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Chant Troisième.
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Chant troisième.
Héroisme sur mer.
Il était nuit: j'errais dans un bois solitaire;
Les zéphyrs reposaient sous la feuille légère;
Un silence, pareil à celui des tombeaux,
Laissait autour de moi sommeiller les échos;
Phébé ne régnait plus, et d'épaisses ténèbres
Couvraient les vastes cieux de leurs voiles funèbres;
Je foulais un sentier à mes pas inconnu;
Les champs, les bois, les monts, tout avait disparu.
Dans la muette horreur de cette nuit profonde,
Il me semblait que seul je veillais dans le monde.
Mon coeur, ô mon pays, plein de ton souvenir,
Déplorait le présent et sondait l'avenir!
Je voyais des mortels la race terrassée,
Comme un reptile impur dans la fange enfoncée.
L'imagination, brunissant ses pinceaux,
Remplissait mes esprits de sinistres tableaux:
Je marchais sur un sol stérile, sans culture,
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Marécageux, désert, rebut de la nature.
Hélas! c'étaient les lieux, l'infortuné séjour,
Où, sous un astre ami, mon oeil s'ouvrit au jour.
Je cherchais en pleurant cette ville opulente
Qui levait sur l'Amstel sa tête indépendante;
Mais je ne voyais plus que des murs démolis,
Battus par la tempête et par l'onde engloutis.
Des pêcheurs, où jadis dominait l'opulence,
Pauvres, sans vêtemens, erraient seuls en silence.
Gravissant éperdu ces restes douloureux,
Je courais vers l'asile où dormaient mes aïeux:
Hélas! plus de tombeaux!!... Un vieillard se présente;
Je m'approche et lui dis, d'une voix suppliante:
‘O mon père! est-ce ici que l'Amstel autrefois
A l'Europe à genoux fit respecter ses lois?’
- ‘Oui, mon fils, répond-il; une cité superbe
Jadis levait son front où croît maintenant l'herbe;
Où l'oiseau croassant attriste les échos,
S'offrait son capitole entouré par les flots;
Ici, des monumens élevés dans la nue,
Dans les siècles passés étonnèrent la vue;
Là-bas, servant en paix leur culte solennel,
Nos pères vertueux adoraient l'Éternel.....
Pour nous, livrés sans cesse aux fureurs de Neptune,
Nous errons affamés au sein de l'infortune:
A peine entendons-nous, sur ce sol malheureux,
Le nom de la cité qu'habitaient nos aïenx.’
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Il se tait; et de pleurs inondant mon visage,
Mon oeil épouvanté parcourt ce lieu sauvage.
Ainsi, rien n'est durable, ainsi la main du temps
Élève et délruit tout dans la course des ans!
Où sont tes murs vainqueurs, orgueilleuse Palmire?
Le Chakal, l'Africain, dans son cruel délire,
Pousse des hurlemens sur les restes épars,
El d'informes débris affligeant les regards,
Attestent seuls, hélas! la gloire évanouie
De la ville pompeuse où régna Zénobie.
O que dans ces momens, le sort de mon pays
De regrets et d'amour remplissait mes esprits!
Tout à coup, ô terreur! sur ces vastes décombres,
La nuit, la sombre nuit vient redoubler ses ombres,
Et du sein de la terre un bruit sourd est sorti.
Un spectre m'apparaît; je reste anéanti!
Il s'avance, entouré d'une lumière pâle,
Et m'adresse ces mots d'une voix sépulcrale:
‘Rends l'espoir à ton coeur; un destin élevé
A ces bords malheureux est encor réservé.
Mortel, rassure-toi: les vertus de tes pères
Sur ce sol fécondé seront héréditaires.
Un éclatant soleil doit y luire à jamais:
De tes divins aïeux chante les nobles faits.
Au sentier de l'honneur, fiers de ces grands modèles,
Leurs glorieux enfans se montreront fidèles.’
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Il dit; et le tonnerre, en longs sillons de feux,
Sembla me confirmer cet oracle des cieux.
Je sentis en moi-même une force nouvelle.
L'ombre cessa; Phébé, plus brillante et plus belle,
Reparut dans les airs sur son trône argenté,
Et je guidai ines pas à sa douce clarté.
