Oeuvres complètes. Tome I. Correspondance 1638-1656

N^o 304.
J. Chapelain à Christiaan Huygens.
23 juin 1656.

La lettre se trouve à Leiden, coll. Huygens.
Elle est la réponse au No. 299. Chr. Huygens y répondit par le No. 322.

Monsieur

que vostre modestie ne soit point choquée s'il luy plaist de la verité certaine que je luy ay escrite parce quelle vous est auantageuse. I'en fais vne profession particuliere et tiens au dessous de mon courage de flater et de mentir. Entre mille bonnes qualites qui mont rendu vostre seruiteur celle de bien escrire en ma langue nest pas des moindres et il ma semble que vous en méritiés dautant plus de louange que je connois plus d'vn Escriuain né François qui napproche point de vous en cela. Mais celle que je vous donne partout sur cet article nest rien en comparaison de celles dont je couronne vos moeurs si humaines et les lumieres d'esprit et de scauoir qui reluisent en vous si eminèmment. Quand ie n'en aurois autre preuue que celle de l'eschantillon que vous m'en fistes voir dans le petit jmprime de la lune saturnienne ce seroit bien assés. Je lay trouué si latin si clair si judicieux qu'il n'y a rien a souhaitter dauantage et pour ce qui est des dons de vostre ame, l'obligeante maniere dont vous vsés pour rendre le commerce que Monsieur Heinsius et moy auons ensemble plus seur qu'il n'a este depuis quelque temps, fait assés voir que vous estes né magnanime et digne Fils de Monsieur vostre Pere la noblesse duquel sest signalée en tant d'occasions. Croyés donc Monsieur, et sans hesiter que ce que je vous ay dit je vous lay dit sincerement et que ie me tiens aussi heureux qu'honnore de vostre bienueilance dont je vous demande ambitieusement la continuation. Quant a la tromperie que vous a fait Saturne cette année il faut esperer quil la reparera

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l'année qui vient, et vous acheuera de glorifier en vous donnant moyen de parfaire vostre Systeme. Cependant Monsieur de Montmor qui sest tenu obligé de la maniere dont vous m'aués escrit de luy vous exhorte à voir auec vos longues et excellentes lunettes si Venus n'a point de lune qui tourne autour delle comme quelques vns l'ont imagine; si Mars a sur son disque vne forme de montagne pyramidale au pied de laquelle soit vn profond abysme, comme aussi s'il n'y a point quelque planette autour de luy analogue a nostre lune; enfin de vouloir mander ce que vous aués obserué dans ces Corps celestes et aux enuirons deux qui les regarde, auec vostre excellent Telescope, et si vous esperés d'en pouuoir doubler la longueur auec vn heureux succes. Vn autre grand Mathematicien¹⁾ de mes Amis ma escrit certaines choses sur vostre jmprimé que je luy auois enuoye a Caen, dont vous verrés cy joint la duplicata.²⁾ Si vous y respondés cela me seruira a estendre vostre gloire tousjours de plus en plus, tous les habiles de l'Academie³⁾ ou est ce Personnage attendant vos resolutions auec impatience sur la bonne opinion quils ont conceüe de vous. Pour moy que vous remerciés si genereusement de vous auoir engagè a la publication de vostre descouuerte je vous rens graces de lauis que vous m'en aues donne et vous prie de croire que je receuray a grand honneur si vous me donnes part du progres de vos estudes Philosophiques, et Mathematiques dont ie feray les miennes et si vous moffrés daussi agreables occasions de vous tesmoigner combien je suis

Monsieur

Vostre treshumble et tresobeissant seruiteur Chapelain

De Paris ce 23. Juin 1656.

Ie vous supplie, Monsieur, d'auoir la bonté de faire tenir seurement a Monsieur Heinsius la lettre que vous trouuerés dans ce paquet et sil vous enuoyoit la response de la vouloir mettre sous vostre enueloppe et la recomander a Monsieur Tassin.

A Monsieur Monsieur Hugens de Zulichem.

A la Haye.

1) Il nous a été impossible de déterminer qui est cet ami. Il ne semble avoir vécu à Caen, à cette époque, aucun mathématicien de renom. On peut conjecturer cependant qu'il s'agit de:
Daniel Macé. fils du savant Gilles Macé (1586-1637); il était le tuteur du célèbre Pierre Daniel Huet, évêque d'Avranches.

2) Voir la Lettre suivante N^o. 305.

3) A cette époque, il y avait à Caen plusieurs sociétés scientifiques, tant littéraires et archéologiques, que des sciences physiques.