etat, devint cardinal en 1622, et Ministre de Louis XIII en 1624. En 1635 il fonda l'Académie Française.

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Depuis ma lettre escrite Monsieur Milon m'a faict l'honneur de me voir & de me dire que c'est luy qui est venu m'aduertir que vous auiez chargé Monsieur l'Abbé Brunetti de l'horologe, ce qui me met hors de peine.

A Monsieur Monsieur Christian Hugens de Zulichem A la Haye.