Oui, je veux célébrer les faits d'un peuple illustre,
Sur ses fils abattus répandre un nouveau lustre.
L'amour de la Patrie, en mon âme imprimé,
Inspire, dans son vol, mon génie enflammé.
Paraissez tous, ô vous, qui, d'un coeur intrépide,
Affrontiez le trépas sur la plaine liquide!
Ma muse, avec transport, va chanter vos exploits.
Mais par où commencer? quels accens, quelle voix
A tant de traits fameux pourront jamais suffire?
Qui peut compter les flots sur l'orageux empire?
Parcourons l'univers: sous les pôles glacés,
De nos vaillans héros les faits sont retracés:
En leurs puissantes mains le trident de Neptune
A leurs mâts triomphans attacha la fortune.
Sous la zône de feu, des champs où meurt le jour
Aux lieux où le soleil annonce son retour,
Partout, le monde a vu notre valeur guerrière
Planter des Pays-Bas l'invincible bannière.
Quel courage étonnant a signalé nos bras!
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Que de ports attaqués! que d'immortels combats!
Dans chaque flot des mers retentit notre gloire.
Sans doute un Dieu pour nous enchaîna la victoire.
Le laurier, à nos yeux, s'éleva sur les flots,
Et le sein de Téhtis enfanta nos héros.
Les Pays-Bas, vainqueurs aux jours de leur naissance,
Jusqu'aux sables d'Égypte ont porté leur puissance;
Damiette, de ses bords nous repoussant en vain,
Vit tomber sous nos coups sa barrière d'airain.
Oui! ces premiers momens d'une gloire inouïe,
Annonçaient la splendeur qui couvrit la patrie.
Tel, d'un faible ruisseau, naît un fleuve orgueilleux:
Ainsi le laboureur, interrogeant les cieux,
Voit de loin les beaux jours où la terre empressée
Prodiguera ses dons à sa grange entassée.
Peuple, dont la grandeur étonna l'univers,
Dont l'éclat obscurci jette encor des éclairs,
Dans les siècles lointains, Salamine, Platée
Rediront à nos fils ta gloire méritée;
Mais par de plus hauts faits, nos aïeux invaincus
Ont frappé leurs tyrans à leurs pieds abattus.
Profanes, loin d'ici, vous, qui vantez sans cesse
Les vertus des Romains, les exploits de la Grèce!
Voyez, dans cette lutte, entouré d'ennemis,
Le Batave affronter les gouffres de Téthis;
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Suivez-le triomphant dans la plus noble voie;
Approuvez mes transports et partagez ma joie!
Fier de t'appartenir, ô pays adoré,
Un feu brûlant pénètre en mon coeur inspiré;
Viens me dicter mes vers; que ma lyre fidèle
Célèbre tes héros et leur race immortelle.
Pays-Bas, écoutez! Disciples d'Apollon,
Élevez vos accens dans le sacré vallon;
Illustrez nos exploits, chantez, nouveaux Orphées,
Et couronnez vos fronts de lyriques trophées!
Et toi, de l'Océan et le maître et l'effroi,
Toi qui, de tes rochers, fais au monde la loi,
Orgueilleux Léopard! qui, sur les mers profondes,
Nous ravis le trident du monarque des ondes,
Qui sus, dominateur de l'empire des eaux,
Abattre sans retour tes superbes rivaux,
Dont le coup-d'oeil perçent, jusques sur leur rivage,
Va de tes ennemis enchaîner le courage;
Tu fus grand, je l'avoue, et les siècles passés,
Quand nos ardens lions, sur l'océan lancés,
A tes nombreux guerriers arrachaient la victoire,
Ont vanté ta vaillance, ont admiré ta gloire!
Défiant les périls et tes mille vaisseaux,
Nos mâts te poursuivaient en tonnant sur les flots.
Effrayé, rassemblant tes flottes fugitives,
Tu nous vis en triomphe approcher de tes rives.
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En vain, dans ta fureur, tu redoublas d'efforts:
Tu cherchas ton salut sous l'abri de tes ports.
De Ruiter attaqua tes puissantes armées,
Dispersa sur les mers tes poupes alarmées,
Et son nom, sur tes bords répandant la terreur,
Devint de l'univers et la gloire et l'honneur.
Sois moins fier, Léopard! abaisse ton audace!
De nos foudres, Chattam conserve encor la trace.
Sur l'abîme grondant tout prêt à t'engloutir,
Devant leur pavillon nos guerriers t'ont vu fuir!
Ainsi, dans les déserts de l'Afrique brûlante,
Quand le lion, pressé par la faim dévorante,
Fait au loin retentir ses longs mugissemens,
Les hôtes des forêts égarés et tremblans,
Au milieu de la nuit, redoutant son passage,
Courent au fond des rocs échapper à sa rage.
O vous qui, sur la foi des zéphyrs caressans,
Environnés d'amis, aux beaux jours du printemps,
Dans un agile esquif sillonnant l'onde amère,
Faites gémir nos flots sous la rame légère,
Reportez vos esprits vers ces temps reculés,
Où nos lions de mer, à la gloire appelés,
Du tyran espagnol méprisant la menace,
Dans des fleuves de sang ont noyé son audace!
Que la reconnaissance attendrissant vos coeurs,
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De vos yeux réjouis fasse couler des pleurs,
Et que, de nos guerriers honorant le courage,
Leurs mânes satisfaits reçoivent volre hommage!
Ce fut là, sur ces bords, que le Lion hardi
Pour la première fois renversa l'ennemi.
Poussé par le due d'Albe au combat qui s'apprête,
Aussi prompt qu'un torrent grossi par la tempête,
L'Espagnol furieux attaque nos vaisseaux:
Ses flottantes cités couvrent les vastes eaux.
Bataves peu nombreux, mais toujours invincibles,
Pourrez-vous résister à ces masses terribles?
Vous n'avez qu'un seul voeu; par vous tous répété,
Vous n'avez qu'un seul cri: Patrie et Liberté!
Volez tous au combat! Déjà les foudres grondent;
L'onde bouillonne, écume, et les échos répondent.
Déjà, de tous côtés, l'ange exterminateur
Promène de la mort le glaive destructeur.
On se bat, on s'approche, on se serre, on se mêle,
Et partout, sans pitié, le sang coule, ruisselle!
Enfin, exaspéré de tomber sous nos coups,
Le féroce Espagnol redoublant de courroux,
Commande qu'à l'instant, sur nos rives sanglantes,
Nos hameaux soient livrés aux flammes dévorantes.
O spectacle d'horreur! nos soldats ébranlés
Frémissent à l'aspect de leurs toits écroulés.
L'un croit voir son enfant luttant contre la flamme;
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L'autre sous des débris voit expirer sa femme;
Et tous, épouvantés de ce ravage affreux,
Jurent d'anéantir ces monstres odieux.
L'horreur est à son comble! avec des cris de rage,
La haine et la vengeance ordonnent l'abordage.
L'acier frappe l'acier, les mâts heurtent les mâts.
Sous mille traits hideux l'implacable trépas
Vole de rangs en rangs, et sa faux meurtrière
Précipite sa proie au fond de l'onde amère.
Mais le sort se décide; et nos braves lions
Et de gloire et d'honneur couvrent nos pavillons.
L'ennemi dans les fers cède à notre vaillance;
Ce grand jour du Batave affermit la puissance,
Et vainqueurs sans orgueil, nos soldats indomptés
Regardent tout surpris les coups qu'ils ont portés.
Ainsi quand, jeune encor, le lion téméraire
Livre un premier combat au tigre sanguinaire,
Sa crinière se dresse, il écume, il rugit;
De son oeil enflammé l'éclair au loin jaillit;
Méconnaissant sa force, ardent et plein de joie,
Ennemi généreux il contemple sa proie:
Le tigre fond sur lui; de ses cruelles dents,
Le monstre des forêts lui déchire les flancs.
Le lion irrité sent croître son courage:
Il s'élève, il s'élance, il frissonne de rage;
Altéré de vengeance, il s'anime au combat;
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Sous ses ongles de fer, il le presse, il l'abat.
Bondissant de fureur sur la mouvante arène,
Le tigre se débat sous le poids qui l'enchaîne;
Vains efforts! Le lion, oubliant sa douleur,
S'abreuve de son sang et lui perce le coeur.
Tout fier de sa victoire, et d'une voix terrible,
Il remplit les déserts de son triomphe horrible.
Alors, jetant les yeux sur ces sanglans débris,
De sa mâle valeur il reconnaît le prix;
Alors, de ses rivaux il sent qu'il est le maître,
Et que, roi des forêts, il est digne de l'être.
Ainsi dans ce beau jour les Pays-Bas vainqueurs,
Confondant les projets d'insolens agresseurs,
Ont prouvé, pleins de gloire, à la face du monde,
Que le Batave est né pour commander sur l'onde,
Et que, d'un bras vengeur frappant son ennemi,
Il ne laisse jamais un affront impuni.
Honneur au citoyen qui sert bien sa Patrie,
Et qui, pour la venger, sait prodiguer sa vie!
Qui, rempli de respect, prononce un nom sacré,
Toujours cher à son coeur, en tous temps révéré!
De même que l'on voit, au sein de la nuit sombre,
Les feux du diamant étinceler dans l'ombre,
Sa gloire impérissable, en faisceaux lumineux,
Perce la nuit des temps et brille à tous les yeux.
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O valeureux Claassens! le burin de l'histoire
Aux siècles à venir transmettra ta mémoire,
Et nos derniers neveux, de ton lustre éblouis,
Admireront encor tes exploits inouis.
Intrépide héros! de tes vertus guerrières,
La splendeur rejaillit sur nos têtes plus fières:
Ainsi l'or, éclairé par l'astre des saisons,
Répand autour de lui des gerbes de rayons.
Ce n'était point assez que l'Espagne éperdue
Vît tomber sur ses bords sa puissance vaincue:
Sous de brûlans climats, sur les flots mexicains,
Claassens vole à la gloire et commande aux destins.
Vaincre ou mourir! voilà sa devise sacrée.
La terreur de son nom, de contrée en contrée,
A déjà fait pâlir ses lâches ennemis.
Dans ses hardis projets ses soldats affermis
Provoquant l'Espagnol sur les eaux mugissantes,
Affrontent, courageux, huit poupes menaçantes.
Tel qu'un rocher vainqueur des outrages du temps,
Brave l'assaut de l'onde et l'effort des autans,
Il reste inébranlable. On l'attaque, on le presse:
Il excite des siens la fureur vengeresse,
Et, sommé de se rendre, isolé, sans secours,
Certain de succomber, veut vendre cher ses jours.
Il s'apprête au combat: dans sa mâle assurance,
Sa Patrie et son Dieu soutiennent sa vaillance.
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Mille bouches d'airain vomissant le trépas,
Renversent tout à coup ses voiles et ses mâts.
Le vaisseau crie, éclate; et le fougueux Borée
Disperse ses débris sur la plaine azurée.
Déjà le dieu du jour, sur son trône de feux,
Pour la seconde fois reparaît dans les cieux;
Claassens combat encore! il assemble ses braves,
Et l'oeil étincelant: ‘invincibles Bataves,
Vous, dont l'ardent courage et la noble fierté
Ont su briser le joug d'un tyran détesté,
Vous qui, par vos exploits, à la gloire fidèles,
Avez couvert vos noms de clartés immortelles,
Voulez-vous aujourd'hui, chargés d'indignes fers,
Montrer vos fronts honteux aux yeux de l'univers?
Compagnons! voulez-vous, avec ignominie,
Implorer vos bourreaux et mendier la vie,
Ou, bravant près de moi les caprices du sort,
A des jours avilis préférez-vous la mort?
Décidez! à l'instant, cette mêche allumée
Nous ravit, pleins d'honneur, à leur rage affamée,
Et, lancés dans les airs, nos débris embrasés
Vont frapper l'ennemi sur ses vaisseaux brisés.’
Il dit; et sur les flots ces mots se font entendre:
‘Nous! céder au vainqueur et lâchement nous rendre!
Jamais... La mort! la mort!’ - A ce cri glorieux,
Ils adressent au ciel leur prière et leurs voeux.
Accusant malgré lui la fortune jalouse,
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Claassens pleure en secret son enfant, son épouse.
Il partage leur peine, il voit leur désespoir.
O destin rigoureux! ô nature! ô devoir!
Il entend les soupirs, les sanglots d'une mère
Demander à son fils le retour de son père!.....
Mais, chassant des pensers qui font frémir son coeur;
Il regarde le ciel, étouffe sa douleur,
Et du fatal brandon sa main terrible armée
Fait sauter le vaisseau dans la nue enflammée.
Malheureux! reposez au vaste sein des mers.
Ah! sur vous à jamais tous les yeux sont ouverts.
Magnanimes héros, dignes de la Patrie,
Vous ne reverrez plus votre terre chérie;
La victoire au combat invitant ses guerriers,
Ne vous offrira plus des moissons de lauriers.
Vos restes, emportés par les vagues profondes,
Sur des bords inconnus roulent au gré des ondes;
Mais votre souvenir, triomphant du trépas,
S'imprime dans les coeurs et ne s'efface pas.
Vos étonnans exploits, trop célèbres victimes,
Ont immortalisé vos courages sublimes.
Ah! sur vous à jamais tous les yeux sont ouverts:
Malheureux! reposez au vaste sein des mers.
Chantez, Muse! mes vers, ennoblissant mes veilles,
Des héros de Thétis célèbrent les merveilles.
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Voyez-vous de Cérès les trésors jaunissans
Balancer leurs épis sur ces fertiles champs?
De ces riches moissons, où son bonheur se fonde,
Le laboureur reçoit la dépouille féconde.
Dans ces sillons creusés par ses robustes mains,
Naguère son espoir confia peu de grains:
Admirez maintenant, dans ces plaines riantes,
Rouler autour de lui ces tiges ondoyantes,
Ces flots d'or qui, bercés par l'aile des zéphirs,
Vont payer ses sueurs et combler ses désirs!
De ses humbles foyers échappé dès l'aurore,
Sur ses coteaux heureux que le soleil colore,
Au sein de la rosée et des brouillards épais,
Du soc de sa charrue il ouvre ses guérets.
En vain des feux du jour la dévorante haleine
Dans son corps épuisé passe de veine en veine,
En vain, amoncelé par les vents furieux,
S'en vient fondre sur lui l'orage impétueux;
Il pense à la récolte, et sa douce espérance
Allège ses travaux, adoucit sa souffrance.
Ainsi les Pays-Bas, sur la voûte des flots,
Virent naître jadis des milliers de vaisseaux;
Ainsi de leurs guerriers l'invincible vaillance
Reçut de tant d'exploits la juste récompense,
Et bravant les périls, leur pavillon heureux
Sous le pôle glacé flotta victorieux.
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Vous, dont le coeur respire et bat pour la Patrie,
Qui pleurez avec moi notre gloire flétrie,
Venez, suivez mes pas sur ces remparts d'airain:
Écoutez de ces mers le murmure lointain.
Ah! rien n'atteste ici notre splendeur première!
O grandeur éclipsée! une barque légère
Sur ce vaste Océan paraît seule à nos yeux.
Triste et pénible aspect! souvenir douloureux!
Quoi! de tant de vaisseaux c'est là le faible reste!....
Imagination! de ce tableau funeste,
Par ton art merveilleux viens changer les couleurs;
Élève ma pensée et fais cesser mes pleurs.
Imagination! que ton prisme magique
Transporte mes esprits vers ce temps héroïque,
Vers ces jours immortels où nos braves soldats
Conduisaient la fortune enchaînée à leurs mâts.....
Oui! mes voeux sont remplis; le passé recommence;
Des siècles décédés s'offre la chaîne immense;
Le présent disparaît; je revois nos aïeux,
J'admire leur grandeur, je suis au milieu d'eux!
O prodige! soudain, à ma vue éblouie,
De l'onde amoncelée une flotte est sortie.
Sur la mer qui mugit j'entends les matelots;
J'entends l'airain qui tonne et frappe les échos.
Le pavillon batave, entouré de sa gloire,
Flotte enfin, libre et fier, aux cris de la victoire.....
Mais quels sont ces vaisseaux qui s'avancent vers nous,
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Sans pavillons, sans mâts, percés de mille coups?
Dans la commune ivresse où le peuple se noie,
Le vainqueur apparaît et redouble la joie.
Armé de son trident, d'un pas majestueux
De Ruiter a touché notre sol orgueilleux.
Le voilà, ce guerrier, ce héros magnanime
Qui, durant quatre jours, sur l'orageux abîme,
Réprima d'Albion l'insolente fierté!
Quatre jours, défenseur de notre liberté,
Il couvrit l'Océan de souffre et de fumée;
Et quatre jours vainqueur, sa redoutable armée,
Lançant l'affreux trépas à coups précipités,
Fit voler jusqu'aux cieux les flots ensanglantés.
On eût dit que l'Etna, de ses bouches ardentes,
Vomissant à grand bruit ses entrailles fumantes,
Des bords de la Sicile élancés dans les airs,
De rochers et de feux couvrît le sein des mers.
Mais du fond bouillonnant de ce terrible gouffre,
Le Lion, à travers et la flamme et le soufre,
Reparut dans sa gloire; et l'Océan calmé
Roula, libre de fers, son flux accoutumé.
Oh! que n'ai-je des vers harmonieux, sublimes,
Pour chanter vos hauts-faits, ancêtres magnanimes!
A l'univers entier vantant votre valeur,
Que votre souvenir élèverait mon coeur!
Des peuples étrangers, du couchant à l'aurore,
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Devant votre grandeur se courberaient encore;
Je saurais ranimer vos illustres débris,
Et réveiller l'honneur dans l'âme de vos fils.
Mais qui pourrait jamais, d'une voix éloquente,
Chanter de nos aïeux la mémoire éclatante?
Voyez-vous ce héros, digne d'un meilleur sort,
S'avancer hardiment vers le pôle du Nord,
Braver le feu, percer des montagnes de glace,
Et périr dans les flots pour prix de son audace!
L'Orient est soumis; et ses rois détrônés
Cèdent à leur vainqueur et marchent enchaînés.
Le Sund nous est ouvert. Sur l'Océan immense,
Les trésors espagnols sont en notre puissance:
Aux côtes du Brésil leurs vaisseaux chargés d'or,
Vers nos ports enrichis ont déjà pris l'essor.
De Ruiter a parlé: ses mots sont des oracles.
Sa voix et sa présence enfantent des miracles.
Il excite au combat ses braves compagnons,
Et déjà la victoire a couronné leurs fronts.
La Suède, allumant le flambeau de la guerre,
Sur Copenhague en feu dirige son tonnerre;
O noble Wassenaar! protecteur de ses droits,
Tu meurs victorieux en sauvant le Danois.
Siècle à jamais fameux! héros dignes d'envie!
Qui de tant de splendeur n'a point l'aine saisie,
A l'aspect imposant des lauriers éternels
Qui s'élèvent, sacrés, sur vos restes mortels?
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Aux jours de ta grandeur, jamais, ô Grèce antique,
Tu ne vis tant d'éclat sur ton sol héroïque!
Mais quel est ce guerrier qui, sous le poids des ans,
Dans le sein du conseil montre ses cheveux blancs?
Bataves, levez-vous! Evertsen qui s'avance,
De ses nombreux travaux attend la récompense.
Par son bras courageux les Anglais sont domptés.
Bataves, levez-vous! il s'approche; écoutez!
‘O que l'insigne honneur de venger ma Patrie
Soit le prix que j'implore au déclin de ma vie!
Qui meurt pour son pays a rempli son devoir.
Quatre frères, mon père, mon fils mon seul espoir,
Tous sont morts au combat. Liberté que j'atteste,
Ah! pour toi de mon sang je verserai le reste!’
Il part, frappe en héros les Anglais éperdus,
Et la mort le rejoint à ceux qu'il a perdus!
A ce beau dévoûment, qui du fond de son âme,
Ne sent pas s'élever une divine flamme?
Eh! qui près du séjour de ses mânes vainqueurs
Dans ses yeux attendris ne sent rouler des pleurs?
Qui vient, sans être ému, toucher la froide pierre
Où la Victoire en deuil enferma sa poussière?
Le mortel insensible à ce trait valeureux,
Mérite le destin d'un esclave honteux.
Toi qui seul peux d'un peuple assurer la mémoire,
Toi, dont les nobles faits éternisent la gloire,
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Astre resplendissant sur nos bords radieux,
Idole des guerriers, objet de tous les voeux,
Idéal de vertus, de talens, de prudence,
D'amour de la Patrie ainsi que de vaillance,
O de Ruiter! comment chanter tant de grandeur?
Quels vers de ton génie atteindraient la hauteur?
Ah! ma muse est trop faible; et ma reconnaissance
T'admire intimidée et garde le silence....
Mon fils! si quelque jour, sur un sol étranger,
Un lâche devant toi nous osait outrager,
Et répandre sur nous le venin de son âme,
De ton coeur indigné retiens la noble flamme;
Entends avec mépris d'injurieux propos,
Et venge ta patrie en nommant ce héros.
Quel poète, chéri des filles de mémoire,
Oserait aspirer à célèbrer ta gloire,
A louer tes vertus, toi que le Créateur,
Au milieu des dangers, nous donna pour sauveur?
Ce sujet est trop grand! Quels accens assez dignes
Rappelleront Alger et tes exploits insignes?
Ces immortels combats, où, vaincu sur nos bords,
Le Léopard tremblant se cache dans ses ports,
Ces jours, ces jours fameux, où Londres alarmée,
Par nos foudres vengeurs voit Sheernesse enflammée,
Où, couvert de lauriers, sur le soir de tes ans,
Ajoutant d'autres faits à tes faits éclatans,
Aux pieds du mont Etna tu meurs pour ta patrie!
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Qui pourra retracer une si belle vie?
Quelle mer, sans trembler, n'a vu ton pavillon?
Quel peuple avec respect n'a prononcé ton nom?
Feith osa te chanter: les nymphes d'Aonie
Ont, dans son vol sublime, inspiré son génie;
Mais comment, après lui, faire entendre ma voix?
Ma lyre détendue échappe de mes doigts.
Ah! courbé sous les coups du sort qui nous opprime,
Toi seul, tu peux encor nous laisser notre estime.
Assis près de la tombe où tu dors pour jamais,
Je veux de tes vertus occuper mes regrets.
Heureux, heureux alors, dans ma douleur profonde,
Si je puis oublier et moi-même et le monde!
On dit, lorsqu'Albion, rassemblant ses vaisseaux,
Crut, vers les bords de Sylt, surprendre nos héros,
On dit que sur les mers son ombre menaçante
S'éleva tout à coup de l'onde mugissante;
Telle qu'un Dieu puissant, terrible aux ennemis,
Excita le courage en nos rangs enhardis,
Porta chez nos rivaux la mort et l'épouvante,
Et d'un brillant succès couronna notre attente.
L'Europe vit encor nos braves défenseurs,
Sur notre sol vengé lever leurs fronts vainqueurs,
Détruire d'Albion les sanglantes chimères,
Et suivre glorieux les traces de nos pères.
Là, de tant de grandeur l'éclat s'évanouit.
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Penché vers l'horizon, le soleil s'affaiblit,
Et, le disque entouré de lumières funèbres,
Descendit plein d'effroi dans le sein des ténèbres.
Mais un jour, triomphant, sur son char radieux,
Il doit dans sa splendeur reparaître à nos yeux:
Les Bataves, rivaux et d'Athène et de Rome,
Seront dignes encor des vertus d'un grand homme.
Tel on voit l'aigle altier, d'un rocher sourcilleux,
Déployer dans l'Éther son vol impétueux,
S'élancer sur sa proie, et, perçant les nuages,
La traîner palpitante à travers les orages;
Vainqueur audacieux, l'oeil fixe et menaçant,
Il soutient du soleil l'éclat éblouissant:
Tout à coup, enchaîné dans un piège perfide,
Ce n'est plus cet oiseau qui, comme un trait rapide,
Avec des cris aigus fondait sar un troupeau,
Et frémissant de joie emportait son fardeau;
Sa force l'abandonne; il referme ses ailes;
L'éclair n'anime plus ses mourantes prunelles;
Le peuple ailé des airs, ô comble de malheur!
Naguère sa victime, insulte à sa douleur!
Mais du réseau rompu s'il dégage sa serre,
Terrible, l'oeil ardent, au séjour du tonnerre,
Il s'élève, et bravant et la foudre et ses feux,
Se plaît dans la tempête et plane dans les cieux.
fin du chant troisième.
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